Historique
Si l'occupation romaine de Castellane se situe sans doute au lieu antique nommé Cimara dans les chartes, lieu d'implantation de la basilique puis du prieuré victorin de Notre-Dame-du-Plan (Référence : IA04000185), la ville se perche au Roc soit à Petra Castellana, au début du Moyen Age où le culte est célébré à l'église Saint-André, puis, dès le 11e siècle, la population débute une installation en contrebas du castrum, sur le lieu du village actuel de Castellane. Le bourg se densifie aux 12e et 13e siècle. C'est au centre de ce village qu'est construite la chapelle Saint-Victor.
La date de construction de cet édifice est sujette à controverses, en partie liées à l'interprétation de deux chartes de l'abbaye Saint-Victor.
Un premier élément semble reconnu par l'ensemble des historiens est le lieu de construction ainsi que le propriétaire du terrain : l'église est construite sur un terrain donné au 11e siècle à l'abbaye Saint-Victor (cf. charte n°768 entre 1005 et 1021 du cartulaire de Guérard).
Quant à la date de construction, il existe deux hypothèses. La première, soutenue par Laurensi et beaucoup d'historiens à sa suite, est que l'église existe déjà en 1052, date à laquelle des terres lui sont données (cf. charte datée de 1052 concernant la donation mentionnée par Armagier). La seconde hypothèse, qui nous semble plus raisonnable, est qu'un édifice existe effectivement déjà en 1052 mais qu'il ne s'agit pas de l'église telle qu'elle peut être observée aujourd'hui. L'édifice actuel, ainsi que l'explique J. Cru, ne peut en effet, formellement, dater de cette période. Il semble que sa construction soit plutôt à situer dans la première moitié du 13e siècle, et peut-être sur les vestiges d'un édifice plus ancien.
En 1259, une charte, mentionnée par Armagier, acte l'union de l'église Saint-Victor de Castellane au prieuré victorin de Notre-Dame-du-Plan. Peu de temps après, en 1260, a lieu le transfert de la paroisse de Saint-André de Petra Castellana, à l'église de Saint-Victor puisque à ce moment-là la majorité des habitants se trouve dans le bourg. En 1442, l'office paroissial est également transféré de Notre-Dame-du-Plan à Saint-Victor qui devient alors la seule église paroissiale de Castellane, tout en demeurant un prieuré victorin, prieuré dépendant toujours de Notre-Dame-du-Plan selon un document de 1535 (ce qui pourrait expliquer qu'il n'apparaisse pas dans les pouillés). La conventualité se maintient à Saint-Victor jusqu'au 17e siècle (d'après l'abbé Féraud) où des prêtres séculiers se substituent alors aux moines mais le titre de prieur curé demeure usité jusqu'à la Révolution.
En 1259, une première église Saint-Victor est donc achevée : la construction de l'édifice primitif pourrait ainsi remonter à la première moitié du 13e siècle, datation confirmée par une analyse de l'appareil de la nef, Raymond Collier le date plus précisément du 1er tiers du 13e siècle.
Ensuite l'histoire de l'édifice se divise schématiquement en deux grands moments : au 15e siècle où est construit un premier bas-coté au nord ainsi que le clocher, puis dans le 3e quart du 18e siècle où l'édifice est à nouveau agrandi au nord par l'érection d'un second bas-côté. Cette histoire de la construction de l'église est particulièrement lisible sur le mur sud-est du chevet : on distingue nettement le premier édifice roman comprenant l'abside surmontée d'un occulus, sur la pente sud du toit une partie du larmier d'origine est encore en place. Puis un second appareil mêlant deux couleurs de calcaire, toujours assisé et régulier, initialement percé de deux baies avec arc de décharge, se superpose au premier. Enfin, un troisième appareil fait de moellons et de blocage, avec chaînage de pierres de taille, s'adjoint au nord du précédent.
D' après Laurensi, dans la 2e moitié du 15e siècle, on agrandit en effet l'église "par le moyen d'une seconde nef qui fut d'abord dédiée à l'honneur de saint Jean-Baptiste et dont l'autel a été enfin remplacé par celui du Rosaire". Les piliers portent encore trace d'un faux-appareillage de pierres de taille datés sur 15e siècle par Nathalie Le Van dans son étude sur les couches picturales de la nef.
Laurensi mentionne également en 1445, la construction du clocher avec "des pierres que l'on enleva aux remparts de l'ancienne ville". Ce clocher a été, dans la 1er quart du 18e siècle, remanié : on lui a "retranché une flèche en briques dont il était couronné".
