Dossier d’œuvre architecture IA06000021 | Réalisé par
Truttmann Philippe
Truttmann Philippe

Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.

Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.

Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)

Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)

La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)

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  • enquête thématique régionale, architecture militaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur
ensemble fortifié : secteur fortifié des Alpes-Maritimes
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Alpes-Maritimes - Alpes-Maritimes
  • Commune Alpes-Maritimes
  • Lieu-dit près de Frontière France-Italie
  • Précisions oeuvre située en partie sur la commune Bollène-Vésubie (La) ; oeuvre située en partie sur la commune Breil-sur-Roya ; oeuvre située en partie sur la commune Castillon ; oeuvre située en partie sur la commune Isola ; oeuvre située en partie sur la commune Lantosque ; oeuvre située en partie sur la commune Peille ; oeuvre située en partie sur la commune Péone ; oeuvre située en partie sur la commune Rimplas ; oeuvre située en partie sur la commune Roquebillière ; oeuvre située en partie sur la commune Saint-Martin-Vésubie ; oeuvre située en partie sur la commune Sospel ; oeuvre située en partie sur la commune Utelle ; oeuvre située en partie sur la commune Valdeblore

Considérations générales

Géographie

A partir de l'ensemble Enchastraye-pic des Trois Evêques (environ 2900 m) la crête maîtresse des Alpes du Sud s'oriente au sud-est, et longtemps jalonnée par des sommets dépassant les 3000 m (Clapier, Genas, Tenibre) s'abaisse jusqu'à 1871 m au col de Tende, avant de s'infléchir, à l'est de ce dernier, pour s'orienter plein sud et tomber sur la Méditerranée entre Menton et Vintimille.

Au nord, un contrefort s'embranchant sur l'Enchastraye s'oriente au sud-ouest, puis à l'ouest par la cime de la Bonette et le mont Pelat, dominant une zone montagneuse compacte, difficile et compliquée. Ce contrefort, franchi d'est en ouest par les cols de Restefond, d'Allos et de la Cayolle, passages difficiles, ouverts tardivement à la circulation (Restefond, rarement avant le 1er juillet et après le 15 septembre) constitue la limite naturelle entre le théâtre d'opérations des Alpes-Maritimes et celui de l'Ubaye.

L'orographie est constituée par une série de petites rivières ou fleuves côtiers, aux crues parfois dévastatrices, orientés sensiblement nord-sud et se jetant soit directement dans la mer (Roya) soit dans le Var - près de la mer - (Vésubie, Tinée, Haut-Var).

On notera que du fait de leur orientation, ces cours d'eau ne constituent pas, à proprement parler, des pénétrantes par rapport à la frontière politique : par contre, leurs affluents ont déterminé, dans les crêtes, des vallons (Molières, La Guerche) venant échancrer les crêtes en une quantité de cols secondaires de plus en plus propices au passage de l'infanterie au fur et à mesure qu'on se rapproche de la mer.

On notera l'importance particulière, d'un point de vue militaire, de la trouée de la Bévéra (affluent rive gauche de la Roya), à Sospel, échancrure d'une crête secondaire, où aboutissent la route du Piémont venant du col de Tende, par la Roya, et celle, moins importante, d'Olivetta Saint Michèle.

Conditionné par l'orographie, le système de communications a, de la sorte, longtemps favorisé la pénétration du pays du sud vers le nord, par des vallées qui sont restées longtemps des impasses, les grandes traversées se sont limitées, dans le sens est-ouest, à la voie littorale, puis à la vallée du Var, et enfin, dans le sens nord-sud, à la route du Piémont par le col de Tende.

Politique

Jusqu'en 1860, à l'exception des périodes d'occupation liées aux grands conflits européens, la frontière orientale de la France était constituée par le Var. Entité politique, le comté de Nice relevait de la Maison de Savoie et a longtemps constitué un des grands objectifs des visées expansionnistes françaises.

En 1713, au traité d'Utrecht qui clôturait la longue guerre de succession d'Espagne, on procéda à une régularisation de la frontière politique en ramenant celle-ci à la crête topographique : nous cédâmes nos possessions du versant oriental des Alpes, en contrepartie de quoi nous obtenions la possession de l'Ubaye.

Mais cette opération n'affecta pas les Alpes-Maritimes, sinon indirectement, en ce sens que la possession du col de Larche nous donnait une fenêtre sur le Piémont et la possibilité de tourner la région de Nice par la vallée de la Stura.

