Dossier d’œuvre architecture IA04001880 | Réalisé par ;
Mosseron Maxence
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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  • inventaire topographique
village de Colmars
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var - Allos-Colmars
  • Commune Colmars
  • Lieu-dit
  • Dénominations
    village
  • Précision dénomination
    village de Colmars

I. Des origines au village fortifié

Le bourg de Colmars occupe un replat rocheux situé à 1 250 mètres d’altitude au confluent de deux cours d’eau, le torrent de la Lance et la rivière Verdon, qu’il surplombe.

Les origines du village

La fondation du village pourrait résulter de l’implantation des Gallites, une peuplade gauloise, au XIe siècle avant J.-C., avant la période de domination romaine qui s’établit jusqu’à la fin du Ve siècle. Les Romains auraient voué le site de Colmars au dieu de la guerre, sous l’appellation collis Martis, soit « colline de Mars ». La période de christianisation qui fit suite à l’occupation romaine conduisit les occupants des lieux, durant le haut moyen âge, à dédier le site à saint Martin avec l’édification attestée d’une collégiale que les travaux archéologiques datent du premier quart du VIIIe siècle (référence : IA04000121). L’église fut détruite au XVIe siècle, et ses vestiges servirent de fondation à l’édification du fort Saint-Martin actuel fort de Savoie entre 1693 et 1696. Le premier document officiel témoignant de l’existence du village de Colmars est une charte de donation datée de 1056 conservée dans le cartulaire de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille. Deux quartiers coexistaient en 1296, comme en témoigne le capitoul qui fait état d’un quartier de Saint-Martin proche de la collégiale – Collomarcio Sancti martini – avec 126 feux au moins, et un autre moins peuplé de 84 feux. Si Colmars apparaît dans ce texte sous la désignation castrum, le village n’était pas fortifié à cette date. Les premières traces d’une enceinte médiévale semble en effet dater de l’extrême fin du XIVe siècle (référence : IA04000044).

Une organisation institutionnelle particulière…

La cité de Colmars possédait une organisation politique particulière reposant sur la représentativité de ses membres les plus importants selon un système de consulat. L’acte de donation du consulat par charte fut attribué à la localité de Colmars par Raymond Bérenger V le 27 novembre 1233. Il eut des conséquences économiques et politiques pour le village. En effet, il sanctionnait le choix d’un parti, en faveur du comte de Provence, qui entraîna des privilèges renégociés au fil du XIVe siècle, à l’instar de Beauvezer. Plus tard, au XVIe siècle, le roi François Ier attribua à Colmars, fidèle à la couronne, le titre de ville, nouveau statut concrétisé par une plaque commémorative datée (1527) et scellée dans la maçonnerie du réduit de la porte de France (référence : IA04000045). Il confirma l’année suivante, en 1528 tous les privilèges de la communauté, qui furent reconduits tout au long de l’Ancien Régime. Le système du consulat apportait une autonomie de gestion certaine à la communauté, un libre pouvoir de décision et la mise en place de certains statuts garantissant des privilèges spécifiques. En contrepartie, l’autorité seigneuriale, comtale puis royale, conservait un contrôle sur la communauté, récoltait des avantages essentiellement pécuniers par l’entremise d’impôts (albergue, queste, cavalcade) et s’assurait de la fidélité de la communauté par serment.

… des conséquences politiques importantes pour la communauté

En retour, cette position, notamment lors de la guerre de succession ou Union d’Aix dans les années 1380, fit de Colmars le dernier bastion fidèle au parti provençal, puisque Barcelonnette et Allos prirent le parti du comte de Savoie. Colmars devint de facto une frontière à protéger. Or, en 1390, Raymond de Turenne se retournant contre la régente Marie de Blois, pilla et incendia le village. Cette razzia entraîna la confirmation des statuts par la régente qui remercia ainsi la fidélité des habitants. Cependant cet épisode traumatique incita le village à modifier son organisation pour passer d’un système en quartiers ouverts à un rassemblement de la population à l’abri d’enceintes protectrices contre les coups de main, dans un contexte conflictuel. Cela n’empêcha pas le village d’être la proie d’attaques et de pillages successifs pendant la période troublée des guerres de religion. Ainsi en 1590, le capitaine huguenot Paulon de Mauvans saccage la ville. En 1583 un autre chef de guerre, Cartier, agissant pour son compte, mit le siège devant Colmars, avant de pénétrer les lieux puis de les rançonner.

II. La place forte de Colmars

Une première enceinte, puis des travaux successifs jusqu’à Vauban

Le bourg de Colmars bénéficie depuis la fin du XIVe siècle (1391) d’une enceinte fortifiée qui a fait l’objet d’améliorations en 1527 comme en témoigne une inscription sur une plaque insérée dans la maçonnerie de la porte de France. La guerre de la ligue d’Augsbourg fait peser une menace forte sur le territoire colmarsien qui se situe en première ligne au seuil de la frontière entre le duché de Savoie et le royaume de France. Le directeur des Fortifications de Provence, l’ingénieur Niquet, décide en 1690 de faire des travaux importants de mise à niveau défensive de la place, tout en conservant l’emprise de l’enceinte existante. Le projet de Vauban, en 1693, de tracer une nouvelle enceinte renforcée de tours bastionnées, ne vit pas le jour, mais l’ingénieur Richerand, entre 1693 et 1696, fit édifier deux forts au sud-ouest et au nord-est, qui changèrent d’appellation au fil du temps, pour adopter aujourd’hui les noms de fort de France et fort de Savoie (référence : IA04000046 et IA04000047). Les projets suivants, notamment celui de Vauban visant à relier les deux forts par une enceinte, restèrent lettre morte par manque d’argent. Le traité d’Utrecht de 1713 rendit de toute façon caduque l’exigence de travaux supplémentaires, Colmars n’occupant désormais plus qu’une place secondaire dans le dispositif de défense de la frontière alpine.

Gagner de la place en privatisant les remparts : la problématique démographique

L’occupation d’un espace enceint entraîne des contraintes en termes d’habitabilité, puisque la surface habitable n’est pas extensible. Cette problématique s’observe également à Entrevaux. D’où l’extension verticale qui en découle. Nous y reviendrons. Une autre manière de gagner en surface habitable consiste à « privatiser » les espaces militaires, avec ou sans autorisation. Ainsi la reconstruction du village après l’incendie de 1672 permit non seulement de retrouver la configuration antérieure mais surtout d’agrandir la capacité d’accueil, dans une période d’accroissement démographique. Le roi aurait à cet effet autorisé, dans l’espace laissé libre courant au pied des remparts, l’édification de maisons qui sont venues s’appuyer contre le mur d’enceinte.