En 1560, au moment des guerres de religions, de nombreux dégâts sont perpétrés dans l'église par les protestants. Par la suite, les évêques successifs, lors de leurs visites pastorales, trouvent la plupart du temps Saint-Victor en mauvais état, les visites de l'évêque Soanen sont à ce titre édifiantes. Ils la décrivent généralement comme une église basse, sombre, humide et malsaine, jamais assez vaste pour accueillir les paroissiens de Castellane. En 1697, l'évêque "interdit la pierre sacrée du maître-autel pour n'estre pas dans la décence requise", il condamne la pratique d'inhumer près du maître-autel "le dessus dudit autel est rempli d'ossements ce qui est contre la bienséance" ; il ordonne en conséquence que "la nef [...] sera pavée, le toit réparé, les murailles crépies et blanchies". Les ordres de réparations sont répétés dans la visite suivante en 1698, en ajoutant le clocher, il renouvelle également l'interdiction d'inhumer dans l'église. L'église s'est encore dégradée en 1707 : "la naif [...] aussi bien que la tribune dans une indécence qui fait horreur [...] la pluie et la neige y tombent partout comme dans la rue". En 1708, l'évêque menace d'interdire le culte dans l'église Saint-Victor.
Puis entre 1776 et 1791, le prieur Laurensi fait effectuer de nombreux et importants travaux de réfection et d'agrandissement qu'il décrit lui-même en détail dans ses mémoires réunis sous le titre de Petite chronique de Castellane. Dans le choeur il fait obturer la baie sud et le remodèle en faisant combler le caveau qui servait de sépulture aux prêtres. Il condamne également la petite porte sud de la troisième travée et ouvre une porte plus grande dans la deuxième travée "avec son tambour en plâtre qui conduit par un petit escalier jusqu'à la chaire" ; peut-être est-ce également à cette période que les baies sud de la nef sont agrandies. Un nouveau bas-côté est érigé au nord du premier en 1780, il contient l'autel des Ames du Purgatoire. Sur sa tribune, Laurensi reçoit en 1787 l'autorisation de l'évêque d'y établir un nouvel autel pour une congrégation d'hommes. Le choeur est aménagé avec des boiseries, le premier bas-côté nord, dit du Rosaire, est voûté de pierre. La tribune de la nef "construite solidement mais trop basse [...] a été abattue et [...] refaite en demi-cercle". La nef est reblanchie et les piliers et arcatures peints en ocre ; l'abside et l'arc du choeur sont également décorés par des peintres italiens. En 1787, lors de sa visite pastorale, l'évêque écrit qu'il "a été charmé de voir cette église aujourd'hui très propre et décente, décorée et même agrandie", plus loin il précise que "c'est principalement au zèle et à la générosité du prieur-curé de cette ville qu'est du l'embellissement du temple du Seigneur".
L'alignement de corbeaux sur la façade sud était, selon Francesco Flavigny, destiné à recevoir une sablière murale et indique qu'un abri couvert était présent à l'avant de la façade.
L'église est à nouveau dégradée sous la Révolution : en 1795, le rapport d'estime des biens nationaux mentionne des trous dans la toiture, un effondrement partiel de la voûte et de la tribune. Une remise en état est effectuée entre 1800 et 1808. En 1841, l'évêque se plaint de l'état d'insalubrité de l'église et du fait qu'elle est "insuffisante pour la population, trop basse et malsaine" et demande que le culte soit transféré à l'église des Augustins ; en 1845 l'évêque de Digne ordonne que "l'église paroissiale de la ville de Castellane sous le titre de Saint-Victor est et demeure interdite pour l'exercice du culte". En 1865, la décision de construire une nouvelle église est finalement prise. Saint-Victor garde sont statut de paroissiale jusqu'en 1884, date à laquelle elle est remplacée par l'église du Sacré-Coeur (Référence : IA04000901), achevée en 1874. Elle va alors être progressivement désertée et quasi laissée à l'abandon.
Elle est classée au titre des Monuments historiques le 14 mars 1944. Depuis cette date, l'édifice fait régulièrement l'objet de travaux de rénovation ponctuels. En 1949, le conseil municipal vote un budget pour la restauration de l'église Saint-Victor et en 1951 il approuve le devis présenté par l'architecte en chef des monuments historiques pour les murs extérieurs et la couverture, idem en 1956 pour la restauration intérieure de l'édifice. En 1958 le sous-préfet alerte le préfet au sujet de cette restauration : "la restauration de Saint-Victor se solde par une suite d'erreurs grossières". Le sous-préfet énumère alors les travaux désastreux effectués : "le couronnement du clocher [...] a été défiguré par de lourdes fenêtres carrées [...]. Les arcatures qui cernent l'abside, comme de nombreux joints, ont été refaites en ciment. A l'intérieur, l'emploi du ciment est aussi désastreux [...]. Non seulement ces travaux ont été exécutés d'une manière aberrante mais encore, ils ont été mal faits puisque déjà de larges fragments de ciment se dégradent et son prêts à tomber [...]. En conclusion, la restauration de l'église Saint-Victor, qui a abouti à mutiler un monument digne d'intérêt et à gaspiller les deniers de l'Etat et de la Commune, constitue un véritable scandale". Les chantiers sont, par la suite, suivis avec plus d'attention.
