Construction et armement
Depuis les premiers projets d'aménagements de 1812, qui ont abouti à la construction de la tour-modèle n°1 sur la hauteur de la Croix des Signaux, ce site d'éminence forme un binôme avec la batterie de la Carraque, située en contrebas. Cette dernière assure la défense côtière, en direction de la rade, tandis que la tour, puis le fort qui l'enveloppe achevé en 1853, permettent des tirs de batterie de défense terrestre visant les points sensibles de la presqu'île pour contrôler les approches d'un l'ennemi débarqué ou venant de l’isthme. Une batterie annexe mal documentée a existé sur la hauteur, à l'est de la tour et du fort, sur l'épaulement en fer-à-cheval créé en 1813 pour envelopper le mausolée pyramidal du vice-amiral Latouche-Tréville (1810) ; en effet, sur un plan de 1844, cet épaulement est nommé "redoute Latouche". Il permettait des tirs de défense terrestre à l'arrière des batteries de côte est / sud-est de la presqu'île.
La création d'une nouvelle batterie de défense côtière sur la hauteur de la Croix des Signaux, en plus de la batterie de la Carraque, fait suite à une redéfinition de la menace sur les côtes, objet d’une Instruction du 30 mai 1872 1. Les progrès parallèles de la flotte de guerre à vapeur et de l’artillerie à longue portée, désormais rayée (ce qui décuplait portée utile et précision à l’impact), ouvre la voie à une nouvelle génération de batterie de côte, implantée désormais en altitude et armée avec des pièces d’artillerie de marine.
Le rapport de la commission mixte de révision de l'armement du littoral de l’arrondissement maritime de Toulon, daté du 6 mars 1873 2, considère que les batteries de la presqu’île de Cépet qui sont dirigées vers le large, soit principalement celles du Puits et de Mord’huy, présentent l’inconvénient de ne pouvoir faire converger leurs feux sur un même point de la route suivie par l’ennemi, étant disposées presque en ligne droite. Les rapporteurs en concluent que ces batteries dispersées, pourraient être avantageusement remplacées par une forte batterie sur la hauteur de la Croix des Signaux. Un autre rapport, dès le 22 décembre de la même année, sur l’état des bouches à feu devant composer l’armement transitoire à placer sur les ouvrages du corps de place et des forts de la place de Toulon 3, propose, en attendant la mise en œuvre des dispositions d’ensemble, d'armer la hauteur de La Croix des Signaux, en plus des six canons obusiers de 16 du fort, de six autres obusiers de 22cm, pris à l'arsenal, destinés à battre les rades et le large. Trois sont à mettre en batterie sur la partie est de l'ancien épaulement qui enveloppe la pyramide Latouche-Tréville, avec réduit à munitions, pour battre la grande passe et la grande rade, deux autres, tirant vers le large et la rade, sont à disposer sur la crête entre ce mausolée et les logements de guetteurs sémaphoriques, le dernier étant isolé à l’ouest du fort, tirant vers la Coudoulière et le large.
Un plan de défense de juillet 1875 fait état, pour La Croix des Signaux, d'un armement souhaité de 12 obusiers de 22 (la moitié remplaçant les 6 pièces de 16 du fort ?), et de 2 pièces de 19cm. De nouvelles normes spécifiques aux batteries de côte sont posées par instruction du 18 mars 1876. Les pièces doivent être placées à barbette sur des plates-formes de maçonnerie séparées par des traverses-abris (une par pièce ou, au plus, par deux pièces). Le parapet en terre doit avoir 6 à 8 mètres de profondeur. Selon le type de batterie, les calibres oscillent de 16 cm à 32 cm 4.