Les tensions entre les militaires et la population sont ainsi traduites par l’évolution du bâti. En 1771, il est vrai alors que Colmars ne représentait plus depuis longtemps un lieu stratégique défensif, le gouverneur de la place forte Jean de Taux adresse un courrier au secrétaire d’État à la Guerre du roi Louis XV, dans laquelle il précise que des propriétaires de maisons adossées au rempart se sont rendu coupables d’y avoir réalisé des percements illégaux et d’avoir interrompu le chemin de ronde. Les archives municipales de la fin du XIXe et du début du XXe siècle révèlent la complexité des rapports entre la ville et la place forte, qui dépend du pouvoir militaire, donc du Gouvernement. Ainsi, probablement consciente de la richesse que peuvent apporter dans la ville les militaires, le conseil municipal réclame-t-il à plusieurs reprises entre 1886 et 1912 l’installation définitive d’une garnison à Colmars1. À ce titre, la ville conserva son rôle défensif jusqu’au XXe siècle. En 1827 d’ailleurs, son statut de ville frontalière avait été affirmé par l’établissement d’un document produit par le ministère des Affaires étrangères2. La place s’est donc érigée à l’intérieur du rempart, sous sa protection, mais aussi dans son ombre et parfois contre lui. Dans un premier temps, la municipalité chercha à tirer parti des bâtiments militaires afin d’y assurer le bon fonctionnement de ses services, à commencer par la nécessité de trouver des locaux pour l’école de garçons. Une délibération communale du 11 février 1872 fait ainsi état d’une requête auprès de l’administration compétente pour aménager en ce sens les premier et second étages de la caserne militaire de Colmars, puisque « ce bâtiment depuis bon nombre d’années n’est plus occupé ». Mais rapidement la commune montra une attitude plus offensive dans ses revendications. Pour preuve, en 1906, cette demande des habitants de Colmars relative à l’abandon et la déclassification des fortifications de la ville. L’enjeu de cette déclassification réside dans la possibilité d’extension de la ville alors envisageable, ainsi que la recherche de confort et de salubrité. Ainsi en 1909, la ville demande-t-elle l’autorisation de percer deux nouvelles portes dans les remparts, arguant de la nécessité d’améliorer la circulation dans le bourg à une époque où le tourisme se développe, mais soulignant aussi la crainte des habitants en cas d’incendie, comme en témoigne le sinistre de 1672. Cette demande n’est cependant pas suivie d’effet et est réitérée en 1914. Nous n’avons pas trouvé trace dans les archives de la date du percement du passage au sud-est entre l’Office du Tourisme et la Place Neuve, non plus que de celui du Barri dite des « Tennis », qu’une tradition orale date du second quart du XXe siècle. Ils intervinrent après le déclassement de la place forte signé en 1921. Le tournant du XXe siècle correspond aussi à la période durant laquelle les propriétaires des maisons accolées au rempart sud et à l’est du bourg s’affranchissent totalement de cette contrainte en aménageant des accès directs à leur demeure à travers la muraille (référence : IA04001861).

III. L’organisation urbaine

L’incendie de 1672 : une césure en trompe l'oeil dans l’histoire du village ?

Avant 1672 les données sont imprécises et ne permettent donc pas de se représenter véritablement l’organisation de la ville dans le détail. Au pied des remparts on trouvait déjà des alignements de jardins potagers destinés à l’alimentation des habitants. Le cadastre de 1663 fait état de 286 chefs de famille répartis dans un espace rassemblant entre 250 et 300 maisons et bâtiments, ce qui permet d’estimer, si l’on ajoute les « feux de mendiants », un total de population d’environ 1330 habitants intra muros. Pierre-Jean de Caux de Blacquetot, auteur de l’Atlas général des fortifications de 1775, aborde notamment les places fortes d’Entrevaux (tome 60) et de Colmars (tome 61). Il consigne l’information suivante concernant le village de Colmars : la population est de « 678 habitants de tout âge et de tout sexe ». Cette perte de près de 50 % d’individus en l’espace d’un siècle laisse toutefois perplexe, même s’il est vrai que le XVIIe siècle représente, après le début du XIVe siècle, un second maximum démographique.

À quoi ressemblait alors le bourg enceint ? Il faut recouper les informations dans le temps, entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècles, pour obtenir un état des lieux probant bien que lacunaire. L’historien Olivier Joseph a entrepris ce travail. Malheureusement, il ne tient pas compte de la césure tragique du 8 août 1672 qui a détruit le village, et s’appuie donc sur différents documents étalés dans le temps : cadastres de 1663, 1672, 1714, plans de la Ville de Colmars réalisés par l’ingénieur Niquet en 1690, Capitation de 1717. Cependant, l’incendie n’a semble-t-il pas entraîné de modification structurelle dans la répartition sociale de la population non plus que dans l’organisation fonctionnelle du bâti.

Au début du 18e siècle le village présentait deux ensembles des îlots de maisons délimitées par des rues étroites et, au nord, le quartier de la Citadelle, plus aéré pour des raisons militaires, avec des bâtiments spécifiques : la caserne, l’hôpital militaire ainsi que des écuries surmontées de greniers à foin. D’un point de vue général on observe une dissociation des dépendances agricoles et de la maison. Ainsi, selon les travaux d’Olivier Joseph, la rue Basse (actuelle Grand Rue) « est presque exclusivement composée de maisons : sur les 56 bâtiments qui la bordent, seuls neuf abritent, en superposition verticale, les animaux au rez-de-chaussée, les hommes dans les étages intermédiaires et le foin sous les couverts. La rue Grande ne comporte qu’une maison avec écurie et grenier à foin, la rue de la Place Neuve, aucune ; la rue de la Maison de Ville, trois ; la rue du Rouchais, une. » Le schéma pourtant traditionnel du logis entre parties agricoles (étable en bas, fenil en haut) ne tient donc pas à cette époque. Les écuries surmontées de greniers à foin occupaient les espaces périphériques, à proximité voire contre les remparts : les rues Saint-Pierre et Saint-Martin. La répartition des activités laissait transparaître là aussi des quartiers « spécialisés » : ainsi la rue Basse semblait être alors le cœur de l’activité artisanale de la ville » ; la rue Grande et celle de la Maison de Ville rassemblaient quant à elles les citoyens les plus fortunés, puisqu’on y trouvait le juge royal, les notaires, bourgeois et marchands. Certains habitants très aisés pouvaient habiter dans d’autres rues, mais ils constituaient l’exception. Nous reviendrons sur cette répartition des différentes catégories de population, car elle avait beaucoup évolué au début du XIXe siècle.

