Construction et armement
Le site de la batterie de côte du Gros-Bau, au sud de la presqu'île de Saint-Mandrier (alias presqu'île de Cépet) est vierge de toute fortification jusqu'au début de la décennie 1880. Au demeurant, cette petite éminence recoupée en falaise constituait une position trop haut placée pour satisfaire à la logique d'implantation de la première génération des batteries de côtes mises en place sur la presqu'île par Vauban et Antoine Niquet en 1695. D'autre part, cette première mise en défense planifiée de la presqu'île avait surtout mis en place des batteries sur la côte nord, face aux rades, et sur la côte est, pour défendre l'entrée de la grande rade : sur sept batteries construites en 1695, une seule est implantée au sud, sur le cap Saint Elme, flanquant l'isthme et la plage des Sablettes.
Le cap Marégau, situé à environ 400m à l'ouest de l'actuelle batterie du Gros-Bau, est pressenti pour implanter une batterie de côte en 1759, mais l'effort de fortification se porte alors nettement plus à l'est sur le site de la plage de la Coudoulière, ajournant la mise en place de la batterie de Marégau, qui n'est créée qu'en 1795.
Améliorée et fermée à la gorge en 1813, la batterie de Marégau, comme la plupart des autres batteries de côte de Toulon et de la presqu'île, est laissée sans changement jusqu'à ce que la commission de défense des côtes de 1841 qui lance un programme général de remise aux normes des batteries de côte, la juge obsolète. La batterie de la Coudoulière fait l'objet d'une réorganisation précoce et coûteuse en 1846, mais celle de Marégau, jugée inutile aux besoins de la défense, est abandonnée quelques années plus tard aux domaines. Les plans de la presqu'île établis à cette époque par le service du génie expriment la topographie du site du Gros-Bau, désigné en 1844 sous le toponyme de Bau Bleu.
Dans la décennie 1870, la réorganisation de la défense des côtes fait l'objet d'une Instruction datée du 30 mai 1872 1 qui institue une commission mixte de révision de l'armement du littoral de l’arrondissement maritime de Toulon. L'objectif fixé consiste à réaménager les défenses afin de faire face à trois types de menace : le forcement des passes, le bombardement naval et l’attaque de vive force par des moyens navals et terrestres combinés. Le rapport de la commission, daté du 6 mars 1873 2, constate que l’emploi de la vapeur dans la propulsion navale a fait perdre à la rade de Toulon son caractère d’abri sûr, ce qui nécessite le renforcement défensif des côtes sud donnant sur le large, notamment pour interdire le débarquement sur les plages proches de la place et pour obliger les navires ennemis à tirer en marchant et le plus loin possible des côtes : "Avant les navires à vapeur et l’artillerie à longue portée, Toulon était considérée à juste titre comme à l’abri de toute attaque du côté de la mer.. on ne peut pénétrer à la voile dans la petite rade qu’en louvoyant ou vent arrière... Aujourd’hui cette sécurité si complète de la rade de Toulon sous la défense de ses batteries contre les attaques maritimes de l’ennemi n’existe plus. Avec la vapeur les navires n’ont plus à s’inquiéter de la direction du vent pour entrer et sortir des rades ; des cuirassés peuvent tenter de forcer les passes et l’artillerie à longue portée permet d’envoyer des boulets de la pleine mer sur Toulon (...) La côte est assez sûre pour permettre en tout temps. (...) à des navires de défiler devant les Sablettes et à l’entrée de la grande rade et de jeter des projectiles sur la ville et sur la rade, aucune défense n’est organisée ni armée sur la côte et dans les rades pour empêcher cette opération effectuée par une escadre cuirassée (...) armée de pièces ayant une portée d’au moins 8 km venant du large (une telle escadre) pourrait se diriger sur les roches des deux frères et se rapprocher jusqu’à 2 km de la côte de manière à se trouver à 8 km du centre de la ville, tout en étant au dehors de la portée des boulets de rupture. Les bâtiments tireront à coup sûr et ne courront que le risque minime d’être atteints sur le pont. Ces risques seront nuls si l’opération a lieu de nuit". Les batteries alors en place sur la côte sud de la presqu’île de Cépet sont, d'est en ouest, celles de Rascas (ou ancienne batterie du cap Cépet), de la Coudoulière, de Saint-Elme, complétées, hors presqu'île mais proche des Sablettes, par celle de Faubrégas. La batterie de Marégau n'est pas mentionnée, étant désarmée et abandonnée aux domaines depuis 1857. Le commandement (l'altitude) de ces batteries est jugé dans l'ensemble insuffisant, et leurs feux ne sont pas assez convergents pour atteindre un même point de la route suivie par des cuirassés ennemis. En conséquence, le rapport de la commission de 1873 est d’avis de renoncer à ces ouvrages, sauf à en conserver une partie pour s’opposer à un débarquement.