La situation resta en l'état jusqu'en 1860 : en contrepartie de l'intervention française en Italie, contre l'Autriche, Napoléon III avait obtenu d'abord à l'entrevue de Plombières puis au traité officiel secret avec Victor Emmanuel, la cession à la France de la Savoie et du comté de Nice.

La victoire acquise et la paix revenue, les Italiens manifestèrent de nettes réticences à exécuter leurs engagements et, par esprit de conciliation, Napoléon III consentit à un tracé de la nouvelle frontière militairement désavantageux pour la France, sous prétexte de laisser à Victor Emmanuel la disposition de ses terrains de chasse favoris : l'organisation ultérieure de notre système défensif devait s'en trouver compliquée.

A la fin de la deuxième guerre mondiale, compte tenu de ce que tout le poids des luttes de la libération du sud-est avait pratiquement été supporté par les forces françaises du détachement d'armée des Alpes, le gouvernement du Général de Gaulle était bien décidé, en tant que membre des nations victorieuses, à exiger de l'Italie, non seulement des rectifications de frontière destinées à améliorer le tracé de 1860 mais le rattachement des zones frontalières francophones qui le souhaitaient. Malgré l'opposition des Anglo-Américains, la France finit par obtenir au traité de Paris (1947) quelques rectifications (Vallée étroite, Chaberton) et surtout le rattachement, après consultation des habitants, de la Haute-Roya, Tende et La Brigue, ce qui ramenait notre frontière au col de Tende. Mais on ne put rien obtenir dans le Val d'Aoste, ni dans la région de Vintimille, pourtant convoités.

C'est le tracé de 1947 qui constitue, aujourd'hui, la frontière franco-italienne dans les Alpes-Maritimes.

Opérations militaires et fortifications

Cet aspect est naturellement conditionné par les considérations précédentes. Dès le Moyen-Age, sous la menace des incursions des barbaresques - et autres - remontant les vallées des cours d'eau littoraux, l'habitat se constitue en villages fermés perchés sur de véritables nids d'aigle (Eze, Venanson, La Tour, Marie, Tournefort etc.). Les bourgs s'entourent d'enceintes (Lucéram, Breil, Sospel) parfois assortis de châteaux concrétisant les structures féodales (Saorge, Tende, Nice).

Après la guerre de cent ans, l'évolution de la France vers un statut d'Etat fort et expansionniste ouvre une longue période de conflits, dont les « guerres d'Italie » ne sont qu'un épisode. La région devient un théâtre d'opérations très actif, et le comté de Nice - comme la Lorraine, sur la frontière de l'Est - une zone tampon convoitée par les deux adversaires et régulièrement foulée par leurs armées à chaque campagne.

Lors des guerres entre François Ier et Charles Quint, c'est par la route littorale qu'à deux reprises (1524 et 1534) la Provence est envahie par les Impériaux qui arrivent jusqu'à Marseille, mais chaque fois ces tentatives échouent et se terminent par des retraites désastreuses.

En 1543, Nice est prise par les Turcs, alliés à François Ier, mais qui échouent devant le château. L'année suivante, le roi fait entreprendre les fortifications de Saint-Paul-de-Vence, une des premières enceintes bastionnées modernes de notre patrimoine militaire. La place a pour rôle de surveiller le passage du Var par la route côtière. Parallèlement, plus à l'intérieur, la vallée de ce même Var et le chemin de Digne sont tenus par la place d'Entrevaux et son château, celle du Verdon et le chemin du col d'Allos par la place de Colmars également améliorée par François Ier.

Sous Henri II, les hostilités entre la France et l'Empire continuent de plus belle, compliquées ensuite par les guerres de religion.

Du côté français, et pour ne s'en tenir qu'au littoral, cette seconde moitié du XVIe voit construire le fort carré d'Antibes - autre ouvrage bastionné -, la citadelle de Saint-Tropez, sans parler des forts de Pomègues et Ratonneau qui, devant Marseille, viennent s'ajouter au château d'If, et devant Toulon, à la grosse tour et au château de Porquerolles, l'un et l'autre entrepris ou terminés par François Ier.

De l'autre côté du Var, le duc Emmanuel-Philibert monte en 1533 sur le trône de Savoie. Bien que beau-frère d'Henri II, il sera jusqu'à sa mort en 1580 un de nos adversaires les plus acharnés.