En revanche, les documents fiscaux ne disent rien, ce n’est pas leur vocation, de la morphologie et de la distribution interne des habitations. Aucune archive conservée ne permet non plus d’en savoir davantage. Le 8 août 1672 un terrible incendie, déclenché dans une cheminée de manière accidentelle, avait rapidement gagné le couvert de la maison, et de là, attisé par le vent, gagné les toits des autres habitations, embrasant très rapidement l’ensemble du village, dont il ne resta rien ou presque. Tout était à reconstruire. Or, le tragique sinistre n’a pas donné lieu comme ce fut le cas pour celui de Beauvezer à un procès-verbal, alors même Jean-Baptiste de Seguiran, Sieur d’Auribeau, Consul d’Aix et procureur du Pays, avait été missionné pour accomplir cette tâche qui aurait constituée une aide précieuse pour l’historien. Après une brève rencontre avec les consuls et les habitants de Colmars le 6 septembre, il repartit à Aix sans rien consigner. Le sinistre eut pourtant des répercussions larges, puisqu'un article des "Nouvelles Extraordinaires" de la Gazette de France s'en fit l'écho, le 16 septembre 1672. En réalité, plutôt que sur l’aide modeste du conseil général des communautés de la Provence, la ville put compter d’une part sur ses ressources propres liées à l’exportation de sa production textile et d’autre part sur l’aide de l’évêque de Senez, Louis Anne Aubert de Villeserin, ancien prédicateur à la cour jusqu’en 1671 et filleul de Louis XIV. Le roi vint au secours de la communauté à travers trois gestes importants notamment : une importante somme d’argent (100 000 livres) ; la création d’une troisième foire franche destinée à soutenir l’économie colmarsienne ; une réduction du tiers de l’affouagement de la ville auprès de l’Assemblée générale des communautés de Provence.

L’organisation générale du village

L’organisation générale du village a vraisemblablement connu peu de modifications : les délibérations du conseil municipal du XVIIe siècle mentionnent déjà deux portes, l’église paroissiale Saint-Martin, les chapelles Saint-Joseph et Notre-Dame, ainsi que d’autres lieux (la chapelle Sainte-Marguerite, les portes de la ville et des maisons, sans plus de précision) qui ont pu servir de siège aux réunions municipales.

Les plus anciens plans de Colmars que nous ayons pu exploiter remontent à la fin du XVIIe siècle et sont l’œuvre de Niquet. Le relevé des îlots de ces cartes semble démontrer une organisation générale du tissu urbain qui a été peu modifiée depuis lors. Cette constatation est renforcée par la superposition du cadastre napoléonien, réalisé en 1827, et du cadastre actuel3. On constate une superposition presque parfaite des îlots, dans la partie basse du village. Ces îlots suivent une organisation presque orthogonale régulière qui pourrait correspondre à un dessin urbain plus ancien. Autour de cette zone, une « couronne » de maisons est venue peu à peu s’adosser au rempart et certaines demeures ont empiété sur le chemin de ronde.

Le haut du village s’organise de manière différente, suivant le pente du rocher, jusqu’aux rives du Verdon. Cette zone a subi davantage de modifications et ce jusqu’à une période récente. On trouve en effet ici la majorité des bâtiments dénaturés et par conséquent non repérés. En 1827, un îlot entier repéré comme non bâti semble correspondre à une zone du village dévastée par le dernier grand incendie de Colmars qui eut lieu vers 1890. Cette zone correspond vraisemblablement au quartier dit « des maisons brûlées » mentionné dans les archives municipales4.

La répartition de la population : l’apport du document fiscal cadastral de 1827

Usages de l’outil et résultats obtenus

Olivier Joseph a précisé autant que possible, pour le tournant du XVIIIe siècle, la répartition de la population intra-muros. L’image que le cadastre de 1827 permet de restituer diffère considérablement de ce portrait sommaire, plus d’un siècle après. L’état de la section E correspondant au village fournit des informations essentielles. Il date de novembre 18285 et renseigne sur l’ensemble des propriétaires assujettis à l’impôt, avec entre autres, pour chacun, leurs patronyme, prénoms et parfois sobriquet, ainsi que, mais de façon lacunaire, leur « profession ». Cette dernière information, capitale pour comprendre à quel type d’individu appartient tel type de bâti, même si le fait de posséder une maison, par exemple, ne signifie pas qu’on l’habite effectivement, n’est malheureusement pas toujours mentionnée. Sur les 157 propriétaires différents en 1828, et si l’on exclut ce qui revenait à la commune d’un côté, au Gouvernement de l’autre (puisque Colmars était une place forte dont l’appareil militaire et ses aménagements dépendaient de l’État), seuls 74 propriétaires, soit moins de 50 % du total, étaient accompagnés de leur profession. Sur ces 74 entrées, on comptait 14 femmes dont à l’époque on ne précisait presque jamais la profession, à moins que la personne ne fût domestique voire agricultrice. Une seule, Élisabeth Roux, voyait son activité renseignée : elle était marchande. Restaient donc 61 personnes dont la « qualité » était dûment consignée, soit moins de 40 % de l’ensemble. Le recensement de 1836 constitue un outil précieux pour affiner les choses, puisque ce document apporte des informations sur l’ « état nominatif des habitants » d’une commune, et notamment leurs « Titres, qualifications, état ou profession et fonctions ». Néanmoins, le recensement le plus proche de l’état de section de 1828 est celui de 1836. Huit années font a priori peu de choses, et pourtant la situation des gens peut évoluer, certains partent, d’autres décèdent, ce qui explique la déperdition d’informations. Sur les 81 personnes dont il n’a pas été possible d’indiquer la profession en 1828, 32 ont pu être identifiées grâce au recensement de 1836, soit environ 40 %. Restent 49 propriétaires pour lesquelles les archives sont muettes. Cela signifie a contrario que l’information existe pour 106 personnes, soit plus des deux tiers de l’ensemble des propriétaires, ce qui constitue une base de travail fiable.