En 1981, des travaux concernant la réfection des portes d'entrée de l'église et "quelques travaux de boiseries intérieures" sont votés par le Conseil municipal.
En 1998, une réfection importante des toitures est effectuée : la couverture est refaite en totalité (avec restructuration de la charpente) ; concernant le clocher, les planchers ont été refaits ainsi que l'escalier d'accès (originellement en plâtre sur ossature bois, désormais en mélèze), les baies sont équipées d'un grillage de protection contre les pigeons ; concernant l'abside, il existait un "ciel ouvert" dans le cul-de-four, percé tardivement, il a été rebouché et la couverture d'origine, en lauze (pierre calcaire de Clumanc), a été restituée.
Après 1950 (date d'un plan de l'architecte en chef où elle apparaît encore), la tribune du deuxième bas-côté nord s'est effondrée (date précise non connue). En 2007, des travaux sont réalisés pour la restituer : construite sur voûtes d'arête, élevées à partir des traces encore existantes, elle est pavée de carreaux de terre cuite choisis en conformité avec les anciens encore en place dans le seuil de la porte haute.
En 2013, l'édifice tout entier fait l'objet d'une grande campagne de restauration et d'importantes rénovations intérieures sont réalisées : étude et reprise des enduits, restitution des dalles de pierre du pavement (dalles en pierre de Clumanc), consolidation de la tribune de la nef (dalle en béton).
Description
L'église est implantée au coeur du vieux village de Castellane, construite perpendiculaire à une légère pente, elle a son chevet au sud-est, elle bordée, le long de sa façade sud, par la rue Saint-Victor.
L'édifice primitif (correspondant à la nef) a été construit en moyen appareil à assises régulières et joints minces de pierres calcaire, avec un chaînage d'angle prenant deux ou trois assises ; on observe un décor de bandes lombardes sur l'abside. Le premier bas-côté présente encore un appareil à assises mais moins soigné ; le deuxième bas-côté (ainsi que les surélévations) est cette fois réalisé avec un blocage de moellons irréguliers avec chaînage d'angle.
L'église est construite selon un plan irrégulier : édifice à trois vaisseaux, la nef principale se trouve au sud, elle est bordée par un bas-côté au nord, lui-même doublé d'un bas-côté surmonté d'une tribune sur son flanc nord. La nef, de plan rectangulaire allongé, compte trois travées barlongues et se termine, au sud-est, par une abside semi-circulaire voûtée en cul-de-four. La première travée est surmontée d'une tribune maçonnée ouverte sur le vaisseau. La nef est couverte de voûtes sur croisées d'ogives primitives : les ogives présentent une section rectangulaire, il n'y a pas de clef car l'une des deux ogives file sur toute la longueur, les doubleaux brisés ont le même profil. Les deux bas-côtés sont moins longs que la nef, ils comptent deux travées et sont voûtés d'arêtes.
A l'ouest, le premier bas-côté est prolongé par le clocher de plan carré auquel on accède par la tribune de la nef. Construite en moyen appareil assisé avec chaînage d'angle en harpe à bossage, la tour comporte trois niveaux de baies appareillées dans la même pierre que le chaînage d'angle.
La nef est éclairée par trois baies (deux en plein cintre, une en arc brisé) au sud, elle s'ouvre par deux portes (une troisième est murée) dont une plus imposante que l'autre avec portail à double archivolte. A l'est, l'arc triomphal de l'abside est percé d'un occulus ; l'abside présente trois petites baies en plein cintre murées. Au nord, deux baies larges en arc segmentaires éclaire la tribune du deuxième bas-côté, auquel on accède exclusivement par une porte à encadrement en pierres de taille en arc segmentaire, située à l'ouest et surmontée d'un occulus. A l'ouest, un occulus a été ouvert au-dessus de la tribune de la nef.
Le pavement est constitué de dalles de pierre calcaire (pierre de Clumanc) appareillées. Les murs sont couverts d'un badigeon blanc sur enduit mince, les croisées, doubleaux et piles d'un enduit ocre ; le cul-de-four de l'abside porte un décor peint en trompe-l'oeil de motifs à caissons et rosaces "à l'antique", le garde-corps de la tribune ouest est également orné d'un décor en trompe-l'oeil imitant des balustres.
Le toit est actuellement couvert de tuiles canal mais il était à l'origine couvert de lauzes comme cela a été restitué sur l'abside.
Photographe de l'Inventaire, région Sud-Paca.