Sous son règne va s'exécuter un vaste programme de fortifications face à la frontière française. Citons, pour mémoire, au nord la fameuse place de Montmélian qui verrouille la vallée de l'Isère et nous donnera beaucoup de fil à retordre jusqu'à sa prise et son rasement en 1706 ; sur la côte, le duc remanie très sérieusement le château de Nice, construit non loin de là sur une hauteur dangereuse, le fort du Mont Alban, puis en bord de mer, la citadelle de Villefranche et le fort du Saint-Hospice, sans même parler de nombreuses autres places dans le Piémont proprement dit.

Les campagnes se poursuivront sporadiquement jusqu'en 1630, début d'une longue période de paix qui devait se poursuivre jusqu'en 1690 : les cours de France et de Savoie sont à ce point proches que Louis XIV en vient à tenir le duc Victor Amédée II en état de quasi vassalité. Mais, lors de la guerre de Ligue d'Augsbourg, « M. de Savoie » se rebiffe et passe, en 1690, dans le camp de nos adversaires : à la tête d'une armée coalisée il franchit à l'improviste les cols de Larche et de Vars, tombe sur la moyenne Durance, prend Embrun, dévaste le Gapençais avant de se retirer (juillet-septembre 1692). Entre temps, en 1690, Catinat avait pu prendre Montmélian et s'emparer du comté, après la prise de Villefranche (17 mars 1691), du Mont Alban, du Saint-Hospice, de la ville de Nice (26 mars) puis du château (2 avril). Les forces du duc, autres que les garnisons des places, purent se dérober par la Roya et le col de Tende.

A la paix de Turin (1696) nous restituions la Savoie et le comté de Nice, mais surtout nous rétrocédions au duc, après démantèlement, la place de Pignerol, notre grande base stratégique avancée à l'est des Alpes. De même, nous évacuons le comté de Nice.

La paix sera de courte durée : dès 1701, avec l'ouverture de la succession d'Espagne, les hostilités se rallument sur l'ensemble des frontières, dont celle du sud-est.

A nouveau, Victor Amédée II, d'abord notre allié passe dans le camp de nos adversaires (1703). Nous envahissons alors le Piémont, dont les places succombent les unes après les autres. En Savoie, Montmélian assiégée capitule le Il décembre 1705. Nice est prise par Berwick le 4 janvier 1706. Louis XIV fait alors raser les deux forteresses qui ne seront jamais rétablies.

Reste Turin, la capitale du duc, puissamment fortifiée : le siège y est mis en 1706 sans tenir compte des avis du vieux Vauban - par La Feuillade, personnage aussi prétentieux qu'incompétent. Arrivant alors à la tête d'une armée de secours, le prince Eugène de Savoie bat La Feuillade qui lève le siège et bat en retraite avec des pertes importantes.

C'est en suivant la route côtière, la plus praticable, que les coalisés envahissent la Provence avec l'avantage supplémentaire de disposer, parallèlement, du soutien naval. Mais le maréchal de Tessé fait front devant Toulon, dont l'enceinte a été doublée par un camp retranché occupé par les troupes de campagne, les milices locales et les canonniers de la marine. Les coalisés réussissent à prendre le fort Saint-Louis, que sa garnison fait sauter avant de l'évacuer après une résistance vigoureuse. Mais leur élan est cassé, et ils sont bientôt contraints à une retraite désastreuse, que Tessé n'osera poursuivre, ce qui lui vaudra d'être relevé de son commandement.

L'armée des Alpes passe alors au maréchal de Villars qui arrête in-extremis (1708) une poussée de Victor Amédée sur le col de Buffère, mais perd Exilles et Fenestrelle : il est alors remplacé par Berwick (1709). Ce dernier, par suite de prélèvements opérés au profit des théâtres d'opérations du nord et du nord-est, ne dispose plus que de 70 bataillons et 35 escadrons pour défendre les Alpes, du Léman à la Méditerranée.

Il conçoit alors une stratégie de défensive active basée sur le déplacement rapide, par des itinéraires de rocade soigneusement aménagés, de ses forces fractionnées - mais non éparpillées - en quatre ou cinq bases fortifiées (Briançon, camp de Tournoux etc.) de manière à être toujours localement en position de force face aux tentatives des coalisés.

Cette habile combinaison de la manœuvre et de l'utilisation des difficultés naturelles du terrain accrues par quelques forteresses bien placées avait déjà été entrevue par Catinat lors de la guerre précédente : elle devint désormais la règle de la stratégie française et devait inspirer tous les plans de défense de la frontière du sud-est jusqu'à la grande guerre, et même au-delà.

