Eléments de chronologie
On ne trouve pas mention de l'église de Castellet-lès-Sausses avant le milieu du XIVe siècle, mais on peut tenir son existence pour vraisemblable dès l'apparition du bourg castrai dans le 2e quart du XIIIe siècle. En 1351, l'église Castelli de Saisis contribue aux décimes du diocèse de Glandèves à un rang très modeste (43e sur 65), plus modeste même que celle du Mousteiret, Mostayreti Salsarum, situé sur l'autre rive du Var. Au titre des procurations (taxe perçue par l'évêque lors de sa tournée pastorale) levées en 1376, le rapport est inverse et l'église de Castellet affiche un rang moyen (24e sur 59), assez loin devant celles du .Mousteiret et d'Aurent. Un autre rôle de la taxe synodale datant du XVIe siècle la fait encore progresser (14e sur 55), sans doute au détriment de ses deux voisines, qui ne sont plus nommées et lui ont probablement été annexées.
La perte des visites pastorales de l'évêché de Glandèves nous prive de renseignements jusqu'au milieu du XIXe siècle. Le 15 mai 1846, t'évêque trouve l'église en bon état, mais note que son toit a besoin de réparations et qu'il manque une sacristie, qui pourrait prendre la place de l'unique chapelle latérale. Le 23 juin 1858, le visiteur approuve l'état intérieur, où la chapelle latérale a effectivement été transformée en sacristie, et attend pour l'extérieur la fin des travaux de réparation qui viennent d'être adjugés et qui prévoient notamment la reprise de l'angle du clocher et la réfection des murs du cimetière. La visite du 13 octobre 1866 constate l'état satisfaisant de l'église avec sa sacristie et ses 3 autels. Celle du 11 septembre 1870 recommande la réparation de la tribune et de la porte en noyer, qui a été endommagée par la foudre. Ces deux articles laissent toujours à désirer le 25 novembre 1876, mais la commune a fait poser sur le clocher un paratonnerre. Le 27 octobre 1891, l'évêque se contente de trouver la sacristie trop petite, L'église de Castellet-lès-Sausses a été inscrite au titre des Monuments Historiques le 25 octobre 1971.
Analyse architecturale
Situation
Vue de situation prise depuis la place du village, au nord.Assise sur le point culminant du piton qui porte le village, l'église bénéficie de larges dégagements qui ont permis le maintien à ses abords du cimetière paroissial. Les pentes très raides qui l'environnent furent peut-être jadis occupées par des maisons, mais on n'en trouve plus trace. Cette position éminente assure, depuis le parvis et le cimetière, un panorama exceptionnel sur la vallée du Var.
Composition d'ensemble
Edifice de plan massé, allongé d'est en ouest, entouré au nord et à l'est par le cimetière, au sud par un parvis gazonné, à l'ouest par un abrupt qui a posé et pose encore des problèmes de stabilité à cette partie de l'église (1ère travée de la nef et clocher).
Matériaux
Un calcaire marneux blanc ocré, probablement extrait du territoire communal, a été utilisé pour la totalité du gros-œuvre, en blocs taillés à joints vifs pour les parements de l'abside, à joints plus épais pour ceux de la nef et de la chapelle latérale, en moellons équarris ou bruts pour l'élévation ouest. La mise en œuvre n'est visible qu'à l'extérieur, toutes les parois intérieures sont revêtues d'un enduit peint ou badigeonné.
Structure
1- plan .1- Coupe longitudinale. Edifice de plan allongé, composé d'une nef de 3 travées, dont la 1ère est en partie surmontée d'un clocher-tour, d'une travée droite de chœur à peine moins large et beaucoup plus basse que la nef, d'une abside semi-circulaire et d'une sacristie adossée au mur nord de la nef. Le plan n'est pas régulier. L'abside voûtée en cul-de-four, la travée droite de chœur et les 3 travées de la nef voûtées en berceau brisé surbaissé sont en apparence très homogènes, sans collage apparent (hormis les reprises du parement qui seront signalées plus bas). Le relevé d'architecture montre pourtant ce que l'œil ne voit pas, la dissymétrie des murs gouttereaux qui règne depuis l'abside jusqu'au fond de la nef, donnant à l'arc triomphal et aux deux doubleaux un tracé biais et aux travées de chœur et de nef un plan trapézoïdal. Seule la 1ère travée de la nef échappe en partie à cette déviation, grâce à son mur ouest perpendiculaire aux murs nord et sud. La sacristie est une ancienne chapelle latérale, dont l'arcade d'entrée, au nord de la 3ème travée de la nef, a été murée par une cloison et dont le volume a été agrandi au nord par la construction d'un appendice, un grand placard mural hors-œuvre.
