• inventaire topographique
entrepôts agricoles, remises agricoles, hangars agricoles et bergeries du Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var
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  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    entrepôt agricole
  • Aires d'études
    Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var

I. Identification du corpus

1. La famille concernée

a. Terminologie

Le Thésaurus de l'Architecture de l'Inventaire général comporte une cinquantaine d'entrées qui qualifient les différentes dépendances agricoles en fonction d'un usage unique bien identifié et parfois très spécialisé. De fait, si la définition de l'entrepôt agricole précise que ce dernier correspond à un "Edifice ou partie d'édifice servant de lieu de dépôt pour la production agricole", ses déclinaisons sont nombreuses1. Or, sur l'ensemble du territoire d'étude, les dépendances agricoles, qu'elles soient regroupées autour de l'habitation ou isolées sur le finage, échappent pratiquement toutes à une classification fonctionnelle univoque. C'est du moins le cas jusqu'au 20e siècle, avec le tournant du modèle économique agricole qui voit l'apparition de deux bâtiments spécialisés : le hangar au début du siècle et la bergerie-tunnel après 1980.

Pendant tout le 19e siècle, perpétuant le modèle hérité de l'Ancien Régime, les dépendances agricoles dans leur très grande majorité ne sont pas spécialisées et peuvent regrouper sous un même toit toute une gamme de fonctions : étable, remise, fenil, grange, séchoir, bûcher, porcherie, pigeonnier, poulailler... On y rencontre en outre dans 14 % des cas un espace aménagé en logement saisonnier. Cette polyvalence se traduit par différentes combinaisons de fonctions, qu'il est hasardeux de considérer comme figées dans l'usage et le temps, une partie du bâtiment pouvant jouer tour à tour le rôle de remise pour la charrette et d'étable pour le mulet, voire de bergerie de fortune pour quelques brebis, cependant que le comble peut tout aussi bien servir à sécher les fagots ou le foin, puis à entreposer les gerbes de la dernière récolte. Les espaces intérieurs, pauvres en aménagements, permettent cette grande plasticité. Par ailleurs, l'architecture de ces bâtiments, à quelques exceptions près dont il sera fait état plus loin, ne comporte que peu de marqueurs spécifiques à tel ou tel usage. Face à cette diversité mouvante, l’enquête a très rapidement conclu à la nécessité de s’en tenir au terme générique d’entrepôt agricole pour qualifier ces dépendances.

b. Le corpus

La prédominance de la ferme-éclatée (voir REF=IA04003126) se traduit sur le terrain par le nombre impressionnant d'entrepôts agricoles dispersés sur le terroir cultivé. Même si de nombreux bâtiments ont disparu ou se présentent à nous dans un état de ruine trop avancé pour pouvoir faire l'objet d'un repérage signifiant, l'enquête a permis d'en recenser environ 2 300, pour un millier de fermes repérées. Bien que leur présence soit importante dans la haute vallée du Verdon, la majorité d'entre eux est localisée dans la haute vallée du Var, le moyen Verdon et, dans une moindre mesure, les vallées d'Asses. Dans certaines communes leur nombre dépasse la centaine : Braux, Annot, Le Fugeret et Entrevaux dans la haute vallée du Var ; Castellane et La Palud-sur-Verdon dans le moyen Verdon. La petite commune de Braux - qui, rappelons-le, constitue un cas particulier - en compte plus de 200 dont la moitié regroupée dans 44 hameaux d'entrepôts réunis autour d'une cour ou d'une aire à battre. Certains ensembles de taille importante peuvent comprendre, comme celui des Barmettes, jusqu'à huit bâtiments. Dans d'autres communes, ils sont peu voire très peu nombreux (Saint-Lions [2], Tartonne [8], Sausses [13], Allos [20], Villars-Colmars [21], Barrême [34], Castellet-lès-Sausses [34]). Mais les conditions du repérage, l'état parfois très dégradé voire ruiné de certains bâtiments entraînent inévitablement un décalage. Ainsi, si l'on se fie aux états de sections du cadastre ancien levé sur le territoire d'enquête entre 1811 et 1844, on constate une forte perte en grande partie due à la déprise rurale. A Demandolx, le ratio entrepôt agricole repéré/bâtiment agricole mentionné par le cadastre dit napoléonien (1834) s'établit à 1 sur 2 (39 contre 81) ; à Barrême, à 1 sur 3 (34 contre 95 en 1838) ; à Villars-Colmars, à 1 sur 5 (21 contre 120 en 1827). En revanche, si à Allos ce ratio s'établit à 1 sur 2 environ, la valeur absolue s'avère extrêmement faible (36 bâtiments ruraux relevés en 1825), surtout pour une commune très vaste. On en déduit donc que le Pays n'est pas uniforme, et qu'il existe des spécificités communales : Allos d'un côté, Braux de l'autre, par exemple, illustrent donc des particularismes notamment sur le plan de la représentation des entrepôts agricoles.

Entrepôts agricoles isolés dans la vallée de l'Asse de Clumanc.Entrepôts agricoles isolés dans la vallée de l'Asse de Clumanc.

2. Le contexte de l’enquête

L'entrepôt agricole est une dépendance. Aussi ne peut-il fonctionnellement être appréhendé comme un édifice à part entière, puisqu'il est une partie constituante d'un ensemble plus vaste, lequel constitue l'édifice en soi. Tel entrepôt sera ainsi lié à une maison, à une ferme, sera un élément parmi d'autres, en lien avec eux. De sorte que la prise en compte du seul entrepôt ne permet pas la plein compréhension de l'édifice dans sa globalité fonctionnelle. Pour autant, la réalité du terrain interdit la plupart du temps de raisonner dans ces termes, car il s'avère impossible d'identifier à coup sûr les liens qui unissent les différentes composantes d'une propriété, sinon à un instant t qui a vocation à évoluer dans le temps. A cette difficulté s'en ajoute une autre : comment, lors du repérage, rattacher des bâtiments parfois très éloignés les uns des autres sur le territoire communal, voire au-delà ? Le parti pris est donc de se limiter à considérer, à moins d'une connexion évidente et prouvée, chaque entrepôt comme un édifice à part entière, étudié comme tel. Rien n'empêche d'ailleurs ensuite de le relier à une autre composante d'une propriété plus vaste, lorsque cela est permis.

Castellane. Escoulaou. Entrepôt agricole multifonctionnel en contrehaut d'une parcelle plantée en céréales. C'est une dépendance agricole, mais son implantation isolée empêche de la rattacher à une propriété ou exploitation identifiée. Le bâtiment est donc étudié en tant qu'édifice à part entière.Castellane. Escoulaou. Entrepôt agricole multifonctionnel en contrehaut d'une parcelle plantée en céréales. C'est une dépendance agricole, mais son implantation isolée empêche de la rattacher à une propriété ou exploitation identifiée. Le bâtiment est donc étudié en tant qu'édifice à part entière.

On a exclu de la famille des entrepôts agricoles les cabanes d'estive et ensembles pastoraux, qui morphologiquement peuvent être extrêmement proches de ceux-ci. En effet, cabanes et ensembles pastoraux ressortissent d'abord à l'architecture domestique, leur vocation première est d'abriter, pour des séjours ponctuels, le ou les bergers (cabane), ainsi que leurs troupeaux, dans des enclos dédiés. Toutefois, certains particularismes communaux consécutifs à la mixité des usages agropastoraux d'un espace donné entraînent une difficulté à différencier la destination de bâtiments qui se côtoient, se complètent, et présentent une forme d'hybridité morphologique et fonctionnelle. Cette difficulté réelle trouve un écho dans la dénomination par les officiers du cadastre d'un type d'édifice, consigné sous l'appellation générique et donc très large de "bâtiment rural" dans les états de sections du cadastre ancien dit napoléonien (voir REF=IA040020882). Dans ce document fiscal, le "bâtiment rural" englobe souvent l'entrepôt agricole et la cabane d'estive, qui apparaît plus rarement sous ce terme spécifique. Les abris et abris troglodytiques, que l'on rencontre ponctuellement sur le territoire d'enquête, n'entrent pas non plus dans la famille des entrepôts agricoles.

II. La combinaison des fonctions

1. Analyse et synthèse

Face à la multifonctionnalité des entrepôts, l'établissement d'une typologie basée sur la détermination de combinaisons récurrentes croisant fonctions et emplacements dans l'édifice a bien été tentée mais s'est avérée peu pertinente, tant l'extrême variété conjuguée aux incertitudes liées à l'ambivalence des espaces résistent à la classification. On peut néanmoins dégager trois groupes principaux, discriminés par le nombre de fonctions observées : l'entrepôt unifonctionnel, le fenil sur étable, l'entrepôt multifonctionnel avec ou sans fenil. Ce dernier type est évidemment le plus rétif à la détermination d'une règle normative, mais quelques observations peuvent cependant se dégager.

L'entrepôt unifonctionnel existe dès la fin du 19e siècle, même si ce type ne représente qu'un faible pourcentage, moins de 16% des individus repérés. C'est un bâtiment souvent de faible volume, presque toujours d’un seul niveau. Il sert de remise à charrette ou à outils, d’étable pour un mulet ou un âne, de porcherie ou encore, mais plus rarement, de fenil3. Il est fréquent dans les abords des hameaux ou des villages, ou dans les quartiers d'entrepôts des agglomérations, formant une dépendance disjointe peu éloignée de l'habitation et plus facilement accessible aux bêtes ou aux charrettes que le logis enserré dans le tissu dense. Isolé sur le finage, son usage sera davantage celui d'une remise à outils. Dans la partie sud du territoire, on rencontre quelques-uns d'entre eux au milieu de vignobles.

Clumanc. Pré de Gaye. Entrepôt agricole unifonctionnel de type hangar sur piliers, servant de fenil.Clumanc. Pré de Gaye. Entrepôt agricole unifonctionnel de type hangar sur piliers, servant de fenil. Senez. Village. Entrepôt agricole unifonctionnel : remise agricole.Senez. Village. Entrepôt agricole unifonctionnel : remise agricole.