L'implantation de nouvelles batteries puissantes du type batterie de bombardement, sur les hauteurs de la Croix des Signaux et du Lazaret est envisagée, tandis que des pièces blindées de fort calibre pourraient être placées à Rascas et à Marégau, pour assurer des tirs de rupture sur les cuirassés. Dans le cas de Rascas et Marégau, il faudrait réhabiliter et adapter l'ancienne batterie, ou en créer une nouvelle mieux placée à proximité, ce qui n'est pas encore explicitement défini en 1873. Cependant, les avants-projets de défense de la rade et du littoral, rédigés pour l'exercice 1875-1876, s'éloignent en partie de ce projet de principe, au moins pour le Lazaret : ils postulent que la construction d'une batterie retranchée sur la falaise du Gros Bau, à 70m d'altitude, et à moins de 200m à l'est de Maregau, armée de huit pièces, permettrait de faire l'économie à la fois de l'ouvrage neuf de la hauteur du Lazaret, et de la réhabilitation de la batterie de Maregau. 3
De nouvelles normes spécifiques aux batteries de côte sont posées par instruction du 18 mars 1876. Les pièces doivent être placées à barbette4 sur des plates-formes de maçonnerie séparées par des traverses-abris (une par pièce ou, au plus, par deux pièces). Le parapet en terre doit avoir 6 à 8 mètres de profondeur. Selon le type de batterie, les calibres oscillent de 16 cm à 32 cm 5. Le 28 novembre 1876, après un travail de plusieurs mois, la commission de révision de l'armement du littoral rend un rapport actualisant celui de 1873, qui planifie la réorganisation générale de la défense du port et de la rade. Ce plan de défense de la rade de Toulon de 1876, approuvé le 4 avril 1877 6, prévoit l’abandon de six à huit batteries, l’adaptation de cinq à six et la création ex-nihilo de neuf à dix autres, dont, pour la côte sud de la presqu'île de Saint-Mandrier, celles de Cépet et du Gros-Bau, prévues armées chacune de deux canons de 16 cm, deux obusiers de 22 cm étant en outre proposés au Gros Bau 7. Dans un premier état prévisionnel donné en 1876 par la commission, l'armement du Gros Bau devait comporter six pièces de 19cm au lieu des deux obusiers de 22. Au-dessus, la Croix des Signaux est considérée comme la position la plus importante pour la défense de Toulon du côté de la mer, permettant une action à la fois vers le large et vers la rade, d'où le projet d'une nouvelle et forte batterie en appoint et à côté du fort existant.
Les missions des batteries de côte programmées en 1877 se répartissaient en principe en trois catégories : des batteries de bombardement, placées en altitude (plus de 50m), pour le tir plongeant courbe sur les ponts des navires, ce qui est le cas de la Croix des Signaux, point culminant de la presqu'île (120m), des batteries de rupture, pour le tir tendu bas battant l’accès des passes et des rades contre les coques des navires, ces deux catégories adaptées en principe aux canons de gros calibre, enfin des batteries de moyen calibre et de mortiers, pour l’action rapprochée contre l’artillerie secondaire des navires plus rapides et faiblement protégés. Les batteries programmées à Cépet et au Gros-Bau sont prévues plutôt pour des pièces de moyen calibre, mais étant implantées à plus de 50m d'altitude (70m dans les deux cas), soit, pour le Gros Bau, deux fois plus haut que l'ancienne batterie voisine de Marégau, elles sont conçues pour le bombardement.