Quel usage faire des résultats obtenus ? Il a été décidé de répartir les données en 5 catégories, dans le tableau suivant6 :

catégorie

nombre d'entrées

%age

Artisans

33

31

Travailleurs de la terre

32

30

Fonctionnaires, professions libérales, militaires et religieuses

19

18

Commerçants

16

15

Autres (propriétaires rentiers)

6

6

Répartition socio-professionnelle des propriétaires colmarsiens intra-muros d'après l'état de section du cadastre (1828) et le recensement de population (1836)

Sans surprise dans un bourg rural, les activités agricoles et artisanales dominent (les 3/5e du total), les activités commerçantes sont bien représentées et forment avec les fonctionnaires, professions libérales, militaires et religieuses le tiers des propriétaires. Une lecture de la carte représentant le bourg intra-muros tel que représenté sur le plan figuré du cadastre, avec les différents îlots bâtis, permet de visualiser la situation à la fin du premier tiers du XIXe siècle. Constate-t-on une répartition spécifique de telle ou telle catégorie de la population dans le village ? Il semble que la distribution ne soit pas aussi tranchée qu’au début du siècle précédent. En effet, les travailleurs de la terre comme les artisans ne paraissent pas avoir de zone d’implantation spécifique, puisqu’on les retrouve sur l’ensemble des îlots. Un seul d’entre eux d’ailleurs – le 21 – n’était occupé que par une catégorie de population – celle des travailleurs de la terre. 13 îlots – soit plus de la moitié – comportaient au moins trois d’entre elles et 10 au moins quatre. Plus encore, on observe dans le bourg, ponctuellement mais de manière répétée, des parcelles – correspondant à des maisons essentiellement – propriété de deux voire de trois individus appartenant à des catégories différentes : artisan et fonctionnaire, représentant d’une profession libérale, militaire ou religieuse (4 cas) ; artisan et commerçant (3 cas) ; propriétaire et fonctionnaire, représentant d’une profession libérale, militaire ou religieuse (2 cas) ; on trouve même un cas de « cohabitation » entre artisan, travailleur de la terre et fonctionnaire, représentant d’une profession libérale, militaire ou religieuse. Il s’agit de maisons dont la propriété se divise par étage, voire d’édifices dont une pièce parfois appartient à l’une ou l’autre de ces catégories. Quoi qu’il en soit, même si ces exemples restent très minoritaires, ils témoignent pour l’époque d’une plus grande « mixité » que celle relevée par Olivier Joseph au début du XVIIe siècle.

Est-ce à dire qu’il n’y a pas de zone privilégiée pour telle ou telle catégorie ? Non. Une césure existe bien entre les parties ouest et est, matérialisée du sud au nord par, d’un côté, les rues Saint-Pierre, de l’Enfant Jésus jusqu’à la jonction avec la rue Basse, du Rocher et enfin de la Citadelle jusqu’à l’intersection avec la Traverse de la Calade, de l’autre par la Grand Rue, la rue Basse, la rue du Milieu et la rue Saint-Joseph à partir de la Traverse de la Calade qui se poursuit par la rue Saint-Joseph7. À l’ouest, peu voire très peu de parcelles possessions de propriétaires, de commerçants et même de fonctionnaires, représentants d’une profession libérale, militaire ou religieuse. L’îlot 12 constitue un cas à part car il forme une sorte de rotule dans le bourg : à la fois tournée vers les activités commerçantes puisqu’à l’entrée de la principale entrée du village, la Porte de France, il borde la principale artère, la Grand Rue, et dans le même temps à la jonction avec la partie cahoteuse de l’agglomération. Par ailleurs, le décompte et la localisation des « masures » selon la dénomination mentionnée dans l’état de section du village, c’est-à-dire des maisons présentant un état de conservation de piètre qualité, montre un différentiel entre la partie est et la partie ouest. Sept parcelles sont concernées dans le premier cas, 11 dans le second. Surtout, la cartographie précise qu’un îlot – le 19 – est particulièrement touché par le phénomène : 8 parcelles bâties sur les 12. Si l’on considère en outre que dans cet îlot deux parcelles appartenaient alors à deux propriétaires et une à un commerçant, lesquels, comme on l’a vu, étaient davantage représentés dans la partie est du bourg, cela renforce le sentiment d’une « partition catégorielle de la société locale » entre l’est et l’ouest au début du XIXe siècle à Colmars.

Peut-on en tirer une conclusion ? Les maisons les plus imposantes sont effectivement davantage situées côté est du village, dans une partie moins marquée par le relief (un « quartier » intra-muros s’appelle d’ailleurs le Rocher, signe de la topographie heurtée des lieux à l’ouest). Par ailleurs, c’est également de ce côté que les maisons sont les plus hautes et où le nombre de travées en façade est le plus important. Inversement, c’est aussi de ce côté que la proportion des façades principales régulières est la moins élevée8, comme en témoignent les chiffres ci-dessous établis à partir des maisons repérées :

nombre de niveaux et % age relatif

maisons côté ouest

maisons côté est

îlot 12

3

6 (23 %)

5 (7,5 %)

0 (0 %)

4

15 (58 %)

27 (41,5 %)

4 (40 %)

5

5 (19 %)

33 (51 %)

6 (60 %)

Tableau statistique relatif aux niveaux des maisons repérées en fonction de leur localisation dans le village

maisons côté ouest

maisons côté est

îlot 12

nombre de façades régulières et % age relatif

199 (70 %)

48 (73 %)

6 (67 %)

nombre de façades irrégulières et % age relatif

8 (30 %)

18 (27 %)

3 (33 %)

Tableau statistique relatif aux façades des maisons repérées en fonction de leur localisation dans le village

nombre de travées et % age relatif

maisons côté ouest

maisons côté est

îlot 12

1

1910 (73 %)

31 (48 %)

5 (55,5 %)

2

5 (19 %)

18 (28 %)

3 (33,5 %)

3

2 (8 %)

10 (15 %)

