Construction et armement
La batterie de la pointe Saint-Georges, établie sur une petite éminence du côté nord-est de l'entrée de l'anse fortement rentrante -dite le Creux Saint-Georges- qui sépare les deux moitiés (est et ouest) de la presqu'île de Saint-Mandrier, n'existe pas avant 1900, date très tardive. Pour autant, l'occupation de cette position, ou d'une toute voisine, par une batterie de côte, a fait l'objet de projets beaucoup plus anciennement, qu'il convient d'évoquer, de même que deux autres ouvrages topographiquement proches réalisés et plus ou moins disparus, ayant aussi porté le toponyme de Saint-Georges.
Un projet de mise en défense planifiée de la presqu'île de Saint-Mandrier émerge dans les projets de Vauban en 1695, liée à la menace d'une croisière anglaise en Méditerranée. Affinée par son collaborateur et relai local Antoine Niquet directeur des fortifications de Provence, ce projet fait l'objet d'une carte détaillée, datée du 22 mars 1695, figurant toutes les batteries projetées ou existantes, associée à un mémoire sur l'état des batteries à faire et à réparer sur la côte des rades de Toulon 1. Pour la défense du Creux Saint-Georges, n'est prévue qu'une batterie, du côté ouest, sur la pointe de la Vieille, cotée 19 : "pour empêcher les ennemis de se servir du Creux Saint Georges pour retirer leurs galers (...) et aussi pour voir de revers leurs vaisseaux qui voudroient tenter quelque entreprise dans la petite rade, faire la batterie 19".
Le Plan de la Rade de Toulon en l'année 1703 2, non signé mais sans doute de Niquet, figure, sur le même emplacement, cotée 12, la batterie du Creux Saint-Georges (donc désignée par ce qu'elle a mission de défendre), munie de 7 pièces de 36. Cette batterie, dite ensuite de La Vieille, est abandonnée dès 1759, jusqu'à la Révolution. En 1759, François Milet de Monville, directeur des fortifications de Provence, constamment soucieux d'améliorer la défense de la rade de Toulon, semble avoir envisagé de placer une batterie sur l'éperon Saint Georges, en vis-à-vis de la batterie de la Vieille, comme en atteste une carte dessinée à cette date sous sa direction à la suite d'une attaque d'une escadre anglaise 3.
Carte depuis le Cap Cicier jusques à celuy de Carquairane. 1759. [Carte des batteries de la rade de Toulon] 1794.
Dans la période révolutionnaire, en l'an 2 de la République (1794), après la reprise de Toulon aux anglais, une commission d'experts composée des sieurs Locquin, Thévenard, Toufaire et Pierron, examine l'état de situation des batteries de l’entrée et de l’intérieur de la rade du Port de la Montagne (nouveau nom de Toulon à partir de la Convention), pour augmenter la défense de ce port par des ouvrages extérieurs (...), et évoque la nécessité de s'établir plus fortement dans la presqu'île de Cépet (= de Saint-Mandrier), qualifiée de 2eme disposition défensive 4. Le tableau de répartition ou État de situation de l'armement des batteries au 1er germinal, puis du réarmement au 15 prairial, daté du 18 prairial an 2, indique la batterie de la Vieille comme abandonnée depuis longtemps étant trop basse, et projette deux ouvrages neufs, en position plus élevée, défendant chaque côté de l'ouverture du Creux Saint-Georges : d'une part, une batterie à la pointe du Lazaret, d'autre part, sur la hauteur de Saint-Mandrier, un fort à faire à neuf avec toutes ses usines pour battre sur la rade et sur la gorge vers l'ance de la Coudoulière (=le Creux Saint-Georges). Cet ouvrage, que le plan, daté du 16 prairial, figure sous le n° 9, et qualifie de batterie retranchée sur la rive de l'isthme de la Coudoulière, est proposée avec un armement de douze pièces de 36, de deux mortiers à grande portée (soit la même chose qu'au Lazaret), avec en outre quatre mortiers obusiers de moyenne portée, un four et un fourneau à boulets. Une autre carte, postérieure d'un an, exposant le projet de la 3e année républicaine, signée du directeur des fortifications Garavague 5, confirme ce projet, sa localisation sur l'éperon Saint-Georges, à l'ouest de l'hôpital de Saint-Mandrier, l'ouvrage, coté b, y étant qualifié de "fort de moindre capacité" (par comparaison avec ceux proposés à la Croix des Signaux et à Saint-Elme). Cependant rien n'est réalisé à la suite, au Lazaret ou à Saint-Mandrier.