Lorsque la paix est conclue, en 1713, le territoire du royaume est resté inviolé. Nous évacuons le comté de Nice, et d'importantes rectifications tendent à ramener la frontière à la crête des Alpes. En échange de la région de Barcelonnette, nous cédions à la Savoie d'importants territoires dépendant du Briançonnais : s'agissant de régions francophones, cette cession posait un problème qui rebondira à plusieurs reprises jusqu'en 1947.

Les guerres de Louis XV

A l'issue d'une période de paix de vingt ans, s'ouvrit la guerre de succession de Pologne (1733). Nos armées se portèrent dans la plaine du Pô, où se déroulèrent les campagnes de 1733, 34 et 35 mais en avant de la région de Nice qui ne fut pas affectée par les opérations.

A la paix de Vienne, on manqua l'occasion de récupérer les territoires cédés en 1713.

Quelques années plus tard (1742) éclatait la guerre de succession d'Autriche. Le nouveau duc de Savoie, Charles Emmanuel - devenu roi de Sardaigne depuis 1713 se rangea parmi nos adversaires autrichiens et anglais. Son premier soin fut d'organiser en fortification de campagne les cols de la crête majeure des Alpes. Nice démantelée depuis 1706 étant indéfendable, il fit construire de vastes lignes fortifiées à l'est de Nice (il n'est pas à exclure que ce soient les vestiges de ces organisations qui ont fait l'objet d'un article d'Olivier Rochereau « Une ligne fortifiée au XVIIIe siècle dans le comté de Nice », dans Archéologia n° 105, avril 1977), avec un fort dit « fort Mathews » (à l'emplacement de l'actuelle batterie du mont Boron) pour couvrir la rade de Villefranche, mouillage de l'escadre anglaise assurant le ravitaillement et le soutien.

L'armée franco-espagnole du prince de Conti attaqua ce dispositif les 19 et 20 avril 1744, et parvint non sans peine à forcer nos adversaires à évacuer ce camp retranché. Sans entrer dans un détail fastidieux, on peut dire que les opérations se poursuivirent jusqu'en 1748, avec alternance de flux et de reflux des deux camps entre Gênes et Antibes, ponctuées d'affaires heureuses ou malheureuses comme le coûteux échec de l'attaque de l'Assiette (19 juillet 1747), en face du Mont Genèvre. En 1748, le traité d'Aix-la-Chapelle ramena les choses dans la région à l'état où elles étaient au début de la guerre. Rien de permanent n'avait été créé comme ouvrages fortifiés, la citadelle de Villefranche et le fort du Mont Alban avaient même bien failli être détruits volontairement par les Français.

Les campagnes de la Révolution et de l'Empire (1792-1815)

La guerre de sept ans n'eut pas d'incidence directe sur les Alpes-Maritimes. C'est donc au terme d'une période de paix de 44 ans qu'en 1792 s'ouvrit la guerre entre la République et la coalition européenne.

Là non plus, sans entrer dans le détail de huit ans de campagnes complexes, on constate que les Alpes du Sud furent un théâtre d'opérations très actif: la petite ville de Sospel fut maintes fois prise et reprise, avec, bien sûr, à chaque fois, de multiples dommages aux personnes et aux biens.

Les opérations firent à nouveau apparaître l'importance des vallées et des cols, mais aussi la valeur stratégique de positions comme l'Authion, où nos colonnes d'assaut échouèrent contre les retranchements des Austros-Sardes en juin et juillet 1793 à Millefourches. Des points comme l'Agaisen, La Déa, le col de Brouis, le col de Rans furent mis ou remis en exergue : on devait les retrouver plus tard, lors du tracé des deux générations successives d'organisation défensive des frontières, en 1874 et en 1929.

La paix revenue à Lunéville en 1801 consacrait en fait 1'hégémonie française en Italie et, au nord, le report de notre ligne de sécurité du Var sur l'Adige, face à l'Autriche. Non seulement cette période n'avait vu se créer aucune place nouvelle en territoire français mais la France victorieuse avait procédé à la destruction systématique des places qui nous étaient opposées, du côté italien des Alpes : en 1795 Suse et le puissant fort de la Brunette sont rasés, en 1797 : Exilles, en 1800-1801 : Coni, Ceva, l'enceinte de Turin, la citadelle de Milan, Ivrée, le fort de Bard, les châteaux de Serravalle et d'Arona. Seule Fenestrelle échappe à ce carnage, pour le plus grand bien du patrimoine européen.

