Construction et typologie générale
La batterie du Lazaret, implantée sur la hauteur de ce nom, à environ 105m d'altitude et à bonne distance de la côte, n'est fondée qu'en 1880, ex-nihilo. Il existe cependant une équivoque sur cette question, due à un transfert de toponyme. On trouve en effet sur deux feuilles d'atlas distinctes donnant le plan de la batterie (ou des batteries) du Lazaret, datées du 1er janvier 1903, l'une d'elles mise à jour en 1908 et 1911, l'historique suivant : "1861-1862 : construction de la batterie / 1880-1882 : construction de la nouvelle batterie" 1. Cette indication laisse entendre que la batterie double de 1880-1882 a remplacé sur le même site une batterie fondée vingt ans plus tôt, ce qui est inexact. Le plan partiel de la presqu'île pour les projets supplémentaires de 1866-1867 montre d'une part la hauteur du Lazaret vierge de toute construction, et d'autre part la présence d'une batterie dite du Lazaret, pour six pièces, sur la pointe du même nom, quelques centaines de mètres au nord de la hauteur, adossée à la clôture annexe est du parc du Lazaret de la marine, lequel a donné son nom à la fois à la pointe nord de la moitié ouest de la presqu'île, et à la hauteur qui la surplombe. C'est la batterie de la pointe du Lazaret qui a été construite en 1861-1862, sur un emplacement antérieurement vierge, pour remplacer fonctionnellement la batterie de la Vieille, implantée sur la pointe voisine, à l'est/sud-est (à moins de 200m de distance) projetée pour six pièces depuis 1858, mais dont le projet n'a pas été exécuté. Cette circonstance est parfaitement documentée par les archives du génie, mais en 1882, cette batterie du Lazaret a été restructurée, en même temps qu'était construite la double batterie de la hauteur du Lazaret, et a été renommée batterie de la Piastre, sans doute pour éviter le double emploi d'un même toponyme. C'est donc à la batterie de la Piastre, et non à celle de la hauteur du Lazaret, que doit s'appliquer l'historique figurant sur les plans d'atlas de 1903 2.
A sa mise en fonction en 1882, la batterie de la hauteur du Lazaret comporte -fait inhabituel- deux épaulements de batterie distincts et séparés, de quatre pièces chacun, d'où un total de huit pièces, quatre de 24cm, quatre de 19cm : bien qu'il s'agisse d'une batterie ouverte, et malgré sa conception éclatée, c'est un ouvrage important, comparable par sa force et sa position en altitude, à la batterie de la Croix des Signaux, construite peu auparavant, en 1878, et comportant huit pièces, deux de 24cm, six de 19cm. La mise en place de cette nouvelle batterie du Lazaret a la même origine que la fondation de la batterie de la Croix des Signaux. Une Instruction du 30 mai 1872 3 avait redéfini la menace sur les côtes, en tenant compte des progrès parallèles de la flotte de guerre à vapeur et de l’artillerie à longue portée, désormais rayée (ce qui décuplait portée utile et précision à l’impact), et ouvre la voie à une nouvelle génération de batterie de côte, implantée désormais en altitude et armée avec des pièces d’artillerie de marine, pour le bombardement.
Le rapport de la commission mixte de révision de l'armement du littoral de l’arrondissement maritime de Toulon, daté du 6 mars 1873 4, considère que les batteries de la presqu’île de Cépet (= Saint-Mandrier) dirigées vers le large, au sud et au sud-est, soit, d'est en ouest, celles du Puits, de Mord'huy, du cap Cépet (alias de Rascas), de la Coudoulière, de Saint-Elme, n'ont pas un commandement (altitude) suffisant, et que leurs feux ne sont pas assez convergents pour atteindre un même point de la route suivie par des cuirassés ennemis. Les rapporteurs en concluent que ces batteries dispersées pourraient être avantageusement remplacées par une forte batterie sur la hauteur de la Croix des Signaux, et une autre (treizième des vingt et une mesures proposées) sur celle du Lazaret. Leurs feux conjugués s'opposeraient aux débarquements ennemis sur les plages de la Coudoulière et des Sablettes, tandis que des pièces blindées de fort calibre pourraient être placées à Rascas et à Marégau, batterie abandonnée, pour assurer des tirs de rupture sur les cuirassés. Cependant, les avants-projets de défense de la rade et du littoral, rédigés pour l'exercice 1875-1876, s'éloignent en partie de ce projet de principe, au moins pour le Lazaret : ils postulent que la construction d'une batterie retranchée sur la falaise du Gros Bau, à 70m d'altitude, et à moins de 200m à l'est de Marégau, armée de huit pièces, permettrait de faire l'économie à la fois de l'ouvrage neuf de la hauteur du Lazaret, et de la réhabilitation de la batterie de Marégau. 5