En mai 1812, Napoléon définit et ordonne un programme ambitieux de "camp retranché" à mettre en œuvre dans la partie est de la presqu'île, combinant une "tour-modèle" (type défini en 1811) sur la hauteur de la Croix des Signaux avec une puissante batterie en contrebas, face à la rade, à la Carraque. Ce programme fait l'objet d'un projet, qui donne lieu à plusieurs dessins élaborés de juillet à octobre 1812 par le colonel Dianous, directeur des fortifications de Toulon, aidé de son sous-directeur le colonel Tournadre. L'une des variantes du projet prévoit de couvrir ce dispositif à l'ouest en plaçant une lunette sur l'éminence la plus proche du site de la Croix des Signaux et de la tour-modèle projeté. Une autre éminence, plus à l'ouest, au-dessus de l'enclos de l'hôpital de Saint-Mandrier, est signalée implicitement sur un plan comme point utile à occuper.
En 1814, le chantier du camp retranché de la Croix des Signaux et de la Carraque est interrompu par l'abdication de Napoléon. La tour-modèle est terminée en 1816, mais le reste des ouvrages demeure durablement inachevé. Cependant, à la même date, un plan général détaillé de la défense de la rade figure un petit ouvrage indépendant, réalisé en 1814, sur l'éminence située à l'arrière de l'hôpital de Saint-Mandrier, et nommé Redoute de Saint-Georges. Il est conçu avec un épaulement à trois côtés, face aux abords ouest et sud. Il correspond à l'une des deux redoutes en pierres sèches conçues à cette époque pour garder les approches de la tour-modèle. La plus proche de ces redoutes, à l'est, est un épaulement enveloppant le mausolée de Latouche-Tréville, et fait partie du camp retranché. La seconde, à l'ouest, celle qui est bien individualisée sur le plan de 1816, "occupe un mamelon qui a vue sur le creux de St Georges et la plage de la Coudoulière" 6.
Cette redoute en pierres sèches apparait inchangée sur les plans de la presqu'île dans la décennie 1840, on remarque que le mur de clôture de l'extension arrière du parc de l'hôpital adopte un tracé irrégulier pour la contourner. Située en hauteur, à 71m d'altitude, elle n'est jamais intégrée aux projets d'ensemble de remise aux normes des batteries de côte programmés durant cette période. Dans la décennie 1860, elle reste mentionnée sur les cartes, comme la carte d'état-major de 1862, comme s'il s'agissait d'un ouvrage actif, ce qui n'est pas le cas. Le plan de la presqu'île pour les projets supplémentaires de 1866-1867 la qualifie d'ancienne redoute St Georges, et indique autour d'elle la présence d'un mur de clôture attenant à celui de l'hôpital. Ce mur définit bientôt les contours du cimetière militaire de l'hôpital de Saint Mandrier, aménagé dans la décennie 1870 en supprimant les restes de l'ancienne redoute.
En 1888-1890, une batterie de mortier neuve, dite du Creux Saint-Georges, est construite à flanc de pente, environ 200m à l'arrière et au sud-est du fond de ce "Creux" en contrebas sud-ouest de l'ancienne redoute devenue cimetière. Cette batterie de mortiers est agrandie de 1893 à 1895 pour six mortiers de 30cm modèle 1893 7. La nouvelle batterie de côte dite de la pointe Saint-Georges, établie à 40m d'altitude sur l'éperon Saint-Georges, à l'entrée nord-est du "Creux", c'est-à-dire à l'emplacement plusieurs fois proposé pour une batterie, notamment en 1794, mais jamais occupé, est fondée sans doute vers 1900-1903. L'unique plan la figurant, daté du 10 avril 1904, ne comporte pas d'historique en légende, et s'apparente à un plan d'état récemment réalisé 8.