Ce programme est mis en œuvre à partir de l’année 1878, en phase avec la construction de forts détachés distants assurant, selon les principes de Séré de Rivières, la défense terrestre de la place forte de Toulon. La construction de la batterie de la Croix des Signaux est lancée en 1878 (avec huit pièces tirant vers la rade), celle de la batterie de Cépet en 1879, tandis que celle de la batterie du Gros-Bau ne commence qu'en 1882, après l'achèvement de Cépet, sur un projet daté du 15 mars 1881, évalué à 228.000 francs. Ce projet, présenté par le chef du génie de Toulon, précise que l'ouvrage est destiné "à battre tout le rivage au sud de la presqu'île, à flanquer la batterie saint-Elme et la batterie haute du Cap Cépet", et que "le personnel au service des 8 pièces sera de 18 canonniers exercés et 44 auxiliaires" 8. Il est finalement conçu pour un armement de plus gros calibre que celui prévu en 1877 : deux canons de 24cm et quatre de 19cm face au large (sud / sud-est), complétés par deux pièces annexes de 16cm sur le flanc droit (ouest), vers Saint-Elme. Le tout est réparti en deux épaulements distinct et inégaux, le principal et le plus haut à droite, pour six pièces, de 24, 19 et 16, tirant dans trois directions, l'autre, plus bas, à gauche, pour deux pièces de 19cm unidirectionnelles.
Au Gros-Bau comme à Cépet, l'ouvrage prend la forme d'une batterie fermée, soit munie d'une enceinte en partie retranchée par un petit fossé, cette enceinte n'enveloppant que le front de gorge et les flancs. A la différence de celle d'un fort, cette enceinte est surtout constituée d'un simple mur en partie crénelé, qui n'enveloppe pas le front d'attaque de la batterie face à la mer, car il s'interrompt de côté au bord de la falaise. L'enceinte du Gros-Bau doit comporter deux portes, la principale, au centre du front de gorge, accédant aux batteries et contournant par un chemin de ronde des masses couvrantes formant parados. La seconde porte, à gauche en retrait, étant une poterne procurant une particulière au casernement, bâtiment léger implanté dans une cour encaissée (parti que l'on retrouve aux batteries de côte contemporaines de Sainte-Marguerite, La Bayarde, à l'est de la rade de Toulon, ou à celles de la Badine et de Mauvanne, près d'Hyères. Achevée en 1883, pour un coût total de 160.000 fr., la batterie du Gros-Bau combine son action vers le large, au sud, avec celle de Cépet, et avec celle de Saint-Elme, réorganisée en 1878. La batterie de la Coudoulière ne fait plus partie du système, et est déclassée définitivement en 1888. En revanche, la batterie de la Croix des Signaux est intégrée à ce système en 1891, ses huit positions de tir étant inversées par restructuration du parapet, afin d'orienter les pièces de 194mm qui les arment vers la haute mer, au sud.
Les dispositions réalisées au Gros Bau en 1882-1883 diffèrent sensiblement du projet de principe de 1881, comme le montre un plan détaillé d'état des lieux de 1884 revu en 1886 9 : l'enceinte n'a qu'une porte unique, à pont-levis, au milieu du front de gorge, la partie gauche de l'ouvrage est plus resserrée que prévu, et le casernement sur cour encaissée à la gorge de la branche gauche basse de la batterie, y est directement adossé à l'enceinte du front de gorge. Il est conçu pour l'hébergement de 72 hommes de troupe répartis en trois chambrées de 24 hommes, complétés d' une chambre pour 8 sous-officiers, et d'une autre pour un officier, le tout servi par une cuisine et d'un magasin aux vivres. Sous le magasin d’extrémité de ce casernement est une citerne de 57 m3. La grosse masse couvrante ou parados prévue pour défiler la gorge de la batterie haute principale, à droite, est mise à profit pour abriter le magasin à poudres central d'une capacité de 48.960 kg, ainsi largement recouvert de terre, selon les directives d’enterrement des modèles 1868 et 1874. La batterie comporte une partie saillante à droite, face au sud, une branche latérale gauche rectiligne, face au sud-est, et un flanc actif à droite (nord-ouest) . Les emplacements de tir sont organisés un peu différemment de ce qu'indiquait le plan de 1881. Les deux, jumelés, de la branche gauche basse, de plan polygonal, ne sont pas séparés par une véritable traverse, et les quatre de la batterie haute se décomposent d'une part , en deux "cuves" circulaires saillantes face au plein sud, encadrées par trois traverses-abri, d'autre part , sur la branche gauche haute, de deux emplacements jointifs analogues à ceux de la branche gauche basse, entre deux traverses-abri. Enfin, les deux emplacements annexes sur le flanc droit, prévus pour les deux pièces de 16cm, sont carrés et conformes au projet de 1881.