Nettement plus fréquent, représentant 41% du corpus, est l'entrepôt combinant sur au moins deux niveaux une étable ou une remise surmontée d'un fenil. Dans la plupart des cas, le bâtiment ne comporte que deux niveaux, mais il arrive de rencontrer deux étages de fenils au-dessus de l'étable, disposition alors facilitée par une implantation dans la pente qui permet de ménager des portes-hautes ou des baies fenières de plain-pied au deuxième et parfois au troisième niveau. Dans le village et les hameaux de la commune du Fugeret, cette disposition très fréquente inclut souvent un fenil-séchoir au troisième niveau. Au village, à l’angle de la Grande Rue, un entrepôt développe jusqu’à quatre niveaux, avec une étable en soubassement et trois étages de fenil desservis successivement par une porte de plain-pied sur la ruelle latérale en pente, une porte piétonne en haut d’un escalier extérieur perpendiculaire à l’élévation arrière et une porte haute de fenil percée au-dessus de cet escalier.

Dans ce contexte, il faut considérer la notion d'étable dans son acception la plus générique. Il est très malaisé de déterminer avec certitude quel type de bétail était abrité dans les entrepôts dispersés. Les dimensions des étables varient énormément d'un bâtiment à l'autre et les plus grands volumes ont pu servir de bergeries pour les troupeaux transhumants. La majorité des entrepôts cependant a une taille assez réduite et ne devait permettre d'accueillir qu'une ou quelques bêtes : mulets, chèvres, moutons, porcs, ceux-ci séparés du reste des animaux. Les aménagements intérieurs peuvent d'ailleurs laisser penser à la présence simultanée de plusieurs espèces animales car il est fréquent de trouver deux ou trois séries de mangeoires le long des murs, visiblement destinées à des bêtes différentes.

La Rochette. La Clue. Entrepôt agricole multifonctionnel : fenil sur étable.La Rochette. La Clue. Entrepôt agricole multifonctionnel : fenil sur étable.

Le type suivant, à peine plus nombreux avec 43% des cas, est le type du bâtiment polyvalent associant de deux à quatre fonctions sur un, deux, trois, voire quatre niveaux, avec souvent coexistence de plusieurs fonctions sur le même niveau, les bâtiments à deux niveaux étant majoritaires. Les combinaisons et les répartitions spatiales varient suivant les fonctions présentes dans le bâtiment, le nombre de niveaux et la distribution des fonctions entre elles et dans l'espace. Devant la multiplicité des cas de figure, a été adoptée une grille de lecture basée sur l'emplacement du fenil et celui du logement saisonnier.

Logiquement, les niveaux inférieurs accueillent une ou plusieurs étables, le plus souvent complétées par une remise, parfois en partie aménagée en fenil. Mais ils peuvent comporter aussi un logement saisonnier, un cellier, un poulailler, un bûcher ou une citerne. Le deuxième niveau est dans un peu plus de la moitié des cas occupé seulement par un fenil. Quand l’entrepôt comprend trois niveaux, le fenil se prolonge au troisième niveau, avec parfois une partie en séchoir.

Si le fenil n’occupe pas seul le deuxième niveau, il peut être associé à un logement saisonnier, un séchoir, un pigeonnier mais aussi une remise ou une étable si ce niveau est un rez-de-chaussée surélevé accessible de plain-pied par la dénivelée du terrain. Moins de 20% des entrepôts polyvalents sont dépourvus de fenil et comprennent le plus fréquemment au premier niveau une remise souvent accompagnée d’une étable et/ou d’un logement, avec, aux niveaux supérieurs, des séchoirs ou un logement saisonnier.

Castellane. La Lagne. Entrepôt agricole multifonctionnel sans fenil (étable en niveau 1, logement au niveau 2, séchoir au niveau 3).Castellane. La Lagne. Entrepôt agricole multifonctionnel sans fenil (étable en niveau 1, logement au niveau 2, séchoir au niveau 3).

14% des entrepôts comportent un logement saisonnier ou temporaire. Dans le cas minoritaire où l'entrepôt ne dispose que d'un seul niveau, il coexiste avec une remise dont il occupe un angle, parfois sans que la séparation entre les deux fonctions ne soit matérialisée par une cloison. Dans le cas plus fréquent où le bâtiment comprend plusieurs niveaux, le logement occupe en général le deuxième niveau, seul ou combiné avec un fenil ou un séchoir. En fonction du nombre de niveaux, l'emplacement du logement et la distribution des autres fonctions de l'entrepôt varient. Dans un entrepôt à deux niveaux, le logement sera plus couramment aménagé au second niveau, de préférence associé à un fenil ou un séchoir, le premier niveau étant occupé par une remise ou une étable. Si le logement est au premier niveau, il voisine avec une étable et peut avoir une extension au niveau supérieur où il est associé au fenil/séchoir. Dans les entrepôts à trois niveaux, la combinaison la plus régulièrement observée est celle où le logement occupe seul le deuxième niveau, avec étable ou remise au premier niveau et fenil/séchoir au dernier niveau. Une autre variante associe le logement à un fenil au deuxième niveau, et la combinaison se répète à l'étage supérieur, où une partie du fenil peut aussi comporter un séchoir.

Les entrepôts avec logement saisonnier se rencontrent dans une trentaine de communes, soit plus des deux tiers du territoire d'étude. Si l’on projette leur pourcentage par rapport au nombre total d’entrepôts repérés sur les quatre secteurs géographiques divisant le Pays, on constate une gradation assez régulière, dans une proportion de 1 à 2,5 environ : 6,5% dans les vallées d’Asses, 11% dans le Haut Verdon, 14,5% dans la haute vallée du Var et 17% dans le moyen Verdon. Cette répartition occulte toutefois de fortes concentrations remarquées dans certaines communes ou groupes de communes du sud du territoire : Entrevaux, la Palud-sur-Verdon, Rougon, Annot en particulier. Dans ces communes, non seulement le nombre total d’entrepôts repérés est le plus important, mais c’est là aussi que le pourcentage d’entrepôts avec logement est le plus fort. Ce qui conduit à proposer un autre découpage du territoire, plus apte à dessiner un clivage sur ce point. La limite tracée isole l’extrême sud du territoire, en suivant les massifs montagneux et les passages entre vallées. Elle passe au nord d’Entrevaux et Saint-Benoît, élimine Braux – qui comme on l’a déjà vu présente des particularismes de nature à brouiller une vision cohérente – englobe Annot et Vergons, Saint-Julien-du Verdon, Castellane, Rougon et La Palud-sur-Verdon. Au sud de cette ligne, le taux d’entrepôts avec logement s’établit à 20%, contre seulement 8,5% au nord.

Angles. Les Perruches. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et logement saisonnier : ici, vue de la distribution et de l'équipement de ce dernier.Angles. Les Perruches. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et logement saisonnier : ici, vue de la distribution et de l'équipement de ce dernier.

Cette constatation rejoint notre observation relative aux colombiers isolés ou construits aux abords des villages. Seuls 18 édifices de ce type existaient encore lors des enquêtes de terrain et on peut raisonnablement penser qu'ils ont été plus nombreux dans le passé, sans que les états de sections puissent nous le confirmer car ils ne distinguent pas toujours les colombiers des entrepôts agricoles, les deux types de constructions étant en général qualifiés de « bâtiment » ou bâtiment rural ». Les colombiers sont quasiment tous situés dans la partie sud du territoire : quatre à La Palud-sur-Verdon, quatre à Entrevaux, deux à Annot, trois à Castellane, un à Chaudon-Norante, un à Rougon, un au Fugeret et les deux plus septentrionaux, à Thorame-Basse et Allos. Sur les 16 colombiers les plus au sud, cinq peuvent être fonctionnellement rangés dans la catégorie des entrepôts polyvalents avec logement saisonnier, superposant remise-logement-pigeonnier dans quatre d'entre eux (au Bourras, au Vignal, et près du village à La Palud-sur-Verdon, à la Tour à Entrevaux) et logement-pigeonnier (Entrevaux, les Lacs) dans le cinquième. Un sixième, celui des Sences à Rougon, n'a pas pu être visité mais il est morphologiquement très proche des précédents, en dépit d'une restauration récente qui a modifié la forme du toit.

La relative concentration des entrepôts avec logement dans la partie sud du territoire d'étude doit être mise en regard de la répartition générale de ce type de bâtiment. On a bien vu que plus les entrepôts sont nombreux, plus le pourcentage d’entrepôts avec logement est fort. Et c’est au sud du territoire que les chiffres du repérage dépassent la centaine. À l’inverse, dans le haut Verdon, on dénombre peu d’entrepôts mais ce différentiel doit être corrélé avec la présence d’un nombre important de cabanes d’estive et d’ensembles pastoraux. On voit bien que l’entrepôt est le signe tangible d’une économie agropastorale qui règne dans le sud du territoire, alors que le pastoralisme prend le dessus dans la zone nord, singulièrement à partir des deux Thorame.

2. Quelle répartition au sein du territoire d'enquête ?

Les dossiers de synthèse à l'aire d'étude concernant les maisons (REF=IA04003146) et les fermes (REF=IA04003126) ont permis de mettre en évidence une dynamique propre au territoire, d'ouest en est : vallées d'Asses, moyen Verdon, bassin du Var, le haut Verdon, situé plus au nord, constituant un secteur spécifique auxquelles s'ajoutent des logiques complémentaires qui en font une zone quelque peu à part (voir aussi REF=IA04002138). Qu'en est-il de l'entrepôt agricole, non pas tant sur le plan morphologique que sur le plan fonctionnel ? Observe-t-on une dynamique comparable qui viendrait étayer l'hypothèse non plus de différences ponctuelles mais d'une logique d'ensemble à l'échelle du Pays lui-même, affectant toutes les grandes familles architecturales étroitement liées à l'économie et à l'histoire de ce territoire rural ? Une première analyse, menée dans un ouvrage précédent à partir des recensements de population de 1836 et des états de sections du cadastre ancien dans 31 communes, a révélé que la densité du bâti agricole suivait une courbe ascendante d'ouest en est4. Nous en livrons ici la conclusion :

"Si l’on raisonne à présent en termes de secteur géographique, on observe des variations internes, y compris pour des communes limitrophes. Pourtant, une cohérence d’ensemble était manifestement à l’œuvre (voir le tableau correspondant). Le rapport s’avérant négatif pour les vallées d’Asses, le haut Verdon et le moyen Verdon, ces secteurs disposaient de moins d’entrepôts agricoles que la moyenne calculée pour le Pays. Ce même rapport était en revanche positif (de façon très large si l’on intègre l’exception brauxoise) pour le bassin versant du Var, qui représentait ainsi le seul secteur comptant plus de dépendances agricoles que la moyenne générale pour le territoire. Dans les trois secteurs « déficitaires », l’échelle des écarts était grande. Le moyen Verdon, avec un rapport de 0,8, se rapprochait de la moyenne. Les vallées d’Asses (rapport de 0,6), et surtout le haut Verdon (rapport de 0,4) témoignaient pour leur part d’un écart important voire très important. Dans les faits, une gradation dans la densité du bâti agricole opérait d’ouest en est, des Préalpes dignoises du sud aux confins septentrionaux et orientaux du Var et des Alpes-Maritimes, en passant par le bassin médian du Verdon. Quant à la zone montagneuse du haut Verdon, elle bénéficiait d’une organisation propre : le système d’économie alpine spécifique en place ne requérait pas la même fréquence d’implantation des dépendances agricoles comme ailleurs sur le territoire".