1 (11 %)

4

0 (0 %)

5 (7,5 %)

0 (0 %)

5

0 (0 %)

1 (1,5 %)

0 (0 %)

Tableau statistique relatif aux travées des maisons repérées en fonction de leur localisation dans le village

Les entrepôts

Qu’en était-il de la localisation des entrepôts ? Olivier Joseph indique, pour le tournant du XVIIIe siècle, une présence des entrepôts agricoles (écuries et greniers à foin) dans des espaces spécifiques du bourg : « Les écuries-greniers sont majoritairement situées dans les rues saint-Pierre et Saint-Martin (actuelle rue de Goin), ainsi qu’au quartier de la Citadelle (entre la Place du Barri et la rue Saint-Joseph). » On pourrait croire cette spatialisation dans des zones « périphériques » du village motivée par des considérations urbanistiques, pour éviter les embarras dans le tissu urbain, et militaires, comme à Entrevaux dans la rue de l’Orbitelle, pour des questions logistiques. Mais apparemment, dans le haut Verdon toutefois et pour la période des XVIIe et XVIIIe siècles, cette disposition se vérifierait (Villars-Colmars, Chasse, Clignon et même Beauvezer). De fait, on observe sur l’ensemble du territoire des agglomérations disposant d’un ou de plusieurs quartiers d’entrepôts en périphérie (citons ainsi, parmi beaucoup d’autres, le village de Barrême, le hameau de Toueste, commune de Clumanc, le village d’Ubraye, ou encore celui de Vergons, où un quartier dissocié porte d’ailleurs le nom de « les Granges »). Or, tant l’état de section du cadastre dit napoléonien que le repérage au début du XXe siècle laissent entrevoir une situation beaucoup moins tranchée. En 1827 en effet, le cadastre signale 23 entrepôts agricoles (principalement sous la mention « Bât. : écurie et grenier ») sur les îlots 4 (1 occurrence), 5 (2), 6 (2), 9 (1), 11 (1), 12 (1), 14 (2), 16 (2), 17 (2), 20 (3), 22 (5) et 23 (1), sans zonage privilégié. S’il restait des entrepôts au « quartier de la Citadelle », l’actuelle rue de Goin en était dépourvu alors que rue Saint-Pierre la mutation était encore en cours : une parcelle est ainsi consignée sous la mention barrée « Bât. : écurie et grenier », remplacée par celle de « maison ». Un processus observable ailleurs dans le village (anciennes parcelles 111 et 120 dans l’îlot 22). Parallèlement, l’absence de dépendance agricole dans les maisons à la fin de l’Ancien Régime n’était plus de mise. Ainsi l’ancienne parcelle 1827 E 257 précise qu’une écurie occupe le rez-de-chaussée, le logis prenant place aux étages supérieurs. Le repérage confirme que les maisons de type logis entre parties agricoles sont majoritaires intra-muros, d’une part, d’autre part que le nombre des entrepôts agricoles est relativement faible par rapport non seulement à celui des maisons mais aussi par rapport à celui des entrepôts renseignés sur l’état de section de 1827.

Il convient de garder à l’esprit que les changements de destination ont pu continuer à la marge au fil du XIXe siècle ; un entrepôt pouvait devenir maison et inversement. La maison occupant l’ancienne parcelle 1827 E 33 avait ainsi été déclassée en « bâtiment rural » entre le deuxième tiers du XIXe siècle et 1890, date à laquelle ce dernier fut cédé à la voie publique, selon le registre communal des augmentations et des diminutions. A contrario, le « bâtiment rural » sur l’ancienne parcelle 1827 E 136 fut converti en 1841 en maison.

Le rapport entre les fonctions agricoles et la fonction de logis

Les maisons du bourg de Colmars font l’objet d’un dossier collectif spécifique (IA04002095). Toutefois, il n’est pas inutile ici d’envisager la question de l’organisation interne propre au village sous l’angle des fonctions agricoles et de logis. Nous avons vu que les entrepôts sont à la fois peu nombreux et répartis de manière homogène dans le tissu urbain. La répartition homogène des bâtiments agricoles dans la ville invite à formuler l’hypothèse d’une organisation par îlot ou regroupement de maisons partageant un unique entrepôt permettant d’engranger suffisamment de foin pour assurer la subsistance des bêtes durant l’hiver.

Si les entrepôts restent ponctuels dans le village on constate l’omniprésence des fonctions agricoles conjuguées aux fonctions de logis. En rez-de-chaussée, hormis le long de la Grand Rue, axe commercial de Colmars, les maisons possèdent dans leur majorité une étable ou une remise. Ce constat d’une diffusion extrême des fonctions agricoles s’avère encore plus flagrant si l’on observe les étages supérieurs des bâtiments. On y trouve pour plus de 86 % des maisons étudiées un fenil, parfois combiné à un grenier.

Cette répartition des fonctions agricoles est ancienne. Le rapport de de Taux, écrit en 1797, fournit un témoignage de l’importance des fonctions agricoles à l’intérieur même du village. L’ingénieur militaire précise en effet que les maisons de Colmars possédaient très souvent remises ou étables, fenils et greniers. Cet état de fait se vérifie encore aujourd’hui, dans des proportions sans doute supérieures, à telle enseigne que le pourcentage des bâtiments sans partie agricole ou commerciale tend vers 0 (0,02 %). Il est d’ailleurs remarquable que l’un des deux bâtiments concernés soit l’ancienne mairie de Colmars (2019 AB 143) qui ne peut donc être à proprement parler considéré comme une maison.