Les choses resteront en l'état jusqu'à la chute de l'Empire: en 1814 et 1815 les opérations se dérouleront plus au nord, sur le Rhône et en Savoie, épargnant les Alpes-Maritimes.

Le XIXe siècle (1815-1870)

Après la chute de l'Empire, et sous la férule de la Sainte Alliance, les états européens vont s'ingénier pendant un demi-siècle à reconstituer un système défensif destiné à bloquer toute nouvelle poussée expansionniste de la France. En ce qui concerne les Sardes, et en plus des nouveaux forts de l'Esseillon en Haute-Maurienne, on reconstruisit entre 1820 et 1850 le fort de Bard et Exilles sur le site primitif des ouvrages détruits. Coni et Demonte furent remplacées par la place nouvelle de Vinadio, sur la Stura di Demonte, qui verrouillait les débouchés du col de Larche et du col de la Lombarde. Fenestrelle fut améliorée et pourvue en bas d'un ouvrage d'interdiction, le fort Saint-Charles, à cheval sur la grand route du Mont Genèvre.

Mais rien ne se fit dans le comté de Nice, décidément considéré comme un no man's land.

Après le rattachement du pays à la France, en 1860, des études sérieuses d'organisation défensive de Nice furent conduites sous la direction du général Frossard, une des sommités du génie de l'époque et proche de l'empereur Napoléon III.

Dans les études fut impliqué, de 1861 à 1864, le commandant du génie Seré de Rivières qui devait être, après 1870, l'artisan de la réorganisation d'ensemble de notre système fortifié. On avait, à l'époque, conclu à la possibilité de défendre la région avec la construction d'un fort à Saorge, un ouvrage au pont Saint-Louis, trois forts autour de Nice et des « chiuses » défensives sur la Basse Tinée et la Basse Vésubie (rapport du 30 juin 1862 - la dépense totale était estimée à 17 millions pour l'ensemble de la frontière des Alpes, dont 7 pour les Alpes-Maritimes).

Mais peut-être en raison des difficultés financières liées à la campagne du Mexique ou de celles résultant pour la fortification de la toute récente « crise de l'artillerie rayée » (1858) rien de fut exécuté avant 1870. Par contre, au titre de la défense des côtes, et par extension du programme élaboré par la commission mixte de 1841, on construisit les batteries de la Rascasse et du Phare, défendant la rade de Villefranche en liaison avec le front de mer de la citadelle, lui-même réorganisé et la batterie de Beaulieu, couvrant la rade du Saint-Hospice.

La Troisième République (de 1870 à 1914)

La guerre franco-allemande de 1870-71 n'affecta pas directement le sud-est de la France. Mais, bien qu'elle fut restée neutre, l'Italie s'éloignait insensiblement de l'alliance française de 1858. Ce n'est qu'avec bien des réticences qu'elle s'était acquittée de la contrepartie de notre participation déterminante à la guerre contre l'Autriche, c'est-à-dire la cession de la Savoie et de Nice: elle devait en revendiquer longtemps encore la restitution. De plus, la protection militaire accordée par Napoléon III aux états pontificaux jusqu'en 1870 avait accru les sentiments antifrançais.

Dès 1872 est constitué par Thiers un comité de défense, regroupant sous la présidence du ministre de la Guerre les plus hautes instances militaires concernées, et chargé de concevoir et de diriger le programme de restructuration générale de notre système de défense des frontières, rendu indispensable par la crise de l'artillerie rayée et l'éventration de la frontière de l'est par le traité de Francfort.

En juin 1873, le secrétariat en était confié précisément au général Seré de Rivières, précédemment de 1861 à 64 chef du génie à Nice, et qui fut, dans une large mesure, le maître à penser du comité. De plus, nommé le 1er février 1874 directeur du génie au ministère de la Guerre, il cumule alors la fonction de conception au plus haut niveau d'exécution, avec la gestion des fonds, situation unique dans notre histoire militaire et dont ne disposèrent ni Vauban ni, plus tard, le général Belhague, le maître d'œuvre de la ligne Maginot.