Elévations
Vue de l'élévation sud.Elévation sud : les fondations ont été dégagées lors de l'aménagement (au XVIIIe ou au XIXe siècle ?) du parvis probablement jadis occupé par le cimetière. La base du mur est masquée par une banquette en maçonnerie, sauf à l'extrémité ouest, dont le sol est en pente, et devant la porte, où la dénivelée est rachetée par un degré rectangulaire de 4 marches en pierre de taille. Le parement en moyen-appareil à joints gras règne d'un bout à l'autre, sauf quelques reprises: sur toute la chaîne d'angle sud-ouest; à la partie supérieure de l'extrémité ouest, correspondant au clocher; autour de la porte; autour de la fenêtre de la 2ème travée de la nef; autour de la fenêtre de la travée droite de chœur. Outre ces reprises, on note la présence d'un coup de sabre, vertical mais non rectiligne, entre les deux fenêtres de la nef et de quelques trous de boulin : 3 disposés sur 2 rangs à l'ouest de la porte, 6 sur 3 rangs à l'est du coup de sabre. Le parement est couronné d'un cordon en quart-de-rond en pierre de taille, continu sur toute la longueur de la nef, mais interrompu à l'ouest à l'aplomb du clocher et plus bas de 2 assises au droit de la travée droite de chœur.
Au-dessus de ce cordon, le mur a été surélevé en blocage (0,50 m le long de la nef, 1 m le long de la travée droite de chœur) et couronné par un avant-toit en génoise à un rang, A l'ouest, l'élévation du clocher se poursuit au-dessus du toit de la nef en moellons assisés avec des chaînes d'angle en pierre de taille et un cordon en quart-de-rond à hauteur d'appui de la baie en plein-cintre de la chambre des cloches. La porte en plein-cintre, sans aucun décor, a son encadrement en pierre de taille à 9 claveaux symétriques mais non extradossés. La 1ère fenêtre de la nef, en plein-cintre et ébrasée, est encadrée de blocs de tuf taillés, insérés peu adroitement dans le parement. L'encadrement en calcaire taillé de la 2ème fenêtre, également ébrasée et couverte d'un arc en plein-cintre monolithe, est cohérent avec le parement Ce n'est pas le cas de la fenêtre de la travée droite de chœur, dont seul le piédroit oriental est lié au parement alors que l'autre piédroit et le couvrement horizontal sont en mortier.
Chevet : l'abside, reliée à la travée droite de chœur par deux petits épaulements, est très homogène. Le parement en moyen-appareil à joints vifs, de très belle qualité, intègre la fenêtre axiale, dont l'arc en plein-cintre est formé de 6 claveaux extradossés. Ici aussi règnent le cordon en quart-de-rond et la surélévation en blocage remarqués sur l'élévation sud. Chevet. Fenêtre axiale.
Elévation nord : le mur est parementé comme au sud, mais aveugle et sans déchaussement Plusieurs reprises sont visibles dans le parement: au droit du 2ème doubleau de la nef, une discontinuité des assises sur toute la partie supérieure de l'élévation (la partie inférieure est masquée par des caveaux funéraires adossés au mur) indique peut-être une interruption du chantier; le moyen-appareil des deux premières travées de la nef change de couleur au tiers environ de sa hauteur, ocre à sa base, gris (comme la partie orientale) au-dessus; à l'extrémité ouest, la partie contigüe à la chaîne d'angle a été refaite en blocage, avec une porte murée dont l'arc en plein-cintre est formé de 4 claveaux asymétriques. Au-dessus du cordon en quart-de-rond qui couronne l'élévation, la surélévation en blocage a gardé son enduit au plâtre rose et la génoise a deux rangs. La sacristie ou chapelle latérale et son appendice sont parementés en blocs taillés probablement récupérés lors de la démolition du mur, avec une petite fenêtre rectangulaire à l'est.
Elévation ouest : à cause de l'abrupt qui règne de ce côté, le mur descend ici plus bas que sur les autres côtés et prend appui sur des bancs de rocher irréguliers. Entre les rochers, le parement est en blocage de moellons bruts. Au-dessus, le moyen-appareil à joints gras couvre environ les deux tiers de l'élévation, dont la partie supérieure, avec le clocher-tour, sont parementés en blocage. La partie en moyen-appareil elle-même manque d'homogénéité. Seul le tiers inférieur présente des caractères identiques à ceux des élévations contiguës. La partie médiane se distingue par une couleur plus foncée et une mise en œuvre moins soignée, avec des zones en blocage le long des deux chaînes d'angle. On notera l'absence de trous de boulin.