Par ailleurs, la conception de cette batterie, disposition en plan, armement, répartition des pièces, est quasiment identique à celle de la batterie annexe de la Piastre, conçue et réalisée en 1901, en co-visibilité du côté ouest du Creux Saint-Georges. La batterie de la Pointe Saint-Georges est organisée pour six pièces de 100mm TR (à tir rapide), réparties en trois sections ou emplacements de tir doubles, selon une configuration mise en œuvre à la même époque pour des pièces de 90 et 95mm dans les deux batteries annexes de la Croix des Signaux. Les six pièces de 100mm de la Pointe Saint-Georges, tirant au nord/nord-est vers la rade, comme celles des deux batteries de la Piastre, sont du modèle 1897, assurant cinq coups par minute, probablement sur affûts tournants modèle 1897 9. A la différence de la batterie annexe de la Piastre, celle de la Pointe Saint-Georges, qui n'est pas une annexe, comporte des abris casematés, et non seulement des niches, dans ses traverses et retours de parapets, et un logement de gardien de batterie. D'autre part, son magasin à poudres (ou à gargousse10) est aménagé en caverne.
Connaissant le même sort que les batteries de la Piastre, celle de la Pointe Saint-Georges, encore armée en 1914, désarmée avant 1918, non réutilisée par les français pendant la seconde guerre mondiale, est reprise en revanche par les allemands, après leur prise de possession de la presqu'île de Saint-Mandrier en novembre 1943. Alors, neuf batteries de côte, sont rétablies, coordonnées par une organisation nommée Stp Tor 016. La Pointe Saint Georges, réarmée pour la défense antiaérienne, est alors l'une des cinq Flakbatterien, soit batteries de D.C.A., de ce dispositif 11, armée de trois canons de 3,7cm SKC 30 en cuves bétonnées, dirigés par un télémètre aussi en cuve.
Par la suite, la batterie est laissée à l'abandon.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
La batterie de la Pointe Saint-Georges est implantée sur une éminence naturelle dite l'éperon Saint-Georges, qui domine à l'est / nord-est le Creux Saint-Georges (actuel port de plaisance de Saint-Mandrier), et le sépare de l'hôpital de la marine de Saint-Mandrier. Son altitude de 71m, est la même que celle de la batterie annexe de la Piastre, à laquelle elle fait, en quelque sorte, pendant, de l'autre côté du Creux Saint-Georges. L'ancienne batterie abandonnée est facile d'accès depuis le port et la place de Saint-Mandrier, par la rue Rouget de l'Isle, puis la rue de l'officier Challier.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
L'épaulement de batterie proprement dit, implanté face au nord / nord-est, conserve l'essentiel de ses dispositions d'origine, remaniées par les modifications apportées en 1944, et altérées par l'érosion des terres du parapet et des traverses.
A sa gorge, l'ancien logement du gardien de batterie et l'accès de la rampe souterraine au magasin en caverne ont été incorporés à une parcelle privée, et n'ont pu être visités (lors de la mission de fin juin 2014). Aujourd'hui en partie masquée par des arbres ornementaux et par un garage, la maison du gardien de batterie conserve son volume d'origine : c'est un petit édifice de plan rectangulaire tendant au carré, en simple rez-de-chaussée, à trois travées de baies en façade (une porte encadrée de deux fenêtres) couvert d'un toit en bâtière à faible pente, rives et égouts saillants, revêtu de tuiles mécanique. Il comportait une citerne de 20.000 litres en soubassement. Son architecture modeste, agrémentée par l'encadrement brique et pierre des baies et un crépi blanc, s'apparente fortement à celle, normative, des logements de garde-barrière disposées à la même époque aux passages à niveau des voies de chemin de fer. Il n'y a donc plus, vers 1900, de spécificité typologique nette qui, pour les bâtiments d'accompagnement, différencierait l'architecture militaire de l'architecture ferroviaire (voire industrielle, scolaire ou pénitentiaire). D'après le plan de 1904, le magasin en caverne, creusé dans un axe diagonal sous la gorge et à la droite de l'épaulement, sans lien vertical direct avec lui (pas de monte-charge), est une simple salle des poudres voûtée en berceau, sans sas d'entrée ni couloir d'isolement.