Aussi, fort de cette double situation, put-il animer, de 1874 à 1880, date de son passage au cadre de réserve, soit en moins de six ans, l'essentiel d'une œuvre colossale représentant, pour le seul service du Génie, plus de 450 millions de francs de crédits.

A la lecture des procès-verbaux des réunions du comité, et des sous-commissions qui le complètent (sous-commission d'implantation des ouvrages, défense des côtes, etc.) on constate que personne ne se fait la moindre illusion sur la fidélité de l'Italie à notre égard.

En ce qui concerne la frontière des Alpes, le comité considère que seul Lyon constitue en cas de guerre un objectif valable pour l'armée italienne, avec, éventuellement en cas de succès, la possibilité de rejoindre l'armée allemande vers Lyon. L'Ubaye et le Queyras, objectifs secondaires, sont provisoirement classés en deuxième urgence. L'effort est appliqué d'abord aux nouvelles défenses de Lyon, Albertville, Chamousset, Grenoble et Briançon, le tout estimé en gros à 25 millions, est réalisé de 1874 à 1877.

Entre temps, l'Italie dès 1872 a créé des compagnies alpines, recrutées chez les montagnards : neuf de ces premières unités sont implantées le long de la frontière française. Leur nombre s'accroît sensiblement : en 1873, elles sont trente six, dont vingt face à la France, qu'on voit déambuler sur les crêtes frontières.

L'occupation de la Tunisie par la France, en 1881, fait naître en Italie une tension qui va aller crescendo : les Italiens commencent vers 1874 la construction des forts du Mont Cenis et du col de Tende, améliorent la route de la Roya et entament le percement du tunnel routier de Tende qui supprimera le franchissement - difficile du seul obstacle sérieux de l'itinéraire stratégique Turin - Coni -Vintimille. De même ils amorcent une voie ferrée Turin-Coni qui doit être prolongée ultérieurement vers Breil et Vintimille d'une part, Breil et Nice d'autre part. Si les habitants des vallées des deux côtés réclament avec force ces travaux destinés à améliorer leur vie quotidienne, les possibilités de transport de l'armée italienne s'en trouveront singulièrement améliorées.

La crise politique atteint un sommet en 1882 avec l'adhésion de l'Italie à la triple alliance, c'est-à-dire la coalition de nos adversaires potentiels. On ne pouvait laisser le rapport des forces se détériorer en notre défaveur : le 27 mai 1876, le maréchal Canrobert fait inscrire en première urgence la construction du fort du mont Leuza destiné à couvrir Nice et à répliquer aux revendications italiennes : mesure toute théorique car aucune suite concrète n'y est donnée.

Ce n'est qu'à la séance du 15 avril 1882 que le comité de défense arrête le détail des organisations qui seront effectivement réalisées. Ce seront :

- un fort d'arrêt isolé au Barbonnet pour interdire le col de Braus, la trouée de la Bévéra et le débouché de la route de Tende à Sospel

- la création d'une place à Nice avec :

- - à l'est, les forts de la Tête de Chien, de la Drette et de la Revère qui commandent les voies côtières et la route de La Turbie

- - au nord, le fort du Mont Chauve d'Aspremont et ses annexes qui commandent la vallée

- - à l'ouest, les « chiuses défensives » de Bauma Negra et Saint-Jean-la-Rivière, destinées à interdire les vallées de la Tinée et de la Vésubie, avec le « fort » du Picciarvet comme ouvrage de surveillance. (Ces « chiuses » sont des ouvrages constituées de casemates cavernes pour canons et logement du personnel creusées dans les parois des gorges de la Tinée (Bauma Negra) et de la Vésubie (Saint-Jean-la-Rivière), un peu avant leur confluent avec le Var, pour interdire au niveau des routes toute pénétration par les vallées. Assez fréquents en Autriche et en Italie, ces deux ouvrages sont les seuls réalisés en France, avec, à la rigueur, l'ouvrage bas de Fort l'Ecluse.

Le fort de la Tête de Chien était déjà en construction depuis 1879. Avec adjonction d'une casemate cuirassée Mougin pour canon de 155 en 1882, l'ouvrage est terminé en 1884. Tous les autres ouvrages mis en chantier en 1883 sont à peu près terminés en 1886, au moment précis où la « crise de l'obus torpille » vient à nouveau rompre l'équilibre précaire entre attaque et défense. Dans les choix faits pour parvenir à cette solution, et l'impulsion donnée à leur exécution, on doit - comme en Ubaye - noter l'influence discrète, mais efficace, du général du génie Alexandre Segretain, membre du comité des fortifications et inspecteur des XIVe et XVe corps d'armée. Le général y fait allusion dans ses mémoires « Souvenirs d'un officier du génie », Hachette éditeur, 1962.