En effet, le système d'économie alpine privilégiait les cabanes d'estive au sein de zones de pâturages très développés en lien avec l'activité d'élevage en général et transhumante en particulier, ce qui restreignait d'autant les surfaces dédiées aux cultures - et les entrepôts agricoles afférents. La faible proportion de ces derniers par rapport à l'ensemble - avec 169 objets repérés, moins de 8% du total - accrédite cet argument, non plus autour de 1830, mais au début du 21e siècle : le terrain confirme ainsi une réalité ancrée historiquement. Tout comme, avec 1151 objets représentant plus de 52% du total, le bassin du Var confirme que la densité du bâti agricole est la plus élevée du Pays, aujourd'hui encore5. Une nouvelle fois, les chiffres concordent.

Les tableaux ci-dessous consignent de façon synthétique les informations essentielles :

vallées d'Asses - types

entrepôt agricole unifonctionnel :

fenil

entrepôt agricole unifonctionnel :

remise ou étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

fenil sur étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent avec fenil

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent sans fenil

TOTAL

occurrences

7

63

78

103

19

270

%age

2,6

23,3

28,9

38,15

7,05

100

Représentation de l'entrepôt agricole dans le secteur des vallées d'Asses en fonction de la typologie.

haut Verdon - types

entrepôt agricole unifonctionnel :

fenil

entrepôt agricole unifonctionnel :

remise ou étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

fenil sur étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent avec fenil

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent sans fenil

TOTAL

occurrences

2

26

50

85

6

169

%age

1,2

15,4

29,6

50,3

3,5

100

Représentation de l'entrepôt agricole dans le secteur du haut Verdon en fonction de la typologie.

moyen Verdon - types

entrepôt agricole unifonctionnel :

fenil

entrepôt agricole unifonctionnel :

remise ou étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

fenil sur étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent avec fenil

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent sans fenil

TOTAL

occurrences

4

104

234

204

51

597

%age

0,7

17,4

39,2

34,2

8,5

100

Représentation de l'entrepôt agricole dans le secteur du moyen Verdon en fonction de la typologie.

bassin du Var - types

entrepôt agricole unifonctionnel :

fenil

entrepôt agricole unifonctionnel :

remise ou étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

fenil sur étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent avec fenil

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent sans fenil

TOTAL

occurrences

8

110

554

400

79

1151

%age

0,7

9,55

48,15

34,75

6,85

100

Représentation de l'entrepôt agricole dans le secteur du bassin du Var en fonction de la typologie.

types

entrepôt agricole unifonctionnel :

fenil

entrepôt agricole unifonctionnel :

remise ou étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

fenil sur étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent avec fenil

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent sans fenil

Pays

1,3

16,4

36,45

39,35

6,5

Représentation typologique de l'entrepôt agricole dans le Pays obtenue à partir des pourcentages de chaque secteur (valeur moyenne).

Pays

entrepôt agricole unifonctionnel :

fenil

entrepôt agricole unifonctionnel :

remise ou étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

fenil sur étable

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent avec fenil

entrepôt agricole multifonctionnel :

polyvalent sans fenil

TOTAL

occurrences

21

303

916

792

155

2187

%age

1

13,8

41,9

36,2

7,1

100

Représentation typologique de l'entrepôt agricole dans le Pays en fonction du nombre total d'occurrences.

types

entrepôts unifonctionnels (%age)

entrepôts multifonctionnels (%age)

entrepôts multifonctionnels avec fenil (%age)

entrepôts uni et multifonctionnels avec fenil (%age)

vallées d'Asses

25,9

74,1

67,05

69,65

haut Verdon

16,6

83,4

79,9

81,1

moyen verdon

19,1

80,9

73,4

74,1

bassin du Var

10,25

89,75

82,9

83,6

moyenne du Pays, obtenue à partir des moyennes de chaque secteur (valeur moyenne)

18

82

75,8

77,1

moyenne du Pays, en fonction du nombre total d'occurrences dans chaque type

14,8

85,2

78,1

79

Représentation (en %) des entrepôts uni et monofonctionnels, ainsi que de la fonction fenil, par secteur et en moyenne dans le Pays.

Que retirer des données présentées ? D'abord, on constate que la dynamique ouest/est n'est jamais démentie et que le haut Verdon, cela est avéré, occupe une place singulière au sein de l'ensemble, illustrant un autre modèle qui ne s'oppose cependant pas à la situation des secteurs méridionaux mais propose sa logique propre. Ensuite on remarque, sans surprise, que la combinaison des fonctions s'affirme dans les chiffres, puisque en moyenne dans le Pays, 82% des entrepôts sont de type multifonctionnel (85% si l'on considère la valeur pondérée par le nombre total des occurrences dans chaque type, qui consolide les tendances observées). L'apparition d'une forme spécifique de l'entrepôt agricole - le hangar sur piliers - dans les vallées d'Asses et plus particulièrement dans la vallée de l'Asse de Clumanc comprenant une vallée large essentiellement exploitée depuis la fin du 19e siècle en prés de fauche, n'induit pas forcément la monofonctionnalité, en l'occurrence celle de fenil. En effet, lorsqu'il n'a qu'un niveau, le hangar sert aussi de remise, et lorsqu'il dispose de deux niveaux, la polyvalence prévaut, pour une configuration avec fenil en partie haute. Des vallées d'Asses au bassin du Var, en passant par le moyen Verdon, la proportion des entrepôts multifonctionnels augmente régulièrement, passant de près des trois quarts du total repéré à environ 90%. En outre, la ressource en herbe tenant une part prépondérante sur le territoire, les dépendances - comme c'est le cas dans les parties hautes des maisons, et aussi dans les fermes - sont en premier lieu tournées vers cette activité de stockage du fourrage : la fonction de fenil prédomine donc, et là encore selon une progressivité ouest/est : 70% dans les vallées d'Asses, près des trois quarts dans le moyen Verdon, près de 85% dans le bassin du Var. Dans le haut Verdon, la proportion est également très élevée : au-delà de 80%, et la polyvalence sans fenil propose le taux le plus faible du territoire d'enquête (3,5% seulement).

Par ailleurs, à comparer les données plus finement, on observe une différence sur le plan de la multifonctionnalité entre les secteurs des vallées d'Asses et du haut Verdon, d'une part, et du moyen Verdon et du bassin du Var, d'autre part. Dans le second ensemble, la formule "fenil sur étable" prévaut sur celle "polyvalent avec fenil", et l'écart s'avère plus important dans le bassin du Var (14 points d'écart contre cinq). Dans le premier ensemble, l'inverse est à l'oeuvre : la "polyvalence avec fenil" l'emporte de neuf points dans les vallées d'Asses, et de 21 points dans le haut Verdon. On en déduit que la multifonctionnalité est davantage représentée à l'ouest et surtout dans le nord que dans le sud et à l'est, avec une gradation dans chaque secteur. Décidément, le territoire d'enquête propose, au sein d'un schéma fonctionnel global véritablement cohérent - ce que démontre finalement la faible variation entre les moyennes obtenues à partir de chaque moyenne sectorielle (valeur moyenne) ou par pondération du nombre total d'occurrences (valeur médiane) - une palette riche de déclinaisons sectorielles et intrasectorielles. Car l'analyse des chiffres, au sein de chaque secteur, incite à rester prudent. Certes, si l'on se penche sur les communes qui intègrent la zone-tampon, celle qui désigne la limite diffuse entre l'influence méridionale (provençale) et septentrionale (alpine), on remarque dans l'ensemble que lesdites communes infléchissent la tendance de leur secteur d'appartenance : en un mot, elles montrent une transition qui atténue les écarts, voire les contredit dans la répartition des formules "fenil sur étable" et "polyvalent avec fenil". Mais la pertinence de cette lecture (l'existence d'une zone-tampon6) adoptée pour la prise en compte du territoire d'enquête (voir REF=IA04002138) ne doit pas masquer des disparités internes qui compliquent l'interprétation. En effet, il faut se garder d'essentialiser les secteurs, eux-mêmes soumis à des influences multiples (voir ci-dessous partie V.). Prenons pour seul exemple le cas du moyen Verdon, un espace qui s'étire du nord au sud sur la moitié du Pays. Les moyennes facilitent l'analyse, elles "lissent" des écarts parfois très importants qui vont à l'encontre des chiffres ponctuels. Ainsi à Rougon, La Palud-sur-Verdon, Moriez, Saint-Julien-du-Verdon, littéralement du nord au sud du secteur, la formule "polyvalent avec fenil" prévaut. C'est comme toujours dans le haut Verdon, mais aussi dans le bassin du Var que la situation est plus tranchée, plus homogène et donc plus claire.

Si la multifonctionnalité prend très largement le pas sur le modèle unifonctionnel, on constate aussi des différences entre secteurs : dans les vallées d'Asses, plus du quart des entrepôts repérés sont dédiés à une seule tâche, alors que ce cas de figure ne concerne qu'un entrepôt sur 10 dans le bassin du Var. Si l'on croise ces informations avec le développement proposé ci-dessus, on peut avancer l'hypothèse que les secteurs où l'unifonctionnalité est la mieux représentée (vallées d'Asses et haut Verdon) sont également ceux où la multifonctionnalité est la plus complexe, comme s'il fallait combiner davantage de fonctions dans les entrepôts qui ne sont pas spécialisés.

III. Architecture de l'entrepôt

L'entrepôt affecte en général un plan rectangulaire mais souvent des ajouts d'extensions forment des décrochements et génèrent une irrégularité des volumes et des toitures. Le nombre de niveaux des entrepôts multifonctionnels varie de deux à trois et n'atteint qu'exceptionnellement quatre. En terrain accidenté l'étage de soubassement est la règle, dans certains cas, on en compte jusqu'à trois.