Peu après, de nouvelles normes spécifiques aux batteries de côte sont posées par instruction du 18 mars 1876. Les pièces doivent être placées à barbette sur des plates-formes de maçonnerie séparées par des traverses-abris (une par pièce ou, au plus, par deux pièces). Le parapet en terre doit avoir 6 à 8 mètres de profondeur. Selon le type de batterie, les calibres oscillent de 16 cm à 32 cm 6. Le 28 novembre 1876, la commission de révision de l'armement du littoral rend un rapport actualisant celui de 1873, qui planifie la réorganisation générale de la défense du port et de la rade. La Croix des Signaux est considérée comme la position la plus importante pour la défense de Toulon du côté de la mer, permettant une action à la fois vers le large et vers la rade, mais le projet de batterie sur la hauteur du Lazaret refait surface, et est à l'étude : l'armement envisagé est de quatre canons de 24cm. 7
Le plan de défense de la rade de Toulon de 1876 approuvé le 4 avril 1877 8, prévoit l’abandon prévoit l’abandon de six à huit batteries, l’adaptation de cinq à six et la création ex nihilo de neuf à dix autres, dont, pour la défense de la presqu'île de Saint-Mandrier, les batteries fermées de Cépet et du Gros Bau, et, au-dessus, les batteries ouvertes de la Croix des Signaux et du Lazaret. Les missions des batteries de côte programmées en 1877 se répartissaient entre des batteries de bombardement, placées en altitude, pour le tir plongeant courbe sur les ponts des navires, des batteries de rupture, pour le tir tendu bas battant l’accès des passes et des rades contre les coques des navires, ces deux catégories adaptées aux canons de gros calibre, et des batteries de moyen calibre et de mortiers (gros calibre à tir vertical parabolique), pour l’action plus rapprochée.
Ce programme est mis en œuvre à partir de l’année 1878, en phase avec la construction de forts détachés distants assurant, selon les principes de Séré de Rivières, la défense terrestre de la place forte de Toulon 9. Dans l'ordre chronologique de réalisation des ouvrages neufs, batteries de bombardement, de la presqu'île, la batterie du Lazaret vient en troisième position, après la Croix des Signaux et Cépet, avant le Gros-Bau.
La batterie du Lazaret est double, et, par-là, dotée de deux fois plus de pièces d'artillerie que prévu en décembre 1876, à savoir quatre pièces de 24cm, modèle 1876, sur l'épaulement nord-ouest, et quatre de 19cm sur celui du sud-est. Soit la même force que la batterie principale de la Croix des Signaux, construite en 1878 (augmentée toutefois dès cette date de deux batteries complémentaires de quatre et deux pièces). La construction de la batterie du Lazaret engendre une dépense de 214.000 francs, chiffre important qui doit inclure pour un 5ème à un quart environ, le coût des acquisitions de terrains 10. Elle comporte, entre les deux épaulements de conception identique, un réduit de casernement casematé à deux travées d'une capacité maximum de 96 hommes en temps de guerre, abrité sous un gros merlon de terre, et un magasin à poudres en semi-caverne d'une capacité de 44, 200 tonnes, conforme les directives d’enterrement des modèles de magasins de 1868 et 1874.
L'originalité -alors sans précédent et demeurée rare- des deux épaulements rectilignes de la batterie du Lazaret, est leur caractère bidirectionnel ou réversible : chaque emplacement de tir est constitué d'une plate-forme de plan carré, équipée d'un socle circulaire pour affût guerre à pivot central (GPC), c'est-à-dire avec rail circulaire, et enveloppé d'un parapet continu courant sur les deux faces opposées de l'épaulement. Ces dispositions permettent une rotation complète (360°) des pièces d'artillerie, par conséquent des tirs portant autant vers le large, au sud, (direction qui justifiait initialement ce projet de batterie), que vers la rade (nord et nord-est). C'est sans doute ce parti de bifrontalité qui a permis au projet de la batterie du Lazaret, en 1876, de n'être plus jugée en relatif double emploi de celui du Gros-Bau, comme il était suggéré d'abord.
