Conservateur en chef du patrimoine en poste au Service régional de l'Inventaire à la DRAC de Poitiers de 2002 à 2005, puis au Service de l'Inventaire de la DRAC d'Aix-en-Provence. En poste au Service de l'Inventaire et du patrimoine, région Provence-Alpes-Côte d'azur depuis 2008.
Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).
- inventaire topographique
-
Pauvarel FrédéricPauvarel FrédéricCliquez pour effectuer une recherche sur cette personne.
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Dossier non géolocalisé
-
Dénominationsferme
-
Aires d'étudesPays Asses, Verdon, Vaïre, Var
I. Identification du corpus
1. La famille concernée
a. Terminologie
Ce dossier regroupe les édifices relevant de la définition énoncée dans le Thésaurus de l’architecture, lequel précise que la ferme correspond à un « Édifice comprenant un logis et les dépendances nécessaires à l’exploitation agricole. La ferme se distingue des autres maisons rurales par l’importance des espaces consacrés à l’outillage agricole, au bétail et aux récoltes.1 »
On ne retiendra pas ce qui relève de la catégorie de l’ensemble agricole (« Ensemble constitué d’édifices, édicules ou ouvrages à fonction agricole. ») dans la mesure où cette entrée regroupe des bâtiments qui ne constituent pas des annexes ou dépendances d’une même exploitation agricole. Les ensembles agricoles constituent évidemment des parties constituantes de fermes et/ou d’exploitations agricoles ; l’impossibilité de les rattacher à un domaine attitré empêche cependant de les prendre en considération ici. Quoi qu’il en soit, peu ont été identifiés, et plus rares encore sont ceux ayant donné lieu à un dossier individuel (15).
b. Le corpus
Le repérage du bâti sur le territoire du Pays a été effectué entre 2003 et 2015. Le recensement s'est fait à partir du cadastre le plus récent disponible. L'enquête a donné lieu au repérage de 1 019 objets exactement, soit une proportion d'environ 15% de l'ensemble du bâti INSEE (chiffres de 1975, année de référence) et à l'établissement de 293 dossiers portant sur des fermes localisées dans 38 des 41 communes (258 dossiers individuels et 35 dossiers collectifs) : seules Saint-Jacques, Saint-Lions et Soleilhas n’ont fait l’objet d’aucun dossier ferme. Par ailleurs, deux communes sans dossier ferme disposent néanmoins d’un dossier collectif (Saint-Julien-du-Verdon, avec 3 fermes repérées, et Angles, avec 6 fermes repérées). D’autres, malgré un corpus repéré quantitativement très faible, disposent également d’un dossier collectif (Allons, Rougon et La Mure-Argens [1 ferme repérée] ; La Garde [2] ; Barrême, Lambruisse, Moriez, Saint-Pierre, Ubraye, Vergons et Villars-Colmars [3] ; Saint-Benoît [4] ; Le Fugeret, Méailles, La Rochette et Thorame-Basse [5]). Les communes à dix dossiers fermes ou plus sont de fait minoritaires : Allos, Beauvezer, Blieux, Braux, Castellane, Clumanc, Colmars, Entrevaux, La Palud-sur-Verdon, Senez, Tartonne et Val-de-Chalvagne. Parmi elles, certaines comptent un nombre de dossiers largement supérieur aux autres : ainsi à Castellane (28 dossiers) et dans une moindre mesure Entrevaux (19), Colmars (17) ou encore Allos (14).
Trois éléments permettent d’expliquer de tels écarts. Le premier tient à la taille de la commune considérée : plus elle est vaste, plus elle contient de fermes a priori. Le second relève du repérage, outil plus fiable pour estimer les quantités respectives de fermes dont l’état de conservation justifie une prise en compte statistique, et éventuellement un dossier individuel. Cette opération a donc permis de recenser un millier d'objets environ. Une commune pourra abriter sur son territoire administratif beaucoup plus d’édifices qu’une étude d’Inventaire n’en retiendra effectivement, au filtre d’évolutions successives potentielles dont certaines auront pu conduire à de trop fortes transformations par rapport au(x) bâtiment(x) d’origine. Le troisième élément tient à l’appréciation des édifices eux-mêmes. La norme souple de l’Inventaire entraîne la rédaction d’un dossier pour une fenêtre comprise entre 5 et 20 % du corpus repéré. Cette proportion peut être dépassée (autour de 50 % pour Chaudon-Norante, Colmars et Tartonne, 40 % pour La Garde et Senez, 33 % pour Braux, 28 % pour Le Fugeret, 25,5 % pour Val-de-Chalvagne). Ce dépassement s'observe d'ailleurs à l'échelle du Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var puisqu'on comptabilise environ un quart de fermes sélectionnées par rapport aux fermes repérées.
2. Le contexte de l’enquête
L’identification des édifices, bien qu’elle se réfère au Thésaurus de l’architecture déjà mentionné, se heurte à plusieurs difficultés. La principale réside dans la perception de l’objet que l’on a sous les yeux : la définition proposée par le Thésaurus laisse un champ libre à l’interprétation, essentiellement en ce qui différencie la ferme de la maison, notamment lorsque l’édifice est implanté dans une zone d’habitat groupé, écart ou village. Car une maison rurale peut être considérée comme la tête de pont d’une ferme si on l’associe aux dépendances agricoles qui en dépendent, que ces dernières soient contiguës à la maison, à proximité immédiate ou dans l’aire d’habitat groupé, par exemple en périphérie de village. Ainsi une maison rurale, considérée non comme entité distincte d’un tout mais comme partie d’une activité agricole (propriété et/ou exploitation), peut être considérée comme une ferme. Cependant, l’impossibilité la plupart du temps de distinguer sur place ce qui relève de la ferme de ce qui relève de la maison rurale impose en dernier ressort de s’appuyer sur la morphologie et la répartition des fonctions et donc d’en revenir au Thésaurus.
En outre, en zone rurale, l’essentiel de l’économie et en conséquence des architectures afférentes ressortit aux activités agricoles. De sorte que dans les écarts et dans les villages autres que les quelques bourgs présentant une diversité des activités (Castellane, Entrevaux, Annot, Barrême, Colmars) – c’est-à-dire des commerces et un artisanat développés – la maison rurale est de facto très souvent une maison dite d’agriculteur (cultivateur ou autre). Le repérage a néanmoins permis d’identifier des fermes de village ou d’écart lorsque l’organisation fonctionnelle et l’importance des parties dévolues aux activités agricoles montraient que l’on changeait de famille architecturale : de la maison rurale à la ferme. Dans les faits, la ferme est implantée en milieu d'habitat groupé (village et écart) et, bien sûr et d'abord, contrairement à la maison, en contexte isolé dans le terroir.
Par ailleurs, certains édifices ont pu changer de destination au fil du temps et de l’évolution des usages. De telles modifications sont fréquentes au sein des dépendances agricoles (un fenil accueillant une nouvelle fonction de séchoir, pouvant entraîner le partage de l’espace disponible par cloisonnement par exemple) ; elles sont plus rares sans être exceptionnelles à l’échelle d’un édifice. On observe ainsi quelques cas de mutation de l’entrepôt agricole vers la ferme (voir à Colmars REF=IA04002781 et Castellet-lès-Sausses REF=IA04000446) et inversement (Colmars REF=IA04003107).
II. Les caractères morphologiques
1. Introduction générale
Du col d’Allos aux gorges du Verdon, de la vallée du Var aux Préalpes dignoises, les fermes présentent dans leur ensemble une certaine homogénéité dans la composition spatiale des édifices, les formes du bâti, la nature des dépendances agricoles et même jusqu’aux matériaux du gros-œuvre.
Toutefois les volumes, les toitures et leurs couvertures permettent de dessiner un clivage entre la zone montagneuse du nord et le reste du territoire. Au nord d’une ligne allant du Fugeret à Allos, qui exclut à l’ouest Thorame-Basse, s’imposent des volumes importants, massés sous des toits à longs pans et forte pente, jadis couverts en planche de mélèze. Au sud de cette limite les volumes plus modestes, moins élevés, aux toits en pente douce à un seul pan dans la moitié des cas, sont couverts en tuile creuse, et parfois soulignés par une génoise. La transition entre les deux zones se dessine dans la haute vallée de la Vaïre avant qu’elle ne débouche sur les hauts plateaux de Peyresq et de la Colle, point de passage vers la haute vallée du Verdon. Les fermes du Fugeret et de Méailles, communes s’étendant de part et d’autre de la vallée de la Vaïre, se partagent entre les deux types suivant leur implantation, en fond de vallée ou sur les pentes montagneuses, au-dessus de 1 000 mètres. À la même latitude, dans la vallée du Verdon, l’enquête n’a pas permis de repérer un grand nombre d’édifices encore signifiants, tant les transformations et l’abandon ont modifié le corpus. La zone de transition devait certainement se situer aux confins des actuelles communes de Thorame-Haute, La Mure-Argens et Saint-André-les-Alpes, comme semble l’indiquer la seule toiture en pente douce repérée, à la Colle Saint-Michel. Le relief tourmenté du territoire a néanmoins engendré quelques isolats morphologiques dus à l’altitude. Ainsi, à Vergons, la ferme du Col de Toutes Aures, à environ 1 100 m d’altitude, présente un toit à longs pans à forte pente, qui rappelle ceux des fermes de la haute vallée du Verdon.
Au-delà de cette opposition entre une architecture que l’on peut qualifier sommairement d’alpine au nord et de provençale au sud, quelle typologie des ensembles et des formes peut-on dessiner sur le territoire ?
On sait par l’analyse architecturale que les fermes les plus anciennes parvenues jusqu’à nous remontent aux environs du 16e siècle, mais les édifices que nous observons de nos jours ont subi de telles mutations au cours des siècles qu’il est souvent difficile d’en appréhender l’état d’origine.
Un premier tri basé sur les compositions d’ensemble – maison-bloc et ferme à plusieurs bâtiments – fait apparaître que le type le plus fréquent est celui de la ferme à bâtiments multiples, accolés ou disjoints, parfois répartis sans ordonnance autour d’une cour ouverte, parfois disposés en ligne. Dans la majorité des cas, ces ensembles résultent de l’évolution de fermes initialement en maison-bloc, augmentées et remaniées au fil du temps par l’ajout de dépendances agricoles supplémentaires et parfois d’un deuxième logis. Cet état ancien apparaît doublement à nos yeux, par l’analyse des données tirées du cadastre napoléonien et par l’analyse sur le terrain des édifices eux-mêmes, où la ferme-bloc d’origine reste la plupart du temps bien identifiable.
La ferme éclatée, dont le siège est en agglomération et les dépendances dispersées sur le finage, a été révélée par l’analyse des données cadastrales croisées avec les observations du terrain. C’est un phénomène marquant qui, comme indiqué plus haut, ne peut constituer une entrée typologique particulière, puisque son identité ressortit davantage à un mode atypique de spatialisation qu’à un ensemble de discriminants architecturaux. Notre analyse la maintiendra donc dans la catégorie des maisons-blocs en hauteur et se concentrera plutôt sur les fermes en écart ou isolées sur le terroir, qui se prêtent mieux à l’étude : leurs principales parties constituantes sont en effet localisables et identifiables et la mémoire collective les concernant permet, mieux que pour la ferme éclatée, de rapprocher des bâtiments éloignés appartenant à la même unité foncière.
