I. Premières mentions et formation du bourg au Moyen Age
Vue de situation du village prise du sud-est.
Le territoire de Saint-Paul, mentionné pour la première fois en 1016 à l’occasion d’une donation faite à l’abbaye de Lérins du domaine du Canadel, tient vraisemblablement son nom d’un édifice dédié au saint éponyme implanté sur la partie sommitale de l’éperon rocheux où s’est ensuite formé le village1. À compter du 12e siècle, la famille aristocratique de Saint-Paul apparaît dans les sources, puis au début du 13e siècle, elle y est mentionnée avec un castrum. Celui-ci s’est très probablement développé en îlots concentriques autour du château seigneurial (actuelle mairie dont ne subsiste que le donjon, 2022 AY 60 – 1833 B 168) et de l’église paroissiale (2022 AY 43 – 1833 B 108), adoptant une morphologie circulaire correspondant à la partie nord-est de l’actuel village.
Vue aérienne du bourg prise du nord.
Des encadrements de porte du Moyen Age tardif ont pu être décelés dans l’analyse du bâti de plusieurs maisons aux alentours immédiats du donjon (2022 AY 51, référence du dossier : IA06004279 ; 2022 AY 55 ; 2022 AY 197, référence du dossier : IA06004281).
Maison (2022 AY 197). Les deuxième, troisième et quatrième niveaux portent les traces d'un étage à encorbellement.Maison (2022 AY 51). Porte du logis avec un encadrement à linteau sur coussinets sculptés.
La rue Grande, anciennement rue Droite, s’est développée dès le Moyen Age en contrebas à l’ouest du noyau villageois. Elle ne devait probablement constituer qu’un axe secondaire, mais est finalement inclus dans le castrum pour en constituer l’axe principal et traversant du nord au sud. Le village, rapidement limité à l’est et à l’ouest par les pentes abruptes, s’est alors étendu de manière moins dense vers le sud autour de la rue principale qui se poursuivait probablement au-delà de la ville close actuelle, avec un habitat sans doute développé sur les pentes moins raides et étagées de l’éperon. Ce "puy" incluait l’actuel cimetière et l’église Saint-Michel, comme le confirme un document de 1356 précisant que l’université des habitants et des coseigneurs du castrum s’y réunissaient pour prendre les décisions concernant l’administration du territoire2. Dans la seconde moitié du 14e siècle, vraisemblablement après 1363 ou 1367, cet ensemble est inclus dans le périmètre de l’enceinte fortifiée, construite dans un contexte de mise en défense des villes du comté recommandé par les Etats Généraux de Provence. Cette enceinte a partiellement englobé les maisons médiévales en périphérie du village (rempart est et ouest), leur façade postérieure en constituant l’enveloppe (2022 AY 256). Ces fortifications primitives sont mentionnées pour la première fois en 1401 lorsque le comte Louis II d’Anjou oblige les nobles et le clergé à participer à leur entretien au prorata de leurs biens3. En 1589, les différents ouvrages médiévaux encore existants composant cette enceinte sont indiqués sur le plan de la ville levé par Vitozzi, dont certains demeurent encore actuellement : au nord, les deux tours carrées (la tour-porte avec mâchicoulis et une tour de flanquement), au sud du cimetière les restes des deux tours de flanquement avec une portion d’enceinte.
[Plan et projet pour la fortification de Saint-Paul, 1589]. Vue de situation du village prise du nord-ouest.
Le bâti villageois ne porte que peu de traces de cette époque, même si l’essentiel des parcelles, de taille modeste, suggère que les constructions ont évoluées sur des tracés établis dès le Moyen Age. Le bâti porte davantage de traces d'éléments lapidaires mis en place à compter de la fin du 15e siècle, période de reprise économique et démographique. C'est le cas par exemple des fenêtres à meneaux d’une maison le long de la rue Grande (2022 AY 103).
Maison (2022 AY 103). Fenêtres à meneaux.