On notera que la batterie principale de la Croix des Signaux a été construite initialement pour que ses huit pièces (de 19 et 24cm), tirent au nord, vers la rade, ses deux annexes proches tirant aussi au nord (2 pièces), et au nord-est (4 pièces), sans doute parce que les tirs de bombardement vers le sud étaient jugés alors (1878) suffisamment nourris par les batteries fermées projetées de Cépet et du Gros-Bau, voire par celle, ouverte, du Lazaret. Finalement, dès 1891, les positions de tir de la Croix des Signaux sont inversées à grands frais pour faire face à la haute mer, cette direction étant jugée plus pertinente, sans doute en partie du fait de la capacité de la batterie du Lazaret à battre aussi la rade. Le choix de compromis fait dès 1880 au Lazaret, de positions de tir bidirectionnelles, parait d'autant plus remarquable si on le compare au scénario en deux étapes, moins souple et plus coûteux, mis en œuvre à la Croix des Signaux.
Les deux épaulements de batterie sont de plan symétrique, arrondis aux extrémités, et recoupés au centre, dans l'axe de symétrie, par une grosse traverse qui abrite un important magasin souterrain ; de chaque côté, les deux emplacements de tir ou sections d'artillerie, sont séparés par une traverse secondaire aussi large, mais ne joignant que le parapet sud, dégageant le passage sur la plate-forme au nord, et abritant un magasin deux fois plus petit. Ces trois magasins sont enterrés sous le niveau des plates-formes. A chaque extrémité demi-circulaire du parapet est implanté un poste de commandement en forme de petit mirador ovale à ciel ouvert. Si les deux épaulements, fermés et à deux fronts d'attaque, n'ont, par conséquent, pas de gorge, leur front nord, face à la rade, est néanmoins le moins vulnérable aux tirs ennemis : c'est pourquoi le chemin d'accès aborde ces deux batteries du côté nord, à l'abri du relief de l'épaulement. Il y pénètre en souterrain, dans l'axe du magasin central, débouchant perpendiculairement dans une longue galerie enterrée parallèle à la batterie, qui distribue d'abord, de part et d'autre du magasin, deux branches d'escalier divergentes montant sur les plates-formes en passant sous la traverse centrale. Les extrémités opposées de cette galerie souterraine distribue, dans une tranchée à ciel ouvert, l'entrée des petits magasins des traverses secondaires (près desquels est nichée une citerne en forme de puits) et, de chaque côté de cette entrée, deux autres branches d'escalier montant sur les plates-formes.
En 1901, la double batterie est équipée de postes télémétriques et de commandement. Peu après, en 1901-1902, une batterie annexe pour quatre canons de 95 mm modèle 1888 sur affût de côte tournant, est bâtie entre le réduit casematé et la batterie (sud-est) de 19cm, dans le prolongement de cette dernière. Les travaux sont réalisés par l'entreprise de maçonnerie Sassier 11, sur un budget de 45.000 fr. Les emplacements de tir, de petit diamètre, sont groupés par couples, et non défilés par des traverses, cette batterie, deux fois plus petite que les autres, étant implantée un peu plus bas sur le terrain, et défilée par le relief de la batterie de 19cm. La plate-forme y est remplacée par une étroite tranchée ou chemin couvert, avec niveau souterrain en galerie et escaliers, qui dessert les pièces en les contournant en rotule, et distribue au passage des niches à munitions disposées de place en place le long de la circulation entre pièces. Hormis ces différences, notamment d'échelle, elle reprend la conception bidirectionnelle des deux batteries de 1882, et dispose comme elles de petits postes de commandement d'extrémité à ciel ouvert. L'entrée, à l'extrémité nord-ouest, en tranchée plus profonde, donne accès au passage à deux magasin souterrains nichés sous le parapet, dont un magasin aux gargousses12.
A la suite de la construction de cette batterie annexe, en 1902, la batterie sud pour pièces de 19cm est remaniée dans sa moitié sud-est : la traverse intermédiaire est réduite en largeur du côté nord à l'emprise du magasin qu'elle couvre, et les deux pièces sont regroupées dans la partie élargie de la plate-forme régnant entre cette traverse intermédiaire et la grosse traverse centrale, sur des affuts tournants circulaires plus petit. Le poste de direction à ciel ouvert sud-est est remplacé par un poste de direction de tir de groupe bétonné et couvert, mais un petit poste à ciel ouvert est ajouté sur la traverse intermédiaire 13.
En 1914, à l'entrée en guerre, la batterie sud-est est encore armée de quatre canons de 19cm sur affût GPC, la batterie nord de ses canons de 24cm d'origine, la batterie annexe de ses quatre pièces de 95mm. Cette artillerie est déposée avant 1918. Elle est remplacée, entre les deux guerres, par une batterie d'expérience (pour le tir d'essai aux grands angles) de quatre canons de 164mm modèle 1887, 1891 et 1893 SM sur affût modèle 1893-14, répartis sur les deux batteries principales. A l'heure de la mobilisation de la seconde guerre mondiale, en 1939, les pièces de 164 avaient été déposées, et étaient remplacée par une batterie de D.C.A. (Défense contre aéronefs) de quatre pièces de 75 mm modèle 1897 sur affût C.A. modèle 1915. En application de la convention d'armistice franco-italienne du 25 juin 1940, une concernant la Méditerranée, et imposant le désarmement de la majeure partie des batteries de côte du secteur de Toulon, les quatre pièces de 75mm de la batterie du Lazaret sont déposées en septembre.