2. Les matériaux et leur mise en oeuvre
Comme pour l'ensemble du bâti agricole, et dans une large mesure pour le bâti d'habitation aussi, la règle prévaut d'une grande homogénéité jusqu’au début du 20e siècle dans le Pays. Il n'y a donc pas de spécificité pour la ferme sur ce point particulier. En effet, la quasi-totalité des édifices qui façonnent l’image du territoire utilise les mêmes matériaux extraits et produits localement, puis mis en œuvre avec des techniques identiques. La pierre constitue le matériau de base, indispensable jusqu’au début du 20e siècle, pour ériger un bâtiment. Cette pierre employée sous la forme de moellon plus ou moins équarri, puis mise en œuvre, avec ou sans liant, est extraite au plus près du chantier.
L’étude du matériau de gros œuvre a permis de répertorier plusieurs qualités de pierre sur l’ensemble de la zone d’étude : calcaire, grès, tuf, galet et brèche de calcaire. L'emploi du tuf, du galet ou de la brèche reste minoritaire, la quasi-totalité des constructions utilisant le calcaire, le grès ou un mélange des deux. Il en va de même pour le galet, charrié en abondance pour les cours d'eau du territoire, mais son usage impose une plus grande quantité de liant afin de stabiliser les pierres. Le principe intangible reste celui des ressources mises à disposition par le socle géologique immédiat, à travers une maçonnerie dont la caractéristique essentielle demeure celle d'une mise en oeuvre sous la forme d'une assise irrégulière, avec des moellons liés au mortier de chaux ou de gypse. La pierre de taille en gros œuvre sur l’ensemble d’un bâtiment relève de l'exception. À Annot, la ferme forte des Gastres, dont l’origine pourrait être ecclésiastique, date probablement du 15e ou du 16e siècle dans ses parties les plus anciennes. Elle est composée d’une tour logis et d’une grange-étable, construites en petit appareil de pierre de taille assisé. Ailleurs, le coût prohibitif de la pierre de taille a entraîné une restriction de son usage aux chaînages et aux encadrements des baies. Encore cette pratique est-elle limitée puisqu'on ne l'a repérée que sur 3% du corpus pour les chaînages et les encadrements et sur un quart des fermes pour les seuls linteaux. On dénombre sur l’ensemble de la zone d’étude trois types de mise en œuvre des enduits dont la proportion varie en fonction des communes : l’enduit uniforme et couvrant, traité de façon lisse ou rustique, l’enduit à pierres-vues et l’enduit à la tyrolienne qui n’apparaît qu’au 20e siècle. L'enduit rustique est rugueux, projeté à la truelle, au balai ou avec un bouquet de genêt, puis étalé à l’aide d’une taloche. Il peut être dans certains cas gratté. L’enduit à pierres-vues, partiellement couvrant, laisse affleurer les pierres. Enfin, l’enduit à la tyrolienne est rugueux, régulier, projeté à l’aide d’un outil mécanique appelé tyrolienne que l’on actionne avec une manivelle. Il demeure exceptionnel sur les bâtiments de ferme et correspond à des réfections du 20e siècle, sans rapport avec les états d'origine.
La variété des matériaux de couverture, quant à elle, est grande sur l’ensemble du territoire d'enquête. On y trouve de la tuile creuse ou plate, de la lauze de calcaire et de grès, de la planche et du bardeau. La localisation et la quantification de ces couvertures fait apparaître une dichotomie entre le sud et le nord. Dans la partie méridionale, la tuile creuse est majoritaire et sa présence est relevée jusqu’aux environs des communes de Thorame qui constituent le point de jonction entre rayonnement alpin et provençal. Dans la partie sud du Pays, il convient de noter une part non négligeable de matériaux récents de substitution : tuile creuse mécanique et fibro-ciment ou ciment amiante aussi appelé "Eternite", pour l'essentiel. Au-delà, les couvertures modernes en métal remplacent souvent aujourd'hui les traditionnels planches ou bardeaux de mélèze. Le chaume, dont la présence est encore attestée en 1922 par une enquête préfectorale sur les matériaux de couverture, a totalement disparu.
Braux (Champ d'Anode). Ferme des Crouesses : four à pain couvert de lauzes.
Le mode de mise en oeuvre du toit, de l'avant-toit et de la couverture illustrent bien la dissociation entre les deux parties du territoire, comme le détaillent les trois tableaux ci-dessous, en fonction du secteur géographique considéré. En premier lieu, la présence de la génoise ou d'un débord constitue un marqueur crédible pour identifier telle ou telle influence (provençale ou alpine en l'occurrence). A ce titre, le haut Verdon, où le débord s'impose très largement (75% des cas), témoigne de sa particularité avec le reste du territoire. On notera cependant que dans les vallées d'Asses, il l'emporte d'une courte tête (32% contre 29%), même si la proportion élevée des cas non repérés (près de quatre fermes sur dix sur ce critère) a tendance à lisser la différence. Le moyen Verdon et le bassin du Var ne laissent en revanche pas place à l'ambiguïté : la génoise y règne en maître. Un regard plus approfondi permettrait en outre de signaler la zone de transition entre les deux influences : à Thorame-Basse, commune rattachée au secteur du haut Verdon mais proche des vallées d'Asses, la logique s'inverse (deux tiers/un tiers au profit de la génoise) ; à Castellet-lès-Sausses, Sausses et surtout au Fugeret (bassin du Var), communes montagnardes, on remarque une bascule progressive (respectivement 40% en faveur de la génoise)/35% en faveur du débord, puis 33%/33%, et 28%/44% enfin) désignant le glissement à l'oeuvre et la porosité entre les domaines provençal et alpin. La même analyse prévaut pour le toit et la couverture. Toutefois, le toit à pan unique, véritable marqueur du bâti méditerranéen au sens large, s'il prime sans contredit pour la maison, est d'une manière générale moins fréquent pour la ferme. Aussi le toit à longs pans est-il majoritaire partout, selon un ratio variable d'un secteur à l'autre : 1,6 dans le bassin du Var, 2 dans le moyen Verdon, 3 dans les vallées d'Asses et jusqu'à 27,5 au profit du débord dans le haut Verdon. A ce dernier chiffre s'ajoute un marqueur plus flagrant de l'influence alpine : le toit en croupe ou demi-croupe, observé dans plus d'une ferme sur 7. Les données liées à la couverture sont quelque peu faussées par la proportion de matériaux de substitution modernes, mais le mélèze, autrefois omniprésent et toujours visible dans le haut Verdon dans une ferme sur dix, détermine bien ici encore l'influence alpine. Rien d'étonnant donc à ce qu'on le repère dans près de 17% des cas au Fugeret. A contrario à Sausses, la tuile creuse occupe la totalité du champ. On le voit, les communes inscrites dans la zone de transition offrent une lecture mêlée, parfois confuse, qui témoigne bien des influences conjuguées. Ce qui vaut pour les fermes vaut d'ailleurs aussi pour les maisons : le bâti de cet espace transitionnel, dans son ensemble, est au coeur d'un brassage formel et matériel (voir REF=IA04003146).
avant-toit | génoise | débord | sans objet/non significatif | autres |
vallées d'Asses | 28,8 | 32,1 | 39,1 | 0 |
haut Verdon (hors Allos) | 16,95 | 75,2 | 7,85 | 0 |
moyen Verdon | 60,3 | 9,4 | 30,2 | 0,1 |
bassin du Var | 59,7 | 21,4 | 18,9 | 0 |
toit | 1 pan | longs pans | 1/2 croupe, croupe | mixte | autres/non significatif/sans objet |
vallées d'Asses | 22,6 | 69,1 | 0,9 | 5,4 | 2 |
haut Verdon (hors Allos) | 2,4 | 66 | 14,9 | 16,7 | 0 |
moyen Verdon | 30,2 | 59,1 | 1,1 | 5,3 | 4,3 |
bassin du Var | 32,9 | 53,65 | 3,2 | 10,2 | 0,05 |
couverture | moderne | tuile creuse | tuile plate | mélèze | lauze | mixte | non significatif |
vallées d'Asses | 32,7 | 64,7 | 0 | 0 | 0,65 | 0 | 1,95 |
haut Verdon (hors Allos) | 86,35 | 0 | 3,25 | 10,4 | 0 | 0 | 0 |
moyen Verdon | 52,9 | 45,7 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1,4 |
bassin du Var | 33,3 | 59,8 | 0 | 1,95 | 2,2 | 1,85 | 0,9 |
On ajoutera pour clore ce chapitre que l’étude des modes de production de la chaux et du gypse, employés pour les liants et les enduits, et des revêtements en terre cuite tels que la tuile ou le mallon, a mis en évidence le caractère artisanal de leur fabrication. Cette production est attestée par les nombreux vestiges de fours, localement appelés tuileries ou tuilières, que l’on découvre en parcourant le territoire.
3. L’implantation, élévation et composition d'ensemble
a. Implantation
En se référant aux dossiers on constate que la proportion de fermes en situation isolée (à laquelle on intègre celles en bâti lâche c’est-à-dire proche d’une agglomération - écart et village – sans en faire partie) atteint les deux tiers du corpus, soit 66,3 %, et ce chiffre est supérieur si l'on élargit le calcul aux fermes repérées. L'état des fermes isolées est en effet plus dégradé qu'en écart ou en village, car elles sont davantage abandonnées à la suite de la désertification rurale. Ainsi, leur état permet un repérage mais le chercheur donnera la priorité à un édifice mieux conservé pour sa sélection. A l'inverse, une ferme située en zone d'habitat groupé sera d'une manière générale mieux préservée donc plus facilement sélectionnable, puisque le choix sera proportionnellement plus important. Si à présent l'on considère non plus la situation mais les usages, si donc l'on intègre aux fermes isolées celles situées dans des écarts, lesquels dans le contexte du terrain d'enquête sont tous des écarts à caractère agricole, par conséquent si l'on établit une distinction entre les fermes de village et les autres, la disproportion devient écrasante, dans la mesure où neuf fermes sélectionnées sur dix sont situées hors d'un village. On notera que la commune de Demandolx constitue un cas remarquable de concentration de la presque totalité des fermes dans le chef-lieu et dans quelques hameaux.
situation de la ferme | nombres absolus | pourcentage |
en village | 26 | 10,1 % |
en écart | 61 | 23,6 % |
bâti lâche | 4 | 1,6 % |
isolé | 167 | 64,7 % |
Total | 258 | 100 % |
L'autre aspect de l'implantation concerne cette fois la question de l'inscription du ou des bâtiments par rapport au terrain lui-même. La topographie heurtée du territoire d'enquête induit une mise en oeuvre sur un terrain de profil essentiellement pentu. Les chiffres confirment cet état de fait, et le précisent. L'appartenance à tel ou tel des quatre secteurs ou zones identifiées constitutives du Pays (voir REF=IA04002138) n'entraîne en effet pas de différence très significative, comme le montre le tableau ci-dessous :
implantation | parallèle à la pente | perpendiculaire à la pente | terrain plat |
vallées d'Asses (hors Clumanc et Saint-Jacques) | 38,1 | 53,9 | 8 |
haut Verdon (hors Allos) | 19,55 | 68,6 | 11,85 |
moyen Verdon (hors Demandolx) | 16,8 | 65,5 | 17,7 |
bassin du Var (hors Braux et Soleilhas) | 21,4 | 73,3 | 5,3 |
Moyenne Pays | 24 | 65,3 | 10,7 |
La proportion des fermes implantées dans la pente est extrêmement élevée, et dans ce cas de figure l'édification sur le mode perpendiculaire au terrain prédomine largement, toujours au-delà de la majorité absolue jusqu'à atteindre près des trois quarts dans le bassin du Var, et dans une proportion moyenne de près des deux tiers pour le Pays. Cependant, on remarque une dynamique d'un secteur à l'autre puisque le ratio implantation perpendiculaire/parallèle à la pente varie au sein du territoire. Il s'établit à 1,4 environ dans les vallées d'Asses, à 3,5 pour le haut Verdon (moins en réalité car les données partielles témoignent d'une inversion spectaculaire du rapport, dans la mesure où les fermes implantées perpendiculairement à la pente ne représentent que 20% du total à Allos : dans ce cas le ratio se situerait entre 2 et 2,5), à 3,4 pour le bassin du Var et à 3,9 pour le moyen Verdon. L'amplitude apparaît donc importante. En outre, la dynamique relevée travaille dans chaque secteur. Dans celui du haut Verdon, on constate notamment que le ratio a tendance à évoluer vers une diminution de l'écart à partir de Beauvezer puis de Colmars (où l'implantation parallèle à la pente s'établit respectivement à 25% puis 34% du corpus communal repéré, avant l'inversion allossarde qui traduit une véritable rupture). Qu'en est-il à présent des étages ? L'implantation peut entraîner des configurations diverses.
