HISTORIQUE ET TYPOLOGIE GENERALE
Le toponyme de Bau Rouge est associé à une batterie de côte attestée à partir de 1770, située au bord même de la côte, au sud-ouest de l'isthme des Sablettes qui relie à cette côte ouest la presqu'île de Saint-Mandrier, batterie souvent confondue avec la batterie de Fabrégas, plus ancienne, qui occupe une situation analogue un peu plus au nord. Ces deux batteries de Fabrégas et du Bau Rouge, renfermées dans une enceinte crénelée après 1813, avaient connu un sort dissemblable lors du programme de reconstruction ou réorganisation des batteries de côte jusqu’à Bandol, lancé à la chefferie du génie de Toulon à partir de 1843, la première étant remise aux normes et réarmée en 1846-1850, la seconde déclassée et abandonnée à la même époque.
Le rapport de la commission de révision de l'armement du littoral du 28 novembre 1876, actualisant celui du 6 mars 1873, qui planifie la réorganisation générale de la défense du port et de la rade de Toulon, ouvre la voie à la construction d' une nouvelle génération de batteries de côte, implantées désormais en altitude et armées avec des pièces d’artillerie de marine, adaptée aux progrès de la flotte de guerre à vapeur et de l’artillerie à longue portée, désormais rayée, ce qui décuplait portée utile et précision à l’impact. Approuvé le 4 avril 18771 ce nouveau plan de défense prévoit l’abandon de six à huit batteries de côte existantes, dont celle de Fabrégas (celle du Bau Rouge étant déjà abandonnée), l’adaptation de cinq à six et la création ex nihilo de neuf à dix autres, soit batteries de bombardement, placées en altitude, pour le tir plongeant courbe sur les ponts des navires, soit batteries de rupture, pour le tir tendu bas battant l’accès des passes et des rades contre les coques des navires. La défense de la presqu'île de Saint-Mandrier s'appuie sur les nouvelles batteries fermées de Cépet et du Gros Bau, et, au-dessus, les batteries ouvertes de la Croix des Signaux et du Lazaret. Ce dispositif couvrant la mer au large de la presqu'île et de l'isthme des Sablettes est complété, au sud-ouest, par la batterie fermée de Peyras, la plus haute en altitude (196m), entre les Sablettes et le Cap Sicié. Réalisée en 1878, la batterie de Peyras, pourvu de treize canons répartis en deux ailes (assurant l'une des tirs au large vers l'est, l'autre vers le sud-est), est la plus puissante des batteries de bombardement de cette génération dans le secteur, et la seule batterie active située sur la côte entre l'isthme des Sablettes et la pointe du Cap Sicié.
A partir de l'extrême fin du XIXe siècle, quelques années après la "crise" de l'obus torpille chargé à la mélinite, plusieurs batteries de côte d'altitude de cette génération sont complétées de batteries annexes plus ou moins distantes, généralement moins hautes sur le terrain et crées ex nihilo, généralement pourvues d'un magasin à poudres "en caverne". C'est le cas, sur la presqu'île de Saint-Mandrier, des deux annexes de la batterie de La Croix des Signaux, l'une bâtie en 1899 pour six pièces de 90mm réparties en trois sections d'artillerie, l'autre vers 1902-1903, aussi à emplacements de tir doubles, pour quatre pièces de 95mm, mais c'est aussi le de la batterie annexe de la Piastre, construite en 1901 pour six pièces de 100mm TR (à tir rapide), en trois sections, à mi-distance et hauteur entre la batterie de bombardement du Lazaret et la batterie de rupture de La Piastre. De même, la batterie annexe de Peyras est construite dès 1899, 15m en contrebas et à 500m de la batterie principale, pour six pièces de 95mm sur affûts de côte, sur trois sections d'artillerie. Toutes sont des batteries ouvertes, dont l'autonomie est limitée et tributaire de la batterie voisine plus forte, pas nécessairement celle dont elle reprend le toponyme2. Plus rares sont les batteries du même type et de la même époque conçues isolées, c'est à dire trop distantes d'une batterie plus importante pourvue d'un casernement, pour en être dépendante, avec le statut d'annexe. C'est le cas de la batterie de la Pointe Saint Georges, encore sur la presqu'île de Saint-Mandrier, construite ex nihilo sur une butte à 40m d'altitude, vers 1900-1903 pour six pièces de 100mm TR, réparties en trois sections ou emplacements de tir doubles. Cette batterie ouverte ne se différencie des batteries annexes précitées de la même génération par la présence d'un logement de gardien de batterie, d'abris casematés avec citernes dans les traverses séparant les sections, et d'un magasin à poudre de plus grande capacité.