Le 28 novembre, la commission de révision de l'armement du littoral rend un rapport actualisant celui de 1873, qui planifie la réorganisation générale de la défense du port et de la rade 5. La Croix des Signaux est considérée comme la position la plus importante pour la défense de Toulon du côté de la mer, permettant une action à la fois vers le large et vers la rade. Le tir plongeant y est très dangereux pour les vaisseaux, et une prise de position par l'ennemi menacerait gravement Toulon, l'armement du fort étant la meilleure défense contre un débarquement. La commission propose de remplacer les 12 obusiers prévus en 1875 par 12 canons de 19 cm et 6 de 19 ou 24 cm, mais l’amiral Penhoët, commandant en chef, est d’avis d’armer le site avec des canons de 27 cm.
Finalement, le plan de défense de la rade de Toulon de 1876 approuvé le 4 avril 1877 6, attribue à la batterie de La Croix des Signaux l'armement préconisé en juillet 1875. Ce plan prévoit l’abandon de six batteries, l’adaptation de cinq et la création ex nihilo de neuf autres, dont celle de la Croix des Signaux. Les missions des batteries de côte programmées en 1877 se répartissaient entre des batteries de bombardement, placées en altitude, pour le tir plongeant courbe sur les ponts des navires, des batteries de rupture, pour le tir tendu bas battant l’accès des passes et des rades contre les coques des navires, ces deux catégories adaptées aux canons de gros calibre, et des batteries de moyen calibre et de mortiers (gros calibre à tir vertical parabolique), pour l’action plus rapprochée.
Ce programme est mis en œuvre à partir de l’année 1878, en phase avec la construction de forts détachés distants assurant, selon les principes de Séré de Rivières, la défense terrestre de la place forte de Toulon.7
Batterie de la Croix des Signaux. [Plans, coupes]. 1879.C'est donc en 1878 qu'une véritable batterie est construite à proximité du fort de La Croix des Signaux, pour un coût de 98 050 fr. Elle est formée principalement d'un long épaulement rectiligne pour 8 pièces (en 1879, 6 pièces de 19cm, 2 de 24cm) battant, au nord, la grande rade et ses abords (donc doublant les tirs tendus de moyenne portée et de rupture de la Carraque par des tirs plongeants de bombardement), implanté dans le prolongement est/sud-est du fort, sur l'ancienne branche pendante de 1813 et sur l'emplacement de l'ancien sémaphore et de ses logements annexes, détruits à cette occasion. La batterie comporte, entre les emplacements de tir, deux grosses traverses-abri avec magasin d'artillerie et passage voûté, deux traverses ordinaires, et quatre petits magasins en niche à munitions.
A l'extrémité de cette batterie principale, l'ancien épaulement en fer à cheval de 1813, enveloppant le mausolée de Latouche-Tréville, est réorganisé pour 4 pièces (en 1879 : 2 de 19, 2 de 24) battant les abords est. Enfin, deux autres emplacement de tir pour pièces de 19 tirant au nord-est sont établis sur le front de l'esplanade d'entrée du fort, en face de la porte du fort, vers la caponnière, et complètent le dispositif. Le personnel affecté au service de l’armement de la batterie est de 32 canonniers exercés et 76 auxiliaires, logés dans le fort. 8 La batterie principale comporte deux grands magasins souterrains, sous son extrémité la plus proche du fort, soit nichés sous l'ancien glacis reprofilé en masse couvrante. Le plus profond est un magasin à poudres, et à son voisin est superposée une casemate ouvrant sur la batterie. Les accès de ces deux grands magasins sont ménagés dans la contrescarpe du fossé 3-4, entièrement reconstruite en avant de son alignement primitif pour la circonstance, transformant le fossé en ce point en une communication à ciel ouvert. Une citerne complémentaire est établie dans le fossé (sud-est) de la courtine 2-3, à l'arrière du casernement du fort.
En 1891, après l’invention de l’explosif chimique brisant (mélinite), un nouveau magasin à poudre, en caverne, est creusé plus profondément, à côté des deux précédents, remplaçant celui de 1878 transformé en magasin aux projectiles, et une galerie rectiligne en caverne de 110m de long est établie sous la batterie, avec petits magasins de sûreté pour projectiles et ateliers d'amorçage ou de remplissage de gargousses9, afin de relier en souterrain les trois grands magasins et ateliers aux position de tir, par l'intermédiaire de trois monte-charges. Simultanément, les huit positions de tir de la batterie sont inversées par restructuration du parapet, afin d'orienter les tirs des pièces de 194mm qui les arment vers la haute mer, au sud. L'ensemble des travaux a coûté 24.600fr.