1 étage de soubassement | 2 étages de soubassement | 3 étages de soubassement | 4 étages de soubassement | rez-de-chaussée | |
vallées d'Asses | 76,2 | 8,4 | 0 | 0 | 15,4 |
haut Verdon | 67,4 | 19,5 | 1,25 | 0 | 11,85 |
moyen Verdon | 56,4 | 25,3 | 0,6 | 0 | 17,7 |
bassin du Var | 74,3 | 17,8 | 3,35 | 0,35 | 4,2 |
moyenne Pays | 68,6 | 17,7 | 1,3 | 0,1 | 12,3 |
Dans chaque secteur, les fermes présentant un étage de soubassement s'imposent, selon une proportion qui varie d'environ 56 à 76% (plus des deux tiers à l'échelle du Pays). Ce que l'on observe ici, c'est la part plus faible quoique encore dominante du moyen Verdon dans ce schéma général, qui se double en retour d'une proportion importante de fermes avec deux étages de soubassement (le quart du corpus). Le haut Verdon propose un visage similaire, surtout si l'on intègre les données partielles des fermes allossardes, dont 46% ont au moins deux étages de soubassement. Le bassin du Var constitue quant à lui le secteur le plus représentatif du phénomène (jusqu'à quatre étages de soubassement). Finalement, les fermes des vallées d'Asses se distinguent au sein d'un corpus profondément marqué par l'inscription dans une pente forte : elles sont évidemment concernées par le phénomène, mais dans des proportions un petit peu moins éclatantes (une ferme sur douze). Faut-il en déduire une corrélation entre mode d'implantation dans la pente et nombre d'étage(s) de soubassement ? De fait, c'est dans les vallées d'Asses, là où la représentation des fermes inscrites parallèlement à la pente est plus élevée qu'ailleurs sur le territoire, que la proportion des fermes avec un seul étage de soubassement est aussi la plus élevée. Ce serait pourtant faire fausse route de toute évidence : le cas du nord du haut Verdon, où ce type d'implantation devient plus prégnant comme nous l'avons signalé (et s'inverse même à Allos), infirme l'hypothèse.
b. Elévation
Les fermes du Pays disposent majoritairement de trois niveaux d'élévation (près des deux tiers du corpus), auxquelles s'ajoutent celles qui en ont quatre (un peu plus du quart). Dans l'ensemble donc, les fermes de trois voire quatre niveaux représentent environ 90% du total repéré. Le tableau ci-dessous rassemble les données pour chaque secteur ou zone : l'homogénéité prévaut, avec une exception pour le haut Verdon, sans que la proportion moyenne cumulée des fermes à trois et quatre niveaux en soit pour autant bouleversée. Dans le nord du territoire d'enquête, les fermes à trois niveaux sont moins nombreuses qu'ailleurs, mais parce que la ferme locale est significativement plus développée en hauteur qu'ailleurs. En effet, les fermes de quatre niveaux et plus représentent près de la moitié du total du haut Verdon (46%), ce qui s'explique par la nécessité d'adapter le bâti aux conditions climatiques plus rudes, avec des volumes de stockage du fourrage plus importants, par le biais de double-fenils notamment, puisque dans le nord du Pays, la ferme conserve, comme nous le verrons ci-après (II./3./c.) une configuration en maison-bloc. Si dans le bassin du Var les fermes à trois niveaux sont plus nombreuses (plus de 70%), cela n'est pas statistiquement significatif. De fait, pour les trois secteurs méridionaux, la régularité est de mise. Les fermes de quatre niveaux et plus sont contenues dans des taux très proches : entre un peu moins de 21 et un peu plus de 26%.
nombre d'étages constitutifs | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 |
vallées d'Asses | 11,9 | 67,35 | 20,1 | 0,65 | 0 |
haut Verdon | 4,2 | 49,45 | 37,95 | 8,4 | 0 |
moyen Verdon | 9,75 | 63,9 | 25,65 | 0,7 | 0 |
bassin du Var | 5,35 | 71,3 | 21,3 | 1,8 | 0,25 |
moyenne Pays | 7,8 | 63 | 26,25 | 2,9 | 0,05 |
c. Composition d'ensemble
On distingue deux grands types de compositions : la ferme en maison-bloc et la ferme à bâtiments multiples.
La ferme en maison-bloc
Le corpus formé par les fermes en maison-bloc (les fonctions sont rassemblées sous le même toit) – qu’il s’agisse de celles, très peu nombreuses, restées dans leur état premier, ou de celles encore identifiables comme noyau d'origine d'édifices ayant muté vers le type à bâtiments séparés – représente 56% des édifices repérés, répartis à peu près uniformément sur le territoire, en milieu isolé mais également en village ou en écart, avec une présence un peu plus notable dans le haut Verdon.
Les blocs en hauteur, sans surprise, constituent la grande majorité du groupe, 87 % des cas. Cette domination s'explique aisément par les contraintes d'une topographie marquée par un relief accidenté qui réduit l'espace en agglomération mais permet partout, en jouant sur la pente, de ménager des accès directs à plusieurs étages, réduisant ainsi les coûts de construction et optimisant l'espace intérieur. Il est de fait que la majorité des fermes nous présente trois niveaux d’élévation, sans que les bâtiments à quatre niveaux soient rares (voir ci-dessus). La répartition des fonctions dans les blocs en hauteur privilégie la superposition alternée. L’étage inférieur abrite une ou plusieurs étables ou une remise auxquelles peuvent être adjoints une porcherie, un poulailler, ou quelques équipements, comme un four à pain, un puits ou un bûcher. Il agit comme un vide sanitaire isolant le logis aménagé au-dessus. Au niveau supérieur, le fenil qui peut comporter un séchoir ou un pigeonnier, renforce l'isolation du logis. Quand la pente du terrain ne permet pas un accès de plain-pied au logis, le système le plus fréquent pour sa desserte est l’escalier de distribution extérieur en maçonnerie, parallèle ou perpendiculaire à la façade.
Une variante du bloc en hauteur se rencontre régulièrement sur le territoire. Elle positionne un deuxième niveau mixte, en général une association logis-fenil, sur un premier niveau uniquement occupé par l’étable. Au troisième niveau, la juxtaposition logis-fenil peut se répéter, le dernier niveau étant souvent uniquement agricole (fenil et/ou séchoir). Ce modèle est fréquent dans les fermes-blocs d’Allos, plus ponctuel ailleurs, notamment dans une tranche médiane du territoire allant de Colmars à La Palud-sur-Verdon, en vallées d’Asses et dans la partie orientale, à Braux et Castellet-lès-Sausses.
Les blocs à terre, très nettement minoritaires, avec 13% des fermes en maison-bloc, se rencontrent dans le moyen Verdon, les vallées d'Asses et le sud du territoire, en particulier sur la commune de La Palud-sur-Verdon. Dans la plupart de ces fermes, le logis s'étend sur deux niveaux, reliés entre eux par un escalier intérieur. La partie agricole superpose en général un ou plusieurs niveaux de fenil à une étable, parfois complétée par une petite fonction annexe (cellier, remise). Un dernier niveau de fenil peut coiffer l’ensemble du bâtiment, interrompant la régularité des distributions. Cette rupture peut se reproduire aux niveaux inférieurs, dans certaines fermes des vallées d'Asses et du moyen Verdon, où le logis, en général juxtaposé à une étable en premier niveau, occupe seul le deuxième, voire également le troisième niveau. Si le logis ne se prolonge pas au dernier niveau, l'espace est investi par un fenil ou un séchoir. Cette disposition composite alterne ainsi des étages uni et pluri-fonctionnels.
Ferme en maison-bloc à terre au Grand Rayaup (Castellane).
La ferme à bâtiments multiples
Ce modèle préexiste à l'essor économique du premier 19e siècle. Quelques sources et les analyses du bâti nous indiquent sa présence dès le 18e siècle, sans qu'il soit possible de déterminer s’il s’agissait d’un modèle ex nihilo ou si elle résultait déjà d'agrandissements successifs. Il est parfois possible de quantifier l'évolution de la composition d'une ferme. Prenons deux communes : Val-de-Chalvagne et le Fugeret. Dans la première, 43 fermes ont été retenues. Lors du repérage, le type maison-bloc à terre s’élevait à 2 éléments, le type maison-bloc en hauteur à 1 et le type ferme à bâtiments accolés et/ou disjoints à 40. Or, l’analyse du bâti faisait état de modifications manifestes, de sorte qu’il est permis d’affirmer que ces chiffres étaient antérieurement et respectivement de 3 éléments pour le type maison-bloc à terre, de 10 pour le type maison-bloc en hauteur, et de 30 pour le type ferme à bâtiments accolés et/ou disjoints. Autrement dit, les fermes à bâtiments multiples, qui représentaient 93% du total lors du repérage, dominaient certes mais dans une mesure moindre auparavant (environ 70% du corpus), quand les fermes du type maison-bloc en hauteur ne représentaient plus qu’une portion insignifiante (2,3%) alors qu’elles constituaient précédemment le quart de l'ensemble. Au Fugeret, le même schéma opère, dans des proportions plus importantes. La représentation du type maison-bloc en hauteur y est en effet passé de 33 à 5%, quand la ferme à bâtiments multiples, dans le même temps, a progressé de 61 à plus de 94%. Le schéma est bien celui d'une évolution de la ferme vers des agrandissements et des adjonctions successives au fil du temps, ce qui a tendance à faire diminuer d'autant les fermes à maison-bloc, qui changent de type.