II. Grands bouleversements et organisation définitive du bourg aux 16e et 17e siècles
Le 16e siècle est marqué par la mise en chantier de la ville de Saint-Paul, permise par une économie florissante et un statut politique fort. Après avoir officiellement obtenue le statut de ville royale et de viguerie en 1543, un ambitieux programme de modernisation des fortifications de la ville est exécuté jusqu’en 1547 avec la construction d’une enceinte bastionnée (référence du dossier : IA06002433). Ce chantier occasionna la destruction d’un grand nombre de maisons, mais aussi de l’hôpital de la ville et de la chapelle Saint-Georges, alors patron de Saint-Paul. Le nouvel enclos limite davantage la ville au sud puisque l’actuel cimetière avec la chapelle Saint-Michel ne sont pas inclus dans le périmètre de la citadelle. Sur les autres fronts, il reprend approximativement le tracé de l’ancienne enceinte médiévale, simplement en retrait de quelques mètres de celle-ci pour y installer un chemin de ronde. Les maisons faisant autrefois office de muraille sont alors souvent modifiées puisqu’elles n’ont plus de rôle défensif (2022 AY 255, référence du dossier : IA06004276).
Vue de situation du village prise du nord-est.
En parallèle, une phase de reprise de l’agglomération intra-muros se constate, considérant notamment l’importance des dates relevées aux alentours de cette époque (1511, 1516, 1606, 1612, 1616), essentiellement inscrites sur les linteaux de porte des maisons bourgeoises et aristocratiques – dont certaines portent les traces de blasons martelés – implantées le long de la rue Grande (2022 AY 251 ; 2022 AY 163 ; 2022 AY 180 ; 2022 AY 186).
Maison (2022 AY 163). Détail du linteau sculpté monolithe sur coussinets avec l'Inscription : 1511 DIE 5 MSMI.Maison (2022 AY 251). Détail du linteau sculpté monolithe sur coussinets avec l'Inscription : 1516 DIE 18 DEIUN.
Cette tendance se confirme aussi par la présence d’éléments lapidaires caractéristiques de cette période, conservés sur plus du tiers des maisons repérées : croisées, demi-croisées, linteaux sur coussinets chanfreinés, linteaux délardés en accolades, encadrements en anse-de-panier, etc.
Maison (2022 AY 255). Baie à croisée murée. Maison (2022 AY 111). Porte du logis avec son encadrement en arc en anse-de-panier mouluré. Maison (2022 AY 278-279). Porte du logis avec un arc délardé en accolade.
Par ailleurs, les maisons de la rue Grande possèdent en grande majorité des devantures commerciales en parties basses, dotées d’encadrements caractéristiques des 16e et 17e siècles, confirmant la vitalité économique de la localité (2022 AY 255 ; 2022 AY 243 ; 2022 AY 218 ; 2022 AY 211, référence du dossier : IA06004289 ; 2022 AY 128 ; 2022 AY 162, référence du dossier : IA06004286 ; 2022 AY 186 ; etc.).
Maison (2022 AY 211). Porte du logis à droite, de la boutique au centre et baie commerciale à gauche. Maison (2022 AY 186). Devanture commerciale avec l'inscription sur la clé de l'arc : "HOC OPUS FACIENDUM CURAVIT Mg PETRUS BERNARDUS ANO 1612".
D’autres chantiers d’importance et bien documentés se sont déroulés à cette époque : la reconstruction de l’hôpital Sainte-Croix dans la seconde moitié du 16e siècle (2022 AY 271, référence du dossier : IA06004282) ; la mise en place de deux fontaines publiques en 1611 place du marché (référence du dossier : IA06004339) et au centre de la placette (référence du dossier : IA06004337) ; l’érection de l’église paroissiale en collégiale de la Conversion-de-Saint-Paul en 1666 occasionnant de nouveaux travaux ; la construction de la chapelle des Pénitents-Blancs vers le milieu du 17e siècle (2022 AY 44, référence du dossier : IA06004355).
III. Continuité du bâti aux 18e et 19e siècles
Au début du 18e siècle, le village de Saint-Paul a acquis sa structure définitive et n’évolue quasiment plus ensuite. Les cartes levées à compter de cette époque et jusqu’à aujourd’hui nous le confirment, en adition à la lecture du bâti.
Plan/de St/Paul en l’état qu’il est/fait à Narbonne le 11 Janvier 1705/Niquet.Cartes des frontières Est de la France, de Colmars à Marseille. [Détail de la feuille 194-8 : village de Saint-Paul-de-Vence, 1764-1778].