L’omniprésence des fonctions agricoles sur le bâti local est révélatrice du fait que l’agriculture constituait jusqu’au milieu du XXe siècle le support de l’économie colmarsienne. Une réalité confirmée par la lecture des archives. Au XVIIe siècle, les réunions du conseil de ville visaient essentiellement à attribuer des coupes, déterminer les périodes de pacage et d’affouage. La liste, vraisemblablement dressée en 1897 par le maire de Colmars en réponse à l’enquête sur la situation industrielle de la ville diligentée par le Préfet, recense à l’intérieur des murs 150 vaches, 200 moutons, 30 chevaux et 35 cochons. Cette présence animale au sein de la ville est visible sur le bâti, par le grand nombre en partie basse des maisons. Ces espaces sont souvent voûtés, possèdent un jour d’aération et ne sont parfois éclairés que par une fenêtre ménagée dans la porte. De nombreuses étables ont conservé leur mangeoire et certaines présentent la trace de trappes à foin percées dans la voûte. Ces étables de dimensions raisonnables (entre 10 et 30 m2) sont souvent prolongées en fond de parcelle par de petites pièces allongées totalement aveugles à l’exception d’un jour d’aération. Des témoignages oraux semblent indiquer qu’il s’agissait de soues à cochons, ce que l’étude du bâti n’a pas permis de confirmer. Outre les espèces animales évoquées dans l’enquête sur la situation de Colmars de 1897, le repérage sur le terrain a révélé la présence de poulaillers, de clapiers et de pigeonniers. Tous ces lieux d’élevage trouvent place à Colmars dans les fenils. Ils sont isolés à l’intérieur même du comble par des cloisons en torchis ou en bois, possédant souvent une porte grillagée. Deux pigeonniers seulement ont été repérés intra-muros (parcelles 2019 AB 58 et 157), mais les poulaillers sont fréquents et la présence de clapiers est confirmée par des témoignages oraux. D’autres témoignages font état d’une pratique avérée ailleurs dans le haut Verdon : le stockage en terre, à la fin de l’automne, de légumes, soit pour leur permettre d’atteindre un degré de maturité suffisant pour leur consommation, soit, à l’inverse, pour conserver des denrées déjà comestibles en l’état. Ces légumes étaient répartis dans de petits carrés de terre au sein de resserres aveugles : on retrouve des restes de ce dispositif aux parcelles 2019 AB 69 et 126.

L’enquête de 1897 dresse également un portrait en creux de l’activité colmarsienne. À cette date, sur les 900 habitants logeant dans les 141 maisons du village, on comptait 19 artisans qui tenaient pour certains d’entre eux boutique dans la Grand Rue, et 14 personnes vouées aux soins médicaux de la population (alors que l’état de section de 1828 ne mentionne aucune personne du corps médical désigné comme propriétaire). Seuls les artisans et le personnel médical sont cités, révélant ainsi que le reste de la population était tourné vers les activités agricoles et d’élevage.

L’activité artisanale, quand elle n’est pas associée à un commerce, est difficilement repérable dans le bâti. On a cru pouvoir identifier trois ateliers contigus dans la rue Saint-Pierre, sans que cette observation soit corroborée par les archives ou des témoignages. Seul l’atelier du maréchal-ferrant (parcelle 2019 AB 48), située à l’entrée sud du village près de la Porte de France, converti autour des années 1950 en boutique de plomberie, a conservé certaines traces d’une activité passée : l’enclume et le soufflet de forge. Les commerces étaient répartis le long de la Grand Rue, axe principal traversant le village de puis la Porte de France jusqu’à la Porte de Savoie et reliant les deux pôles religieux de la ville : la chapelle des Pénitents Blancs adossée à l’église paroissiale d’une part, et la chapelle des pénitents Gris d’autre part. Une fabrique de pâtes était également attestée au début du XXe siècle (2018 AB 157) et de bâtiments hôteliers. Ces derniers semblent être apparus dans le bourg au XIXe siècle, comme l’annexe de l’hostellerie Vauban, dont l’organisation des élévations ainsi que l’absence de fenil constituent des indices de la fonction hôtelière. Le développement de l’hôtellerie à Colmars intervient cependant au tournant du XXe siècle, avec l’installation à l’intérieur des murs de l’hôtel David et de l’hôtel des Alpes.

L’évolution du bâti et du tissu urbain : entre 1827 et le début du XXe siècle

Une carte superposant le cadastre de 1827 au cadastre actuel permet de constater les permanences et les évolutions dans l’organisation interne des îlots :

- Autour de la paroissiale Saint-Martin (1), le parcellaire n’a pas subi de modification significative, non plus qu’au centre du village (23, 15, 16) ;

- Sur le rocher, quelques îlots ont également conservé leur organisation ancienne, c’est-à-dire peu de maisons alignées suivant le pante du terrain (18, 21, 17). Les décalages visibles ici entre le cadastre actuel et le cadastre dit napoléonien de 1827 sont probablement dus à une divergence des systèmes de projection.

- Les îlots périphériques (2, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11) ont conservé la majorité de leurs parcelles en l’état. Ils ont néanmoins été modifiés ponctuellement de manière importante (voir parcelle 2019 AB 48) ;

- Les îlots 3, 4, 12, 20 et 22 ont vu leur parcellaire évoluer de façon plus significative. Certaines parcelles ont ainsi été réunies, d’autres divisées, sans qu’il y ait nécessairement eu une reprise complète du bâti. Cette réalité s’observe notamment dans les maisons occupant les parcelles 2019 AB 120 (référence : IA04001866) ou encore 2019 AB 192 ;

- L’îlot 14, l’un des plus importants du bourg, a subi un redécoupage complet et les bâtiments y sont majoritairement datables de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle ;

- Entre l’îlot 13 et l’îlot 14, on perçoit grâce à la superposition cadastrale les traces de l’aménagement urbanistique majeur pour Colmars après 1827, et dont l’on trouve mention dans les archives. En 1859 en effet est aménagée la Place Neuve, consécutivement à la démolition en 1857 de deux maisons de part et d’autre de chaque îlot, l’espace libre étant cédé à la voie publique. Une fontaine de pierre fut commandée dans le même temps par la municipalité afin d’agrémenter ce nouvel espace structurant du tissu urbain.

Les fontaines tiennent un rôle essentiel dans la structuration du tissu urbain. La fontaine de pierre de la Place du Presbytère, réalisée en 1803, constituait l’unique point d’eau public dans la première moitié du XIXe siècle. D’autres furent aménagées peu à peu : en 1858, la fontaine de la Place Neuve, puis le fontaine Saint-Pierre en 1899.

Les velléités de la municipalité de Colmars en matière d’aménagement urbain furent bien entendu contraintes dans le bourg par la présence du rempart. Les interventions publiques furent donc rares en la matière. On peut évoquer l’aménagement de la Place Neuve en 1859, l’arrêté du 4 février 1894 interdisant les éléments en saillie sur la voie, ayant eu pour conséquence probable la destruction d’escaliers au logis perpendiculaires à la façade.