À l'extrémité nord du territoire, à Allos, un rapport d'expertise de 1783 établi à la suite d'un incendie au hameau du Seignus mentionne que les dépendances venaient s'implanter en ligne contre les maisons-blocs, attestant là aussi l'ancienneté de ce type d'organisation. Autre exemple, la Bastide des Bourras, à La Palud-sur-Verdon, n'est pas documentée avant la période révolutionnaire, mais la lecture du bâti permet d'établir une évolution de sa composition entre le 16e siècle et l'établissement du cadastre napoléonien. Cette ferme à multiples bâtiments accolés résulte d'un processus évolutif à partir d'une maison-bloc en hauteur, datant probablement du 16e siècle, agrandie au 17e par la juxtaposition d'une dépendance agricole, puis de nouveau étendue au 18e siècle avec la construction d'un grand logis dans l'alignement, auquel s'ajoutent un colombier et une nouvelle dépendance en retour. À cette époque, l'esquisse de cour ainsi créée est probablement déjà close d'un muret sur lequel s'appuie une partie des nouveaux bâtiments. C'est cet état qui est visible sur le plan cadastral de 1835.
Même si le processus de mutation des formes par accumulation du bâti est ancien, c'est évidemment à l’époque contemporaine qu'il prend toute son ampleur. Au début du 19e siècle, une période d'essor économique entraîne la construction de nouvelles dépendances. Le phénomène s’accélère au cours de la seconde moitié du 19e siècle, alors que sévit une importante déprise agricole et que s'amorce la dépopulation due à l'exode rural, particulièrement précoce dans cette partie des Basses-Alpes. Certains propriétaires étendent leur domaine foncier en rachetant d'anciennes exploitations tombées en déshérence, ou par la mise en culture de nouvelles terres jusqu'alors laissées à l'état de landes. Les terres étant plus nombreuses, de nouveaux besoins apparaissent entraînant la création d'étables, de bergeries, de remises, ou de granges supplémentaires. Dans certains cas, la polyculture se spécialise, entraînant l’émergence de nouvelles fonctions, par exemple les pressoirs et les chais dans la région d'Entrevaux. La multiplication des dépendances, accolées ou détachées, induit un profond changement dans la morphologie des fermes. Les possibilités sont multiples : plan massé, plan en ligne ou en L, plan à bâtiments disjoints, ou parfois une combinaison de plusieurs formes.
Dans les fermes à plan massé les dépendances viennent s'accoler sur un ou plusieurs côtés du corps contenant le logis, ce qui peut entraîner des modifications profondes du bâtiment initial (obturations de baies, enveloppement d'une partie du corps de logis), donc de sa cohérence d'origine, et partant des difficultés de lisibilité. Les fermes en ligne, en revanche, manifestent une meilleure maîtrise de l'espace et du processus d'accroissement du bâti. On y observe ainsi parfois une véritable recherche de symétrie dans l'adjonction des diverses dépendances. C'est par exemple le cas de l'agrandissement de la ferme de l'Escoulaou à Castellane, après 1834. Cette ferme isolée est composée de trois bâtiments principaux, adossés à un petit talus et accolés en ligne du sud au nord, sur lesquels se greffent de petits appentis. Les bâtiments latéraux, plus hauts d'un niveau et de plan massé, couverts de toits à longs pans, flanquent le bâtiment central, bas et allongé, couvert d'un toit à pan unique. La composition en L permet d’introduire une séparation plus nette entre le logis et les dépendances agricoles, mais surtout de délimiter un espace fonctionnel - une cour - à l'avant de l'édifice.
Ferme de plan massé de type bâtiments accolés, à Fontantige (Val-de-Chalvagne). Ferme à bâtiments accolés en ligne aux Combes (Castellane).
Les fermes à bâtiments disjoints constituent un groupe disparate tant la topographie accidentée vient compliquer les possibilités d’implantation. On peut néanmoins discerner plusieurs manières différentes d'organiser les espaces libres et les circulations entre bâtiments. Dans la partie nord du territoire, à Colmars (au Bois des Espiniers, à Bla-Magnan, à Chaumie Haut) ou Allos (au Collet, à Perrière-Haute, au Brec-Bas, à Vacheresse) les fermes « alpines » n’ont souvent qu’une ou deux dépendances disjointes, implantées très près du bâtiment principal abritant le logis. Parfois, quand il n'y a qu'une seule dépendance, la position respective des deux bâtiments crée un plan masse en angle obtus. Cette disposition génère un vaste espace utile alentour, qu'aucune clôture ne vient fermer.
Dans un deuxième groupe, les dépendances plus nombreuses se distribuent de façon désordonnée autour du corps de logis. La distance entre les différents bâtiments facilite la circulation, mais il n'existe pas d'espace central unifié, surtout si les bâtiments s'étagent sur une pente. Cette disposition peut se rencontrer aussi bien au nord du territoire, comme par exemple à Méailles dans une ferme à la Combe composée de cinq bâtiments disjoints disposés en gradin et adossés à la pente, ou plus au sud, à Castellane dans une ferme au lieu dit la Lagne. L'absence d'unité spatiale peut aussi être la conséquence d'une forte contrainte comme on le voit à Tartonne, au Petit Defens, où les deux groupes de bâtiments d'une ferme se font face de part et d'autre de la route départementale. À moins qu'elle ne résulte de la possibilité de jouir d'un vaste espace comme cela semble être le cas de la ferme de Mansarret à Beauvezer où l'on dénombre plusieurs bâtiments dissociés : un fenil sur étable, une porcherie, un hangar en charpente, une remise à laquelle une bergerie moderne a été accolée, tous répartis de façon aléatoire aux abords de la maison-bloc d’origine.
Mais parfois, les dépendances permettent de définir un espace qui prend l’allure d’une cour. On l’observe dans une des fermes du hameau de la Lagne, à Castellane, où deux bâtiments séparés, implantés au nord et à l'est d'une ancienne ferme en maison-bloc, délimitent sans le clore un espace ouvert de forme triangulaire. En milieu aggloméré, les fermes doivent s'adapter à un parcellaire contraignant et la création d'une cour peut devenir une nécessité. C’est en effet dans les fermes de village que l’on peut discerner quelques amorces de cours, plus ou moins clairement délimitées. Ce phénomène est plus particulier à la zone alpine, entre les Thorame et Allos. Dans une très large portion sud du territoire, les villages sont quasiment dépourvus de fermes à bâtiments multiples. Dans les villages du nord en revanche, même si l’intrication du bâti ne facilite pas la reconstitution des unités foncières, plusieurs fermes à bâtiments disjoints sont lisibles, à Thorame Haute et Basse, La Colle-Saint-Michel, Beauvezer, Villars-Colmars et Allos.
Ferme à bâtiments accolés en L au Bois du Mèle (Allos). Plan des toitures.
Les fermes à bâtiments multiples s'organisent donc le plus souvent autour d'espaces informels qui tendent dans certains cas à la constitution d'une cour largement ouverte. Quelques rares édifices cependant présentent un plan plus abouti, avec des bâtiments alignés délimitant un quadrilatère qui peut être complété par un ou deux murs de clôture pour fermer la cour ainsi créée. La ferme des Vénières à Val-de-Chalvagne en donne un bon exemple.
4. Typologie
Quel est le paysage et la représentation des fermes en fonction de leur type dans le territoire d'enquête ? le tableau ci-dessous permet de formuler quelques observations :
- il se dégage une cohérence d'ensemble sur la prédominance de la ferme à bâtiments multiples, systématiquement supérieure à la moyenne absolue, et qui s'élève en moyenne à plus de 7 fermes sur dix ;
- ce schéma général inclut une série de variantes entre secteurs. La prépondérance de la ferme à bâtiments multiples, d'abord, affiche des niveaux différents d'un secteur à l'autre, avec un écart de 25 points entre les vallées d'Asses et le bassin du Var. Le ratio ferme en maison-bloc à terre/ferme en maison-bloc en hauteur, ensuite, est systématiquement défavorable au premier type mais dans des proportions très variables : quasi identique dans le moyen Verdon, de l'ordre de 1 pour 2 dans le haut Verdon, de 1 pour 2,5 dans les vallées d'Asses et jusqu'à 1 pour 8 dans le bassin du Var, mais l'écart était moins prononcé avant les mutations du bâti (de l'ordre de 1 pour 6, comme le repérage a permis de l'établir). Le haut Verdon s'inscrit pour sa part à peu de chose près dans la moyenne du Pays.
- Les variantes entre secteurs sur ces critères, enfin, ne dessinent pas la dynamique générale observée dans les trois secteurs méridionaux déjà constaté pour les maisons sur plusieurs critères (voir REF=IA04003146), qui progresse des vallées d'Asses jusqu'au bassin du Var en passant par le moyen Verdon. Si une logique est à l'oeuvre sur ces zones constitutives du territoire d'enquête, tous les critères retenus ne vont pas dans le même sens, et d'une famille à l'autre, on remarque quelques divergences. Cela n'empêche pas de remarquer un mouvement d'ensemble, que les différents chiffres tendent globalement à corroborer, à quelques exceptions.
type de ferme | maison-bloc à terre | maison-bloc en hauteur | ferme à bâtiments multiples, accolés et/ou disjoints |
vallées d'Asses | 11,8 | 30,1 | 58,1 |
haut Verdon | 8,2 | 15,9 | 75,9 |
moyen Verdon | 14,65 | 17,25 | 68,1 |
bassin du Var | 1,9 | 14,8 | 83,3 |
moyenne Pays | 9,15 | 19,5 | 71,35 |
III. Distribution, aménagements et fonctions
1. Les circulations
a. Les circulations dans les parties agricoles
À l'intérieur d'un même bâtiment, maison-bloc ou grange-étable, les dépendances sont généralement indépendantes les unes des autres au premier niveau. Mais il arrive parfois, lorsqu'elles se partagent un même étage de soubassement, qu'une circulation intérieure horizontale soit nécessaire pour desservir celles situées en fond de parcelle, le long du mur gouttereau semi-enterré. Ce cas de figure résulte souvent d'un processus d'agrandissement de la ferme par juxtaposition de bâtiments. À la ferme de Maladrech, à Tartonne, et à la ferme du Bouquet, à Barrême, les corps d'étables d'origine ont été doublés en largeur dans le courant du 19e siècle, avec le percement de multiples communications entre les parties anciennes et récentes. La communication entre étables peut cependant, sans aucune contrainte topographique, avoir été prévue pour faciliter le déplacement d'une étable à l'autre. C'est le cas à Castellane, à la ferme du Grand Rayaup où trois étables parallèles communiquent entre elles par une enfilade de portes intérieures.
Aux étages supérieurs, l'accès privilégié au fenil est extérieur, soit par la pente du terrain, omniprésente, soit par une porte haute indifféremment percée en gouttereau, en pignon ou les deux à la fois. Dans le haut Verdon apparaissent des lucarnes fenières sur les grands combles à forte pente. Lorsque la hauteur du fenil s'élève sur deux niveaux, la superposition de baies fenières n’est pas rare. Ce redoublement a été observé à huit reprises, dans le village de Villars-Colmars, à Chaumie Bas à Colmars, à Beauvezer et à Thorame-Haute. Parfois les deux dispositifs coexistent sur un même bâtiment. La porte haute peut être équipée d’une plate-forme en bois escamotable, pour faciliter la réception des balles. Une poulie fixée au-dessus de la baie permet le levage. Les ponceaux ou levées de terre pour desservir le fenil, fréquents dans les fermes d'Allos, deviennent beaucoup plus rares sur le reste du territoire. Dans une variante observée dans le haut Verdon, une passerelle de bois, légèrement inclinée, franchit une sorte de fossé venant interrompre la pente naturelle du terrain.