Dans cet état réalisé de la batterie, les six emplacements de tir principaux sont tous occupés, en 1884-1886, par des canons de 240 mm en acier, modèle 1884, qui sont alors la norme pour l’armement des batteries de bombardement. Après 1885, l'invention et l'utilisation de "l’obus-torpille", dont la charge explosive chimique brisante (mélinite) a des effets destructeurs décuplés, impose l'adaptation des batteries de côte, par l'aménagement souterrain "en caverne" de leurs magasins, en particulier les magasins à poudre. Au Gros Bau, un tel magasin-caverne, d'une capacité de 92.000 kg est creusé en 1888-1889, moyennant 27.000 fr., sous la cour haute ou place d'armes de l’ouvrage, relié par un monte-charges aux "dessus" de la batterie. C'est probablement l'un des premiers réalisés dans les ouvrages de la place forte de Toulon, ceux créés à La Croix des Signaux, à Saint-Elme et à Cépet, datant de 1891-1892. Simultanément, cette remise aux normes avait commencé par le remaniement des parapets d'artillerie de la batterie, en 1887-1888, moyennant 78.000 francs, qui avait pour objet de redéployer différemment les six canons de 240 mm.
Dans la nouvelle disposition, exprimée sur deux plans datés de janvier 1903 10, les deux emplacements de tir "en cuve" de la batterie principale restent inchangés, de même que ceux, simples, du flanc droit. En revanche, chacun des deux doubles emplacements de tir de la branche gauche, haute et basse, est remplacé par un emplacement de tir unique de plan demi-circulaire, ce qui réduit à quatre les emplacements des pièces de 240mm. L'armement comptant six pièces de ce calibre, deux d'entre elles sont nécessairement déplacées : la présence d'un épaulement annexe extérieur, construit en avant du flanc droit, près de l'angle nord-ouest de l'enceinte, sans doute en 1888, porte à supposer que ces deux pièces pouvaient y trouver place, dans deux emplacements de tir de même orientation que ceux "en cuve" de la batterie fermée. De fait, l'aire intérieure de cet épaulement extérieur ou batterie annexe, abrite sous une sorte de traverse maçonnée séparant les deux emplacements de tir, un magasin-abri enterré, relié au magasin à poudres en caverne de la batterie fermée par un couloir souterrain rectiligne. Ce magasin abri débouche sur le chemin de ronde de la batterie annexe par une rampe incurvée voûtée : le personnel empruntait ses souterrains pour passer de la batterie fermée à cette annexe, accessible aussi de plain-pied par un virage du chemin d'accès. L'armement de l'ensemble est désormais complété par quatre petites pièces de 4cm assurant la défense rapprochée côté terre.
En août 1888, les domaines avaient remis le site de l'ancienne batterie de Marégau à la marine, qui y fait construire les équipements d'un poste photo électrique avant 1898. Le fonctionnement nominal du projecteur est défini par le plan de défense des côtes. Les postes de Faubrégas et de Maregau sont des « feux chercheurs » coordonnés l'un avec l'autre : le premier est activé à l’heure et à la demie, le second au quart et à moins le quart. Dans le cas où un intrus serait saisi par le faisceau lumineux, le projecteur doit le suivre pour permettre le réglage du tir des batteries voisines, soit celle du Gros Bau et de Saint-Elme. En 1902, l'économie de la batterie du Gros Bau est complétée par la création d'un magasin de séparation des poudres non enterré, implanté dans un des deux emplacements de tir pour pièce de 16mm du flanc droit de la batterie fermée. En 1903 et 1905, le casernement est occupé, en temps de paix, par un maximum de 36 hommes de troupe en trois chambrées de 12 hommes, soit moitié moins qu'en 1884. En temps de guerre, les abris de traverse des dessus de la batterie et les abris en caverne offrent respectivement une capacité de logement supplémentaire de 72 hommes, et le nombre d'officiers et sous-officiers peut être triplé.
A une date inconnue, après 1911 et peut-être pas avant la seconde guerre mondiale, deux petits bâtiments en ciment armé sont construits sur les branches gauche haute et basse de la batterie fermée, celui de la partie haute à l'intérieur de l'emplacement de tir en arc de cercle de 1888. Ces aménagements sont incompatibles avec la maintient en fonction de ces deux emplacements de tir. Durant la première guerre mondiale, la batterie est désarmée.
En novembre 1942, lors du réarmement des batteries de côte de Toulon par les autorités de la France occupée, contre un débarquement allié, le projecteur de Marégau est utilisé pour la veille anti-aérienne ; le poste est placé sous la responsabilité du premier maître Lallemand, et fait partie de la zone F de veille aérienne, dirigée par l'Enseigne de Vaisseau Elie, qui a son PC dans l'ancienne batterie du Gros Bau 11. Celle-ci n'est réarmée que d'un unique canon double de 37mm C.A.D. (contre-avions double), modèle 1933, pour lequel l'une des deux cuves sud de la partie haute de la batterie fermée est refondue, avec un muret en ciment.