En 1899, un chemin de fer monorail suspendu Decauville est établi dans ce souterrain pour faciliter la manutention du ravitaillement en munitions.
Une batterie annexe de trois sections d'artillerie en ressauts pour 6 pièces de 90 mm, modèle 1877, sur affût de campagne 10, est établie en 1899-1900 au pied du fort, dans son ancienne caponnière, tirant vers l'est /nord-est. 11 Elle est dite "batterie nord de 90".
Batterie annexe de la Croix des Signaux. [Plan de situation, plan d'ensemble, coupes] 1904. Détail : plan masse.Vers 1902-1903, une autre batterie annexe avec emplacements de tir doubles du même type, mais nivelée à l'horizontale sur un épaulement en remblai, est construite à l'autre extrémité, diamétralement opposée, du site de La Croix des Signaux, 200m en contrebas à l'est / sud-est de la batterie principale ; elle est armée de 4 canons de 95mm modèle 1888 - 04 Lahitolle, tirant vers le sud-est, couplés dans deux sections, avec un poste de commandement et deux doubles niches à munitions intermédiaires. Cette batterie annexe comportait en outre, à la gorge, trois bâtiments de service desservis par un court chemin défilé et coudé: un hangar aux armements, un magasin de séparation des poudres, enfoncés dans le sol avec courette encaissée mais non enterrés, et un magasin de 1/2 approvisionnement, enterré 12. A cette époque, l'armement de la batterie et de ses annexes est de 4 canons de 240 mm (dans la batterie enveloppant la pyramide), 10 canons de 194 mm, 4 canons de 95 mm et 8 pièces de 5, requérant le service d'un personnel abondant. Ce qui fait un total de 26 pièces pour 24 emplacements de tir (deux sont-elles en réserve ?). Le 14 octobre 1902, l'autorité militaire décide le déplacement du mausolée Latouche-Tréville, dont la blancheur, à la manière d'un amer inopportun, faisait repérer de loin la batterie. Démonté pierre par pierre, le monument est reconstruit dans le cimetière militaire de l'hôpital de Saint-Mandrier. Ce déplacement anticipait sur une transformation radicale de la batterie de 1878, qui s'opère en 1912-1913 et détruit les dispositions antérieures de surface, y compris l'épaulement de l'emplacement du mausolée 13. La batterie principale de 8 pièces de 19 et 24cm, cède place à une batterie unique de seulement 4 pièces de 24cm modèle 1876, construite selon les normes définies par les notes techniques de 1901 et 1904 14, distante de 120m du fort et orientée différemment pour tirer vers le sud/sud-est. Les pièces sont alignées sur des plateformes en béton séparées par des magasins de combat doubles (avec monte-projectiles) en béton armé résistant aux coups directs, conformes aux dispositions types systématisées en juin 1904. La galerie souterraine de 1891 est maintenue en service, avec une issue au nord à proximité de la gorge de la nouvelle batterie. [Batterie de la Croix des signaux, batterie de 240. Plan masse] 1913. [Batterie de la Croix des Signaux. Plans et coupes de la galerie et des locaux souterrains.] 1913.