En novembre 1942, la D.C.A. de Toulon, placée sous le commandement du Capitaine de Vaisseau Orlandini, dispose alors de six batteries de chacune quatre pièces de 90 mm modèle 26-30 C.C.A. (côte contre avions) équipées d'un télépointeur C.A., réparties dans différents forts, dont, pour la presqu'île, le "fort" de Cépet. S'ajoutent à ces postes fixes deux batteries de quatre pièces mobiles de 90 mm modèle 1932 en provenance de Marseille (de la batterie des Cadeneaux), l'une d'elles installée dans la batterie du Lazaret. Le 27 novembre au matin, en réaction à l'invasion de la presqu'île par les troupes allemandes, le capitaine Orlandini donne l'ordre de saboter l'artillerie et les matériels de pointage des batteries, ce qui est fait pour celle du Lazaret. Entre le 15 décembre 1942 et le 8 septembre 1943, la prise en charge des batteries de côte du camp retranché de Toulon est confiée par l'état-major allemand au Commandement militaire maritime italien en France, qui entreprend la remise en état des batteries. Dans ce cadre, quatre canons de 90mm, modèle 1926-30 provenant de la fonderie de Ruelle, remplacent les pièces mobiles sabordées dans la batterie du Lazaret, mais les postes de direction de tir ne sont pas rétablis. A partir de novembre 1943, les allemands constituent le Stp Tor 016 organisation défensive de la presqu'île basé à Saint-Elme / Les Sablettes,qui reprend en charge neuf batteries de côte de la presqu'île, dont les batteries de D.C.A., dites Flakbatterien, principalement celles du Lazaret, du fort de Cépet Haut et de La Piastre. 14
L'armement de la Flakbatterie du Lazaret est réformé : il se compose de six canons de 8,8cm et de trois de 2cm 15. Une photographie aérienne verticale datée de 1943 montre la batterie nord-ouest dans un état évoquant un important chantier de réorganisation 16. Sur cette même photographie, on note la présence de deux petites constructions de plan presque carré, probablement des corps de garde, sur le parapet nord de la batterie sud-est, un au droit de la grosse traverse centrale, l'autre au droit de l'emplacement de tir de l'extrémité nord-ouest. On ignore la date de construction de ces petits édifices aujourd'hui détruits, dont la présence limitait les possibilités de tir vers la rade.
Abandonnée après la guerre, la batterie du Lazaret est occupée par la ville de Saint-Mandrier, qui a fait installer un entrepôt atelier municipal à proximité de l'épaulement sud et du casernement, ce dernier ayant été réhabilité pour servir de maison d'habitation. On ignore dans quelle circonstances la batterie nord-ouest a été désorganisée et en partie ruinée. Des gravats provenant de démolitions ont été récemment déversés de manière très inopportune dans la communication en chemin couvert et les rotules d'emplacement de tir de la batterie annexe.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
Établis sur la hauteur du Lazaret, presque au centre et au point culminant de la moitié ouest de la presqu'île de Saint-Mandrier, les deux épaulements ou batteries en occupent le sommet, en forme de crête étirée en longueur de nord/nord-ouest en sud/sud-est, à 105m d'altitude. Le groupe compact de bâtiments de la batterie, composé du réduit-caserne et du magasin à poudre, jadis traversé par la route militaire, est niché dans un repli du terrain entre les deux batteries principale, à 97m d'altitude. La batterie annexe, calée entre le réduit et la batterie sud, règne à 102,50m. L'ensemble se déploie sur une longueur totale de 325m. L'accès se fait par l'ancienne route militaire, rebaptisée "route de la Renardière", qui part de la départementale 18, au nord de la presqu'île, entre les Sablettes et Saint-Mandrier, et dessert au passage la batterie annexe de la Piastre (ou batterie de 100 de la Piastre). La route ne traverse plus le bloc de bâtiments, entre réduit et magasin, mais fait un virage en S pour contourner le réduit par le nord et passer du côté sud-ouest de la crête. Elle passe donc toujours entre les deux batteries, qui sont libres d'accès.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
Les deux batteries ou épaulements de batterie nord-ouest et sud-est, à parapet continu fermé, de plan rectangulaire allongé terminé en hémicycle aux extrémités, ont des dimensions à peu près identique, soit 98m de long pour 22m de large (batterie nord) à 100m de long pour 23,5m de large (batterie sud) à la crête du parapet, ce dernier étant élargi en talus à la base. Leur organisation générale a été décrite assez en détail ci-dessus, dans le développement historique exposant la typologie des ouvrages. Plantées de pins depuis une cinquantaine d'années, elles sont inégalement conservées dans leur état actuel.