Jusque là, et depuis la crise de l'artillerie rayée (1858), les ouvrages fortifiés étaient construits en maçonnerie recouverte de terre, selon des critères définis dans le rapport du 9 mai 1874 et instructions de détail consécutives.

Désormais, avec les nouveaux projectiles allongés en acier chargés à explosif chimique, dits « obus-torpilles » les fusées à double effet, et les gargousses en poudre sans fumée, il faudra mettre les nouveaux forts sous roc ou sous carapace de béton, l'artillerie devra être dispersée ou mise sous cuirassements etc. Cette transformation radicale de la fortification est impérative sur les frontières du nord et de l'est, où l'assaillant peut déployer facilement son artillerie lourde. C'est moins vrai en montagne où les positions d'artillerie lourde et les communications permettant de l'amener à pied-d’œuvre sont beaucoup plus rares.

Mais, simultanément, devant le caractère aigu de la crise politique avec l'Italie, la France remanie son dispositif militaire et le renforce sur la frontière du sud-est. Au lieu des places lointaines comme Grenoble et Lyon, des troupes banalisées, non spécialisées, remontant les vallées au fur et à mesure de la fonte des neiges, et qui risquaient d'être devancées sur les cols et les hauts par les unités de montagne italiennes, la France s'adapte. A l'instigation de chefs de grande valeur, comme le général baron Berge on transforme des bataillons de chasseurs à pied - l'élite de l'infanterie - en bataillons de chasseurs alpins recrutés dans les Alpes, des régiments d'infanterie alpine (157e, 158e, 15ge etc.) qui associés organiquement à des détachements d'artillerie de montagne, portée sur mulets, et du génie constituent des « groupes alpins », interarmes et autonomes (1887). De proche en proche, on en vient à créer une véritable armée des Alpes - la VIIIe armée - à deux corps, les 14e et 15e, dont le général Berge, gouverneur militaire de Lyon sera le commandant désigné de 1889 à 93 et à qui succèdera son ancien chef d'état-major, le général Zédé.

Au sommet, le conseil supérieur de la guerre rechigne à voir distraire des forces du théâtre d'opérations principal - le nord-est - où, en dernier ressort, se jouera la décision, au profit de ce qu'il considère comme un secteur secondaire. Un net conflit surgit au moment où le général Berge envisage même des projets «d'offensives limitées» visant à mettre la main, dès le début des hostilités, sur les cols frontières et certaines positions importantes : le général le justifie par le fait que c'est la meilleure façon d'attirer et de fixer des forces ennemies italiennes supérieures. Des compromis sont trouvés, non sans peine, dans les plans de mobilisation.

Cette évolution amène à pousser, dès le temps de paix, notre dispositif militaire de plus en plus loin et de plus en plus haut, même en hiver. Tout le long de la frontière poussent bâtiments et chalets de casernements de montagne où les bataillons alpins tiennent garnison ou au moins maintiennent les « postes d'hiver », des détachements surveillant les cols et observant les moindres mouvements italiens. Dans les Alpes du Sud, ce sont les camps du Tournairet, Peïra Cava, l'Authion (Plan Caval, Cabanes Vieilles). Parallèlement, le réseau des routes stratégiques se développe, grâce aux travaux exécutés lors des « campagnes d'été » par la main-d’œuvre militaire des unités. S'y ajoutent même des téléphériques construits et exploités par les spécialistes du 4e régiment du génie.

L'infrastructure défensive facteur important de l'économie des forces recherchée par l'état-major de l'armée suit cette évolution grâce, entre autres, à l'appui du ministre de la Guerre, M. de Freycin et au général Berge, son camarade de promotion de l'école Polytechnique. C'est contre l'avis du Conseil supérieur de la Guerre qu'à peine terminés les forts de Nice, le ministre fait fortifier le mont Agel (1888-91) dont le sommet, culminant à 1000 m environ, offrait à l'artillerie même de montagne mais dotée de nouveaux projectiles, des positions particulièrement dangereuses pour les forts de Nice. De la même façon, le ministre fait fortifier plus au nord la place de Bourg-Saint-Maurice, au débouché du col du Petit Saint-Bernard (forts du Truc, de Vulmis et blockhaus de la Platte). Simultanément on construit, au sommet de l'Authion, les redoutes de la Forca et de Millefourches (1889-91) complétés en 1898-99 par le blockhaus de la Pointe des Trois Communes (en béton armé) puis, en 1901, la batterie de Plan Caval : avec son réseau routier, ses casernements en dur, ses ouvrages, ses ressources en fourrage et en eau, la position de l'Authion, révélée par les opérations de 1793 et considérée comme très importante dans les premières études de 1873-74, est désormais solidement assurée.