Dans l’entre-deux guerres, vers 1930, le site de la Croix des Signaux reçoit le PC du front de mer de Toulon et le PC de l’artillerie de côte. Les pièces de 24cm de la batterie principale sont remplacées par quatre pièces de 164mm modèle 1893-96, sur affûts C modèle 1923 et plates-formes B. A. modèle 1925. Les sellettes d’affût des deux emplacements de tir d’extrémité de 240 de la batterie sont adaptées pour recevoir les deux premières. Deux cuves en béton sont créées pour les deux autres pièces (3e et 4e) à distance vers l'est / sud-est de l’ancienne batterie principale, en amont et en aval de la batterie annexe, desservies par le chemin d'accès à celle-ci. Leurs dispositions constructives sont conformes aux prescriptions techniques mises en œuvre de façon généralisée à l’époque 15. Les postes de batterie, poste de direction de tir à télémètre et poste d'éclairage, protégés par un blindage en tôle d’acier de forte épaisseur, sont construit à mi-distance entre les deux groupes de pièces 16. Une section éclairante de 2 pièces de 75mm modèle 1897 est aménagée à proximité, au sud-ouest. La tour-modèle du fort sert de logement aux officiers ; la tour n° 3 de la Carraque abrite la cuisine équipage et la cambuse, puis reçoit 6 postes équipés de hamacs. A une date contemporaine des aménagements du PC du front de mer (années 1930), la terrasse de la tour modèle est couverte en vue de créer un étage supplémentaire.
En octobre 1940, La batterie de la Croix des Signaux, avec ses 4 pièces de 164mm et ses deux pièces de 75mm, fait partie des batteries de côte "désarmées armistice", c'est à dire dont les culasses des pièces ont été démontées et les munitions stockées. Elle est réarmée en novembre 1942 par l'amirauté française, dans le cadre de l'occupation allemande de la zone libre, aux termes d'accords avec Vichy, pour contrer un possible débarquement allié. Le 27 novembre 1942, dans le cadre de l'opération Lila organisée par l'état-major allemand pour empêcher la flotte française de sortir du port de Toulon pour rejoindre les ports d'Afrique du nord, le Kampfgruppe A, (armée de 3000 hommes), chargé de se rendre maître du secteur ouest : La Seyne, fort Napoléon, Six-Fours et surtout Saint-Mandrier, prend pied dans la presqu'île à partir de 5 heures 10 du matin, en vue de récupérer les batteries et leur armement intacts. En réaction le capitaine de vaisseau Orlandini, commandant de la DCA française, donne à 5heures 50 l'ordre d'exécuter immédiatement l'article 183 du registre de préparation au combat des batteries, c'est-à-dire la destruction des matériels. A la batterie de La Croix des Signaux, faute de pouvoir utiliser les artifices de démolition, les quatre pièces de 16,47cm sont sabotées à la masse et au burin, en attaquant les culasses et en détruisant les appareils de visée ; le poste à calcul, le télémètre et la lunette sont fracassés 17. Le bilan d'état des lieux fait par les allemands le 1er décembre indique que les quatre pièces de la Croix des Signaux sont en état de tirer, mais sans direction de tir.
Dès le 15 décembre, la prise en charge des batteries de côte du camp retranché de Toulon est confiée par l'état-major allemand au Commandement militaire maritime italien en France, occupation qui dure jusqu'au 8 septembre 1943. La remise en état des batteries n'est pas menée rapidement. Le 8 mars 1943, les italiens font des essais de tir, qui s'avèrent concluants : les pièces de la batterie de La Croix des Signaux, jugées aptes au combat, ce qui porte à croire que les dommages subis étaient de peu de conséquences et avaient pu être réparés. En septembre 1943, le commandement allemand a repris en charge des batteries de côte de Toulon, celles de Saint-Mandrier étant confiées à la Marine-Artillerie-Abteilungen 682. La batterie de la Croix des Signaux est renforcée d'un armement de défense antiaérienne (une mitrailleuse Hotchkiss de 13,2 mm Flakvierling près de la pièce n° I, et deux canons de 2 cm Flak 38 près des pièces I, II et III). Le poste de tir de la batterie principale reçoit deux plaques de 80 / 160 mm du cuirassé Lorraine, alors que le poste d'éclairage reçoit deux plaques du cuirassé République. Les munitions des pièces I et II sont stockées dans les deux magasins de combat de l'ancienne batterie de 24 dont chacun peut recevoir 300 coups complets. Les pièces III et IV disposent chacune d'une niche non protégée d'une contenance de 30 coups. Le local radio est dans le bastionnet sud-ouest du fort, la cuisine dans la tour crénelée n° 3 de La Carraque. Les officiers logent toujours dans la tour modèle de 1813. Les Allemands utilisent le casernement du fort et les abris existants en tôles métro répartis sur le site.