L'accès intérieur au fenil, lorsqu'il existe, s’effectue par l'escalier principal desservant le logis ou par un escalier secondaire partant d'une pièce de l'avant-dernier niveau. Quand le fenil est situé dans une dépendance, la circulation est assurée par une échelle.
En général les parties agricoles ne communiquent pas directement avec les pièces du logis. Cependant, une liaison peut exister dans les blocs à terre ou les blocs composites lorsque le logis voisine avec une partie agricole. En premier niveau une porte ménagera alors un passage entre la pièce commune et l'étable. Très fréquemment cependant, lorsque l’étable dispose d’une porte intérieure, celle-ci ouvre non pas sur une pièce domestique, mais sur l’escalier de distribution menant aux étages ou sur un vestibule. À un niveau supérieur, la liaison se fera entre une pièce du logis et le fenil ou le séchoir. Cette disposition, très fréquente dans les fermes allossardes où elle fait communiquer logis et fenil au deuxième niveau, se rencontre souvent dans la vallée de l'Asse de Clumanc, à La Palud-sur-Verdon, Castellet-lès-Sausses et Braux, ainsi que très ponctuellement dans le haut Verdon.
b. L’accès et la circulation dans le logis
Les modes d'accès au logis varient en fonction de la topographie et du type d'organisation relative des fonctions agricoles et domestiques. Dans un bloc à terre, l'accès principal se fait évidemment de plain-pied et les variantes n'interviennent que dans l'emplacement et la forme de l'escalier intérieur menant à l'étage. Dans les fermes où le logis est compris dans un bloc en hauteur, on accède dans un peu plus de la moitié des cas à celui-ci par un escalier de distribution extérieur implanté le plus souvent parallèlement à la façade. L’escalier extérieur peut présenter une mise en œuvre soignée avec des marches en pierre de taille ou à défaut en maçonnerie couverte de dalles de pierre. Parfois dans la zone sud, à Val-de-Chalvagne, Sausses, Saint-Pierre ou La Palud-sur-Verdon, il se termine par un repos couvert d’un toit en appentis sur piliers de pierre ou de bois formant un porche abrité devant l’entrée du logis. Ce dispositif peut varier d’une ferme à l’autre : soit le repos couvre simplement le massif de maçonnerie, soit une logette voûtée est aménagée sous l’escalier pour servir à de multiples usages (bûcher, débarras, porcherie…).
Le repérage n'a pas toujours permis l'accès au logis. Quelque 170 fermes ont ainsi pu être intégralement visitées. Les remarques qui vont suivre extrapolent donc les observations et analyses effectuées à partir d'un corpus réduit. Une fois franchie la porte donnant sur l’extérieur, quatre variantes distributives interviennent. Dans la première, un vestibule forme un espace intermédiaire qui dessert en fond de parcelle l’escalier menant à l’étage et donne accès latéralement à une ou plusieurs pièces : dépendances agricoles dans les blocs en hauteur (étable, cellier, resserre), principale pièce du logis et étable dans les blocs à terre. Ces vestibules, très étroits dans la plupart des cas, dépassant rarement le débattement de la porte, peuvent devenir des pièces à part entière dans les fermes de maître et les quelques fermes de notable du Plan de la Palud à Castellane. Dans la deuxième variante, majoritaire, la porte extérieure donne directement dans la cage de l’escalier. Cette configuration ne semble pas avoir d’influence sur la forme de l’organe de distribution, celle-ci s’équilibrant globalement entre escalier droit et escalier tournant, surtout en cas d’implantation latérale. Dans les deux derniers groupes, une pièce du logis, en général la salle commune, occupe l'étage et l’escalier tournant, précédé d’un couloir, prend son départ tantôt en milieu, tantôt en fond de parcelle.
Ferme dite de Bla Magnan (Colmars). Escalier dans-oeuvre de forme droite, puis tournante.
Les escaliers sont construits en maçonnerie légère de chaux et de plâtre sur une structure en bois, dans des cages fermées aux murs enduits et peints. La mise en œuvre des marches fait souvent l’objet d’un certain soin dans la section de l’escalier qui dessert les étages d’habitation : contremarches façonnées au mortier quand elles ne sont pas en bois, marches carrelées de terre cuite avec nez de marche en bois. Il arrive assez fréquemment que la marche d’appel soit en pierre de taille. Rare dans les fermes paysannes, la rampe devient plus fréquente dans les fermes de notables, sous forme d’un barreaudage droit, en bois ou en fer forgé.
2. Le logis, aménagements intérieurs et dépendances domestiques
Les pièces du logis présentent de faibles hauteurs sous plafond et des surfaces qui ne dépassent en général pas 30 m². L’exiguïté du volume intérieur associée à l’étroitesse des fenêtres permet d’y maintenir une température supportable en toutes saisons. Le nombre de pièces varie en fonction du niveau social du propriétaire et de l’étendue de la famille. Les fermes paysannes comptent tout au plus deux ou trois chambres ; en revanche, les fermes de maître (voir ci-dessous IV./1.) autour de Castellane, de Val-de-Chalvagne et d’Entrevaux peuvent comporter jusqu’à huit chambres, certaines équipées de cheminées.
L’aménagement des pièces ne présente pas de grandes différences avec celles d’une maison de village. Le sol du logis est généralement carrelé avec des mallons en terre cuite rectangulaires ou carrés de dix-sept à dix-huit centimètres de côté. Les tomettes sont fréquentes de La Palud-sur-Verdon à Saint-Pierre, dans un vaste arc sud qui remonte au-dessus d'Annot jusqu'à Méailles. Les dallages ou pavements de pierre, beaucoup plus rares, subsistent dans quelques fermes du Fugeret et de Rougon (vestibule de la Bastide de Bau), à La Rochette, à Entrevaux. Dans la zone alpine, on voit apparaître des planchers rustiques, le plus souvent en mélèze, pour atténuer la sensation du froid. Plusieurs exemples isolés ont été observés dans le haut Verdon : dans le hameau d’Ondres à Thorame-Haute, dans le hameau de Chasse à Villars-Colmars, à la ferme de Bla-Magnan à Colmars ou encore au Fugeret, dans le hameau de Chabrières. À partir d’Allos, leur usage devient systématique. À la fin du 19e et au début du 20e siècles apparaissent les carreaux industriels, en ciment, ornés de motifs colorés. Les murs des pièces d’habitation sont parés d’un enduit lisse réalisé au plâtre, puis badigeonnés à la chaux blanche ou colorée au moyen de pigments. Un bandeau de couleur plus sombre, brun, noir, rouge foncé, disposé en partie basse, simule une plinthe.
La plus grande pièce du logis fait office de cuisine et de salle commune et constitue le cœur de l’habitation, seule pièce des fermes paysannes équipée d’une cheminée sans piédroits. L’apparition du poêle à bois en fonte, plus efficace pour l'extraction de la fumée et la diffusion de la chaleur, n’intervint pas avant la seconde moitié du 19e siècle, suivi d’une généralisation progressive au tournant du siècle suivant. À proximité de la cheminée, un placard-niche permet de conserver les huiles à l’abri du gel. Un potager équipé d’un ou plusieurs foyers avec cendriers complète l’ensemble et prend presque toujours place dans le prolongement de la cheminée d’où sont collectées les braises. Fréquemment bâti en maçonnerie, le potager peut être couvert de carreaux en terre cuite parfois vernissée, de couleur brun rouge ou rouge orangé. C’est dans la partie sud, autour d’Entrevaux, Val-de-Chalvagne, La Palud-sur-Verdon, qu’ils semblent avoir été les plus nombreux, ou les mieux épargnés par les réaménagements modernes. Quelques éléments de mobilier intégrés accompagnent l'aménagement des lieux : évier en pierre de taille monolithe relié à une canalisation en terre-cuite destinée à évacuer l’eau vers l’extérieur, au droit de la façade ; resserre à provisions à l'arrière ; placards muraux. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la diffusion du confort moderne a bien souvent entraîné un réagencement de la salle commune : remplacement des sols traditionnels par du carrelage moderne, des éviers en pierre par des modèles en ciment émaillé et des poêles en fonte, qui équipaient les cheminées depuis la seconde moitié du 19e siècle, par des cuisinières.
Ferme dite de la Coulette (Senez). Salle commune avec cuisine (état en 2017).
Le puits, le lavoir et le four, indispensables au fonctionnement de la ferme, sont généralement situés dans la cour ou à proximité immédiate du corps de logis. À l’image du four à pain collectif, le four de ferme est construit dans un bâtiment dédié, accolé ou disjoint du corps de logis pour limiter les risques d'incendie, mais suffisamment proche pour en faciliter l'usage, en général à quelques mètres de la porte du logis. Sa présence dans une ferme n'est toutefois pas systématique : le four individuel est souvent lis à l'isolement de la ferme ou à une volonté de s’affranchir de la contrainte du tour de cuisage imposé par la collectivité.
Ferme dite du Gros Jas, au Poil (enclave de Senez). Le puits et l'entrée de la cour intérieure.
3. Les dépendances agricoles
a. Etables et bergeries
Les dépendances destinées à recevoir du bétail se singularisent par la diversité de leur couvrement et de leurs aménagements.
Le territoire affiche de fortes disparités en matière de couvrement. L'emploi de la voûte pour le couvrement des étables et bergeries, se renforce d'ouest en est sur le territoire. Quasi inexistant dans les vallées d’Asses, il devient graduellement plus fréquent dans le moyen Verdon, puis dans le haut Verdon. En cela, les fermes s'inscrivent dans le même schéma que celui observé pour les maisons (voir REF=IA04003146). Dans le secteur sud-est, entre Méailles, Saint-Pierre et Ubraye, la voûte couvre un peu moins de la moitié des étables, alors qu'à Entrevaux 65% des fermes ont une dépendance voûtée. La répartition des formes de voûte évolue quant à elle du sud au nord du territoire. La voûte en berceau segmentaire, la plus fréquente toutes zones confondues, domine autour d'Entrevaux, La Rochette et Val-de-Chalvagne mais devient nettement moins prédominante au nord de ce secteur et autour d'Annot. Encore majoritaire dans le moyen Verdon, elle cède le rang aux voûtes en berceau plein cintre et aux voûtes d’arêtes dans le haut Verdon.
Ferme de la Cébière (Castellane). Etable voûtée d'arêtes avec retombée sur pilier central.
Étable et bergerie, situées le plus souvent en étage de soubassement, ont un sol en terre battue et des murs non enduits avec parfois des traces du lait de chaux utilisé pour désinfecter les lieux. Parfois la dépendance dédiée au bétail associe la fonction d’étable à mulet à celle de bergerie, ou d'étable à bovin, en regroupant dans un même espace les aménagements afférents à chaque catégorie d’animal. L’étable à vache se distingue par la présence d'une marche empierrée d'une quinzaine de cm de haut qui s'étend devant les crèches et d'une rigole creusée dans le sol pour faciliter l’évacuation des déjections et maintenir une litière fraîche aux animaux.