Batterie nord-ouest
La batterie nord-ouest, non retouchée dans les années 1900, mais apparemment remaniée sous l'occupation italienne et allemande, est aujourd'hui altérée et ruinée, apparemment à la suite de destructions, comblements et déblais volontaires, ce qui rend confuse et peu lisible son organisation d'origine : les terres des traverses ont été nivelées, les souterrains murés et une partie des plates-formes de tir comblées. Cependant, on reconnaît encore, dans sa moitié sud/sud-est, une tranchée à ciel ouvert parallèle au grand axe de la batterie, revêtue de murs de soutènement, qui n'est autre que le débouché de l'accès souterrain médian de la plate-forme de tir de cette moitié de la batterie et de ses deux emplacements de pièces (initialement de 24cm). L'issue du passage souterrain sous le parapet nord/nord-est, débouche en fond de tranchée dans un renfoncement évasé entre murs de profil, face à l'entrée du magasin de traverse, et dessert symétriquement de chaque côté les deux escaliers opposés montant dans la tranchée vers les emplacements de tir. Celui du sud-est a été complètement transformé : il est occupé par le socle béton et le pivot métallique d'affût tournant modèle 1893 d'une des pièces de 164mm de la batterie d'essai, installées dans les années 1920, mais cette infrastructure est à demi ensevelie sous les remblais d'une cuve en béton octogonale de 1944 implantée à côté, sur le parapet nord, par les allemands, pour une des pièces antiaériennes de 8,8cm de leur Flakbatterie 17. Batterie nord-ouest, débouché de l'accès souterrain aux plates-formes de la branche sud/sud-est.Les murs de revêtement de l'issue et de la façade du magasin de traverse de 1882 sont parementés en appareil polygonal de moellons, avec joints ciment et tablettes en pierre dure bouchardée. La porte du de traverse est encadrée en brique et pierre, selon un modèle type avec sommiers en pierre de taille blanche et arc en brique (modèle que l'on retrouve au réduit de batterie et au magasin à poudre). L'arcade d'issue du souterrain voûté en berceau et la porte du magasin de 1882 sont aujourd'hui murés, empêchant l'exploration de ces souterrains.
La traverse centrale et le magasin principal qu'elle surmontait, ainsi que les escaliers associés, ne sont plus reconnaissables aujourd'hui. En revanche, le débouché en tranchée de l'accès souterrain de la moitié nord-ouest de la batterie reste à peu près aussi bien conservé que celui de la moitié sud-est, et la porte de son magasin a été démurée, ce qui permet de voir le petit local casematé voûté en berceau de ce magasin.
Batterie sud-est
La batterie sud-est est beaucoup mieux conservée, même si les merlons de terre des traverses ont perdu en hauteur, et si ses souterrains sont murés et inaccessibles. Les magasins de traverses sont tous équipés de cheminées de ventilation dont les souches sont refaites avec un chaperon en ciment (années 1930 ?). La moitié ouest/nord-ouest de la batterie a conservé dans un état assez proche de celui créé en 1882, ses parapets, son poste de commandement découvert au plan ovalaire caractéristique bâti en blocage sommaire, son magasin de traverse et l'issue en tranchée du souterrain qui s'y articule. En revanche son emplacement de tir d'extrémité (ouest/nord-ouest), est méconnaissable, du fait de la construction dans son emprise d'un corps de garde directement attenant au magasin de traverse, petit bâtiment aujourd'hui en ruines ; l'encombrement de cet aménagement réduit l'aire jadis spacieuse et demi-circulaire de cette plate-forme à un étroit passage reliant l'issue en tranchée au poste de commandement découvert. Bien que construit en matériaux traditionnels, soit un blocage de moellons de tout-venant jointoyé ou enduit au ciment, ce corps de garde est l'édifice le plus récent de la batterie, sans doute mis en place pendant l'occupation allemande. En effet, il n'existe pas encore sur la photographie aérienne de 1943, qui montre l'emplacement de tir dans sa forme primitive. Par contre, les deux autres corps de garde présumés que cette photo montre en place sur le parapet, ont disparu. La grosse traverse centrale est conservée, un peu dégarnie de ses terres, avec, passant dessus, soit au-dessus des reins de la voûte du magasin, dans l'axe de la batterie, la communication étroite en tranchée à ciel ouvert qui assurait la communication entre les deux moitiés de la batterie. Batterie sud-est, au fond, traverse centrale avec passage en tranchée, au 1er plan, poste de commandement.