La batterie proprement dite est constituée d'un épaulement rectiligne long d'environ 60m. Ses trois plates-formes ou emplacements de tir doubles, surplombant de plus de 2m l'aire ou place d'arme régnant à la gorge de la batterie, initialement de plan rectangulaire avec larges pans coupés dans les angles rentrants, ont toutes été transformées en 1943 par la construction de superstructures à l'usage de l'artillerie antiaérienne allemande. Le front de gorge de la batterie juxtapose et aligne les façades des deux retours d'angle du parapet et celles des deux traverses qu'elles encadrent. Les façades des retours du parapet fermant l'épaulement sur ses flancs sont élargies latéralement par le mur de profil du talus du parapet. Ces deux façades, couronnées d'une mince tablette en ciment, sont parementées en opus incertum de gros moellons polygonaux ou équarris, de roche dure brune, avec joints en ciment clair, et percées d'une porte donnant accès au magasin enterré contenus dans le retour du parapet. Encadrées d'un chambranle en ciment couvert en arc surbaissé, ces portes sont actuellement murées, ce qui interdit l'accès au magasins. La planche de plans de 1904 montre sous le magasin de droite, vouté en berceau surbaissé, est ménagée une citerne également voûtée. Les murs de soutènement des trois plates-formes d'artillerie, parementés avec le même opus incertum, sont en retrait d'alignement des façades des retours de parapet et des traverses ; un escalier à volée droite unique y donne accès, dans l'axe et perpendiculairement. Il est maçonné en ciment armé. Les maçonneries des traverses se différencient de celles des façades des retours du parapet et des murs de terrassement parce qu'elles sont entièrement finies en béton armé. Il est difficile de dire s'il s'agit d'un parti d'origine, ou du résultat d'une reprise. L'accès aux abris ou magasins de ces traverses, plus petits que ceux des retours du parapet, ne se faisait pas par une porte frontale, mais par un passage ou couloir latéral qui permettait une communication défilée en corridor à la gorge des trois plates-formes. Ces passages sont également murés.
Gorge des trois emplacements de tir et des deux traverses-abris bétonnées
L'extrémité gauche de la batterie est construite sur la rupture de pente du terrain naturel, en sorte que le revêtement de façade du retour du parapet est fondé deux fois plus bas de ce côté qu'à droite, ce qui double sa hauteur murale. Un escalier bordant la façade descend de quelques marches pour desservir la porte du magasin, dont le sol est surbaissé. Du même côté de la batterie, l'escalier montant à la plate-forme d'artillerie attenante au retour du parapet est prolongé du double de sa longueur primitive pour desservir l'emplacement de tir créée en 1944 par les allemands pour un canon de D.C.A. de 3,7cm. Cette plate-forme, deux fois plus haut placée que la plate-forme double d'origine pour pièces de marine de 100mm, prend la forme d'une cuve en béton armé de plan octogonal, dont le mur garde-corps maigre dépasse la hauteur du parapet en terre d'origine. On y voit encore le socle circulaire boulonné de l'affût tournant de l'arme. L'arrière de cette cuve ne se limite pas à un garde-corps maigre, mais est renforcé et surépaissi par un bloc de béton armé recoupé par l'escalier d'accès, parados construit en surélévation du mur de revêtement de la plate-forme d'origine. Chacune des trois plates-formes double pour pièce de 100mm a été ainsi remplacée par une cuve unique pour pièce de D.C.A. de 3,7cm,, assise plus haut et plus en avant. Les trois cuves sont bien conservées.
Cuve pour canon de D.C.A. allemand de 3,7cm de 1944, socle de la pièce.
historien de l'architecture