Après la capitulation des Italiens, en septembre 1943, les allemands prennent en charge les anciennes batteries de côte françaises des Sablettes et de Saint-Elme, qui deviennent le point focal d'un dispositif de neuf batteries de côte françaises réactivées et armées. L'ensemble forme alors le Stp Tor 016, soit l'avant-garde de la défense de la presqu'ile de Saint-Mandrier, et abrite en août 1944 une très forte garnison comprenant le poste de commandement du IL/Grenadier-Regiment 918, une compagnie de grenadiers (8.1918), le poste de commande¬ment de la M.A.A.682, et une station radar implantée dans le "fort" du Gros Bau.
Après la guerre, l'ancienne batterie est abandonnée, mais reste entre les mains de la défense, qui la maintient fermée.
De nos jours, diverses portes, dont celle de l'entrée principale et celles des traverses-abri et souterrains, ont été murées après 1995 pour limiter les intrusions. Pour autant, l'ancienne batterie abandonnée, assez complètement conservée, est fréquemment visitée et inspire tout particulièrement, depuis les années 2000, les tagueurs, qui ont constellé la plupart de ses murs et parois de leur production graphique, jusqu'à saturation.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
A environ 400m à l'est et en retrait du cap Marégau, sur la côte sud de la presqu'île, entre les anciennes batteries de Marégau et de la Coudoulière, la batterie du Gros Bau occupe une petite éminence confinant à un rebord de falaise abrupt, à une altitude variant de 68 à 74m, le point haut étant occupé par l'épaulement principal (partie droite) de la batterie fermée. De ce point, les vues de la batterie du Gros Bau plongent sur le site de la batterie de Marégau.
L'ancienne batterie du Gros Bau est environnée et couverte d'un reboisement, pinède datant de l'après seconde guerre mondiale, à partir d'un secteur déjà boisé de longue date au nord-est. Son "parc" clos est aujourd'hui en limite d'un vaste lotissement, créé dans les années 1960 jusqu'aux abords de Marégau, et développé vers l'ouest du Gros Bau dans les années 1980-1990. L'ancien chemin d'accès en lacets, abordant la batterie par le nord-est, existe encore dans le parc boisé sous l'appellation de "route du Gros Bau", elle prolonge l'une des anciennes routes militaires est-ouest de la presqu'île, devenue avenue du lotissement de Saint-Mandrier : avenue Marie Fiche Bergis, puis Flandres-Dunkerque 1940, partant de l'axe principal de la presqu'île (D. 18) derrière la hauteur Saint-Elme. Elle est aussi accessible par l'avenue de Provence du lotissement, partant de la route côtière ouest (boulevard de Saint-Asile) qui dessert Marégau.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
L'ouvrage du Gros Bau adapte à un site de rebord de falaise le type des batteries de bombardement fermées conçues à partir de 1878 autour de Toulon et au-delà. Sa situation topographique particulière l'apparente à la batterie de Sainte-Marguerite, située au nord-est de la rade, à la différence qu'il occupe une emprise plus réduite, sur un site vierge de constructions antérieures. Par son état de conservation relativement indemne de remaniements postérieurs, il peut être comparé à la batterie fermée de la Gavaresse, dans le secteur de Carqueiranne, mais il s'en différencie par son plan moins régulier et par son enceinte plus légère et discontinue, interrompue au droit du rebord de la falaise.
La plupart des autres batteries de côte fermées de la même génération et bâties ex-nihilo, comme la batterie de Cépet, la plus proche, celle de la Bayarde, près de Carqueiranne, ou, dans le secteur d'Hyères, celles de la Badine et de Mauvanne, ont aussi une enceinte continue, généralement limitée à un mur bordé d'un fossé, ce mur étant crénelé sur les fronts de gorge, flanqué de quelques redans, saillants ou bastionnets, et formant un revêtement aveugle sous les talus des parapets en terre de la batterie. Dans le cas de l'ouvrage du Gros Bau, les épaulements de la batterie, en terre et remblai, surplombent directement au sud-ouest le bord de la falaise, qui affecte un plan en anse faiblement rentrante.