La traverse intermédiaire de la moitié sud/sud-est de la batterie, surmontée de sa courte cheminée d'aération, est toujours flanquée sur son côté gauche du petit poste de commandement découvert de plan en fer à cheval, qui y avait été ajouté en 1902. Cette traverse intermédiaire est, comme on l'a vu, réduite en largeur sur son côté droit depuis 1902 au bénéfice de l'agrandissement de l'emplacement de tir attenant de ce côté, sur lequel avaient été alors regroupés les deux pièces de 19cm de la moitié est/sud-est de la batterie, en libérant l'autre emplacement, pour y construire, au fond, un poste de direction de tir de groupe bétonné et couvert (dont le volume aurait gêné la pièce si elle n'avait été déplacée). L'ensemble de ces dispositions de 1882 remaniées en 1902 reste très lisible. Les deux pièces de 19cm regroupées en 1902 ayant été remplacées dans les années 1920, par une des pièces de 164mm de la batterie d'expérience alors créée, c'est le socle de l'affût modèle 1893-14 de cette pièce, en béton et fer boulonné, que l'on voit seul aujourd'hui sur ce double et vaste emplacement de tir double qui avait été aussi rallongé aux dépens de la traverse centrale.
Le poste de direction de tir de groupe bâti en 1902, petit édifice d'aspect cubique couvert d'une dalle de béton, comporte un corps central à deux niveaux, un étage de soubassement précédé d'une étroite "cour anglaise" dans laquelle on descend par un escalier en ciment, et un rez-de-chaussée surélevé, desservi par un escalier métallique de cinq marches. Le garde-corps en fer de cet escalier est de même type que celui qui borde la cour anglaise, avec rampe et divisions à traverses croisées en croix de Saint-André. Les portes et fenêtre de la façade unique de ce poste sont murées, mais celles de l'étage de soubassement ont conservé leur grille. La cour anglaise s'étend à un local annexe du corps principal, plus petit et plus bas, également couvert d'une plate-forme cimentée. Le côté gauche et l'arrière du corps central affectent un plan demi-circulaire, ce qui, pour l'arrière, résulte du fait qu'il est fondé sur l'ancien poste de commandement découvert de 1882, dont il reprend le plan arrondi.
Batterie annexe de 95mm
La batterie annexe de 95mm est globalement très bien conservée, exceptés des prélèvements de terre faits sur son parapet nord du côté de son accès, soit vis-à-vis le réduit de batterie. Ces déblaiements ont déterré l'arrière bétonné d'un petit magasin que dessert à gauche la tranchée d'accès. Cette tranchée pénètre obliquement dans la tête arrondie du parapet en terre, entre deux hauts murs de revêtement commençant en mur de profil, et reste à ciel ouvert au lieu de former un souterrain voûté, à la différence de l'accès des deux autres batteries. Après avoir desservi à droite le petit magasin déjà cité, cette tranchée d'entrée converge avec la longue tranchée ou chemin couvert rectiligne qui assure toute la distribution de la batterie, soit les quatre emplacement de tir en rotule, en deux groupes jumelés de deux pièces de 95mm, et, aux deux extrémités les postes de commandement découverts.
Le point de convergence de la tranchée d'accès dans la tranchée de distribution forme une sorte de courette-vestibule étroite et encaissée à ciel ouvert, de plan en trapèze presque triangulaire, qui dessert, dans l'axe de l'accès, la porte (élargie, condamnée) du magasin au gargousses, local casematé refendu enterré sous le côté sud-ouest du parapet dans sa partie arrondie. Au fond à gauche de cette cour étroite, l'élévation de la tranchée de distribution se divise en deux niveaux superposés : en bas, de plain-pied avec la cour encaissée, règne, non sous le chemin couvert supérieur, mais le long de son soubassement côté sud-ouest, une étroite galerie souterraine voûtée sur arcs-doubleaux transversaux et berceaux longitudinaux, qui dessert latéralement des niches à munitions et fait des chicanes pour contourner le soubassement aux angles arrondis des deux groupes d'emplacements de tir de 95mm. La plupart des niches sont aujourd'hui murées en briques, mais les voûtes en maçonnerie traditionnelle de blocage sont en bon état. Entre les deux groupes de deux emplacements de tir, et vers l'extrémité sud/sud-est de la galerie souterraine, un étroit escalier droit réservé dans une paroi remonte vers la distribution supérieure ou chemin couvert reliant entre eux les positions de tir et les postes de commandement.