La préoccupation d’une meilleure hygiène et de la sécurité du village motive l’arrêté du 29 août 1903 sur les normes de construction (étanchéité des sols, interdiction de l’emploi de foin dans les murs, obligation de chaulage des parois intérieures…) et l’adhésion de la communauté au projet d’adduction d’eau potable de 1914.

Extra-muros : le développement d’un faubourg à partir du premier quart du XXe siècle en partie liée à l’essor du tourisme

Les capacités d’extension du bâti à l’intérieur du rempart ayant très tôt atteint leurs limites, c’est en dehors de celui-ci que le village a continué à se développer. En témoigne l’aventure de l’école primaire, dont l’installation a longtemps nourri de nombreux courriers et autres projets avortés dans la ville, jusqu’à ce que soit décidée une implantation sur une zone à proximité immédiate du rempart en face de l’église paroissiale intra-muros, sur l’ancienne parcelle 1827 C 26 actuelle 2019 AB 337. Le terrain, qui correspondait à un jardin, fut racheté à Joseph Gauthier pour la construction de l’édifice scolaire. Les bâtiments furent peu à peu construits de façon discontinue le long de l’ancien chemin de Digne à Colmars devenu route départementale n° 908, créant un tissu très lâche. L’activité touristique qui se développa dans toute la haute vallée du Verdon joua également un rôle fondamental qui permit de pallier en partie l’exode rural, grâce à l’établissement de plusieurs hôtels de voyageurs en lien direct avec le statut de station climatique de Colmars : l’hôtel de France au nord-est du rempart et sous le Fort de Savoie, ainsi que l’hostellerie Vauban, au sud-ouest du rempart et sous le Fort de France, qui datent tous deux du premier quart du XXe siècle et restent en place bien que l’activité d’accueil des touristes ne perdure aujourd’hui que pour le premier. Citons aussi, en lien avec le tourisme hivernal et les activités de sport d’hiver, l’hôtel Le Chamois, au sud-est du rempart de l’autre côté de la RD 908, qui n’aura connu qu’une trentaine d’années d’activité (1979-2008, date de la fermeture de l’établissement). Il existait deux établissements situés dans les murs, l’hôtel David (2019 AB 624) et l’hôtel des Alpes (2019 AB 197, rue Saint-Joseph), s’avérant très nettement insuffisants au regard de la demande, et ayant tous deux cessé leur activité. Le second ferma ses portes entre les années 1960 et 1970. Il fut acquis par la municipalité de Colmars le 6 mai 1978 et réaménagé dès le début de l’année 1979. Il abrite aujourd’hui des logements et une partie de son rez-de-chaussée accueille la Poste.

Contrairement aux maisons de la partie sud-est du rempart, les habitants des maisons situées à l’ouest n’eurent jamais la possibilité de percer la muraille et plusieurs habitants de la rue Saint-Pierre décidèrent de quitter le bourg pour s’établir dans des maisons neuves à la périphérie de la ville. La première moitié du XXe siècle est marquée par la désertion du village de Colmars, partis travailler dans les environs de Nice ou pour emménager extra-muros. La maison située sur la parcelle 2019 AB 52 est un exemple saisissant de l’état d’un intérieur dans les années 1920, puisque l’édifice a conservé sa distribution, une partie son décor et de son mobilier, ses occupants l’ayant quittée subitement en laissant leur vaisselle dans l’égouttoir et deux verres sur la table.

Le dévers des logis à l’extérieur de la ville correspond à une période de recherche d’amélioration de l’habitat et de plébiscite pour l’accès à un plus grand confort. Aération et ensoleillement des maisons sont les maîtres-mots de l’arrêté municipal du 29 août 1903 « sur les constructions de Colmars afin d’assurer la salubrité de la ville ». Le texte concerne l’ensemble des demeures du bourg et précise notamment que les foyers doivent être surmontés d’une hotte, qu’un évier doit être aménagé dans les cuisines et que « l’habitation de nuit est interdite dans les caves et sous-sols ». Les années 1900-1910 voient se multiplier les demandes d’autorisation pour l’installation de balcons, ce qui correspond probablement à la période de développement de ces derniers dans la ville de Colmars.

Ces tentatives d’adaptation du bâti aux nouvelles attentes en termes de qualité de vie et d’hygiène coïncident également avec le développement touristique de la cité, comme en témoignent de très nombreuses cartes postales anciennes à valeur promotionnelle, vantant la capacité d’accueil grâce à un dispositif hôtelier, nous l’avons vu, calibré aux standards d’une clientèle de la classe moyenne voire aisée habituée à l’offre disponible sur la Côte11. Malgré la fermeture de la plupart des établissements dédiés, le village conserve une capacité d’accueil en lien direct avec le tourisme estival des lieux. Ce dernier dépend essentiellement de l’attractivité pittoresque du dispositif de défense en partie hérité de Vauban et de ses ingénieurs, qui assure au bourg une publicité essentielle.

Les activités commerciales

Le village vit aujourd’hui entièrement des activités liées au tourisme : restaurants, hôtels (le France seul reste en activité), débits de boissons, boutiques. Il a abrité au tournant du XXe siècle une usine de pâtes alimentaires (ancienne parcelle 1827 E 91, actuelle 2019 AB 157 : référence IA04000806), sans que l’aménagement des lieux à l’activité industrielle n’entraîne de modification structurelle.

La municipalité a acquis en 2003 la maison occupant rue de Goin la parcelle 2019 AB 64 pour une mise à disposition du bâtiment à l'association « Les Amis des Forts Vauban », afin qu'y soit installée la maison-musée de Colmars, qui retrace l’histoire du village et des modes de vie dans la haute vallée du Verdon, avec une collection constituée de très nombreux objets civils et religieux et une médiation de qualité (référence IA04001860). Il s’agit d’un point fort de l’attractivité locale. Signalons enfin, fait rare sur le territoire, que le bourg dispose Grand Rue d’une librairie, « Les Pléiades », depuis 2010.