Cette batterie comporte dans sa partie droite (ouest) un épaulement haut de plan irrégulier, dont les parapets culminaient à 77m. Les deux emplacements de tir faisant face au sud / sud-ouest, à la cote d'altitude 75,40 et 74,40m, de plan circulaire en cuve, avec mur genouillère maçonné en blocage, font saillie et leur parapet les enveloppent à la manière de deux souches de tours. La plus à gauche, face au plein sud, s'avance en éperon en suivant le bord de la falaise, tandis que celle de droite, face au sud-ouest, plus en retrait de la falaise, formait un talus tronconique régulier (aujourd'hui dégradé). Chacune des deux positions de tir constitue une section d'artillerie, dont l'entrée à la gorge est étranglée par le volume des trois traverses-abri qui les encadrent et les défilaient. Les abris casematés des traverses, aujourd'hui inaccessibles du fait du murage préventif des portes, comportent tous une cheminée d'aération à souche refaite en ciment. Le revêtement ou mur de profil de la traverse centrale, formant façade d'entrée de l'abri, est fortement arrondi aux angles, pour adoucir l'étranglement de l'accès aux deux emplacements de tir.
Façade de tête de la traverse-abri entre les deux emplacements de tir en cuve de la batterie haute.
La batterie se compose en outre d'une branche gauche, de plan rectiligne, calée sur le bord rentrant de la falaise, face au large, comportant deux positions de tir, de plan demi-circulaire en fer-à-cheval, refaites ainsi en 1887-1888. Celle de droite fait partie de la batterie haute, régnant à 74,40m d'altitude ( parapet à 76,50m), surplombant en fort ressaut celle de gauche, qui règne à 69,70m. Un haut mur de profil et de soutènement revêt la gorge de cette partie haute de la branche gauche, dominant la cour d'entrée ou place d'armes de la batterie.
Son arase découpe nettement de droite à gauche, la gorge ouverte de la position de tir, le profil de son retour de parapet ou traverse, et la plongée du ressaut de cette section haute au-dessus de la section basse de la même branche gauche. La rampe principale d'accès à la batterie haute longe ce mur de soutènement, montant à droite, et dessert au passage en retour d'angle à gauche et à contre-pente, la rampe annexe donnant accès à la section haute de la branche gauche. Cette rampe annexe, encore bordée de son garde-corps en fer, déformé mais complet, couronne et amortit le mur de soutènement ; elle part de la façade de la traverse-abri qui sépare cet emplacement de tir de la branche gauche de celui, saillant en plein sud, de la batterie haute. Un abri ouvrant sur la place d'armes par une porte semblable à celle des abris de traverses, est réservé à la base du mur de soutènement sous le retour du parapet ou traverse entre section haute et section basse de la branche gauche. Ce mur est parementé en opus incertum, appareil polygonal (non assisé) irrégulier de gros blocs, dans sa moitié inférieure, et, dans sa partie supérieure, au-dessus d'un bandeau horizontal courant en pierre de taille dure, d'un blocage de moellons de plus petit gabarit, sommairement équarris et assisés. Comme pour les façades des traverses-abri, qui emploient le même parement, cette élévation supérieure découpant les profils est couronnée à l'arase d'une tablette, en briques plus ou moins cimentée pour le grand mur de soutènement et profil, en pierre dure pour les traverses. La brique plus ou moins cimentée est aussi employée pour l'encadrement des portes des abris de traverse, couvert d'un arc segmentaire surmonté d'un larmier en pierre plate dure.
L'emplacement de tir gauche ou section basse de la batterie est accessible au roulage des pièces par une courte rampe biaise longeant pan coupé qui termine le mur de profil de la section haute, au pied du ressaut. Cette section basse est en outre bordée à la gorge d'un chemin de ronde piétonnier étroit qui la sépare de la cour encaissée du casernement ; celle-ci est desservie à droite par un escalier droit descendant de la place d'armes, et à gauche, dans le sens opposé, par une rampe redescendant du chemin de ronde, escalier et rampe étant adossés au mur de soutènement de la cour encaissée, devant la façade principale du casernement.
Cour encaissée du casernement, escalier d'accès, et descente vers les souterrains-caverne.