Les crèches alignées le long des murs sont constituées de bahuts en maçonnerie sur lesquels sont scellées des râteliers en bois, ou des planches sur chant. Les râteliers à longs barreaux droit pour le gros bétail, à petits barreaux plats et échancrés pour les ovins sont alimentés par des trappes d'abat-foin depuis le fenil à l'étage supérieur. Dans les étables plafonnées surmontées d'un fenil, ces abat-foins traversent directement le plafond de l'étable. Si le logis s'intercale entre l'étable et le fenil ou si l'étable est voûtée, l'abat-foin prend la forme d'un conduit en maçonnerie construit dans l'épaisseur des murs latéraux ou adossé à ceux-ci. Ainsi à la ferme Bla-Magnan, à Colmars, deux abat-foins en saillie des murs traversent une chambre située au-dessus de l'étable.
Dans quatre fermes du haut Verdon, à Thorame-Basse, Thorame-Haute et Beauvezer, une pièce du logis appelée "pasturière", sorte de sas entre le fenil et l’étable, sert à entreposer une quantité de foin suffisante pour plusieurs jours, permettant ainsi de ne pas aller chercher quotidiennement la ration nécessaire dans le fenil. Des témoignages oraux en font état également dans les fermes du village d’Allos, sous l’appellation homophonique de "pastoulière". Le dispositif existe aussi plus au nord, dans la vallée de l’Ubaye. Plus au sud, la ferme de la Cébière, à Castellane, qui présente plusieurs caractéristiques liées au haut Verdon, dispose d’une variante de la "pasturière". Il s’agit d’un vaste fenil bas situé entre le haut fenil et les étables qu’on appelle localement le "mesclié", qui correspond à un espace intermédiaire où l’on mêlait la paille au regain, voire au grain, avant de distribuer progressivement le mélange dans les mangeoires au moyen d’abat-foin.
La bergerie se caractérise par son plan rectangulaire dont les dimensions varient en fonction de l’importance du troupeau ; les plus grandes, la Baragna à Beauvezer et le Jas à Castellane, dépassent les vingt mètres de long. Dans certaines bergeries, le vaisseau peut être partitionné pour isoler les agneaux ou les bêtes malades du reste du troupeau. La porte d'entrée à double vantaux réduit l’engorgement de l’accès lors du déplacement du troupeau. La partie haute d'un vantail équipée d'un panneau mobile permet d'éclairer et d'aérer la pièce. Afin d’améliorer la circulation de l’air, des jours, le plus souvent en forme de fente droite ou oblique pour limiter la pénétration du vent, sont répartis dans les murs.
Ferme dite Bastide de Bourras (La Palud-sur-Verdon). Bergerie.
b. Fenil
Le fenil occupe généralement tout ou partie de l'étage carré et le comble. À l’exception du hangar-fenil dont l’apparition remonte au début du 20e siècle, très peu de bâtiments indépendants sont entièrement voués à cette seule fonction. La ventilation du lieu, indispensable pour éviter le pourrissement du foin ou de la paille, est assurée par des évents, par d'étroits jours verticaux disposés en périphérie pour créer un courant d’air ou encore par des essentages de planches à claire-voie. Le volume du fenil fluctue en fonction de l’étendue du cheptel et du climat. Dans le nord, certains fenils occupent souvent un volume important correspondant à plusieurs niveaux d'élévation. Dans ce cas, un réseau de planches mobiles disposées à mi-hauteur permet de faciliter les déplacements et le stockage.
Le fenil étant dépourvu de tout aménagement intérieur fixe et par là même, propice à une grande modularité de ses espaces, il peut, selon les besoins, être en partie utilisé pour y entreposer les récoltes ou les faire sécher puisque le local est suffisamment ventilé. Ce détournement est fréquent dans les secteurs de la partie méridionale pratiquant la culture des fruits. Dans la haute vallée du Var, on l’utilise pour le stockage des olives après la récolte, dans le moyen Verdon on y installe des claies pour y faire sécher des prunes, et il n’est pas impossible que dans le secteur d’Annot on y ait déposé des châtaignes. Ces pratiques ne nécessitant pas d’installations pérennes, il est difficile de quantifier le phénomène.
Ferme à Bouchier (Allos). Grange (fenil) à deux niveaux.
c. Séchoir
Les séchoirs, aménagés au dernier niveau d'une dépendance, sont reconnaissables au nombre et à l’amplitude de leurs ouvertures. Présents sur tout le territoire, ils sont particulièrement nombreux dans la partie méridionale et dans les zones de culture fruitière. Selon le fruit qu'on y dépose, le séchoir peut être entièrement ouvert pour associer l'action du soleil à celle de l'air, ou fermé lorsque la lumière risquerait de dénaturer le produit. Ainsi, les ouvertures, aménagées sur les quatre côtés afin d'optimiser la ventilation, s'échelonnent du simple jour, en passant par l’oculus, jusqu'à la baie rectangulaire horizontale ou verticale disposée en série dont on peut voir quelques exemples à Clumanc dans une ferme à Valaury, à Senez au Riou d'Ourgeas ou à Chaudon-Norante à l’Amata et aux Granges. Ce dispositif adapté au séchage de la prune est également fréquent autour de Castellane.
d. Porcherie
La porcherie peut occuper un bâtiment isolé ou l’étage inférieur d’une dépendance, en général une étable. À Senez, la ferme des Pointus possède une porcherie en soubassement du logis, comprenant quatre loges à cochons perpendiculaires au mur gouttereau, percé de quatre volets de bois qui permettent d’alimenter les auges depuis l’extérieur. L’auge en maçonnerie est généralement de forme rectangulaire, mais il en existe aussi de forme circulaire, creusées dans le sol comme à la ferme des Pointus. Certaines auges sont façonnées dans un tronc d’arbre évidé ou modelées en terre cuite. À Entrevaux, à la ferme de Bas-Bayons, et à Clumanc, dans une ferme de Douroulles, les auges en terre cuite vernissées sont encastrées dans un relief en maçonnerie.
Auge en terre cuite dans une porcherie à Douroulles (Clumanc).
e. Cellier
Dans la partie sud du territoire où était cultivée la vigne, autour de Castellane dans le quartier du Plan de la Palud, à Val-de-Chalvagne, à Annot et surtout à Entrevaux, quelques fermes conservent des celliers et des aménagements liés à la fabrication du vin. Les celliers voûtés, construits en étage de soubassement, abritent des cuves destinées au foulage du raisin et à la fermentation du jus. Dans la quasi-totalité des celliers visités, les cuves, rectangulaires ou circulaires, sont en maçonnerie plus ou moins enduite.
Des pièces attenantes servent de chais, grâce à des banquettes maçonnées sur lesquelles sont entreposés des tonneaux. À Entrevaux, la Bastide du Prévôt est l'une des rares fermes à avoir conservé la plupart de ses installations liées à la viticulture. Le cellier en étage de soubassement abrite les cuves et les tonneaux. À la Bastide de Bau (Rougon), des rigoles creusées dans les murs du cellier faisaient circuler de l'eau en permanence pour maintenir une atmosphère fraîche favorable au veillissement du vin. Un dispositif similaire existe dans le cellier de l’ancien palais épiscopal d'Entrevaux.
Ferme dite Bastide du Prévôt au Chaudan (Entrevaux). Cellier avec cuve à vin maçonnée.
f. Pigeonniers et colombiers
Pigeonniers et colombiers sont présents dans un peu plus de 10% des fermes, surtout dans la partie méridionale du pays. Ils deviennent plus rares sur les contreforts alpins et se limitent à quelques occurrences dans le haut Verdon.
Les pigeonniers, presque toujours orientés au sud, occupent une partie de bâtiment, en général une petite pièce aménagée dans le comble d’un corps de logis ou d’une dépendance agricole. Il ne se signalent à l’attention que par leur baie d'envol, une grille généralement carrée, d’environ cinquante centimètres de côté, en plâtre ou en bois, encadrée par une ou plusieurs rangées de carreaux en céramique glaçurée, pour empêcher l’intrusion de rongeurs. Ils ne remontent pas forcément à la construction du bâtiment qui les abrite mais on peut toutefois estimer que certains étaient en place dès le 17e siècle.
Les colombiers sont des bâtiments autonomes, en forme de tour, compris dans les dépendances agricoles d'une ferme ou isolés dans la campagne. La vingtaine de colombiers recensée se répartit dans le moyen Verdon entre La Palud-sur-Verdon et Castellane et dans la haute vallée du Var, autour d'Entrevaux et Annot. Trois colombiers seulement sont situés dans le nord du territoire (à Chabrières sur la commune du Fugeret, à Château-Garnier, commune de Thorame-Haute, et au Villard Haut, commune d'Allos) et un seul dans les vallées d’Asses, à la Bourgea, commune de Chaudon-Norante.
À l’intérieur des pigeonniers et colombiers, les plus grands nichoirs contiennent plus d'une centaine de niches. Les boulins, parfois aménagés dans l’épaisseur de la maçonnerie au cours de la construction, sont le plus souvent fabriqués en série à partir d'éléments en bois, en terre cuite ou en plâtre, produits à l'aide de gabarits, puis assemblés les uns aux autres. En d'autres cas, des matériaux de construction sont détournés de leur usage pour construire les niches : mallons, briques ou tuiles creuses. A l’occasion, des paniers en osier suspendus sont utilisés en guise de nichoirs.
Les grilles d’envol concentrent presque systématiquement les rares efforts décoratifs apportés à la mise en œuvre du bâti agricole. Les couleurs des carreaux de céramique qui les entourent constituent déjà en eux-mêmes un premier effet décoratif en apportant une note colorée et vive sur les murs enduits. Les trous d’envol de la grille elle-même, découpés dans le bois ou façonnés dans le mortier, prennent souvent des formes décoratives, essentiellement le cœur et l’étoile.
Colombier dans une ferme au Plan de la Palud (Castellane). Val-de-Chalvagne. Ferme à Fontantige. Baie et grille d'envol d'un pigeonnier.
IV. Deux catégories complémentaires de fermes dans le Pays
1. La ferme de maître, bourgeoise et seigneuriale
Les fermes de maître ne constituent pas à proprement parler une famille typologique mais plutôt un groupe d’édifices réunis par le statut de leurs propriétaires. Construits par des notables laïques ou religieux comme l’évêque d’Entrevaux, le seigneur d’Eoulx ou de grands bourgeois de Castellane, ils ont en commun l’ampleur de leurs volumes, témoignant d’une capacité de production plus élevée que celles des fermes paysannes, et aussi une volonté de traduire cette puissance dans la mise en œuvre de l’architecture des bâtiments. Pour la plupart, les édifices actuels remontent au 18e siècle, même si quelques-uns peuvent avoir une origine plus ancienne. Certains ont connu des campagnes d’agrandissement au 19e siècle qui ont respecté leur caractère d’origine.