Les archives de la construction des batteries de cette génération sont souvent lacunaires ou déficitaires dans les fonds du service historique de la défense, parfois limités à une feuille d'atlas sans historique des travaux en légende. Dans le cas de la batterie haute du Bau Rouge, dite simplement à sa construction "batterie du Bau Rouge" puisque l'ancienne batterie de côte de ce nom était alors déclassée et abandonnée depuis un demi-siècle, ni plan d'atlas ni historique n'ont pu être retrouvés dans l'état actuel de la recherche. Cette nouvelle batterie peut être caractérisée par sa typologie architecturale, bien lisible dans son état actuel de conservation, typologie identique à celle des batteries ouvertes qui viennent d'être mentionnées, toutes construites dans la période 1899 - 1903. De plus, sa date de construction peut être estimée plus précisément d'un fait d'un accident de tir survenu à sa mise en service, qui est relaté dans différents journaux de l'époque3. Le 27 avril 1904, les canonniers et officiers des 6e et 7e unités de batterie du 17e bataillon d'artillerie de forteresse casernés à Toulon, au fort Lamalgue, procèdent à des exercices de tir dans la batterie du Bau Rouge, sur les pièces de 95mm récemment placées, consistant à tirer 380 coups, dont 80 à la poudre pyroxilée, avec des obus ordinaires. L'accident, survenu à la prise de service de la 7e unité de batterie, du à une avarie de culasse d'un des canons, fait un mort, le canonnier Sahut, et sept bessés, dont un maréchal des logis. La relation des faits mentionne que chacune des deux unités avait la charge que quatre des canons en batterie, et que ces pièces avaient été mises en place depuis quatre mois, ce qui permet de préciser que la batterie du Bau Rouge venait d'être armée à neuf, depuis décembre 1903, donc peu après sa construction, de huit pièces de 95mm sur affuts de côte. La configuration actuelle de la batterie porte à corriger une erreur du communiqué de presse : la batterie du Bau Rouge est conçue pour six pièces de 95mm en trois sections, et non huit.
Cette batterie est bâtie en altitude, au-dessus de la pointe du Bau Rouge, à 500m au sud-ouest de l'ancienne batterie du Bau Rouge, et sa construction a nécessité celle d'une route militaire d'accès par le haut du terrain, partant de la route préexistante desservant la batterie de Peyras. Sans pouvoir être considérée comme une annexe de Peyras, la nouvelle batterie du Bau Rouge en complète l'action au nord, à mi-distance de l'isthme des Sablettes, dans la même direction de tir (sud-est) que l'aile droite de Peyras.
Probablement désarmée pendant la première guerre mondiale, à l'instar des batteries de Peyras, du Lazaret, de La Piastre ou de La Pointe Saint-Georges, elle ne fait l'objet d'aucune réutilisation autour de la seconde guerre pour la DCA (défense contre aeronefs), à la différence de ces mêmes batteries. Après septembre 1943 les allemands choisissent le site de l'ancienne batterie de côte du Bau Rouge, au bord de la mer, désaffectée depuis un siècle, et non celui de la batterie haute de 1903, pour y installer un point d'appui, avec deux cuves de Flak (antiaérienne). Pour autant, la batterie haute du Bau Rouge conserve une utilisation résiduelle par la marine, qui entretient les lieux, la route d'accès, et fait construire des petits bâtiments et équipements supplémentaires avant 1943, comme le montrent les photographies verticales de l'IGN.