La grande diversité de cette famille s’exprime tout d’abord par une variété de surface édifiante. Une statistique effectuée d’après les chiffres des états de sections du cadastre napoléonien de huit communes-test7 réparties sur l’ensemble du territoire, révèle pour les « bâtiments ruraux » des écarts de surface allant de 3 à 293 m². Sur un échantillon réduit à trois communes balisant le territoire du nord au sud, respectivement Villars-Colmars, Braux et Castellane, on constate que la surface médiane-type se situe dans une fourchette de 21 à 40 m².

En terrain plat, dans les quartiers agricoles des villages ou en bordure de route aux abords des agglomérations, les entrepôts multifonctionnels, du type fenil sur étable ou polyvalent peuvent présenter des volumes importants et s'apparentent alors au modèle classique de la grange-étable.

Dans la partie excentrée du village de La Mure, trois entrepôts polyvalents forment ainsi un îlot présentant en gouttereau une longue succession de portes d'étables et de remises surmontées de baies fenières. Pareils alignements se rencontrent aussi à Méailles, au Fugeret ou même à Castellane, rue du Teisson, au cœur du noyau villageois.

Quartier d'entrepôts agricoles en ligne à la périphérie du village de La Mure.Quartier d'entrepôts agricoles en ligne à la périphérie du village de La Mure.

Sur tout type de terrain, les accès aux bâtiments offrent différentes possibilités mais la porte unique, qu’elle soit percée en gouttereau ou en pignon, est légèrement majoritaire, En terrain plat, si le bâtiment comporte plusieurs niveaux, un escalier intérieur ou une échelle peut desservir les niveaux supérieurs. Toutefois, une telle circulation intérieure n'est pas systématique et il arrive que le fenil soit  desservi par sa baie fenière, à laquelle on accède par une simple échelle.  Dans les cas très fréquents où le bâtiment est adossé à une pente, la baie fenière à l'arrière du bâtiment dessert le fenil de plain-pied. Les entrepôts à accès multiples se distribuent selon trois schémas : accès multiples uniquement sur l’élévation principale, accès affrontés (soit en gouttereau soit en pignon), accès orthogonaux (à la fois en pignon et en gouttereau). Ce dernier système, le plus fréquent en cas d'accès multiples, bénéficie dans la plupart des cas de la pente du terrain qui permet de pratiquer des portes de plain-pied aux niveaux supérieurs. Les baies fenières, quant à elles, ouvrent majoritairement sur l’élévation secondaire, évitant ainsi d'encombrer l'espace devant les portes d'étables lors de la manutention du foin.

La mise en œuvre du bâti se distingue par sa sobriété. Les murs sont montés en maçonnerie de moellons de calcaire principalement, ou de grès en fonction de la nature du socle géologique, liée au mortier de chaux et de sable. Dans les zones les plus éloignées du substrat calcaire, donc des sources de chaux, on a recours au mortier de terre ou de gypse. On trouve des mises en oeuvre avec du galet en complément : la pierre est alors cassée en deux, la section tournée au droit du mur. La maçonnerie entièrement appareillée en galets est rarissime. Dans la partie sud du territoire, sur les communes de La Palud-sur-Verdon et Rougon, un petit pourcentage d'entrepôts est monté uniquement en pierre sèche calcaire. Hormis ces cas particuliers, les chaînages sont formés de pierres grossièrement équarries, et les élévations recouvertes d'un enduit rustique, le plus souvent à pierres vues. Quelques zones se distinguent toutefois par l'absence totale d'enduit, dans la zone orientale jouxtant la haute vallée du Var, en particulier les communes autour de Braux et du Fugeret, mais aussi, aux extrémités nord et sud du territoire, les communes d'Allos8 et de La Palud-sur-Verdon.

Entrevaux. Bas-Bayons. Maçonnerie en petits moellons de calcaire.Entrevaux. Bas-Bayons. Maçonnerie en petits moellons de calcaire. Braux. Clot de Milou. Maçonnerie de moellons de grès montés en pierre sèche.Braux. Clot de Milou. Maçonnerie de moellons de grès montés en pierre sèche.

Dans la zone alpine autour d’Allos, les petits entrepôts dispersés présentent souvent, comme les cabanes d'alpage, un premier niveau en maçonnerie surmonté d'un comble à très forte pente fermé par un essentage de planches de mélèze. Les deux niveaux peuvent être structurellement dissociés, la charpente reposant sur les sablières. L'essentage de planches est aussi utilisé au Fugeret, pour fermer des niveaux de séchoir.

Colmars. Lamberet. Entrepôt agricole avec pignon en essentage de planches, et toit à forte pente couvert en plaques de tôle. Colmars. Lamberet. Entrepôt agricole avec pignon en essentage de planches, et toit à forte pente couvert en plaques de tôle.

Les encadrements des baies sont généralement bruts de maçonnerie ou façonnés au mortier de gypse portant feuillure, et couverts de linteaux en bois. Les ouvertures tant par leur forme que par leur mise en œuvre ne présentent pas de caractère bien particulier, à l’exception des baies de séchoir qui peuvent prendre deux formes principales. Les séchoirs ouverts en loggia, très fréquents en dernier niveau des maisons de village, n’ont été repérés que sur une quarantaine d’entrepôts, presque tous répartis dans la partie est, entre Méailles et Entrevaux. L’autre type présente de grandes ouvertures rectangulaires verticales ou horizontales, régulièrement espacées, fermées par un barreaudage, des claies de branchage ou des planches.

Entrevaux. Le Plan. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et séchoir en loggia.Entrevaux. Le Plan. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et séchoir en loggia. Chaudon-Norante. L'Amata. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent sans fenil. A l'étage de comble, le séchoir à fruits est aéré par de grandes baies verticales régulièrement espacées.Chaudon-Norante. L'Amata. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent sans fenil. A l'étage de comble, le séchoir à fruits est aéré par de grandes baies verticales régulièrement espacées.

Les couvertures utilisent les mêmes matériaux que le bâti environnant. La tuile, majoritairement creuse dans la zone sud limitrophe des gorges du Verdon, est présente sur la totalité du territoire, à l'exception notable de la commune d'Allos, où les toits sont couverts en bois ou tôle. On retrouve également la couverture en bois sur les entrepôts dispersés de la commune du Fugeret, ainsi qu'à Méailles. A Braux, de nombreux entrepôts présentant des pignons à redents portent la trace d’anciennes couvertures de chaume. La lauze est aussi occasionnellement employée, mais ne subsiste que de manière résiduelle.

Annot. Rouaine. Couverture en tuile creuse.Annot. Rouaine. Couverture en tuile creuse. Braux. La Nogière. Toiture en lauze de grès.Braux. La Nogière. Toiture en lauze de grès.

IV. Les divisions intérieures

En général, les pièces des niveaux inférieurs sont couvertes par un plancher sur solives mais dans près de 20% du corpus, le premier niveau, étage de soubassement dans 70% des cas, est couvert par une voûte : voûte en berceau segmentaire très majoritairement, voûte en berceau plein-cintre, plus rarement voûtes d’arêtes. C’est dans la partie sud-est que les niveaux voûtés sont les plus nombreux, dans un arc allant de Castellane à Méailles. Dans la commune d’Entrevaux, leur taux atteint 35%, à mettre en regard avec la proportion encore plus importante (65%) de fermes possédant des étables voûtées. Le mode de couvrement n'a donc pas de destination propre et intervient comme principe architectural généralisé de mise en œuvre des niveaux inférieurs des dépendances agricoles.

Castellane. Eoulx. La remise agricole de cet entrepôt agricole est couverte par un plancher sur solives.Castellane. Eoulx. La remise agricole de cet entrepôt agricole est couverte par un plancher sur solives.

Le Fugeret. La Blache. Vue de volume de l'étable d'un entrepôt agricole couverte par une voûte en berceau segmentaire avec lunettes en pénétration.Le Fugeret. La Blache. Vue de volume de l'étable d'un entrepôt agricole couverte par une voûte en berceau segmentaire avec lunettes en pénétration.

Les cloisons intérieures sont réalisées principalement en maçonnerie légère de plâtre et pans de bois. Les matériaux de remplissage peuvent être divers : petites pierres, lauzes sur chant, morceaux de gypse, briques pleines ou creuses, blocs de béton de chaux moulés, tressage de cannes de Provence fendues, etc.

Le sol de l'étable ou de la remise est généralement en terre battue, mais il existe des cas de sols dallés ou pavés dans les étables, à Entrevaux, Méailles, au Fugeret. Aux étages, les sols sont souvent constitués d'une chape de mortier de gypse appliquée sur un plancher rustique. Certains sols de fenil reçoivent des carreaux de terre cuite, scellés à la chape sur le plancher. Les murs intérieurs sont rarement enduits ou reçoivent un enduit à pierres vues.

Hormis dans les étables et les logements saisonniers, les aménagements intérieurs peu différenciés traduisent la grande polyvalence des bâtiments.

C'est dans les logements saisonniers que la mise en œuvre est la plus soignée, afin d'apporter un minimum de confort aux occupants. La pièce ou partie de pièce se distingue par des murs toujours recouverts d'un enduit fréquemment lissé ou taloché, ainsi que par un dallage de sol souvent en carreaux de terre cuite. Ce soin apporté est particulièrement évident quand le logement est aménagé dans une partie de l'étable ou du fenil, sans séparation ou isolé par une mince cloison. Un entrepôt situé aux Perruches, commune d’Angles, illustre bien cette séparation des fonctions par le second œuvre. Le logement y voisine avec une étable dont il est séparé par une cloison à pans de bois et remplissage de mortier. D'un côté de la cloison, les murs ont reçu un enduit lissé et le sol est en dalles de calcaire, de l'autre côté, l’enduit est à pierres vues et le sol en terre battue.

Une petite cheminée en maçonnerie légère, des étagères ou un placard aménagé dans une niche du mur constituent en général tout l'aménagement du logement, complété dans quelques rares cas par un évier ou un potager. La mise en œuvre de la cheminée peut utiliser plusieurs techniques : à Annot, près de Pont de Bourdou, la hotte est en lauze maçonnée sur chant, à La Palud, à la Bastide de Marin, elle est en bois avec un épais enduit au plâtre, à Val-de-Chalvagne, au Villard, c'est une maçonnerie de carreaux de terre cuite montés sur chant, à La Palud, près de Maireste, la cheminée est remplacée par un trou dans le mur permettant l'installation du tuyau d'évacuation des fumées d'un petit poêle.