Les deux positions de tir saillantes de la batterie haute sont défilées à la gorge, au nord, par un énorme merlon de terre ou masse couvrante formant parados (les terres en sont en partie dégradées), qui abrite le magasin à poudre enterré d'origine, dont la salle des poudres, aujourd'hui inaccessible, est implantée strictement nord-sud dans son grand axe. L'entrée de ce magasin, murée, est au nord, ménagée dans un mur de profil (comparable à celui des traverses-abri) ; elle ouvre sur un segment étroit de chemin de ronde, au revers du mur d'enceinte du front de gorge. Ce chemin de ronde longeant le mur d'enceinte par l'intérieur, débouche, à gauche (est) du parados-magasin, sur la place d'armes d'entrée de l'ouvrage, et se branche à la droite (ouest) du même parados sur une communication en rampe montant vers le sud. Cette communication dessert au passage, à droite, les deux emplacement de tir secondaires du flanc droit (ouest) de la batterie, avant de passer sous une longue traverse à double abri qui sépare ce flanc bas de la batterie haute. Cette traverse prolonge la crête du gros merlon, en retour d'angle. Les deux positions de tir de flanc ouest, pour pièces de 16cm, contiguës et en léger décrochement de niveau l'une de l'autre, ont conservé leur plan carré et leur revêtement de gorge d'origine, la seconde étant toujours en partie occupée par le petit magasin de séparation des poudres qui y a été construit en 1902, bloc de maçonnerie cubique couvert d'une dalle de ciment armé (accès muré).
Le passage de la communication vers la batterie haute sous la longue traverse, est voûté en berceau surbaissé. Il donne accès latéralement, de part et d'autre, sous la voûte, aux deux abris casematés sous traverse, à peu près symétriques, celui de droite implanté entre batterie de flanc et position de tir ouest de la batterie haute, celui de gauche contigu au mur de fond du magasin à poudre. Les portes d'accès à ces deux abris sont du même modèle que les autres portes d'abris et de magasins casematés, et également murées. Le passage voûté sous traverse proprement dit est encadré de deux murs de profil évasés, de chaque côté des deux arcades d'entrée opposées; les arcs et tablettes sont en pierre de taille bouchardée, le parement courant en opus incertum. Dans l'état actuel, les terres de la longue traverse qui surmonte ce passage et les deux abris casematés ont considérablement "fondu". Aucun des emplacements de tir n'a conservé les infrastructures métalliques des affûts tournant des anciennes pièces, mais celui de l'emplacement de tir en saillie sud de la batterie haute montre encore le muret circulaire en ciment de la cuve pour canon double de 37mm C.A.D. (contre-avions double), modèle 1933, avec trois double niches à munitions. Communication voûtée sous traverse du flanc droit à la batterie haute, vue de celle-ci.
La porte d'entrée de l'ouvrage du Gros Bau, ouvrant sur la place d'armes à la gorge de la batterie, entre la cour encaissée du casernement et le gros parados du magasin à poudre, est ménagée dans le mur d'enceinte crénelé, percé de deux créneaux à droite et un à gauche ; elle est flanquée à sa droite par un redan du mur d'enceinte, percé de quatre créneaux. Les créneaux, en fente simple et ébrasés vers l'intérieur, sont encadrés en briques. La porte est précédée d'un petit fossé aujourd'hui comblé que franchissait un tablier de pont volant : restent visibles le seuil en pierre de taille blanche de la culée du pont, une borne chasse-roue, également en pierre blanche, et cinq poutrelles en fer qui portaient le tablier. Les piliers d'encadrement sont à bossages un sur deux, alternant parement de briques et assise de pierre de taille jaune de finition rustique formant le bossage; leur embase et leur amortissement sont formé de gros blocs de pierre de taille blanche à finition lisse, cubiques pour ceux de la base. Les amortissement monolithes ne sont plus en place, ayant été renversées par un acte de vandalisme : l'un des deux, celui du pilier de gauche, gît au sol de la place d'armes, intaillé en réserve sur sa face d'un cartouche millésimé 1882 avec chiffres en relief. A droite de la porte, le mur d'enceinte du front de gorge, couronné d'une tablette en briques posées de chant (cimentée vers l'intérieur), est crénelé près de la porte, ainsi que dans les flanc et petits saillants qui le jalonnent, mais aveugle par ailleurs dans ses longs segments. Un premier petit saillant carré, à deux flancs inégaux et une face également crénelés, est implanté dans l'axe de la communication en rampe entre chemin de ronde nord et batterie haute, un second, sans saillie flanquante sur le front de gorge, occupe l'angle nord-ouest de l'enceinte, ou angle de droite du front de gorge. Les créneaux du premier saillant ont été modifiés à l'extérieur en bouche à feu pour arme de défense rapprochée, sans doute dans les années 1930, alors qu'un emplacement de tir en forme de petite cuve construite en parpaing de ciment, également pour arme légère, était implanté çà l'extérieur et au devant, pour défendre le chemin d'accès. Desservie par une communication en tranchée aujourd'hui en partie comblée, cette petite cuve extérieure à l'enceinte conserve des vestiges des infrastructures métalliques de sa pièce.
