1 La création de la stéarinerie et sa transformation en savonnerie
Le site de l’usine du fer à cheval reste une terre agricole jusqu’en 1870. En 1867, à la mort de son propriétaire Joseph Louis de Samatan1, il passe par héritage à la famille Bermond de Vaux qui le cède à Albert Roura, fabriquant de bougies. En avril 1870, ce dernier l’achète pour la somme de 30000 francs, en sa qualité d’administrateur de la Société anonyme de la stéarinerie de la Méditerranée, dont le siège est au n°18 de la rue Rougier2. Cette société s’est constituée au cours du mois de mars précédent3 en vue d’installer une usine sur ce terrain.
Au même moment est entrepris le percement du boulevard de la Bougie4, dont l’existence est étroitement liée à celle de la nouvelle usine.
L’histoire de cette société est très courte. Dès le 6 février 1873, elle est mise en liquidation. Ses biens sont vendus aux enchères. Ils consistent alors en une stéarinerie située sur un terrain de 5867 m2 clos de murs et délimitée par le ruisseau de Plombières, la propriété de Samatan, le chemin de Sainte-Marthe et le nouveau boulevard5.
L’usine est rachetée le 2 juillet 1873 par la société Louis Régis et Cie pour 151500 F. Louis Régis était déjà l’un des principaux actionnaires (président du conseil d’administration6) de la Société anonyme de la stéarinerie de la Méditerranée. Il diversifie la production de l’usine et se lance dans la fabrication de savon7.
En 1874, le terrain est légèrement agrandi. Louis Régis achète au baron de Samatan une seconde parcelle de 1101 m2, consistant en une bande de terrain située au sud de l’usine, de 12,5 m de largeur et de 91 m de longueur8.
À partir de cette date, l’usine est avant tout une savonnerie.
2 La création de l’usine de glycérine
Les 8 et 14 juin 1895, les héritiers de Louis Régis vendent l’usine à la Société des successeurs de D. Leca pour 125000 F9. Cette société, dont le siège se trouve 25, rue de l’arsenal à Marseille, est constituée le 23 mai 1890. Le président de son conseil d’administration est M. Polybe Zafiropulo. Steatly Leodramiana et Georges Zarifi en sont actionnaires et Antoine Vlasta en est l’administrateur délégué10.
Cette vente est probablement à l’origine de la construction, en 1897, d’une seconde usine. Celle-ci, présentée comme la savonnerie de MM. Diemer et Poupardin, fait à cette date l’objet d’une demande d’autorisation pour l’installation d’appareils à distiller la glycérine. Le statut de cette usine n’est pas certain. Il est probable qu’elle appartienne à la Société des successeurs de D. Leca, et que MM. Diemer et Poupardin n’en soient que locataires. Quoi qu’il en soit, cinq ans plus tard, le 23 avril 1902, la Société des successeurs de D. Leca loue effectivement à la Société française des glycérines une usine avec une chaudière à bouilleur et une bascule pour une durée de 17 ans moyennant un loyer de 2000 F par an avec promesse de vente. L’usine est située au n°12 de la route de Sainte-Marthe, au sud de l’usine des Successeurs de D. Leca. Elle est alors mentionnée exclusivement comme usine de glycérine distillée, alors qu’elle était elle aussi équipée de chaudrons de savonnerie, au moins dans les premières années. Cela lui permettait vraisemblablement de s’assurer un approvisionnement régulier en glycérine. Un plan accompagnant la demande de 1897 indique que les chaudrons devaient être utilisés en fonction des besoins de l’usine.
Après cette location, les successeurs de D. Leca ne conservent que leur savonnerie de 7970 m2.
La promesse de vente de l’usine de glycérine est réalisée le 27 décembre 1912 pour la somme de 60000 F. La Société des successeurs de D. Leca a alors toujours pour administrateur délégué Antoine Vlasta et la Société française des glycérines, ancienne Société marseillaise des glycérines distillées, est représentée par M. Poupardin11.
Rapidement, l’activité de savonnerie a disparu. L’usine s’est recentrée sur son activité principale, la « distillation des glycérines brutes de savonnerie et de stéarinerie par entrainement de vapeur d’eau sous pression réduite12 ».
3 Diversification des activités
À partir de 1925, sous la direction de Paul Schrameck, la Société française des glycérines diversifie sa production en installant une unité de production de « noir », c’est-à-dire de charbon végétal13. Dix ans plus tard, le 7 juin 1934, la société, qui est alors dirigée par Robert Boutet, se consacre toujours à ces deux activités14.