1Nous avons pu recenser de telles demandes en 1886, 1910 et 1912.2Archives municipales. Ministère des Affaires étrangères – démarcation des limites orientales de la France exécutée en vertu du traité de Paris du 20 novembre 1815 – Département des Basses-Alpes, Arrondissement de Castellane – Commune de Colmars, n° 63.3Il s’agit du cadastre relevé en 1983, qui n’est pas vectorisé.4Délibération du conseil municipal du 15 juillet 1890.5L’établissement du cadastre entraîne des temps de levée qui s’étalent sur plusieurs mois voire davantage entre le plan figuré et les états de sections, qui expliquent l’écart temporel ici constaté.6Bien sûr, cette typologie est sujette à caution, si l’on considère par exemple que certaines professions qui ne font pas partie de la même catégorie appartenaient à la même « classe » : ainsi le directeur de la Poste et des notaires, plus proches socialement des « propriétaires » rentiers que de l’instituteur ou du garde forestier.7Soit, côté ouest, 11 îlots (5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 18, 19, 20 et 21) ; côté est, 11 îlots (1, 2, 3, 4, 13, 14, 15, 16, 17, 22 et 23). L’îlot 12 est une exception car il se situe à la limite des deux zones.8Même si les maisons présentant un profil le plus développé correspondent souvent à celles dont les façades sont régulières.9Il s’agit des façades principales.10Même remarque.11Il semble que certains habitants et notamment des hôteliers de Colmars aient eux-mêmes participé à la promotion de leur village en proposant leurs photographies aux éditeurs de cartes postales.

Les premières traces d'occupation humaine peuvent remonter au XIe siècle avant J.-C. avec l'implantation des Gallites, avant l'arrivée des Romains qui restèrent sur place jusqu'au Ve siècle, laissant des traces sur l'actuel site de Saint-Martin, voué au dieu Mars. Les lieux furent investis par les chrétiens qui y érigèrent une collégiale au VIIIe siècle, détruite au XVIe siècle. Le premier document officiel témoignant de l’existence du village de Colmars est une charte de donation datée de 1056 conservée dans le cartulaire de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille. Deux quartiers coexistaient en 1296, comme en témoigne le capitoul qui fait état d’un quartier de Saint-Martin proche de la collégiale – Collomarcio Sancti martini – avec 126 feux au moins, et un autre moins peuplé de 84 feux. Si Colmars apparaît dans ce texte sous la désignation castrum, le village n’était pas fortifié à cette date. Les premières traces d’une enceinte médiévale semble en effet dater de l’extrême fin du XIVe siècle.

Le bourg de Colmars bénéficie depuis la fin du XIVe siècle (1391) d’une enceinte fortifiée qui a fait l’objet d’améliorations en 1527 comme en témoigne une inscription sur une plaque insérée dans la maçonnerie de la porte de France. Afin de faire face à la menace de la guerre de la ligue d’Augsbourg le directeur des Fortifications de Provence, l’ingénieur Niquet, décide en 1690 de faire des travaux importants de mise à niveau défensive de la place, tout en conservant l’emprise de l’enceinte existante. Le projet de Vauban, en 1693, de tracer une nouvelle enceinte renforcée de tours bastionnées, ne vit pas le jour, mais l’ingénieur Richerand, entre 1693 et 1696, fit édifier deux forts au sud-ouest et au nord-est, les actuels fort de France et fort de Savoie. Les projets suivants, notamment celui de Vauban visant à relier les deux forts par une enceinte, restèrent lettre morte par manque d’argent. Le traité d’Utrecht de 1713 rendit de toute façon caduque l’exigence de travaux supplémentaires, Colmars n’occupant désormais plus qu’une place secondaire dans le dispositif de défense de la frontière alpine.

Bien que la ville ait conservé son rôle défensif jusqu’au XXe siècle, sa fonction perdit peu à peu son importance et l'expansion démographique nécessita de gagner de la place d'abord en perçant les remparts, puis en s'étendant hors les murs. Le déclassement de la place forte fut signé en 1921. Dès lors, le village se tourna résolument vers le développement du tourisme vert estival, activité qu'il continue à remplir aujourd'hui.

  • Période(s)
    • Principale : Temps modernes
    • Principale : Epoque contemporaine
  • Statut de la propriété
    propriété privée
    propriété de la commune, []

Documents d'archives

  • TAUX (de). Mémoire sur la situation de la place de Colmars, 1775. Service Historique de la Défense, Vincennes : 4 V 463.

  • Estimation d'un bâtiment que la commune de Colmars propose d'acheter pour en faire une maison d'école. 1869. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 01 O 135.

Bibliographie

  • ISNARD, Marie Zéphirin. Récit de l'incendie de Colmars en l'évêché de Senez (8 aoûts 1672). Dans : Bulletin de la société scientifique et littéraire des Basses-Alpes, tome V, 1891-1892.

  • JOSEPH Olivier. L'incendie de Colmars 8 août 1672 et autres incendies dans le Haut Verdon (XVIIe et XVIIIe siècles). Histoire et récit d'une catastrophe. Olivier Joseph : Les Montagnes Imaginées, 2007, 46 p.

  • [L'incendie arrivé en la Ville de Colmars, dans l'Evefché de Sénez]. Dans : La Gazette de France, rubrique "Les Nouvelles Extraordinaires", 16 septembre 1672. Bibliothèque municipale, Grenoble : F 24616.

    Fonds Ancien.

Documents figurés

  • Cartes des frontières Est de la France, de Colmars à Marseille. / Dessin à l'encre sur papier, par Jean Bourcet de La Saigne et Jean-Claude Eléonore Le Michaud d'Arçon, 1764-1778. Echelle 1/14000e. Cartothèque de l’Institut Géographique National, Saint-Mandé : CH 194 à 197.

    Détail de la feuille 194-4 bis : village de Colmars.
  • Plan cadastral de la commune de Colmars, 1827. / Dessin à l'encre sur papier par Casimir Fortoul, Frison, Lambert, Allemand, Mathieu et Bouffier, 1827. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 105 Fi 061 / 001 à 018.

  • Plan de la ville de Colmars [localisation d'une maison à transformer en école] / Dessin, plume, encre et lavis, 1869. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 01 O 135.

  • Commune de Colmars. Coupes et plan d'une maison d'école à construire dans la ville de Colmars. [Elévations, plans du rez-de-chaussée, du 1er et du 2e étage, coupe transversale, coupe longitudinale d'une maison à transformer en école] / Dessin, plume et lavis, signé Guiranc maçon, mai 1869. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 01 O 135.

Date d'enquête 2010 ; Date(s) de rédaction 2004
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Mosseron Maxence
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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