Tenter une différenciation entre les fermes construites par des seigneurs locaux et les fermes de notables n’apparaît pas pertinent. Ces fermes sont situées dans la partie sud du pays, autour de Castellane, de La Palud-sur-Verdon et d’Entrevaux. Plusieurs d’entre elles, très massives avec une surface au sol qui peut approcher 400m², sont composées d’une maison de maître au volume imposant et de plusieurs dépendances ; d'autres, plus modestes, d'un unique bâtiment de forme allongée dans lequel sont regroupées l'ensemble des fonctions. Toutes sont implantées en milieu isolé, au sein des terres agricoles qui constituent l'exploitation. Leur capacité de production apparaît dans le nombre et le volume des dépendances agricoles. Celles-ci occupent le plus souvent une partie importante du corps de logis, mais également plusieurs bâtiments accolés ou disjoints, s’élevant sur deux ou trois niveaux, comme à la ferme du Petit Château, sur la commune de Val-de-Chalvagne, ancienne ferme seigneuriale dont l’origine pourrait remonter au 16e siècle.
Les fermes de maître, et particulièrement les fermes seigneuriales, se distinguent par la mise en œuvre de l’architecture de leurs bâtiments. Contrairement aux fermes paysannes dont la construction, réalisée à partir de moellons grossièrement équarris et disposés de façon désordonnée, affiche une certaine rusticité, elles se caractérisent en général par une mise en œuvre plus soignée intégrant de nombreux éléments en pierre de taille, et une maçonnerie plus régulière en moellon assisé. La pierre de taille est présente sur toutes les fermes de maître mais son emploi varie d'un édifice à l'autre. À la Bastide de Bau, à Rougon, ancienne ferme de maître reconstruite au 18e siècle, la pierre de taille calcaire est d'abord employée en solin dans la partie basse du corps de logis pour asseoir le bâtiment et souligner la façade. Son usage est ensuite restreint aux encadrements des baies et il faut supposer que le bâtiment, qui laisse aujourd'hui apparente sa maçonnerie de moellons de calcaire, était enduit à l'origine. L'utilisation différenciée de la pierre de taille en encadrement crée une hiérarchie entre les niveaux. Dans d’autres fermes le calcaire taillé n’est employé que pour les encadrements des baies, et seulement au niveau inférieur du corps de logis. Ainsi à la ferme du Château à Castellane, dont la construction remonte probablement à la seconde moitié du 18e siècle.
Ferme dite Bastide de Bau (Rougon). Vue d'ensemble prise du sud.
Au-delà de ces caractères communs, les fermes de maître présentent dans leur ensemble des schémas de composition variés. Certaines sont en maison-bloc à terre avec un plan rectangulaire très étiré, comme à la ferme du Grand Rayaup, construite en 1779 au lieu-dit le Rillaud, à Castellane. D’autres, à bâtiments accolés, ont une composition en ligne, ainsi à Castellane la ferme du Château au Plan de la Palud, constituée d'un corps de logis accolé à une étable avec fenil, ou encore à Val-de-Chalvagne la ferme du Petit Château formée d’un corps de logis et de deux dépendances accolées d’est en ouest, auxquelles une troisième a été adjointe au cours du 19e siècle. Enfin, quelques fermes présentent également dès l’origine un ou plusieurs bâtiment disjoints (Bastide de Bau déjà citée, Bastide Raybaud, à Entrevaux).
La distribution du logis souligne également le caractère aristocratique de la résidence. L’escalier occupe le centre du bâtiment et distribue de part et d’autre des pièces d’habitation. À la Bastide du Prévôt (Entrevaux), l'entrée principale débouche sur un vestibule couvert en berceau segmentaire d'où part l’escalier distribuant deux chambres par étage, orientées au sud, dont certaines sont équipées de cheminées. Les sols sont en carreaux de terre cuite posés en chevron.
Les abords de la maison de maître bénéficient d’un traitement soigné et d’espaces aménagés pour l’agrément. À la Bastide Raybaud, un jardin clos en terrasses s'étend en contrebas de la façade d'agrément qui domine le Var. Outre les questions de mise en œuvre architecturale et de distribution, certains décors, certaines techniques s’observent d’une ferme de maître à l’autre, dessinant un corpus plus ou moins homogène, même s’il faut se garder d’essentialiser les formes et les motifs, qui dépassent les appartenances sociales strictes.
Les fermes de production ont des dimensions plus réduites. Les fermes du Grand Rayaup à Castellane, du Coulet à Val-de-Chalvagne, du Jas de Barbin à La Palud-sur-Verdon font partie des rares maisons-blocs à terre n’ayant subi aucune dénaturation au fil du temps. Les volumes affichent une régularité presque géométrique, sur deux niveaux ; le logis aménagé à l’extrémité occupe environ un quart de la surface du bâtiment. Les murs présentent une construction soignée avec une maçonnerie en moellon organisée en assises régulières. Bien que leur architecture soit plus modeste, ces fermes conservent les mêmes marqueurs architecturaux que les autres fermes de maître : chaînages et encadrements en pierre de taille calcaire, linteaux en arc segmentaire. La distribution et les circulations dans les parties agricoles sont optimisées pour valoriser la production.
2. La ferme alpine
On l’a vu, la forme des toitures et les matériaux de couverture dessinent entre l’architecture provençale et l’architecture alpine une limite qui, à partir de la haute vallée de la Vaïre, passe au sud du plateau de la Colle-Saint-Michel et remonte vers le nord en excluant la commune de Thorame-Basse. Au nord de cette limite prédomine un type alpin qui n’est pas seulement caractérisé par la pente et la nature des matériaux de couverture.
Implantées en majorité dans les hameaux et parfois dans les villages, les fermes présentent de gros volumes massés sous des toitures à forte pente (environ 45°). Les toits à longs pans peuvent être munis de croupes ou de demi-croupes, en particulier dans les communes de Colmars et d'Allos. Actuellement la tôle ondulée et le bac acier ont presque partout remplacé le matériau de couverture d'origine. Il s'agissait surtout de planches de mélèze, comme on en rencontre encore fréquemment dans le nord de la vallée de la Vaïre. Il est possible également que plusieurs toitures aient été originellement couvertes de chaume de seigle, comme à Braux, au Fugeret ou encore dans l'Embrunais voisin et la Vallouise.
Allos (le Villard Haut). Fermes avec toits en croupe et demi-croupe.
À Allos surtout, la partie supérieure des murs pignons est fermée par des planches verticales non jointives permettant de laisser circuler l’air dans le comble. Les accès aux fenils se font en majorité par des portes hautes en pignon, parfois superposées, et on observe l’apparition sur les longs pans de lucarnes fenières, inconnues dans le sud du territoire.
Les compositions d'ensemble se partagent en proportion à peu près égale entre les fermes en maison-bloc en hauteur, les fermes à bâtiments accolés et les fermes à bâtiments disjoints, ces deux dernières catégories possédant pratiquement toujours un noyau primitif en maison-bloc en hauteur qui superpose sur au moins trois niveaux l'étable, le logis et la grange/fenil. Les dépendances se répartissent entre de vastes fenils sur étables ou sur bergeries, dont la taille peut varier de 50 à plus de 100 m², et des bâtiments plus modestes, hangars en charpente, bûchers, porcheries et souvent fours à pain. Les façades sont généralement en mur gouttereau. À Allos cependant plusieurs fermes présentent une large façade en pignon afin de profiter de son exposition lorsqu’il est orienté au sud.
Ferme des Bois à Vacheresse (Allos) : les deux bâtiments sont juxtaposés.
Sur les 147 fermes repérées à Allos lors de l'enquête, seulement 22, soit 15% de l'ensemble, possédaient une ou plusieurs étables voûtées, en berceau ou d'arêtes. Mais ces données doivent être relativisées car les intérieurs n'ont pu être visités que dans le quart des édifices d'Allos. Les rares étables voûtées recensées dans la zone alpine ont des voûtes d'arêtes retombant sur un ou plusieurs piliers de pierre. Ainsi une ferme remarquable au Chauvet, démolie en 2004, comportait en soubassement une bergerie de plus de 16 mètres de long, voûtée d'arêtes sur quatre travées. Les voûtes retombaient sur quatre piles quadrangulaires monolithes dont l’une portait la date 1858 inscrite sur le tailloir. Dans les fermes à étables plafonnées, une couche de terre disposée entre le plafond de l’étable et le plancher du logis assure l’isolation de ce dernier.
Ferme à Chauvet (Allos). Bergerie voûtée d'arêtes sur quatre travées.
Au sud de la commune d’Allos, la séparation des fonctions étage par étage reste stricte. C’est à Clignon Haut et à la Sagne, sur la commune de Colmars, qu’apparaissent probablement les deux premiers exemples de juxtaposition au deuxième niveau du logis et d’une grange, juxtaposition qui devient fréquente dans les fermes allossardes.
Dans un peu moins de la moitié des fermes allossardes, le deuxième niveau se partage entre le logis et le fenil, les deux parties communiquant entre elles par une porte intérieure. Cette disposition rappelle celle de quelques maisons-blocs composites recensées ponctuellement dans la partie sud du territoire. La juxtaposition du logis et du fenil sur le même niveau, avec communication entre les deux parties, est attestée à la fin du 18e siècle dans le rapport d'expertise qui suivit l'incendie des maisons du hameau de Seignus le 30 septembre 1782. Lorsqu’elle n’est pas de plain-pied, on accède à la "souste" (partie du fenil servant à battre le grain à l'abri des intempéries) à l’arrière des bâtiments par une grande porte charretière précédée d’un ponceau en bois (appelé aussi "pontin") ou d’un remblai en terre, selon une disposition qui se rencontre partout dans le nord des Hautes-Alpes où le battage s'effectuait aussi dans la partie antérieure de la grange. Le fenil, appelé localement "grange" ou "carré", occupe la plupart du temps deux niveaux jusque dans le comble. Dans le cas contraire, un deuxième fenil occupe le comble sur toute la longueur du bâtiment, y compris au-dessus du logis.
Allos (le Brec Bas). Ferme avec ponceau et lucarne d'accès à la grange. État en 2018.
L'accès au logis des fermes alpines constitue un caractère typologique marquant, comme l'ont déjà démontré les études sur l'architecture rurale des Hautes-Alpes. À l'intérieur du groupe des cinq communes les plus septentrionales du territoire d'étude, les modes d'accès au logis répondent à trois modèles. Le premier, présent dans 45% des cas, ne comprend qu'une desserte par un escalier de distribution extérieur, le plus souvent parallèle à la façade. À Thorame et Beauvezer, l'escalier extérieur est toujours en maçonnerie et c'est à partir de Colmars et Villars-Colmars qu'apparaissent de rares escaliers extérieurs en bois qui deviennent systématiques à Allos. Dans les deux autres groupes, équivalents en nombre, le logis est desservi tantôt par un unique escalier dans-œuvre, tantôt par deux escaliers, intérieur et extérieur. À Allos, les escaliers dans-œuvre sont aménagés en façade, dans un petit vestibule étroit, espace très réduit correspondant au débattement de la porte d’entrée, parfois à peine plus grand. Le vestibule donne également accès aux parties agricoles du premier niveau, étable ou cellier.
Le territoire d'Allos constitue la limite sud de l’aire de diffusion des fermes à coursière, type qui s’étend de la Vallouise à l'Embrunais, le long de la vallée de la Durance et où tous les niveaux des maisons-blocs en hauteur sont desservis par l'extérieur, au moyen d'échelles reliant des coursières supportées par des consoles en bois ou des arcades maçonnées. Annoncé par quelques cas isolés à Colmars (notamment au hameau de Clignon Haut), Beauvezer et Thorame-Haute, le modèle se rencontre dans 79% des fermes repérées sur la commune d'Allos.