L'opération Dragoon, ou débarquement allié en Provence, déclenchée le 15 août 1944, est précédée d'une vague d'attaques aérienne des Küstenbatterien. Celles des 12, 13 et 14 août bombardent les batteries de la Cride, de Cépet 340 et de La Croix des Signaux. Pour autant, l'armement de cette dernière n'est pas neutralisé, puisqu'il est en état, la nuit du 15 août, de tirer sur un objectif marin localisé par la station radar Truthahn ; dès le 16 août, la batterie subit des frappes à basse altitude, mais sans conséquences. Le 20 août, trois avions B-26 américains y lâchent cinq bombes de 2000 livres, et le 27 août, elle est bombardée depuis la mer, par le croiseur français Duguay-Trouin. La batterie se rend le 28 août, en même temps que l'ensemble de la garnison de Saint-Mandrier.
En 1946, un rapport de la Marine Nationale juge les pièces I, II et IV en relativement bon état, malgré une oxydation très avancée. La pièce n° III, mise hors service par un coup direct, est très endommagée, et sa niche à munitions gauche est détruite. Le poste est en bon état mais les instruments de conduite de tir ont été démolis. A la suite, le matériel est en grande partie ferraillé et les infrastructures de la batterie sont abandonnées.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
Les restes des anciennes batteries interdépendantes de la Croix des Signaux s'échelonnent sur une distance de plus de 400m, depuis l'ouest vers le sud-est, à partir du secteur nord du fort jusqu'à la batterie annexe de 95mm, le premier étant à 121m d'altitude, la seconde à 90m.
Les quatre principaux sous-ensembles en sont :
-1) au nord-ouest du fort, les restes de la batterie annexe de 6 pièces de 90mm de 1899-1900.
-2) immédiatement à l'est du fort, les infrastructures souterraines de service de la batterie principale de 1878, augmentées en 1891.
-3) dans la même direction, mais plus éloignée du fort, la batterie de 1912-1913 pour 4 pièces de 24cm, remaniée 1930, qui a remplacé la précédente,
-4) à 200 m en contrebas est/sud-est de cette dernière batterie, les vestiges de la batterie annexe de 1902-1903 pour pièces de 95mm, environnés par deux des quatre cuves de la batterie de 1930.
Les deux derniers sous-ensembles sont desservis, depuis l'esplanade d'entrée du fort, par un chemin militaire qui contourne le fort par l'arrière (sud), puis se ramifie en deux branches, l'une à gauche (est) pour desservir la batterie principale de 1902-1904, l'autre à droite (sud-est), vers la batterie annexe.
Les restes des batteries sont inclus dans le parc foncier de la Marine, exclusivement accessibles par la route du fort et du sémaphore.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
La première batterie annexe ou "batterie nord de 90mm", bâtie vers 1900, a laissé des restes apparents, remaniés, au bord de l'actuelle route d'accès au sémaphore et au fort, dans l'emprise d'une ancienne branche pendante en caponnière créée en 1813 devant la tour-modèle, noyau de l'actuel fort. Il s'agit de l'infrastructure maçonnée de ses trois sections d'artillerie échelonnées en autant de ressauts, qui étaient adaptées chacune à un couple de pièces de 90 mm, modèle 1877, sur affût de campagne, tirant en direction de l'est / nord-est. Le terrassement, rasé à l'arase des murs du revêtement intérieur, a perdu de ce fait un peu de hauteur et ses profils (ressauts, glacis).
Batterie annexe nord, emplacements de tir et niches à munitions.