L’entrepôt de Fontantige à Val-de-Chalvagne, aujourd'hui ruiné, condensait à lui seul la majorité des caractères spécifiques de l’aménagement des logements saisonniers. Isolé à environ 1,5 kilomètre au nord-est du village de Villevieille, à 500 mètres au sud des fermes de Fontantige, il est adossé perpendiculairement à la pente et comportait un étage de soubassement, un rez-de-chaussée surélevé et un étage de comble. Le logement était aménagé dans une des étables de l'étage de soubassement, sans séparation d'avec l'espace dédié aux bêtes. Une cheminée était engagée dans un des murs, à côté d’un potager et d’une pile d'évier occupant un angle de la pièce. À l’opposé se trouvait une petite mangeoire sur banquette maçonnée pour le mulet. Le sol était en carreau de terre cuite dans la partie aménagée en logis, et en terre battue dans la partie réservée à l’étable. Les murs avaient reçu un enduit avec un décor de plinthes noires. Une chambre-fenil avec accès indépendant occupait le rez-de-chaussée surélevé. Ses murs enduits présentaient le même décor de plinthes noires, un placard-niche était aménagé dans un angle de la pièce. Le soin apporté à l’aménagement de certains logements s’explique peut-être par la situation particulière de leurs propriétaires, des forains tenus de séjourner plus longtemps sur place en raison de l'éloignement de leur domicile permanent. Ainsi le logis relativement confortable d'un entrepôt isolé au Pré Malfait sur la commune de Thorame-Haute appartenait-il en 1827 à Félix Mayenc qui en dehors du bâtiment et des terres labourables l'environnant, ne possédait aucun autre bien sur la commune. En revanche, le logement d’un entrepôt aux Sagnes, sur la commune de Villars-Colmars, se limite à un aménagement très sommaire, une cheminée et deux niches placard dans un coin de l’étable. Il appartenait en 1827 à Louis Boyer, qui habitait à Chasse, hameau situé à seulement une heure de marche des Sagnes.

Les étables, on l’a vu, reflètent la polyvalence des entrepôts. À l’exception de quelques bergeries datant de la fin du 19e siècle et surtout de la première moitié du 20e siècle, érigées alors que le tournant vers l’économie de l’élevage était bien engagé, les étables des entrepôts n’abritaient qu’un petit nombre de têtes de bétail. Quelques ovins pouvaient y côtoyer un mulet, des chèvres, parfois une vache, un ou deux porcs.

Thorame-Haute. Le Planas. L'étable de cet entrepôt agricole a conservé sa mangeoire en bois sur banquette maçonnée ainsi que son râtelier.Thorame-Haute. Le Planas. L'étable de cet entrepôt agricole a conservé sa mangeoire en bois sur banquette maçonnée ainsi que son râtelier.

La présence de porcheries dans les entrepôts multifonctionnels n’est pas facile à déceler. Quelques-uns ont conservé en façade les baies fermées par des volets de bois plein qui permettaient de remplir les auges à cochon depuis l’extérieur, mais, dans quelques cas, ce dispositif est entièrement interne et donc peut échapper au repérage. La porcherie est alors isolée par des cloisons du reste de l’étable et l’accès aux volets de remplissage des auges n’est possible que depuis l’intérieur du bâtiment. Il arrive même que la cloison disparaisse au profit d’une simple clôture de poteaux reliés par des planches en partie basse. Le fait est que fort peu de porcheries ont été identifiées lors de l’enquête, soit que leur présence ait été dès l’origine moins fréquente dans les entrepôts (ce que laisserait confirmer leur nombre plus important dans les fermes compactes), soit que les installations internes aient disparu dans la plupart des cas.

Thorame-Haute (le Pré Malfait). Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et logement ponctuel.Thorame-Haute (le Pré Malfait). Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et logement ponctuel.

Thorame-Haute. Le Pré Malfait. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et logement ponctuel : ici, le foyer avec sa hotte contre le mur-pignon sud-est et le fenestron nord-est. Le sol reçoit un carrelage en mallons de terre cuite.Thorame-Haute. Le Pré Malfait. Entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil et logement ponctuel : ici, le foyer avec sa hotte contre le mur-pignon sud-est et le fenestron nord-est. Le sol reçoit un carrelage en mallons de terre cuite.

V. Quatre types et formes particulières d'entrepôts agricoles sur le territoire d'enquête

Les trois premiers types se caractérisent d'une part par une sectorisation, plus ou moins stricte, de leur zone d'implantation. Le quatrième a quant à lui été repéré sur l'ensemble du Pays. D'autre part, si chaque type entraîne une forme particulière liée aux fonctions et usages qui l'identifient, on peut classer l'ensemble en trois catégories. Les deux premiers - entrepôt-porche et remise d'aire à fouler - illustrent des formes déjà anciennes qui n'ont guère varié dans le temps. Le troisième type d'entrepôt, qui relève de la deuxième catégorie - le hangar-fenil -, témoigne d'une spécialisation liée à la culture de l'herbe. Il ne s'agit évidemment pas d'une activité inédite mais dans la mesure où elle s'inscrit dans le mouvement de bascule qui a peu à peu vu l'économie agricole, à partir de la fin du 19e siècle, principalement se tourner vers l'activité d'élevage, il a fallu adapter les usages à une forme nouvelle qui est une combinaison de l'entrepôt agricole vernaculaire et d'une forme elle-même nouvelle mais non vernaculaire : le hangar sur piliers. Le quatrième type d'entrepôt, qui relève quant à lui de la troisième catégorie - la bergerie -, s'inscrit comme les deux premiers exemples dans le temps long, celui de l'élevage ovin. Néanmoins, et cette fois à l'instar du hangar-fenil, il s'est adapté au mouvement vers l'élevage intensif, ce qui a induit une évolution dans sa forme afin d'améliorer son fonctionnement.

1. Les entrepôts-porches de Braux

Sur la commune de Braux, quelques entrepôts se distinguent par leur fonction de porche et se partagent entre deux variantes principales.

Il peut s'agir d'un bâtiment unique où les murs pignons et le toit ont été prolongés au-delà du plan de la façade. Le porche dans-œuvre ainsi formé précède la porte de l'étable ou de la remise. Il est divisé en hauteur par un plancher, son étage servant de séchoir est fermé par un essentage de planches, par des claies de branchage, rarement par un pan de maçonnerie.

Au Villard, un très grand entrepôt présente une illustration particulièrement spectaculaire de cette disposition. Il s’agit d’un bâtiment dont les dimensions indiquent à la fois l'époque de réalisation tardive et sa destination à l'élevage ovin. L’étage de soubassement abrite une bergerie, le rez-de-chaussée surélevé sert de fenil. Le porche, construit contre le mur pignon donnant accès à la bergerie, n’est pas formé par l’avancée des murs gouttereaux mais soutenu par deux gros piliers en pierre. Son étage, fermé par des cloisons de planches, sert de séchoir et communique avec le fenil.

Braux. Le Villard. Vue en perspective d'un entrepôt-porche.Braux. Le Villard. Vue en perspective d'un entrepôt-porche.

Dans d'autres cas, c'est un bâtiment autonome, qui a pu être accolé à un édifice préexistant. Il s'appuie contre son pignon ou son gouttereau, en avant de la porte d'étable ou de remise. Composé de deux murs en équerre supportant un toit à un ou deux pans, il est divisé en hauteur comme dans le cas précédent. Parfois, l'étage du séchoir est accessible en pignon par un escalier extérieur plus ou moins développé en fonction de l'existence ou non d'une pente du terrain.

À Champ d’Anode, dans une ferme à bâtiments disjoints étagés sur la pente, un entrepôt de ce type a été accolé en 1937 en contre-haut du pignon d’une vaste grange-étable à deux niveaux de fenil. Il est fermé sur deux côtés par des murs, son sol dallé de lauzes sert de remise et d’aire à battre couverte ; il abrite la porte charretière du premier fenil du bâtiment mitoyen. Le plancher du séchoir, formé de poutres, de solives et de planches, prend appui sur un pilier maçonné et donne accès au fenil supérieur du bâtiment voisin. On y accède par une porte sur le mur pignon, précédée d'un escalier extérieur à volée droite perpendiculaire à l'élévation, ainsi que par une baie fenière ouverte en gouttereau. Il reste quelques vestiges du clayonnage en encorbellement qui fermait le séchoir.

Braux. Champ d'Anode. Entrepôt-porche.Braux. Champ d'Anode. Entrepôt-porche.

Comme à Champ d'Anode, plusieurs de ces bâtiments servaient aussi d'aires à battre couvertes, comme en témoigne leur sol dallé de lauzes qui se prolonge en avant du bâti. Leur mur gouttereau est alors très souvent percé d'une grande porte charretière permettant le passage et le déchargement des gerbes.

2. Les remises d'aire à fouler

a. Historique, formes et fonctions

Une trentaine de remises d'aires à fouler se rencontrent dans la vallée du Coulomb et le haut Verdon. Une vingtaine se répartit dans quelques hameaux du Fugeret dominant la rive droite du Coulomb, essentiellement à Argenton et aux alentours. Dans le haut Verdon, entre Thorame-Basse et Colmars, la répartition est plus diffuse, avec cependant une densité un peu plus marquée sur la commune de Beauvezer.  L’exemple le plus septentrional identifié se trouve à la Cabane du Fourier, à la limite nord de la commune de Colmars. Quelques indices donnent à penser qu’il en existait bien d’autres, à Villars-Colmars, où une photographie datée de 1932 montre des remises d'aires à fouler aujourd’hui détruites, au sud du village, au lieu-dit « l’Aire des Granges », ainsi qu'à la Colle Saint-Michel, à Thorame-Haute, où elles sont attestées par les travaux d'Aline Sarti.

Ces bâtiments rectangulaires allongés ne comportent que trois murs en maçonnerie de moellons dépourvue d'enduit, assemblés en U, formant des remises complètement ouvertes sur un côté. Implantés en bordure des aires dallées, ils les recouvrent partiellement. Les remises comportent un étage de comble en mezzanine, servant de fenil ou de séchoir, qui repose sur un plancher porté par deux poutres engagées dans les murs latéraux. L'étage est parfois accessible sur le côté opposé ou sur l’un des pignons par une baie fenière ou une porte haute. Dans quelques cas, le deuxième niveau, entièrement construit en charpente, repose sur la tête des murs latéraux. Par bien des traits architecturaux et fonctionnels, ces remises se rapprochent des entrepôts porches de Braux mais s'en distinguent cependant : conçues pour être autonomes, elles ne s’appuient pas sur du bâti préexistant et sont dépourvues de porte charretière dans le mur gouttereau de fond.