DESCRIPTION
Site et implantation générale
La batterie haute du Bau Rouge est implantée à 102,9 m d'altitude, sur une hauteur au assez escarpée versant au nord au-dessus du hameau de Fabrégas, à l'est au-dessus de la mer (cap du Bau Rouge); au nord-est, elle est distante de 500m à vol d'oiseau de l'ancienne batterie du Bau Rouge (alt. 19m). Sa position est dominée au sud-est par la batterie de Peyras (alt. 196m), à une distance d'environ 800m à vol d'oiseau4. Elle n'était initialement accessible que par un segment de route militaire en lacets long de 1,5 km, partant, à l'ouest, d'un embranchement de la route militaire nord-sud de la batterie de Peyras. La création, en 1962, de la route départementale 2816 (dite Corniche merveilleuse ou Corniche varoise), a rendu l'ex batterie haute du Bau Rouge beaucoup plus facile d'accès, puisque cette "corniche" recoupe l'ancienne route militaire à moins de 200m du site de la batterie, qui est aujourd'hui inclus dans une parcelle privée boisée, contiguë au nord à trois maisons distinctes faisant partie d'un important lotissement.
Le chemin d'accès, le corps de garde ou logement de gardien de batterie, avec mur de cloture ruiné
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
La batterie se compose principalement de l'épaulement de batterie proprement dit, implanté face à l'est/ sud-est, bien conservé avec son chemin de ronde ou terrasse et ses trois plates-formes de tir doubles, d'un petit corps de garde en ruines placé sur le dernier segment droit du chemin d'accès, en léger contrebas, une soixantaine de mètres avant de déboucher sur le chemin de ronde. Ce corps de garde pouvait servir de logement au gardien de batterie, selon une disposition propre aux ouvrages isolés du même type, comme la batterie de la Pointe Saint-Georges. La batterie haute du Bau Rouge était très certainement équipée en outre d'un magasin à poudres en caverne, mais son accès, vraisemblablement situé à la gorge de l'ouvrage, et à proximité du corps de garde, n'a pu être reconnu lors de la visite. On peut le supposer condamné.
façade de gorge de l'épaulement de batterie, plates-formes,blocs intermédiaires, escaliers
chemin de ronde et épaulement de baterie vus du parapet, au fond, poste de commandement
Le corps de garde ou logement de gardien de batterie, placé perpendiculairement au chemin, sur la droite, est précédé immédiatement d'un mur très ruiné qui traverse le chemin : il s'agit manifestement d'un reste de mur de clôture qui ne formait sans doute pas une enceinte continue comparable à celle des batteries fermées, mais un premier barrage filtrant les accès. Le passage du chemin interrompait sa continuité, entre deux piliers carrés en pierre de taille (presque entièrement détruits) qui devaient porter une grille à deux vantaux. Le rest du mur est en moellons équarris jointoyés au ciment. Le corps de garde proprement dit, en simple rez-de-chaussée, comporte deux travées de pièces carrées, éclairées de deux fenêtres dans chacun des deux murs gouttereaux, la porte, dans le mur-pignon nord, donnant sur le chemin d'accès, le mur pignon opposé n'étant percé que d'un jour circulaire en hauteur, dans le pignon. Les murs, relativement épais, sont solidement bâtis en maçonnerie traditionnelle, blocage de petits moellons de tout-venant, avec enduit couvrant à la chaux et au ciment tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Les baies sont encadrées en briques, pour l'oculus sur toute l'épaisseur, pour la porte et les fenêtres, seulement le chambranle extérieur, couvert en arc segmentaire et très épais. La volume intérieur est divisé par une cloison légère en brique creuse, formant mur de refend et mur en retour pour isoler dans la travée postérieure une chambre et un petit corridor. Il ne reste rien du toit en bâtière qui couvrait l'édifice.
mur de genouillère d'une plate-forme, à deux exèdres et sous-selettes, pour affuts de canons de 95mm
Le plan de l'épaulement de batterie n'est pas classiquement rectiligne : il s'infléchit dans le tiers gauche de son développement, formant un angle obtus rentrant vers la gorge. A l'extrémité gauche, une partie de l'épaulement surhaussée d'environ 1m au-dessus du parapet d'artillerie et formant un bref retour d'équerre, est surmonté de l'ancien poste de commandement, classiquement un petit local carré à ciel ouvert fermé de murs garde-corps maigres, à ciel ouvert, comportant, face à l'Est/sud-est, soit dans la direction des tirs, une saillie en exèdre demi-circulaire. Y reste apparent le socle sur lequel était fixé le télémètre optique.