De plus, la route actuelle passe sur l'emplacement de la gorge de la batterie et du chemin de ronde qui desservait ses emplacements de tir, en léger contrebas, ce qui a entraîné la suppression des petits escaliers qui y donnaient accès. Ces emplacements de tir ont un plan rectangulaire ménageant deux exèdres jumelles dans le revêtement ou mur de fond. Les pivots des pièces ont disparu, et un petit bâtiment du XXe siècle occupe l'emplacement médian. L'emplacement de tir de la section de droite est désaligné des deux autres, implanté dans un axe légèrement biaisé regardant davantage vers le nord-est. Les sections sont séparées par une masse de terre non défilante, plus large que celle qui séparait les deux sections de la batterie annexe sud-est, bâtie sensiblement à la même époque.
Le revêtement des emplacements de tir et des masses intermédiaires, peu soigné, est en opus incertum de pierres locales laissées brutes, avec joints au ciment. Les niches à munitions sont creusées dans ce revêtement, entre les emplacements de tir, à un rythme irrégulier, sans encadrement spécial ; leurs portes de fer ont disparu mais gonds et feuillure subsistent, ainsi que le solin du parapluie en tôle qui les protégeaient.
Les souterrains de la première batterie, réutilisés pour ses avatars successifs, ont leurs accès et magasins principaux dans et derrière la façade défilée qui a remplacé en 1878 la contrescarpe du fossé 3-4 du fort. Ce fossé est aujourd'hui refermé en cul de sac au bout de la façade en question par un gros mur transversal bâti après 1943.
Couronnée d'une tablette, cette façade parementée en opus incertum au-dessus d'une plinthe en pierre de taille, tenait également lieu de mur de profil à l'énorme merlon de terre, aujourd'hui déblayé, qui avait été établi dès 1878 au-dessus des magasins souterrains. Elle est percée de trois portes de plain-pied avec le fond du fossé, chacune encadrée en pierre de taille bouchardée, couvert d'un arc très surbaissé ; ces portes alternent avec des créneaux de ventilation. La première porte est celle du couloir d'isolement du grand magasin à poudre de la batterie de 1878, devenu magasin aux projectiles en 1904, et la seconde, très proche et surmonté d'un fenestron à barres de fer, est celle du sas d'entrée du même magasin, dont le grand axe est perpendiculaire à la façade. La troisième porte, plus éloignée, est celle du second magasin de la batterie de 1878, parallèle au grand magasin à poudres et moitié moins profond.
Magasins souterrains, façade d'entrée en contrescarpe du fossé est du fort.
Le grand magasin est précédé d'un sas d'entrée, qui communique latéralement avec le second magasin. Son volume d'ensemble est couvert d'une voûte en berceau surbaissé en blocage d'un seul tenant, sous laquelle ont été construits des murs maigres non porteurs (ceux des côtés en brique, celui du fond, plus épais et percé de trois créneaux à lampe, en pierre) séparant la salle des poudres de son couloir d'isolement. Le deuxième magasin, contigu, dépourvu de sas, est surmonté d'un second niveau de casemate (non visité, mais percé d'une fenêtre tardive apparente dans la façade-contrescarpe), avec lequel il n'a pas d'autre communication verticale qu'une trappe verticale dans la voûte du passage vers le sas de l'ancien magasin à poudre. Ce second magasin (sans doute magasin aux projectiles à l'origine) est également couvert d'une grande voûte en berceau très surbaissé, en briques, les parois murales étant en blocage. Dans le tiers droit de son sol s'ouvre une longue trémie longitudinale où s'amorce l'escalier voûté qui descend, en s'infléchissant un peu à gauche, 5m plus bas, vers la galerie rectiligne en caverne de 110m de long créée en 1891 sous la batterie.