En 1705, l’ingénieur Niquet lève une carte de la ville de Saint-Paul figurant son organisation intra-muros avec le profil des différents îlots. Représentés en rose claire, ils s’élèvent au nombre de 23 et sont de tailles et de formes très variées. Les bâtiments civils, religieux et militaires précédemment mentionnés sont représentés en rouge foncé (collégiale, chapelle des pénitents blancs, donjon-mairie, tour médiévale de flanquement nord). La fontaine de la place du Marché est notifiée en bleu. Les parcelles non bâties, tels jardins ou espaces cultivés, sont en blanc et clôturés en rouge : celles au sud correspondent à des jardins dépendant de demeures prestigieuses, celles au nord affublées de traits parallèles correspondent peut-être à des terrasses de cultures, dont subsistent des traces encore aujourd’hui. La carte des ingénieurs militaires levée entre 1764 et 1778 est moins précise et n’apportent pas d’informations supplémentaires.
Parcelles d'orangers à l'est du village (2022 AY 275 et 276).
Plan de masse et de situation du village de Saint-Paul-de-Vence d'après le cadastre de 1833 (section B). Répartition des fonctions principales de chaque parcelle dans le bourg de Saint-Paul-de-Vence, d'après l'état des sections du cadastre napoléonien de 1833.
La comparaison avec le cadastre napoléonien levé en 1833 (section B pour le village) est très intéressante puisqu’elle révèle que la morphologie de ces îlots n’a pas subi de transformations. Leur nombre est passé à 24, simplement en raison de la séparation de l’îlot au sud-ouest du village à la suite de la disparition de certaines maisons (l’hôpital parcelle 306 est désormais dissocié de l’îlot qui se situe au nord, de même que les maisons des parcelles 308 et 309). L’état des sections du cadastre napoléonien précise que le village intra-muros comprend 312 constructions, dont 256 maisons, 45 entrepôts agricoles, l’église collégiale, la chapelle des pénitents blancs, deux moulins à huile, trois fours et quatre « emplacements ».
Les entrepôts agricoles, représentant 15% du bâti total du village, sont révélateurs de l’économie rurale de l’époque (se reporter au dossier de présentation de la commune de Saint-Paul pour plus de précisions : IA06004362), essentiellement basée sur la viticulture, l’oléiculture et l’élevage, nécessitant des espaces de stockage dédiés (2022 AY 19, référence du dossier : IA06004293). Suivant cette même tendance, il a été constaté que de nombreuses maisons qui comprenaient des boutiques en partie basse au 16e et au 17e siècles ont été converties en étables à cette époque, ce que confirme notamment les restes de mangeoires aujourd’hui conservées ou réutilisées (2022 AY 138, 2022 AY 184), ainsi que la présence d’anneaux fixés dans la maçonnerie de nombreuses maisons pour y attacher les mulets (2022 AY 243 ; 2022 AY 32 ; 2022 AY 66 ; 2022 AY 124 et 125, référence du dossier : IA06004283).
L’importance de la culture de la vigne et de l’olive connaît son apogée au 18e et au 19e siècles et les installations artisanales dans le bâti domestique tels des celliers-cuvages (1833 B 143-AY 95, 2022 AY 272) et des moulins à huile (1833 B 206 - 2022 AY 188, 1833 B 223 - 2022 AY 272) reflètent ces pratiques.
Concernant les constructions, s’il n’y a pas eu d’ajout de parcelles depuis la carte de Niquet en 1705, cela n’a pas empêché le bâti d’évoluer (se reporter au dossier collectif sur les maisons pour plus de précisions : IA06004305). Des campagnes d’embellissement ou de restructuration de plusieurs maisons sont à rattacher à la fin de l’Epoque Moderne (1833 B 143 - 2022 AY 95, 1833 B 252 - 2022 AY 109), d’autres au 19e siècle comme le confirme les dates portées de 1816 (1833 B 46 – 2022 AY 264), 1818 (1833 B 37 – 2022 AY 270) et 1849 (1833 B 63 – 2022 AY 230).