Les trois sections d'artillerie ou plates-formes de tir doubles, de plan rectangulaire ménagent, de façon normative, deux petites exèdres hémicirculaires jumelles dans le revêtement de genouillère. Les sous-sellettes des affûts de côte des canons de 95mm au droit de chaque exèdre, conservent leurs tiges filetées encore en place, disposées en cercle. Elles correspondent au modèle 1888 du canon de 95mm Lahitolle, sur affût crinoline.première plate-forme de tir ou section d'artillerie double, à gauche, asymétrique. Au fond, poste de commandement
Le mur de genouillère à exèdres de la plate-forme centrale est actuellement démoli. La plate-forme de gauche, ménagée dans la partie biaise du revêtement intérieur, est, de ce fait plutôt trapézoïdale que rectangulaire, et l'emplacement de canon de droite n'est pas formé de la classique petite exèdre, mais d'un renfoncement cintré beaucoup plus large, ce qu'il est difficile d'expliquer. Chaque plate-forme de tir est desservie classiquement par un escalier, en forme de perron à deux volées opposées, adossé au revêtement de gorge. Les plates-formes régnant 2m au-dessus du chemin de ronde ou terrasse de gorge les volée qui les desservent comportent 9 marches, l'épaisseur de la dalle de sol de la plate-forme en formant une dixième. Un petit escalier de quatre marches appuyé au mur de genouillère entre les deux exèdres, permettait de monter sur le parapet. Ces trois plates-formes ou sections doubles sont séparées et refermées aux extrémités par un large bloc cubique non défilant, c'est à dire de même hauteur que le parapet, et non pas surhaussée d'une masse couvrante, à la différence d'une traverse classique.
Les niches à munitions, assez larges, sont ménagées, par paires, selon la disposition normative, dans le revêtement de façade de ces massifs ou blocs intermédiaires, ouvrant sur le chemin de ronde. Le parement du revêtement, y compris genouillères et escaliers, est en moyen appareil régulier de moellons soigneusement équarris et bouchardés, avec joints ciment tirés au fer. Les tablettes d'arase, et la dalle de sol des plates-formes sont en ciment armé lissé, la face apparente de la dalle étant incisés de faux joints imitant un dallage en pierre. Les marches d'escalier sont également en partie en ciment lissé, imitant la en pierre de taille dure lisse, en léger relief sur le parement du revêtement. La partie supérieure des blocs intermédiaires, à partir du couvrement horizontal des niches à munition, est réalisé en béton armé avec enduit en ciment traité au faux appareil de même gabarit que les parements en pierre de taille du reste de revêtement; la différence de construction de la partie haute ne concerne pas toute la profondeur des blocs, mais seulement la moitié côté gorge. Ces particularité de compromis dans la mise en œuvre et les matériaux est représentative de la période de transition vers l'emploi plus systématique du béton armé, et l'époque des magasins de combat remplaçant traverses ou blocs entre les sections d'artillerie, comme à l'aile droite de la batterie de Peyras, telle que refaite en 1905-1907.
Les niches a munitions jumelées, percées en plein mur, directement couvertes par la superstructure de béton, n'ont pas d'encadrement spécifique, à la différence des niches plus classiques d'autres batteries, encadrées en briques. Elles comportent une feuillure pour les vantaux de fermeture (aujourd'hui disparus, gonds exceptés) et, au-dessus, un petit larmier ciment en "accent circonflexe" contre le ruissellement des eaux pluviales. Le dessous des perrons d'escalier est évidé d'une large niche voûtée en berceau segmentaire, avec arc en façade en briques, extradossé, l'ouverture de ces niches étant refermée d'un mur de remplage également en brique, percé d'une porte centrale également à feuillure de vantail, plus petite que l'ouverture des niches à munitions carrées. Cet emploi limité de la brique faisant contraste avec les tons froids de la pierre et du ciment, témoigne d'un reste de l'attrait porté à ce matériau dans les ouvrages fortifiés de la génération Séré de Rivières.Détail de la 3e plate-forme de tir ou double section d'artillerie de droite, escalier avec niche sous voûte en briques
Aucune des niches, d'escalier ou de blocs, ne pouvait servir d'abri aux hommes, elles n'étaient adaptées qu'aux munitions, à la différence des abris de traverses du XIXe siècle. Le personnel servant les pièces de cette batterie était donc nécessairement caserné dans un fort ou une grande batterie fermée des environs.
historien de l'architecture et de la fortification