Couverture
Le toit à longs pans qui couvre sans interruption la nef et la travée droite de chœur repose sur une charpente à pannes et chevrons couverte de tuiles creuses. Le chevet a un toit en demi-cône de structure et matériaux identiques. Le clocher-tour a un toit en pavillon couvert de bardeaux de mélèze.
Distribution intérieure
Vue d'ensemble vers le choeur.Nef : sol pavé de carreaux en terre cuite de 24,5 cm de côté. La voûte est entièrement enduite, son moyen-appareil n'est visible que grâce à la chute de quelques plaques de l'enduit dans la 1ère travée. Le même enduit recouvre les murs et les arcs. Les doubleaux, simples, retombent sur des pilastres que contourne le cordon en quart-de-rond qui souligne les départs du berceau.
Dans la 1ère travée, 3 poutres transversales portent la tribune accessible par un escalier en plâtre appuyé au mur sud, protégée par un garde-corps à balustres en bois découpé et éclairée par un oculus rond sans ébrasement. De cette tribune part l'échelle de meunier qui conduit à la chambre des cloches. La porte, dans le mur sud de la même travée, a son embrasure droite et très haute. Sous la tribune, un petit placard mural contient les fonts baptismaux.
Les 2ème et 3ème travées prennent jour au sud chacune par une fenêtre en plein-cintre à double ébrasement et appui taluté.
Chœur : l'arc triomphal et le doubleau qui sépare la travée droite de la nef n'ont pas plus d'ornement que les doubleaux de la nef, si ce n'est le décor peint qui couvre l'enduit des murs et de la voûte. Le sol surélevé d'une marche est pavé de carreaux de marbre noir et blanc posés sur pointe. La fenêtre axiale et celle de la travée droite ont un appui taluté et un double ébrasement.
Sacristie : petit volume voûté en berceau plein-cintre perpendiculaire à la nef, enduit. Du côté nord, l'appendice est également couvert d'un berceau en plein-cintre qui retombe sur deux petits cordons en plâtre en quart-de-rond aplati. Le sol est pavé de carreaux en terre cuite de 17,5 cm de côté. Une fenêtre rectangulaire éclaire la pièce à l'est, deux placards muraux occupent la paroi sud à côté de la porte.
Conclusion
L'église de Castellet-lès-Sausses est un édifice roman d'assez bonne qualité, quoique peu orné, qui a probablement été construit ou plutôt reconstruit en plusieurs étapes. On a constaté précédemment que les doubleaux, l'arc triomphal et, par suite, l'abside n'étaient pas orthogonaux par rapport aux murs gouttereaux. La cause d'une telle déformation doit provenir du terrain sous-jacent, dont le substrat rocheux est apparemment plus court au nord qu'au sud. L'abside appartient probablement à un édifice antérieur dont la nef, plus courte que l'actuelle, disposait d'assez d'espace pour se développer dans le même axe. Le parti adopté au moment de la construction de la travée droite de chœur et de la nef actuelles aurait donc obligé les constructeurs à dévier cet axe de quelques degrés vers le sud pour trouver le terrain ferme nécessaire à l'assise du nouveau vaisseau. Le chantier a dû traîner en longueur, si l'on en croit la discontinuité des assises encore visible dans le parement du mur nord, au droit du 2ème doubleau, Le retournement des cordons sur les pilastres amène à situer la construction de la travée droite et de la nef dans le courant du XIIIe siècle. L'abside pourrait être de la seconde moitié ou de la fin du XIIe siècle. Le mur ouest de la 1ère travée de la nef, qui corrige la déformation, ne s'appuie sur le rocher qu'à son extrémité sud. Son appareil assez chaotique réutilise pour les deux tiers inférieurs des blocs taillés de même qualité que les autres élévations, mais la totalité de l'angle nord et la partie supérieure sont en blocage et l'angle sud n'est pas cohérent avec le parement du mur sud. Ce mur ouest provient donc d'une reconstruction opérée à l'époque moderne, sans doute destinée à donner une meilleure assise au clocher-tour élevé au-dessus. Le nouveau mur allonge la 1ère travée de 0,10 m au sud et de 0,30 m au nord. Malgré le recul, son manque de stabilité est à l'origine des désordres visibles, qui ont persisté au moins jusqu'à la réfection de l'angle nord-ouest signalée dans la visite pastorale de 1858.