Maison (2022 AY 109). Façade avec décor sculpté.Maison (2022 AY 270). Porte du logis avec la date de 1818 gravée sur sa clé.
Par ailleurs, si l’espace parcellaire disponible était limité par l’enceinte, empêchant les bâtiments de s’étendre horizontalement, les volumes se sont en revanche souvent agrandis de plusieurs niveaux : 31 surélévations ont été relevées (sur 82 maisons repérées). Dans la majorité des cas, l’objectif était d’y aménager des parties agricoles tels fenils et /ou séchoirs (2022 AY 146 – 1833 B 326 ; 2022 AY 50 - 1833 B 122 ; 2022 AY 51 - 1833 B 123, référence du dossier : IA06004279, 2022 AY 196 - 1833 B 181). L’autre alternative était de construire des passages couverts au-dessus de la voie publique (1833 B 165, 1833 B 302-303). Il en existe aujourd’hui 10, mais plusieurs traces d’arrachement témoignant de leur nombre plus important autrefois.
Maison (2022 AY 69) et passage couvert sur la rue de la Cassette. Vue prise du sud. Maison (2022 AY 163) et passage couvert sur la rue du Casse-Cou. Vue prise de l'ouest.
Malgré ces contraintes spatiales, il existe quelques espaces libres privés dans le village. Il s’agit de jardins dépendant de demeures bourgeoises ou seigneuriales qui figuraient déjà sur la carte de Niquet (1833 B 278, référence du dossier : IA06004283 ; B 291 ; 292 ; 299), ou d’espaces plantés d’orangers (1833 B 207, 210, 214, 215, 267, 273 et 305).
Dans ce contexte où l’espace disponible est très limité, le tissu urbain se caractérise par des rues et ruelles très étroites, ponctué de rares et petites places publiques où ont été installées des points d’eau : le long de la rue Grande se trouve la place ou se trouve le puits aux Quatre-Coins (aménagée en 1775 après la destruction d’une maison pour l’installation du puits), celle du Marché et celle de la Placette ; enfin, au cœur du village, la place de la Mairie s’étend entre le donjon, vestige du château, et la collégiale.
Rue des Doriers. Vue de volume prise du sud.Rue du Bresc. Vue de volume prise de l'est. Rue de la Cassette. Vue de volume prise du nord.
Place de la Mairie. Vue de volume prise du nord-est. La Placette. Vue de volume prise du sud-ouest.
IV. Evolution du village depuis le 20e siècle
La trame du village n’a pas évolué au 20 siècle. Au contraire, le nombre de parcelles bâties a même diminué depuis 1833, passant de 312 à 272. Ce chiffre s’explique principalement par la fusion de nombreuses parcelles pour agrandir les logements, initialement de taille très modeste comme cela s’observe souvent dans le parcellaire médiéval (2022 AY 16 - 1833 B 90 et 88, référence du dossier : IA06004277, 2022 AY 62 – 1833 B 159, 160, 165 et 166 ; 2022 AY 37 – 1833 B 104, 105 et 106 ; 2022 AY 13 – 1833 B 83 et 84, référence du dossier : IA06004285).
Plan de masse et de situation d'après le cadastre de 2022 (section AY). Echelle 1/2000.
Les chantiers publics ont principalement concerné la voirie pour permettre l’accès automobile intra-muros avec le percement de l’enceinte bastionnée au nord et à l’est en 1920, au sud et à l’ouest en 1985. Plusieurs bâtiments et ensembles ont été protégés au titre des monuments historiques au cours du 20e siècle (notamment les « remparts et le cimetière avoisinant » en 1945), instaurant un périmètre des abords qui a globalement permis de conserver les éléments anciens visibles dans le bourg. Depuis la seconde moitié du 20e siècle, la notoriété internationale du village de Saint-Paul-de-Vence a favorisé l’installation de nombreuses galeries d’art, de commerces de souvenirs et d'établissements d’accueil, réaffectant une nouvelle fois l’essentiel des parties basses des bâtiments en locaux commerciaux.
Photographe spécialiste des drones et de la photographie aérienne. Fondateur de l'entreprise "Drone 3C". Actif dans le département des Alpes-Maritimes.