A gauche de la porte, le mur d'enceinte du front de gorge plonge à la faveur d'un important décrochement de niveau, s'adaptant à la déclivité du terrain naturel, puis se confondre avec le long côté ou façade extérieure du casernement. Il se retourne à angle droit, formant l'angle nord est de l'enceinte et se confondant avec le mur-pignon est du casernement, actuellement intégralement enduit au ciment (depuis les années 1930 ?), tandis que le chaînage de l'angle, accru dans sa hauteur par la déclivité du terrain, est soigneusement réalisé en pierres de taille bouchardées disposées en besace. Ce détail est remarquable dans la mesure ou les autres angles saillants du mur d'enceinte, dont ceux des saillants flanquants, ne font pas l'objet d'un traitement particulier, si ce n'est l'emploi de moellons un peu mieux assisés que ceux de reste du parement ordinaire. Les deux murs extérieurs du casernement participant de l'enceinte, n'étaient percé que de créneaux espacés éclairant les chambrées ; plusieurs de ces créneaux ont été modifiés, ou largement agrandis en fenêtres munies de grilles, encadrées en ragréage de ciment. Angle nord-est de l'enceinte et du casernement adossé, entre flanc gauche et front de gorge.
A la première partie du côté ou flanc gauche ( est ) de l'enceinte, attenante à l'angle et formant mur-pignon du casernement, fait suite un saillant flanquant carré, comparable à celui de la partie droite du front de gorge. Implanté à l'intérieur dans l'axe du chemin de ronde et de la rampe descendante qui règnent entre la gorge de la branche droite de la batterie et la cour encaissée du casernement, ce saillant n'est curieusement pas crénelé, ce qui le privait de toute utilité pour la défense rapprochée. La suite du mur de ce flanc ou côté gauche de l'enceinte est également aveugle (seulement percée de quelques chantepleures) ; moins élevée, elle forme revêtement du flanc de l'épaulement de la branche droite de la batterie.
Le casernement se compose d'un corps principal allongé donnant sur l'étroite cour encaissée, terminé à un bout, vers l'est, par un petit local en retour d'équerre qui abritait la cuisine, et à l'autre extrémité, vers la porte et la place d'armes, par une travée deux fois moins large que le reste du bâtiment, donc en retrait de façade sur cour, qui abritait une partie du logement du gardien de batterie. Le corps principal, qui se distingue par l'emploi de pierre de taille en soubassement et à l'angle saillant (disposées en besace), est percé en façade sur cour, sous une corniche en génoise, d'une série régulière de douze baies semblables, à encadrement en brique et pierre, avec arc surbaissé, du même type que les portes des souterrains casematés de la batterie. Quatre de ces baies sont des portes, les autres des fenêtres. Le casernement comportait cinq travées de chambres séparées par des murs de refend maigres, dont trois grandes, réservées à la troupe, avaient en façade deux fenêtres encadrant une porte, les deux autres, vers le mur-pignon est, étant plus étroites, réservées aux chambres d'officiers, l'une avec porte dans le mur-pignon. Les portes et fenêtres du casernement ont toutes aussi été murées, mais certains murages ont été récemment défoncés, ce qui permet d'accéder à l'intérieur du bâtiment, dévasté par le vandalisme. Les murs de refend principaux sont toujours en place, mais des cloisonnements secondaires, en briques creuses minces, ont disparu. Le couvrement du volume intérieur, qui porte directement les deux versants du toit jadis revêtus de tuiles creuses posées sur une forme en ciment, est constitué de voutains longitudinaux légers en brique creuse plâtrière, enduits et badigeonnés, portant sur des poutrelles de fer, et échelonnés en hauteur pour former les versants.
Dans l'angle sud-ouest de la cour encaissée du casernement , au pied des murs de soutènement, s'amorce une volée descendante d'escalier droit encadrée de tablettes en pierres de taille dont un côté porte un garde-corps en fer endommagé. Cet escalier descendait vers le souterrain en caverne et son magasin à poudres, créés en 1888-1889 : l'arcade d'entrée en est murée et ce souterrain n'a pu être visité.
Escalier d'accès au souterrains-caverne (condamné), sous les murs de la cour encaissée.
historien de l'architecture et de la fortification