Les ruptures d'appareil dénoncent plusieurs autres remaniements :
1° La base du mur sud est masquée par une banquette maçonnée en blocage sur la longueur de la travée droite et des 2èmes et 3ème travées de la nef; devant la 1ère travée, cette base est elle-même parementée en blocage jusqu'à hauteur du seuil de la porte, précédé d'un degré de 4 marches en pierre de taille; il est évident que le sol extérieur, primitivement plus élevé, a été ici excavé,
2° Sur tout le pourtour de l'édifice, excepté l'extrémité ouest, une corniche en quart-de-rond couronne les élévations médiévales ; au-dessus, l'élévation se poursuit en blocage ; cette surélévation, pratiquée à l'époque moderne ou dans la 1ère moitié du 1ge siècle, a eu pour but d'asseoir la charpente du toit couverte de tuiles creuses qui remplace l'ancienne couverture en tuiles ou peut-être en lauses jadis posée directement sur l'extrados des voûtes.
3° L'allongement de la 1ère travée de la nef déjà évoqué a été fait pour servir de base au clocher-tour, qui ne recouvre en fait que le quart sud-ouest de la travée ; la tour, peu élevée, ne contient qu'un étage, ouvert par 2 baies en plein-cintre (au sud et à l'ouest) sous la flèche couverte de bardeaux en mélèze; on y accède par une ouverture pratiquée dans la voûte et une échelle de meunier à partir de la tribune en charpente construite sans doute en même temps.
Elévation sud. Porte.4° Ouverte au sud de la 1ère travée, la porte en plein-cintre n'est pas médiévale; le travail de la pierre (calcaire ocre bouchardé à arêtes ciselées), l'appareillage (8 claveaux non extradossés et une petite clef) et l'insertion du tout dans le parement du mur (assises moderne ou de l'époque contemporaine, contemporain de l'aménagement du parvis (avec excavation du sol) sur un terrain sans doute jadis occupé par le cimetière.
5° La fenêtre sud de la 2ème travée est également une réfection, tout au moins en ce qui concerne son embrasure extérieure taillée dans le tuf et insérée maladroitement dans le parement; le respect du modèle d'origine (conservé dans la 3ème travée) atteste un ouvrage assez ancien, peut-être du XVe ou du XVIe siècle.
6° La fenêtre sud de la travée droite de chœur a été agrandie à l'époque moderne ; le piédroit droit de l'ancienne fenêtre subsiste, l'ouverture agrandie et largement ébrasée est façonnée au mortier de plâtre rose.
Elévation sud. Fenêtre de la travée droite de choeur. Elévation sud. Fenêtre de la 2e travée de la nef.
7° Du côté nord, la construction de la chapelle latérale devenue sacristie (fermée par une cloison en plâtre) a entraîné la reprise du parement médiéval tout autour et jusqu'au toit ; les pierres arrachées ont servi à monter les murs de cette chapelle bâtie probablement au XVIIe siècle. Les visites pastorales datent le changement d'affectation des années 1846-1858. L'appendice construit au nord est sans doute postérieur à la visite pastorale de 1891, qui dénonce l'exiguïté du local.
8° A l'extrémité ouest du mur nord apparaît l'encadrement d'une baie murée ; les 4 claveaux extradossés de l'arc brisé et les piédroits conservés sur une hauteur de 2,83 m sont ceux d'une petite porte médiévale, mais le seuil s'arrête à 1,25 m du sol et le piédroit ouest dépasse l'alignement interne du mur ouest de la 1ère travée; l'ouverture a été condamnée au moment de l'aménagement de la niche qui contient les fonts baptismaux et correspond vraisemblablement à une fenêtre à double ébrasement pratiquée à cet endroit particulièrement sombre (sous la tribune) en remployant les vestiges d'une ancienne porte qui se trouvait peut-être dans le mur nord de la 3ème travée ; la récupération daterait en ce cas de la construction de la chapelle latérale.
9° Quant à la réfection partielle du parement des murs sud et nord de la nef, elle paraît antérieure aux modifications ci-dessus énumérées, dont la plus ancienne remonte peut-être au XVe siècle, sans qu'il soit possible d'en déterminer la cause ni d'assurer que toutes les parties en ont été faites en même temps.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.