L'escalier principal d'accès à ce chemin couvert part de la cour encaissée, il est bordé d'une rampe en fer et aboutit directement sur la rotule de la première pièce de 95mm du premier des deux groupes, dont la plaque de l'affut tournant est en place et dégagée. De là, en repartant en sens inverse, une passerelle métallique légère et étroite, avec garde-corps en fer, assure la communication au-dessus de la cour, vers le poste de commandement découvert de l'extrémité nord-ouest. Le reste du chemin couvert rectiligne à ciel ouvert, desservant en rotule le second groupe de deux pièces de 95mm, puis le poste de commandement découvert de l'extrémité sud-est, est aussi bien conservé que la partie autour de la cour encaissée, avec ses muret parementés en appareil polygonal de moellons bruts et ses minces tablettes de couvrement d'arase en pierre de taille dure finement bouchardées, mais malheureusement, il est actuellement comblé de gravas provenant de démolitions apparemment étrangères au site.
Batterie annexe de 95mm, courette et escalier d'accès au chemin couvert, emplacement de tir de 95mm.
Réduit de batterie ou casernement
Le réduit de batterie ou casernement forme un bâtiment de quatre travées casematées, semi-enterré sous un merlon de terre aujourd'hui en partie dérasé, avec façade unique en moellons polygonal avec baies encadrées en brique et pierre de taille. Cette façade s'ouvre, face à l'est, sur une cour rectangulaire allongée par laquelle passait à l'origine la route d'accès militaire, la transition étant marquée par deux portails (à chaque extrémité de la cour) encadrées de piliers de brique encore en place. Cette cour sépare le réduit ou casernement du magasin à poudres plus profondément enterré en "semi-caverne". Sur les quatre casemates parallèles du réduit, revêtues d'un enduit couvrant les deux médianes, voûtées en berceau surbaissée et percées chacune d'une porte encadrée de deux fenêtres plus bas couvertes, donnant dans la façade sur cour, étaient destinées au casernement de la garnison. Les travées latérales sont plus petites, l'une, actuellement aménagée en garage (façade modifiée pour cet usage) devait être la chambre des sous-officiers, l'autre, plus petite, avec une porte et une fenêtre sur cour, peut avoir été la cuisine. Un couloir d'isolement à l'arrière et sur le côté des casemates contribuait à les assainir, en créant une ventilation les garantissant de l'humidité. Par ailleurs, deux gargouilles monolithes saillant en façade évacuent les eaux pluviales qui filtraient dans le merlon. A l'extrémité nord de la façade, le bâtiment du réduit est complété par deux travées faisant saillie en avant-corps à deux ressauts, de même âge et construction, la seconde travée, la plus saillante, attenante au portail d'entrée, ayant été surélevée d'un étage vers la fin du XXe s, pour former une maison d'habitation. L'ensemble de ces deux avant-corps servaient de logement pour le gardien de batterie, d'après la légende d'une copie du plan de 1903. Ces bâtiments étaient en travaux lors de notre visite fin juin 2014.
Parallèle dans son grand axe à la façade du réduit et au grand axe de la cour, donc voûté dans un axe perpendiculaire à celui des casemates de ce réduit, le magasin à poudre enterré ou "semi-caverne" est précédé du côté de l'entrée d'une courette de dégagement à ciel ouvert profondément encaissée. Il est d'un type très caractéristique de la fin de la décennie 1870 et des années 1880, comparable, par exemple, à l'état final du magasin de la batterie de la Carraque, sur la presqu'île, et surtout très proche de celui de la Basse-Malgue (ou batterie Basse de Lamalgue), au nord-est de la petite rade. Dans le cas de la Basse-Malgue, l'analogie s'étend au casernement casematé enterré, avec façade unique sur cour, à cette différence que le casernement y est au même niveau souterrain que le magasin, sa façade donnant sur la même cour encaissée. La principale différence entre le magasin à poudre du Lazaret et ceux de la Carraque (1881) et de la Basse-Malgue (1878) tient au fait que ces derniers ne sont pas une création ex nihilo, mais l'adaptation d'un magasin plus ancien, non enterré, avec petite enceinte d'isolement à ciel ouvert (magasin de 1770 à la Basse-Malgue, de 1852 à la Carraque).