Étroite et obscure, cette galerie voûtée en berceau, construite en blocage avec gros joints ciment tirés au fer, conserve encore accroché à sa voûte le monorail suspendu des wagonnets Decauville de 1899.Magasins souterrains, galerie rectiligne de distribution des souterrains-caverne. Elle dessert au passage plusieurs petits magasins ou ateliers, certains se limitant à un simple caveau perpendiculaire de même construction, dont un avec créneau à lampe, d'autres formant des magasins de sûreté un peu plus spacieux, aux parois enduites. Elle n'a pu être explorée en totalité. A une quinzaine de mètres de son départ, elle dessert à droite une branche latérale allant vers le magasin à poudres en caverne de 1891. A gauche de cette bifurcation, une longue galerie de mine taillée dans le roc non revêtu, dessert à son départ la cheminée ou puits rectangulaire du "monte-charge ouest", également taillée dans le roc brut mais en partie maçonné, qui montait les munitions, poudres et projectiles, à l'extrémité ouest de la grande batterie, à partir de 1891. Sa communication haute à une branche d'escalier gagnant le sol de la batterie s'ouvre vers le haut du puits sous une arche en briques. Le magasin à poudres en caverne, voûté d'un berceau surbaissé en briques d'où pendent des crochets de fer scellés est dépourvu de couloir d'isolement mais encadré de deux sas à ses deux extrémités. Le sas postérieur, muni dans l'axe de la porte de la salle des poudres d'un créneau à lampe au fond d'une large niche qui augmente sa profondeur, communique latéralement (à droite), à un escalier droit remontant dans le fossé du fort, devant la face gauche du bastion 3 (sud-est). Magasins souterrains, souterrains-caverne, sas et issue en escalier du magasin à poudre en caverne.
La batterie de 1912-1913 pour 4 pièces de 240mm, est orientée face au sud / sud-est, tandis que, dans son état réformé en 1891, la batterie de 1878, détruite et remplacée par celle-ci, était orientée face au sud / sud-ouest. Les quatre emplacements de tir, y compris le chemin de ronde surélevé, les rampes d'accès et les magasins de combat intermédiaires de cette batterie de 240 sont très largement réalisés en béton, d'origine, mais aussi en partie lors modification qu'elle a subi vers 1930 pour adapter les sellettes d’affût de ses deux emplacements de tir d’extrémité à des pièces de 164mm modèle 1893-96, sur affûts C modèle 1923 et plates-formes B. A. modèle 1925.
Batterie de 240mm : emplacement de tir avec sellette d'origine. L'extrémité droite (sud-ouest) de la batterie est munie d'une guérite d'angle pour poste de veille, et de petits corps de garde en béton armé. A proximité, et sur le chemin venant du fort, subsistent deux magasins sommairement construits avec couvrement longitudinal voûté en voile de fer. Le plus éloigné de la batterie est enveloppé dans des murs et sous un toit de maçonnerie.
De la batterie annexe de 1902-1903, pour quatre pièces de 95mm, et des deux cuves pour pièces de 164mm construites vers 1930 de part et d'autre, ne restent, dans un site qui s'est reboisé depuis un demi-siècle, que des vestiges chaotiques méconnaissables, ruinés à l'explosif. Les cuves de 1930, l'une à gauche du chemin avant d'arriver à la batterie annexe, l'autre après cette batterie, restent reconnaissables, avec leur sellette centrale et leur muret circulaire, aujourd'hui disloqué, l'un d'eux bâti en partie en petits moellons joints et enduits au ciment. Les deux emplacements de tir double et le poste de direction de la batterie annexe proprement dire, sont détruits et chaotiques. Restent reconnaissables, à la gorge, les ruines d'un magasin à munition de combat en béton banché, avec entrée en chicane. Batterie annexe de 95mm, cuve pour pièce de 164mm.
De l'ancien épaulement de batterie qui enveloppa jusqu'en 1902 le mausolée de Latouche-Tréville, aucun vestige ne subsiste, la refonte totale de la batterie principale en 1912-1913 ayant entrainé sa destruction complète.
Le monument pyramidal lui-même est en revanche remonté à l'identique dans le cimetière militaire de la marine de Saint-Mandrier. Des graffiti, parfois millésimés, incisés au cours du XIXe s, par des servants de pièces d'artillerie, sur ses parements et sur ses deux sphinges sculptées, attestent encore de la nature de son ancien emplacement.
historien de l'architecture