Également en 1925, les Successeurs de D. Leca et Cie établissent une nouvelle ligne de production du savon à partir d’huiles animales (essentiellement à partir de poissons). Ces installations sont situées dans les bâtiments 3 et 4 de la savonnerie Repérage des zones étudiées., là où se trouvait la machine à vapeur probablement rendue inutile par le développement de l’électricité15.
Le procédé est décrit comme étant celui d’Engelhardt, utilisé notamment dans les stéarineries. Il comptait trois étapes :
- Extraction de la glycérine des corps gras traités.
- Désodorisation des corps gras restants
- Distillation des corps gras par surchauffe au moyen de four et de vapeur (cf annexe)
L’usine de glycérine était, avant sa destruction partielle en 1958, beaucoup plus vaste que la savonnerie. La distillation des glycérines brutes de savonnerie et de stéarinerie se faisait par entraînement de vapeur d’eau sous pression réduite. Les lessives glycérineuses à 40 % des savonneries étaient épurées par l’acide sulfurique et après neutralisation à la chaux, elles étaient concentrées dans des appareils à vide avant d’être distillées. À partir du 23 juillet 1925, la Société française des glycérines a diversifié son activité en obtenant l’autorisation d’installer une fabrique de charbon végétal par carbonisation des produits de la distillation16. Le procédé consistait à calciner dans un four tournant, sans dégagement dans l’air des produits de distillation, des « sciures de bois imprégnées d’acide phosphorique. Après calcination vers 350°, le charbon obtenu [était] lavé à l’eau sur filtres à vide, pour être débarrassé de l’acide phosphorique qui retourn[ait] aux calcinations ultérieures, puis séché dans un séchoir à vide et enfin broyé (broyeur à boulets) pour être mis en sacs ou en fûts17 ».
De son côté, la savonnerie de Successeurs de D. Leca continue son extension pendant le premier quart du 20e siècle. Le 5 mai 1909, elle achète à Pierre Auguste de Bermond de Vaulx un terrain de 4862 m2 compris entre le ruisseau de Plombière, le boulevard de la Bougie et le chemin de Saint-Barthélemy. Il s’agit alors d’un terrain rural18.
La rive gauche du ruisseau de Plombières reste assez peu occupée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. En 192719, deux bâtiments rectangulaires sont visibles sur une photographie aérienne. Le premier, d’environ 25 m de longueur, longeait le ruisseau et possédait une cheminée. Le second, bordant la limite sud de la parcelle, faisait une cinquantaine de mètres de longueur et servait d’entrepôt. La présence d’une cheminée laisse penser que la chaufferie a été transférée de l’autre côté du ruisseau deux ans plus tôt, quand a été installé le nouvel atelier de traitement des huiles animales sur l’emplacement de l’ancienne chaufferie. Un plan non daté, remontant probablement aux années 1930, mentionne bien cette nouvelle chaufferie, à côté d’un atelier de "poudres de savons". Ces nouveaux bâtiments de la rive gauche, agrandis avant 1946, ont par la suite accueilli l’unité de production de lessives en poudre.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la production de lessives est modernisée, avec l’érection, entre 1955 et 195720, d’une tour d’atomisation. D’une capacité de production de 1 tonne par heure à l’origine, cette tour de marque Ballestra passe à 3 tonnes par heure vers 197021.
4 La reprise par la Société anonyme Huileries Antonin Roux et savonneries J.B. Paul
Le 20 octobre 195322, les Successeurs de D. Leca et Cie fusionnent avec la Société anonyme Huileries Antonin Roux et savonneries J.B. Paul23.
L’usine de Sainte-Marthe fait alors 10105 m2 et son gérant est Jean Ricard24. La fusion semble avoir mis du temps à produire ses effets, puisque divers documents attestent que les Huileries Antonin Roux et savonneries J.B. Paul n’ont réellement repris le site de Sainte-Marthe qu’en 1958. La marque du fer à cheval, propriété de J. B. Paul, est pour la première fois associée au site industriel du chemin de Sainte-Marthe. Jusqu’alors, la savonnerie du fer à cheval se trouvait au quartier de Saint-Mauront.
De fait, cette année-là, l’usine connaît d’importants bouleversements. Son repreneur a vraisemblablement également acheté l’usine de glycérine voisine qu’il fait largement raser25. Seuls restent debout la partie qui correspond aujourd’hui à la boutique, et l’ensemble des bâtiments couverts de tuiles situés dans la moitié sud de la parcelle (bureaux, bergerie, vestiaires et entrepôts de stockage). À l’emplacement des anciens bâtiments de production est aussitôt construit un nouvel entrepôt de trois travées (face à la boutique actuelle).