Beauvezer. La Combe. Remise d'aire à fouler.Beauvezer. La Combe. Remise d'aire à fouler. Le Fugeret. La Béouge. Remise d'aire à fouler.Le Fugeret. La Béouge. Remise d'aire à fouler.

Au Fugeret, les murs sont montés en maçonnerie de gros moellons de grès, dans le haut Verdon le grès peut se mélanger au calcaire. Les toits à longs pans sont couverts de planches de mélèze au Fugeret, de tôle ondulée dans le haut Verdon, remplaçant là encore le matériau d'origine, tuile plate ou planche. Le séchoir, entièrement clos de planches dans le haut Verdon, est ouvert au Fugeret.

Les remises d'aire à fouler servaient la plupart du temps à stocker le matériel agricole et les récoltes mais on sait grâce à des photographies datant du second quart du 20e siècle et des témoignages recueillis qu'elles abritaient le foulage lors des intempéries. À la Colle Saint-Michel, plusieurs familles en avaient édifié quelques-unes spécifiquement pour pouvoir s'y replier en cas de pluie et assurer malgré tout le foulage, qui se faisait par beau temps sur l'aire. Une photographie des années 1930 prise au hameau de la Béouge, au Fugeret, montre une pause pendant le travail de foulage avec une paire de mulets, sous une remise abritant l'aire à battre dallée. La mécanisation qui s’est progressivement mise en place à partir de l'entre-deux-guerres n'a pas mis un terme à leur utilisation, comme en témoignent notamment des photographies prises à la Colle-Saint-Michel vers 1930 où l’on voit des batteuses installées sur le seuil des remises. Un long tuyau ventilé renvoyait la paille dans le fenil à l'étage9. D'après la mémoire orale des habitants de la Colle Saint-Michel, la période de construction des remises d'aires à fouler aurait débuté dans les années 1880, c'est-à-dire plus tardivement que dans la vallée du Coulomp, où elles pourraient remonter au 18e siècle. Et de fait, dans le haut Verdon, aucun des bâtiments repérés ne semble antérieur au début du 20e siècle, à en juger par la mise en œuvre des maçonneries.

[Pause pendant le travail de foulage, sous une « cabane » abritant l'aire à battre dallée].[Pause pendant le travail de foulage, sous une « cabane » abritant l'aire à battre dallée].

b. Une hypothèse : la sectorisation des remises d'aires à fouler

Les remises du Fugeret se distinguent de celles du haut Verdon par leur implantation dans le bâti environnant et par leur relative ancienneté. Si les secondes, parfois isolées dans le finage, peuvent aussi faire partie des dépendances agricoles d'une ferme, les premières participent systématiquement d'un ensemble fonctionnel réunissant un entrepôt agricole avec une aire à fouler et sa remise, appelée localement cabane. Ce dispositif s'observe particulièrement à Argenton, gros hameau de fermes comportant deux quartiers d'entrepôts agricoles en périphérie. Plusieurs de ces entrepôts, figurant sur le plan cadastral de 1830, peuvent être datés de la fin du 18e siècle.

En revanche, ni le plan cadastral, ni l'état de section n'identifient formellement les cabanes. Les natures de propriété de l'état de section n'utilisent que le terme polysémique de « bâtiment rural » et les plans représentent indifféremment les parcelles bâties en aplats de couleur rose. Toutefois, la colonne « lieu-dit » de l'état des sections du Fugeret permet de pallier ce manque de précision, grâce à ses très nombreuses mentions de micro-toponymes. À Argenton par exemple, pas moins de 50 toponymes différents qualifient les 121 parcelles du hameau, certains d'entre eux ne correspondant qu'à une ou deux parcelles mitoyennes. Beaucoup viennent préciser la nature des propriétés bâties. Ainsi, le toponyme « l'écurie neuf » n'apparaît qu'une fois, en regard d'une parcelle occupée par un « bâtiment rural » ; plusieurs granges sont quant à elles identifiées par des toponymes du type « Grange de l'Aire» ou « la plus basse grange ». Parmi ces lieux-dits, celui de « la Cabane », terme vernaculaire aujourd'hui utilisé au Fugeret pour désigner les remises d'aire à fouler, apparaît à quatre reprises, à Argenton et Pelloussi, en regard de parcelles occupées par un « bâtiment rural ». Dans deux cas, ces cabanes jouxtent des bâtiments dont le micro-toponyme révèle la nature : « l'estable vieil » et « la Grange des Bonnet ».

Ces concordances établissent clairement l'existence des remises d'aire à fouler au Fugeret au moment de la levée du cadastre en 1830. Aucune n'a subsisté en l'état, certaines ont disparu, d'autres ont été reconstruites in situ, avec parfois une emprise au sol légèrement différente ou une surface augmentée. L'une d'elles, au nord d'Argenton, s’intègre dans un dispositif étagé avec un grand entrepôt agricole de type fenil sur étable dont le fenil en étage de comble communique de plain-pied avec l'aire à battre. À l’opposé de l’entrepôt, en limite de parcelle, une cabane couvre l’aire dallée sur une vingtaine de m². Adossée à la dénivellation, elle possède un toit à forte pente et un comble percé d’une porte fenière donnant sur un petit sentier d’exploitation en contre-haut. Sur le cadastre napoléonien, l'ensemble existe déjà, avec le même plan de masse et de distribution et des surfaces quasi identiques. Si la cabane a manifestement été reconstruite, ce n'est pas le cas de l'entrepôt, qui pourrait remonter au 18e siècle. Dans l'autre quartier d'entrepôts au sud du même hameau, une grande remise d'aire à fouler réemploie le mur pignon d'une cabane identifiée sur le cadastre de 1830. D'après l'aspect de sa maçonnerie, une datation du 18e siècle est plausible.

Le Fugeret. Argenton. ensemble agricole dans lequel le fenil de l'entrepôt, desservi par sa baie fenière, donne sur l'aire à fouler et la "cabane".Le Fugeret. Argenton. ensemble agricole dans lequel le fenil de l'entrepôt, desservi par sa baie fenière, donne sur l'aire à fouler et la "cabane".

Au Fugeret, la typologie architecturale et fonctionnelle des remises d'aire à fouler serait donc bien plus ancienne que dans le haut Verdon. Attestées en 1830, et probablement présentes dès le 18e siècle, les cabanes continuent d'être édifiées ou reconstruites pendant tout le 19e siècle et jusqu'au milieu du 20e siècle comme en témoignent les dates 1891, 1925 et 1940 relevées au Tardoun, à Argenton et Chabrières.

c. Des usages en question

L’usage des remises d'aire à fouler ne laisse pas de susciter de nombreuses interrogations quant à la pratique du battage/foulage des récoltes sur le territoire. On sait qu’au 20e siècle en basse Provence, avant la mécanisation généralisée, l'opération s’effectuait toujours en extérieur. C'était aussi le cas dans une large partie sud de notre territoire d'étude. À partir d'Allos, et jusque dans le nord des Hautes-Alpes, cette activité avait lieu à couvert, dans les granges. Dans la zone intermédiaire, les nombreuses aires à battre extérieures repérées lors de l’enquête attestent une prolongation du système méditerranéen mais les témoignages oraux font état de l’utilisation, en tant que de besoin, de porches pour s’abriter de la pluie et stocker le grain à proximité du lieu de battage. Ce battage à couvert, lié aux moissons tardives plus sujettes aux aléas météorologiques, n'était donc pas exclusif. Reste que ces espaces abrités n’ont été repérés que dans trois zones très circonscrites : l'est du haut Verdon, entre la Colle Saint-Michel et Colmars, la vallée du Coulomb et la commune de Braux, où les entrepôts porches servaient aussi souvent d'abri pour le battage.

Dès lors le questionnement devient à la fois synchronique et diachronique. On a vu que les remises d'aire à fouler ne semblent apparaître dans le haut Verdon qu'à la fin du 19e siècle mais qu'il en existe dès le 18e siècle au Fugeret. À Braux également, l'usage du battage à couvert pourrait être ancien, comme en témoignent un entrepôt porche et son aire à battre au hameau de Sous-Ville, dont la mise en œuvre du bâti, ainsi que le plan masse et les dimensions identiques à l'état enregistré par le cadastre de 1831, laissent envisager une datation de la fin du 18e siècle.

La pratique du battage/foulage à couvert dans la zone médiane serait donc localisée à la fois dans le temps et dans l'espace : dès le 18e siècle – mais peut-être plus anciennement – à Braux et au Fugeret ; à partir de la fin du 19e siècle dans le haut Verdon. Cette particularité pourrait procéder d'un simple déplacement du battage à l'intérieur des granges (attesté à la même latitude dans les Alpes-Maritimes dans la vallée de la Tinée, ainsi que plus au nord à Allos) vers un espace semi ouvert.

Braux et quelques hameaux de la vallée du Coulomb semblent constituer des isolats anciens de cette pratique, propagée bien plus tard dans le haut Verdon. La diffusion ponctuelle de ce phénomène ou du moins ce que nous pouvons en appréhender aujourd'hui par des témoins erratiques n'est pas la moindre des singularités de notre territoire.

3. Le hangar-fenil

Le passage de la polyculture de subsistance à un modèle économique de production intensive se matérialise au tournant du 20e siècle dans les formes du bâti avec l'apparition d'une nouvelle forme architecturale, le hangar-fenil, davantage adapté à la révolution fourragère qui se met en place.

C’est dans la vallée de l'Asse de Clumanc qu’il apparaît et qu’il adopte dans un premier temps une forme intermédiaire entre l'entrepôt agricole traditionnel et le hangar au sens moderne du terme. Mais on constate qu’à l’échelle du territoire peu de hangars ont été construits avant les années 1960, l’enquête n’en ayant repéré qu’une centaine d’exemplaires. Presque tous se situent dans les vallées d’Asses, et Clumanc concentre le tiers du corpus avec 34 édifices repérés.

Son apparition se lit particulièrement bien dans l'écart de Toueste, hameau marqué par la rupture économique qu'a connu la vallée de l'Asse de Clumanc avec l'expansion de l'élevage et des cultures fourragères, particulièrement favorisées ici par un large fond de vallée accueillant des prés irrigués. Dans la première moitié du siècle, trois hangars sont édifiés en bordure du hameau, à des emplacements qui étaient demeurés non bâtis depuis la levée du cadastre de 1837.