Les fermes à coursière rencontrées au sud de cette commune dessinent une subtile transition vers leurs équivalentes allossardes. Elles obéissent à une organisation plus simple et n’ont pas de dépendance supplémentaire, si l’on excepte le cas de la ferme Jaume à Thorame-Haute qui possède une remise d'aire à fouler, un four à pain et un puits. Dans chaque ferme, la coursière longe uniquement le mur gouttereau de la façade, surplombant la porte d’étable, et ne se poursuit jamais sur un mur pignon. L’accès à la coursière se fait soit par la pente du terrain, soit par un escalier. À l’inverse de ce qui devient une règle à Allos, les escaliers ne sont pas systématiquement en bois.
Dans un tiers des fermes allossardes à coursière, l'accès au logis est double, à la fois par la coursière et par un escalier dans-œuvre, selon un système que l'on rencontre parfois aussi dans les Hautes-Alpes, mais avec une mise en œuvre différente. À Allos, les escaliers intérieurs sont très modestes, en bois ou en mélange de bois et de maçonnerie, alors qu'en Vallouise et en Embrunais ils adoptent des formes savantes et une mise en œuvre en pierre. Les coursières peuvent longer deux, voire trois élévations.
Des avant-toits largement débordants, parfois supportés de place en place par des poteaux, protègent les coursières des intempéries. Dans trois fermes d’Allos, deux au Villard Bas et une au Brec Bas, une extrémité de la coursière, entièrement cloisonnée de planches, forme une petite pièce sur le balcon. Faute d'avoir pu y accéder, l’usage de ces petits espaces clos demeure inconnu. Des aménagements similaires, fréquents dans les Hautes-Alpes, servaient de réserves à provisions.
Ferme à Colmars (Clignon Haut), avec coursière protégée par le toit à égoût retroussé.
V. Les adaptations du modèle vernaculaire : la ferme moderne
1. L'évolution du contexte économique
La modernisation de l'agriculture, dès l'après Première Guerre mondiale, mais qui accélère au sortir du deuxième conflit mondial, entraîne une rupture avec les codes jusqu'alors en vigueur de l'architecture vernaculaire. Pour répondre aux nouvelles exigences, la ferme - et à travers elle l'exploitation agricole - doit s'adapter. De fait, malgré quelques signes avant-courriers, l'inflexion décisive sur le plan architectural et organisationnel s'inscrit dans le sillage des mutations économiques vers le productivisme (plan Monnet de 1946), une politique volontariste et protectionniste pilotée au plus haut sommet de l’État, et plus largement par le biais de la construction européenne (PAC). S'ajoute au volet institutionnel (économique et politique) le volet technologique, à travers l'accent mis sur les évolutions techniques, portées par le machinisme agricole, les nouvelles possibilités offertes par la chimie (engrais) et la biologie (croisements de races pour améliorer les revenus induits par l’élevage), mais aussi le souhait de disposer de bâtiments plus vastes et plus conformes aux nouveaux standards sanitaires. Le monde agricole bascule alors dans une nouvelle ère, qui se traduit sur le plan architectural par une double évolution de la ferme dans le Pays. Ce virage radical s'effectue aussi en lien avec la mutation d'une économie agropastorale équilibrée vers une spécialisation dans l'élevage ovin exclusif.
2. Les deux types de la ferme moderne
a. Agrandir l'existant
Le premier mode d'adaptation passe par l'accroissement du bâti fonctionnel à partir de ce qui est déjà à disposition : adjonctions, exhaussements des dépendances pour augmenter les volumes de stockage, notamment en fourrage, comme dans une ferme au Dégoutail à Senez. Pour ce faire, on recourt non plus aux matériaux traditionnels, mais aux matériaux modernes dont le parpaing artisanal puis de béton constitue l'élément principal pour la maçonnerie. Toutefois, l’agrandissement par adjonction dissociée du corps principal est sans doute plus fréquent car, lorsqu'on possède le foncier, il est plus aisé de construire à côté que de modifier ce qui est déjà en place. Se développent ainsi les dépendances disjointes, dont l'ensemble dit Bastide de Plan d'Asse à Blieux, et dans une version plus organisée, la ferme Simian dans l'écart de Château-Garnier, à Thorame-Basse. Dans le premier cas, le corps principal daté de la fin du 18e siècle a été complété par une succession de dépendances de plus en plus volumineuses et spécialisées, inscrites dans le sens de la pente, depuis l'appentis sur poteaux en bois jusqu'au hangar agricole servant de remise au gros matériel et à la vaste bergerie (350 m2), ces deux derniers bâtiments étant construits sur une ossature métallique avec du parpaing de béton en remplage. L'évolution de l'exploitation vers l'élevage ovin extensif apparaît ainsi très clairement. A la ferme Simian la distribution, pensée dans sa globalité, répond à des exigences d'efficacité contemporaines (dans la seconde moitié du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui). Si le corps de logis a été conservé, toute la partie fonctionnelle de l'exploitation est dissociée, avec de multiples dépendances exprimant de façon plus rationnelle l'organisation de l'ensemble, autour d'une cour ouverte bordée par des bâtiments en U : fenil, bergeries, remises. Le développement de l'exploitation a même entraîné l'installation de bergeries-tunnels, plus modulables et faciles à mettre en oeuvre, légèrement à l'écart, mais contenues dans le même espace enclos.
Ferme au Dégoutail (Senez). Exhaussement d'une dépendance avec du parpaing de béton pour augmenter la capacité de stockage en fourrage. Plan d'Asse (Blieux). Evolution de la ferme vers l'élevage ovin exclusif avec adjonction de vastes dépendances spécialisées (remise pour le gros matériel agricole et bergerie-fenil).
b. la ferme ex nihilo
Le cas de la ferme Simian laisse entrevoir l'ultime avatar logique du processus de mutation : la création pure et simple. Là disparaît à proprement parler la ferme vernaculaire pour la ferme moderne et même contemporaine, transposable d'une zone à l'autre du territoire métropolitain. Ces nouvelles fermes apparaissent en périphérie des agglomérations voire dans l'isolé, pour disposer de davantage d'espace et n'être en rien contraintes dans leur développement. Ainsi d'une ferme au sortir du lotissement dit du Coulet des Fourches à Thorame-Haute, sorti de terre à partir des années 1960 à quelques encablures du chef-lieu. Dans cette exploitation ovine, un pavillon, proche mais indépendant, sert de lieu d’habitation et entérine la séparation physique entre maison et bâtiments d’exploitation, en l’occurrence de grandes bergeries dotées de mangeoires standardisées, que jouxtent de vastes espaces de stockage pour le fourrage et le gros matériel agricole, en bordure de la route départementale 52 et en lisière du foncier de l’exploitation. Quelques extensions, par accolements le plus souvent, viennent ensuite s’agréger, sanctionnant l'accroissement de celle-ci.
Le corpus repéré s'inscrit dans les deux périodes correspondant aux temps modernes et à l'époque contemporaine, soit entre le 16e et le début du 20e siècle. On a pu observer ponctuellement des exceptions, notamment pour la fin du moyen âge (ferme au lieu-dit les Gastres à Annot, datée du 15e siècle et identifiée comme une probable ancienne grange-forte ecclésiastique [référence du dossier=IA04001803]), mais l'essentiel du corpus prend place au 18e et surtout au 19e siècles. Les deux sources figurées faisant foi, les "Cartes des frontières Est de la France, de Colmars à Marseille", établies entre 1764 et 1778, ainsi que les cadastres anciens dits napoléoniens, levés pour le territoire d'étude entre 1811 et 1844, permettent d'établir des terminus ante quem fiables. Les cadastres surtout aident le cas échéant et par comparaison à identifier des évolutions sur les édifices repérés, en situant même grossièrement dans le temps certains collages ou aménagements, en plus des dates portées. De même, mais plus rarement, telle modalité de mise en oeuvre contribue à situer une partie ancienne dans le temps (ainsi du linteau à corbelet de la porte d'entrée à la ferme dite Maison des Templiers à Vérimande, commune d'Annot, qui semble indiquer une intervention du 16e siècle [référence du dossier=IA04001807]). D'ailleurs, le processus d'agrandissement de la ferme, même s'il préexiste à la fin de l'Ancien Régime, est considérablement accéléré par l'essor économique du début du 19e siècle. Si les techniques n'ont guère évolué et ne permettent pas de situer chronologiquement tel édifice de façon précise, l'apparition de matériaux modernes, en revanche (tuile plate mécanique, tôle, bac acier, moins souvent brique voire parpaing artisanal puis de béton) désignent des interventions voire des constructions récentes, à partir de la fin du 19e siècle. La ferme moderne qui apparaît au sortir de la Deuxième Guerre mondiale traduit une adaptation aux mutations économiques. Elle conduit à agrandir le noyau existant ou à créer une ferme ex nihilo qui marque une rupture avec la ferme vernaculaire.
-
Période(s)
- Principale : Temps modernes
- Principale : Epoque contemporaine
Les fermes du Pays sont pour près des deux-tiers d'entre elles implantées en contexte isolé. Elles recourent aux matériaux de construction fournis par le socle géologique, principalement le calcaire, ponctuellement le grès sur certaines zones du territoire, ainsi que d'autres matériaux en complément tel que le tuf. La composition en ferme à maison-bloc est majoritaire (56% des cas), au sein duquel la maison-bloc en hauteur représente 87% du corpus. La maison-bloc pouvant être composite, l'organisation à bâtiments multiples, accolés et/ou disjoints prédomine avec 71% des fermes repérées, avec des disparités en fonction des secteurs du Pays. Les modes d'accès au logis et la circulation varient en fonction de la topographie et du type d'organisation relative des fonctions agricoles et domestiques, par exemple en ce qui concerne la ferme alpine, qui fait son apparition dans le haut Verdon. L'étendue du territoire d'étude et ses caractéristiques géographiques notamment, d'une part, le statut du propriétaire, d'autre part, mettent donc en évidence quelques particularismes morphologiques et fonctionnels. Les constantes prévalent toutefois : ainsi les fonctionnalités de la ferme conduisent-elles à limiter la part des pièces dédiées au logis. En conséquence les dépendances domestiques (puits, lavoir, four le cas échéant) de même que les dépendances agricoles (étable, bergerie, fenil, séchoir, remise, porcherie, voire pigeonnier ou colombier) constituent l'essentiel du bâti.
-
TypologiesF1 : ferme en maison-bloc à terre ; F1a : ferme en maison-bloc composite à terre ; F2 : ferme en maison-bloc en hauteur ; F2a : ferme en maison-bloc composite en hauteur ; F3 : ferme à bâtiments accolés et/ou disjoints ; F3a : ferme à maison-bloc à bâtiments accolés et/ou disjoints ; F3a1 : ferme à maison-bloc à terre, à bâtiments accolés et/ou disjoints ; F3a1a : ferme à maison-bloc composite à terre, à bâtiments accolés et/ou disjoints ; F3a2 : ferme à maison-bloc en hauteur, à bâtiments accolés et/ou disjoints ; F3a2a : ferme à maison-bloc composite en hauteur, à bâtiments accolés et/ou disjoints
-
Toits
-
Décompte des œuvres
- bâti INSEE 6 846
- repérées 1 019
- étudiées 258
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.