Au même moment, toute la chaîne de production du savon est modernisée. Les antiques chaudrons sont abandonnés et les mises sont détruites. En remplacement, les Huileries Antonin Roux et savonneries J.B. Paul commandent à l’entreprise italienne Mazzoni toutes les machines nécessaires à la production de savon en continu. Deux chaînes de production sont installées. La première d’une capacité d’une tonne par heure, et la seconde de deux tonnes par heure, peut-être avec quelques années de décalage.
Les chaudrons perdent alors leur utilité. Ils continuent cependant à servir marginalement, pour réchauffer le savon dont la saponification n’était pas satisfaisante.
Le rachat par J.B. Paul marque la fin de la longue période de stabilité qui avait prévalu avec les Successeurs de D. Leca. Ces derniers, ainsi que la Société française des glycérines ne disparaissent de l’indicateur marseillais qu’en 1971 et 1970. En 1974 apparait dans l’indicateur marseillais Salador savonnerie (14 ch. de Sainte-Marthe, siège au 9 rue sainte-Victoire, là-même où était auparavant le siège des Successeurs de D. Leca). En 1979, Salador savonnerie est remplacé par l’Union générale de savonnerie (14 ch. de Sainte-Marthe).
Une marque de lessive faite à base de savon de Marseille, le Chat machine, devient grâce à son succès la principale activité du site, compensant ainsi le déclin de la production de savon. Dans les années 1960 et 1970, les parties encore non bâties à l’est et au sud de la tour d’atomisation sont couvertes. Aujourd’hui, cet atelier composé de vastes hangars, dont certains ont été refaits récemment, atteint 6500 m2.
En 1987, Chimiotechnic rachète l’usine. En 1994, ce groupe s’allie avec la société Savonnerie et huilerie Bernard et devient la compagnie du savon de Marseille. En 2003, l’usine est rachetée par la Compagnie des détergents et du savon de Marseille. Cette société est créée et dirigée par Bernard Demeure, un ancien de Chimiotechnic arrivé dans l’usine dès la fin des années 1980. En octobre 2012, l’entreprise est en redressement judiciaire. Elle est rachetée par un investisseur qui lance en 2013 une nouvelle raison sociale : Nouvelle Compagnie des détergents et du savon de Marseille. Cette dernière entend redévelopper la production de savon, alors même que celle de lessive en poudre décline depuis les années 1990.
5. La sulfonation. 1980 – 2012.
Dans les années 1980, une unité de sulfonation est installée dans l’usine, au sud des bâtiments de conditionnement de la lessive. Elle est démantelée en 2012. Elle a produit jusqu’à 13000 t. d’acide sulfonique par an. Il ne reste que deux des treize grandes cuves qui avaient été installées.
Un sulfonate ajouté à la lessive empêche les salissures de se redéposer sur le linge. Il joue le rôle de « séquestrant » pour les matières salissantes.
À la fin des années 1970 est créée une unité pilote de sulfonation à partir d’ester méthylique à l’extrémité de l’atelier du savon au bord du ruisseau de Plombières. L’acide sulfonique ainsi produit est ensuite neutralisé à la soude, puis blanchi à l'eau de javel.
Cette unité est supprimée en 1986 à l’arrêt de la production de la lessive Le Chat machine qui était une grosse consommatrice de savon.
En 1980, l’unité de sulfonation en continu est créée au sud du site. L’appareil, un sulfurex 2000 de marque Ballestra, traitait non pas des esters méthyliques mais des acides alkyl benzène sulfoniques linéaires (LAB) qu’il transformait en sulfonates d'alkylbenzène linéaires (LAS).
L’installation comprenait un four à soufre produisant du SO2, une tour catalytique transformant le SO2 en SO3 et des refroidisseurs chargés d’abaisser la température du trioxyde de souffre à 50°. Le SO3 passait ensuite à travers 7 réacteurs successifs qui le mélangeaient aux LAB pour en faire des LAS tout en assurant le refroidissement du mélange.
Les LAB était transformés en LAS pour le compte de Shell Chimie jusqu’à la reprise du site par Chimiotechnic. En 2002, l’unité de sulfonation est rachetée par une entreprise coréenne, ISU, qui a délègué son exploitation aux responsables de l’usine. En 2012, l’arrêt du contrat avec ISU entraine la mise en redressement judiciaire de Compagnie des détergents et du savon de Marseille.