Le premier, à l'entrée nord du hameau, au croisement de deux chemins, appartient à un type mixte entre le hangar et l'entrepôt traditionnel, modèle dont la zone de diffusion est restée exclusivement limitée à la vallée de l'Asse de Clumanc, et dont seulement une dizaine d'exemples a été repérée, en majorité sur la commune éponyme (sept sur la commune de Clumanc, deux sur celle de Barrême, un sur celle de Saint-Lions). Ce type composite superpose un hangar à un premier niveau en soubassement, construit en maçonnerie de moellon ou comme à Toueste, en parpaing de béton. Ce niveau peut abriter une remise, une petite étable, une porcherie ou un ensemble de clapiers et poulailler. Au deuxième niveau, le hangar sur piliers sert de fenil, il est accessible de plain-pied grâce à la pente.

Clumanc. Toueste. Hangar-fenil composite.Clumanc. Toueste. Hangar-fenil composite.

Aux Bourrillons, toujours à Clumanc, un grand hangar à 9 piliers en blocage de grès, aujourd’hui détruit, montrait une combinaison légèrement différente : seule une travée comportait un soubassement fermé construit en blocage, abritant une étable et une remise pour le matériel agricole. D'après un témoin oculaire, ce hangar aurait été construit vers 1928 et complété plus tard par la travée « mixte ».

La complémentarité entre le hangar et l'entrepôt agricole traditionnel a souvent créé des associations entre les deux types de bâtiments. Il n'est pas rare de rencontrer un hangar appuyé au mur d'un entrepôt plus ancien dont il vient accroître la capacité de stockage. À la Condamine, sur la commune de Tartonne, un hangar sur 6 piliers a été accolé au pignon d'un entrepôt de type fenil sur remise, portant la surface de l'ensemble de 170 à 240 m². Le même principe s'observe dans un groupe de 3 entrepôts mitoyens isolés en bordure d'un grand pré de fauche sur la commune de Saint-Lions, aux Combes : un entrepôt traditionnel déjà figuré sur le cadastre de 1837 s’est vu adjoindre un hangar sur entrepôt, lui-même complété ensuite par un hangar simple.

Tartonne. La Condamine. Hangar sur piliers composites accolé au pignon d'un entrepôt traditionnel polyvalent.Tartonne. La Condamine. Hangar sur piliers composites accolé au pignon d'un entrepôt traditionnel polyvalent.

Ces premiers hangars, de type simple ou mixte, présentent plusieurs caractères récurrents. Les piliers sont presque toujours en maçonnerie, soit que très peu de hangars sur poteaux bois aient subsisté, soit plus probablement que la construction en dur ait d'emblée été privilégiée. La maçonnerie utilise, successivement ou simultanément, matériaux traditionnels (moellons de calcaire et de grès), artisanaux (blocs de béton moulés, briques pleines) et industriels (parpaings de béton et briques creuses). Ils sont clôturés par des planches clouées sur des traverses ou des potelets. Parfois des cloisons à la mise en œuvre identique redivisent l'espace intérieur, délimitant des travées entre les piliers. Quelques exemples de cloisons en maçonnerie légère ont été repérés. Un des hangars du hameau de Toueste à Clumanc condense à lui seul la totalité de ces caractères. Ses quatre piliers ont une base en moellons de grès, une partie médiane en parpaings de béton artisanaux et une partie supérieure en briques creuses. La charpente du toit couvert de tuiles plates mécaniques se compose de deux arbalétriers en bois de brin (c'est à dire non scié mais fendu avec un coin), quatre pannes équarries, chevrons et voliges en bois fendu. La clôture en planches, mieux conservée qu'ailleurs, est percée d'une porte dans une des parois.

Clumanc. Toueste. Hangar à clôture de planches et piliers en maçonnerie mixte (grès, parpaing artisanal, brique creuse).Clumanc. Toueste. Hangar à clôture de planches et piliers en maçonnerie mixte (grès, parpaing artisanal, brique creuse).

4. La bergerie

a. Une fonction spécialisée

Le Pays A3V se caractérise historiquement par une économie agropastorale équilibrée au sein de laquelle l'activité d'élevage a depuis très longtemps, au moins depuis la fin du 12e siècle comme l'attestent certains documents d'archives, une composante complémentaire essentielle : la transhumance ovine. Pour accueillir les troupeaux hivernant notamment sur le littoral, il fallait, outre les ressources en herbe des pâturages d'altitude, des lieux de tri et de rassemblement des bêtes. Parmi eux, une forme spécifique de l'entrepôt agricole : la bergerie. La bergerie ne diffère pas par ses matériaux de construction de l'entrepôt agricole décrit et analysé plus haut. En revanche, sa superficie est souvent plus voire beaucoup plus importante et elle peut être accompagnée d'un enclos extérieur pour parquer le bétail à l'air libre. Elle se présente souvent sous la forme d'un bâtiment de deux niveaux, le premier tenant lieu de bergerie et le second de fenil, mais il arrive que la localisation isolée, à proximité immédiate de l'herbe disponible, rende le fenil accessoire. En outre la bergerie, même si cela reste occasionnel, peut comprendre au même niveau que les bêtes un espace distinct, cloisonné de façon sommaire, qui sert de logis ponctuel au berger, sans qu'il s'agisse pour cela d'une cabane d'estive. En effet, la vocation première de la bergerie est de rassembler les bêtes à couvert, dans un espace protégé. Celle de la cabane est d'abriter le berger. Dès l'Ancien Régime, la pratique de la transhumance a entraîné le présence saisonnière de très nombreux troupeaux qu'il fallait parquer dans des bâtiments volumineux. C'est le cas par exemple des bergeries de la Baragna (Beauvezer) et du Jas (Castellane).

Les bergeries du Jas, à Castellane, et de la Baragna, à Beauvezer, constituaient des haltes sur la route de la transhumance, chacune à un moment spécifique du parcours menant aux pâturages d’estive. Le Jas dépendait au 19e siècle du propriétaire de la ferme de la Cébière. Il correspondait à une bergerie de péage, Castellane représentant au 15e siècle l’un des points de passage les plus importants pour accéder à la haute vallée du Verdon, surtout pour les troupeaux aixois. La Baragna jouait pour sa part le rôle de bergerie d’altitude. Elle continue d’accueillir des troupeaux en route vers l’unité pastorale de la Sellanche et sa cabane de berger. Cette dernière, en 1827, apparaissait d’ailleurs sous la mention « bergerie ». Le bâtiment en question ne correspond évidemment plus à l’actuelle cabane de la Sellanche avec son enclos attenant à l’ensemble pastoral, aménagés au 20e siècle. En tout cas, la Baragna, bordée par la draille, reste aujourd'hui en lien direct avec la Sellanche, puisque le berger utilise les deux espaces pendant la saison d’estive. Moins de 2 km et 350 m. de dénivelée (1 600-1 950 m.) séparent les deux ensembles bâtis.

Le Jas de Castellane date très vraisemblablement du 18e siècle. Il s’agit d’une construction soignée dont les capacités intérieures ont été doublées au plus tard au début du 19e siècle, portant la surface au sol de 130 à 250 m2 environ. Les dispositions au premier niveau n’ont pas été modifiées structurellement depuis lors. L’espace a été aménagé avec des banquettes maçonnées adossées aux murs est et ouest, qui tenaient lieu de crèches pour les mangeoires. Le couvrement est pour sa part assuré par des voûtes d'arêtes avec lunettes. Les extensions des niveaux supérieurs intervinrent plus tard à la fin du 19e siècle, avec deux surélévations successives dont la dernière a changé la forme du toit ; ces différentes campagnes de reprise sont très lisibles sur les élévations. Le rez-de-chaussée, réservé au fenil, peut aussi avoir servi de remise agricole. L’étage carré répondait également à la fonction de fenil.

Castellane. Escoulaou-Est. Bergerie du Jas à l'entrée de Castellane.Castellane. Escoulaou-Est. Bergerie du Jas à l'entrée de Castellane.

La bergerie de la Baragna, quant à elle, n’était en 1827 qu’un entrepôt isolé propriété d’un berger, François Clavel, qui disposait entre autres d’une petite pâture contiguë de 1 730 m2. Avant la fin du siècle, le bâtiment rural avait été transformé en logis, auquel on avait adjoint une bergerie d’une surface de 250 m2 environ, similaire à celle du « Jas » à Castellane, surmontée d’un fenil très volumineux. Il reste peu de témoignages des bergeries d’altitude sur le territoire d’étude. On en trouve quelques exemples dans les communes de Blieux et de Demandolx. À Blieux, il s’agit d’un bâtiment rudimentaire à pan unique couvert en tuile creuse. En rez-de-chaussée, l’un des murs gouttereaux s’adosse à un muret de soutènement. Il comprend un abri temporaire inférieur à 3 m2 aménagé dans le volume de la bergerie et séparé de celle-ci par une cloison en bois, avec un lit et un peu de vaisselle serrée sur des étagères branlantes. À Demandolx, la typologie diffère sur deux points principaux : les bergeries, toutes ruinées ou presque, sont dépourvues de logement pour le berger et elles comprennent un fenil pour le fourrage dans le comble. L’enclos à moutons est attesté lorsqu’il était clôturé par un muret en pierre sèche. La Baragna montre une organisation plus complexe sous une apparence rustique : un vaste ensemble pastoral avec enclos, constitué d’un logis indépendant – une simple pièce au sol en terre battue, éclairée par un jour réduit et équipé d’un placard mural avec un lit - accolé à la bergerie proprement dite, ample vaisseau sous plafond planchéié, aéré par des évents et dont le toit demeure couvert par de la planche de mélèze. La présence du fenil pourrait sembler incongrue, dans un contexte d’estive où la nourriture en abondance est à portée de la dent du troupeau. Mais ce serait oublier l’existence de prés de fauche à proximité de l’ensemble – qui se situe sous la pâture. L’herbe récoltée servait de réserve au propriétaire. Ce dernier devait posséder son propre cheptel, qui n’hivernait pas forcément dans la frange côtière. La bergerie d’altitude, en l’occurrence, servait non seulement d’espace locatif, mais aussi de lieu de stockage pour la consommation personnelle – voire la vente auprès d’éleveurs à la recherche de ressources en fourrage.