La courette encaissée, étroite dégageant la façade du magasin, revêtue de hauts murs de soutènement parementés en opus incertum polygonal et couronnés d'une tablette en briques, est desservie depuis la cour du réduit (qui se confondait, on l'a vu, avec la route d'accès des batteries), par un escalier à rambarde de fer descendant en deux volées, d'abord le long du mur de soutènement côté cour du réduit (ouest), puis se retournant le long de celui (nord) opposé à la façade du magasin. Ses marches en pierre de taille dure reposent, pour la volée principale ouest, sur un grand arc boutant en briques, lequel prend appui sur le haut de la façade d'entrée du magasin. En ce point, c'est-à-dire à l'angle du palier haut de l'escalier et de la tablette d'arase de la façade sur courette du magasin, est conservée en place une potence de fonte pivotante en « col de cygne » qui servait au levage des charges de poudres, pour les acheminer vers les batteries. Bien qu'ayant perdu ses deux poulies et son filin, cette potence en place est un objet rare, dont on retrouve un autre exemplaire précisément à la Basse-Malgue. Dans la courette est établi un égout, pour éviter les inondations, avec évacuation dans le sens de la pente naturelle du terrain, vers l'est, et regard de visite percé en bas du mur de soutènement est de la cour. Magasin à poudre enterré, courette encaissée d'accès et façade d'entrée.
La façade du magasin, comme l'ensemble, est très bien conservée. Elle est percée de quatre baies : au centre, la porte et la fenêtre du sas d'entrée, encadrée symétriquement par les deux issues du couloir d'isolement qui enveloppe le magasin et les côtés du sas, les garantissant contre l'humidité. Les deux issues formant une arcade étroite en pierre de taille bouchardée couverte d'un arc plein-cintre (qui prolonge directement la voûte du couloir), les porte et fenêtre sont du modèle classique des années 1880, à arc segmentaire et jambages en briques, les bases du jambages (ou l'appui, s'agissant de la fenêtres) et les sommiers de l'arc employant des pierres de taille finement bouchardées. Ces baies se détachent sur un parement de façade en gros moellons sommairement équarris et assisés, qui se transforme, au-dessus des arcs, en opus incertum polygonal. Les issues du couloir sont fermés par une grille de fer à claire-voie jouant dans une feuillure extérieure. L'une des deux grilles est déposée (juin 2014). Les vantaux en place dans la feuillure extérieure de la porte et de la fenêtre sont blindés à l'extérieur de plaques de fer, sur laquelle passent les pentures, et qui sont clouées sur une menuiserie de planches de bois en double épaisseur l'une verticale et l'autre horizontale.
On entre dans le sas d'entrée du magasin quelque peu en chicane, la porte extérieure étant à gauche et non en vis-à-vis de celle de la chambre des poudres, centrée, surmontée de son fenestron. Cette porte est du même modèle que celle de la façade sur courette, y compris le vantail en planches de sens alterné, mais sans blindage en fer ; le fenestron a conservé ses volets de même structure, avec sa targette et ses crochets de maintient en position fermée. La voûte en berceau segmentaire du sas n'est pas solidaire de celle de la chambre des poudres, comme le montre le fait que l'arc segmentaire de briques du fenestron est en partie masqué par l'appui de la voûte du sas. Dans le sol carrelé de terre cuites du sas, à gauche de la porte, s'ouvre un puits circulaire encadré de briques. Il s'agit d'un puits de mise à la terre avec une étroite branche souterraine horizontale en forme d'égout, partant vers l'est, dans lequel passait le câble métallique du paratonnerre, dont les magasins à poudre devaient être équipés conformément à une instruction de 1852. La chambre des poudres, voûtée en berceau segmentaire, de proportions très allongées, revêtue d'un enduit couvrant blanchi à la chaux, est pourvue d'un plancher en bois doublant le sol en pierre qui porte vraisemblablement sur un vide technique voûté (disposition présente à la Carraque). Magasin à poudre enterré, intérieur de la chambre des poudres.
Le couloir d'isolement, dans ses branches latérales, est étroit et simplement voûté en berceau, avec enduit à la chaux blanche ou au plâtre masquant le blocage grossier, La branche postérieure, à l'arrière du magasin, comporte deux segments de voûte rampante convergeant au centre sur une large cheminée d'aération de la salle des poudres, dont le boisseau central en briques au service de la fenêtre postérieure de la salle des poudres, qu'il coffre, est monté en encorbellement sur une arche surbaissée. Sous l'arche portant ce boisseau, encadré de deux conduits verticaux ou cheminées de ventilation et de jour du couloir proprement dit, un créneau à lampe encadré en briques, permettait l'éclairement nocturne de la salle des poudres par une lampe à pétrole dont la fumée s'évacuait dans le couloir.
historien de l'architecture