Beauvezer. Près du ravin de Chaussegros. Bergerie de la Baragna.Beauvezer. Près du ravin de Chaussegros. Bergerie de la Baragna.

b. S'adapter aux conjonctures : la bergerie-tunnel (forme exogène) et le hors-échelle, derniers avatars du modèle

L'ultime avatar de la bergerie a perdu tout lien avec l'architecture vernaculaire. Le basculement du modèle agricole vers la monoactivité d'élevage, après avoir joué sur l'agrandissement progressif des bâtiments existants par adjonctions successives depuis la fin du 19e siècle et surtout la première moitié du 20e siècle, a entraîné l'apparition d'une forme architecturale "hors-sol" mais caractéristique de l'évolution de l'économie contemporaine, la bergerie-tunnel. Il s'agit d'une structure parfaitement adaptée car modulable. Construite rapidement sur une base maçonnée en parpaing de béton pour les pignons en arche et les arases de murs sur les gouttereaux, elle reçoit une charpente métallique légère en aluminium. Le vaisseau unique est couvert d'une bâche ignifugée et l'intérieur est modulable grâce à des barrières. Les habituelles mangeoires basses en bois sont complétées par du matériel en zinc ou en aluminium, à la fois solide et aisément transportable.

Thorame-Basse. Le Barri. Bergerie-tunnel.Thorame-Basse. Le Barri. Bergerie-tunnel. Thorame-Basse. Le Barri. Bergerie-tunnel : vue du volume et de l'aménagement intérieur modulable.Thorame-Basse. Le Barri. Bergerie-tunnel : vue du volume et de l'aménagement intérieur modulable.

En ce sens, la bergerie immense de Thorame-Haute, la plus vaste du territoire d'enquête, propose un contre-exemple à la bergerie-tunnel. D'une capacité de 3000 têtes de bétail, accompagnée d'un fenil gigantesque, ses murs sont habillés de bois pour une meilleure intégration dans le paysage, de sorte que la rupture d'échelle se voit partiellement atténuée par une meilleure prise en compte du contexte rural. Structure permanente, agrandie déjà depuis 2010, elle reprend les formes traditionnelles du bâti vernaculaire, en recourant à des matériaux modernes. Pourtant, ses dimensions inhabituelles spectaculaires qui rompent avec le modèle traditionnel local en font à ce jour un cas unique dans le Pays, alors qu'on le retrouve ailleurs sur le territoire national. Il illustre l'autre versant de l'adaptation de l'architecture d'élevage (bergerie comme étable) aux nouvelles exigences de l'économie agricole spécialisée.

Thorame-Haute. Pra Jourdane. Bergerie contemporaine hors-échelle d'une capacité de 3000 têtes.Thorame-Haute. Pra Jourdane. Bergerie contemporaine hors-échelle d'une capacité de 3000 têtes.

1Monique Chatenet et Hélène Verdier (dir.), Thésaurus de l’architecture, Paris, éditions du patrimoine, « Documents et méthodes », n° 7, 2000, p. 84. 2Lire plus particulièrement dans ce dossier le développement en II./1.3À ce propos, il est quasiment impossible de distinguer dans ce contexte une différence morphologique entre fenil (local où on stocke le foin) et grange (bâtiment destiné à abriter la récolte en gerbe ou la paille battue). Pour la commodité du discours, nous utiliserons uniquement le terme de fenil pour les deux usages.4Marceline Brunet, Laurent Del Rosso, Alexeï Laurent et al., "La ferme et le territoire en haute Provence", Lyon, Lieux Dits, 2019, p 218-221. P. 220-221 pour la citation à suivre.5Il conviendra donc de ne pas accorder une importance démesurée à la valeur médiane (obtenue à partir du nombre total d'occurrences enregistrées) du fait du déséquilibre des objets repérés. L'écart entre secteurs témoigne, on vient de le voir avant tout d'une variabilité dans la densité du bâti agricole qui atteste une réalité historique.6On retrouve ainsi la différence remarquée tant pour les fermes que pour les maisons, et donc aussi pour les entrepôts, entre les communes du Fugeret et de Méailles. Toutes deux appartiennent au secteur du bassin du Var, mais dans les faits également à la zone de transition. Or, c'est celle située le plus au nord - Méailles - qui exprime systématiquement des données confirmant le caractère plus méridional du secteur, quand la commune située le plus au sud - Le Fugeret - donne à observer des caractéristiques plus proches du haut Verdon. Ainsi dans cette dernière commune, la formule "fenil sur étable" largement prédominante ailleurs dans le bassin du Var, est-elle battue en brèche par la formule "polyvalent avec fenil", dans des proportions exactement inverse aux chiffres recueillis pour Méailles.7Communes de Barrême, Braux, Castellane, Clumanc, Demandolx, Le Fugeret, Thorame Haute et Villars-Colmars. Calcul effectué sur 1325 objets.8À Allos, les enduits quand ils existent sont des réalisations récentes au ciment.9Voir Aline Sarti, "La Colle Saint-Michel : des Bas-Alpins à la hauteur, une Provence méconnue", Digne-les-Bains, Aline Sarti, 2011, p.121.

Les éléments du corpus s'inscrivent dans les temps modernes et l'époque contemporaine, la plupart des bâtiments étant postérieurs à la fin de l'Ancien Régime. Les modes de mise en oeuvre, qui n'ont pas ou très peu évolué jusqu'à la fin du 19e siècle, ne peuvent pas la plupart du temps servir de critère de datation. Seuls les matériaux modernes (brique, parpaing artisanal puis de béton, tuile plate mécanique, tôle, bac acier, couverture en matière synthétique, métal pour la charpenterie, ciment en guise de liant voire d'enduit) permettent de situer des interventions sur le bâti initial ou une création à part entière. Ceci s'avère d'autant plus vrai avec la mutation économique à partir de la fin du 19e siècle, qui s'est accélérée au début du 20e siècle. Tardivement donc. Le passage d'un système agropastoral équilibré vers l'élevage quasi exclusif a entraîné un changement dans les formes puis dans les dimensions. L'entrepôt agricole de type hangar sur piliers a ainsi pris son essor au tournant du 20e siècle, afin de favoriser le stockage du fourrage ainsi que sa manipulation. De même, la bergerie-tunnel constitue-t-elle une "invention" de la seconde moitié du 20e siècle, alors que l'accroissement des cheptels a conduit à l'apparition de bergeries de taille très importante : si le phénomène existait auparavant notamment pour les bergeries situées au lieu de péage des troupeaux transhumants regroupant de nombreuses têtes de bétail, les proportions spectaculaires qu'il peut prendre est strictement contemporain.

  • Période(s)
    • Principale : Temps modernes
    • Principale : Epoque contemporaine

L'entrepôt, la remise, le hangar agricoles sont avant tout des dépendances de la ferme, mais leur prise en compte, en contexte isolé ou dissocié du corps principal, rend dans les faits impossible une association à celui-ci ; c'est la raison pour laquelle on les étudie comme des édifices à part entière.

La construction recourt aux matériaux disponibles sur place, en fonction du substrat géologique existant : calcaire et grès prédominent, dans une mise en oeuvre utilisant le moellon, ponctuellement la galet en complément et pour les exemples tardifs, à partir du 20e siècle, le parpaing artisanal et de béton le cas échéant. Les couvertures font intervenir traditionnellement la tuile creuse essentiellement, et parfois, de manière locale, la planche de mélèze ou la lauze. Ces matériaux ont pu être remplacés par la tuile plate mécanique, la tôle, le bac-acier ou encore le ciment-amiante.

La variété s'avère importante, notamment en termes de surface au sol, mais peut se résumer à deux grands types : l'entrepôt unifonctionnel et l'entrepôt multifonctionnel, avec ou sans fenil, ce dernier dominant de façon écrasante avec une proportion de 85%. L'entrepôt, sur le territoire d'étude, reflète ainsi une tendance marquée à la polyvalence, les principales fonctions identifiées étant celles de remise, d'étable (ou de bergerie), de fenil et de séchoir dans une moindre mesure. On trouve aussi la fonction de logement ponctuel ou saisonnier. Les différents secteurs constitutifs du Pays montrent des disparités qui n'entament pas la solidité du schéma brièvement énoncé ci-dessus. En revanche, on a pu observer sur certains zones plus ou moins circonscrites du territoire des particularités morphologiques, telles que les entrepôts-porches situées sur la commune de Braux ou, sur un secteur plus vaste, les remises d'aires à fouler dans la vallée du Coulomb et le haut Verdon. Le facteur climatique, de même que les usages propres, sont des éléments de réponse à ces particularismes. En outre, deux autres formes d'entrepôts agricoles, les hangars-fenils et les bergeries, méritent un éclairage. Les premiers présentent par ailleurs une spécificité architecturale dans la vallée de l'Asse de Clumanc quand les seconds sont répartis de manière plus uniforme dans le Pays. Tous deux désignent néanmoins un même phénomène de bascule de l'économie agro-pastorale vers l'élevage ovin quasi exclusif : les hangars sur piliers prennent place à la lisière des prés de fauche destinés au fourrage du cheptel alors que les bergeries accueillent les troupeaux locaux ou transhumants.

  • Typologies
    1.1 : entrepôt agricole unifonctionnel : fenil ; 1.2 : entrepôt agricole unifonctionnel : remise ou étable ; 2.1 : entrepôt agricole multifonctionnel : fenil sur étable ; 2.2 : entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent avec fenil ; 2.3 : entrepôt agricole multifonctionnel : polyvalent sans fenil
  • Toits
    tuile creuse, tuile plate, bois en couverture, bardeau, acier en couverture, fer en couverture, grès en couverture, ciment amiante en couverture
  • Murs
    • calcaire moellon enduit
    • grès moellon enduit
    • galet
    • parpaing de béton
    • bois
    • tuf pierre de taille
    • brique
  • Décompte des œuvres
    • repérées 2 322
    • étudiées 398

Bibliographie

  • SARTI, Aline. La Colle Saint-Michel : des Bas-Alpins à la hauteur, une Provence méconnue. Digne-les-Bains : Aline Sarti, 2011, 399 p.

    p. 121
  • BRUNET, Marceline, DEL ROSSO, Laurent, LAURENT, Alexeï et MOSSERON, Maxence. La ferme et le territoire en haute Provence, dir. Marceline Brunet. Collection Cahiers du Patrimoine, n° 119. Lyon : Lieux Dits, 2019, 408 p.

Documents figurés

  • [Pause pendant le travail de foulage, sous une « cabane » abritant l'aire à battre dallée.] / Photographie noir et blanc, années 1930. Collection particulière

    Noter l'emploi d'une paire de mulets pour le travail de foulage.

Annexes

  • Grille de repérage Entrepôts Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var
Date d'enquête 2004 ; Date(s) de rédaction 2020
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Sauze Elisabeth
Sauze Elisabeth

Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.

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Mosseron Maxence
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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Commune : Thorame-Haute

entrepôts agricoles, ensembles agricoles

Commune : Braux