La ceinture de Nice est également complétée par toute une série de batteries d'intervalle (Leuziera, Mont Gros, Saint-Aubert, Rimiez etc. 1889-90) et l'ouvrage de Colomars, qui domine la vallée du Var. Pour donner au système une protection accrue contre les nouveaux obus-torpilles, on dote les forts d'abris-cavernes sous roc pour les troupes, et des magasins à poudre sous roc à contrepente, derrière les batteries.

Mais la situation politique évolue : l'alliance russe se concrétise à partir de 1894 : en Italie, le ministère Crispi - notre principal adversaire - tombe (5 mars 1896) et le danger italien commence à être occulté par l'alerte de Fachoda (1898) qui finira par déboucher sur l'entente cordiale. Une des plus prestigieuses équipes de diplomates de notre histoire (Barrère et les frères Cambon) parvient petit à petit à doter la France de solides alliances (triple entente 1907) et à démanteler le système de Bismarck : en 1902, par traité secret, l'Italie - membre de la triple alliance - s'engage à rester neutre si la France était attaquée par l'Allemagne, mais le fait ne sera connu qu'en 1909 par le général Brun, alors chef d'état-major général.

L'armée des Alpes suit dans une certaine mesure l'évolution politique, du moins ce qui en est connu : dans le plan XV bis (1906) son effectif de guerre est encore de 230.000 hommes. Le plan XVI (1909) prévoit l'envoi des 14e et 15e corps d'armée dans le nord-est et, progressivement, la relève des unités d'active par des unités de réserve et de territoriale est prévue en cas d'hostilité de l'Italie.

Mais on reste prudent, car des renseignements sérieux font état de la probabilité d'une offensive de six corps d'armée italiens, en cas d'hostilités déclarées. Aussi le plan XVII, qui sera mis en œuvre en 1914, laisse-t-il encore 130.000 hommes - dont 40.000 d'active, mais non compris les unités territoriales des garnisons des places et de la défense du littoral.

Quoiqu'il en soit, on en est revenu en 1914 à la constante de notre stratégie sur le théâtre d'opérations du sud-est, depuis Catinat et Berwick :

- économiser le maximum de forces au profit du corps de bataille du front du nord-est, où se jouera le sort de la guerre

- ceci en s'appuyant sur les difficultés du terrain, valorisées par la fortification confiée à des troupes de second choix, et en se limitant à une attitude défensive.

Les travaux de fortification ne cesseront pas complètement jusqu'en 1914 : entre 1897 et 1907, on aménagera des routes et on construira des batteries (Segra, Gargarette, Avellan, Tête de Lavina, Petit Ventabren etc.) et quatre postes (Siricoca, Mont Ours, Garuche, col de Segra) pour permettre à la défense mobile de combattre sur la position avancée constituée par la crête joignant l'arrière de l'Authion au Mont Agel par le col de Braus et dominant le fossé des vallées de la Bévéra, du Cairos et du Caraï.

Vers 1913, devant l'avancement de la construction de la ligne ferroviaire Coni-Nice, il a été décidé de renforcer le fort du Barbonnet qui n'avait reçu, depuis son achèvement en 1886, qu'un petit magasin à poudre sous roc pour mettre ses munitions à l'abri des obus-torpilles (1891).

Plusieurs projets sont élaborés par le génie, dont certaines variantes ambitieuses, avec installation d'une tourelle à éclipse pour canon de 155 R, 3 tourelles de mitrailleuses etc. En 1914, seules les vieilles tourelles tournantes de 155 Mougin avaient eu leurs substructions renforcées -sans abaissement - et un système d'étanchéïté des embrasures installé. Les caponnières doubles - sauf celle de gorge - avaient reçu une dalle de béton armé à la place des voûtes en maçonnerie et quelques guérites observatoires légères étaient posées, c'est tout.

Mais la place de Nice comporte aussi un front de mer, et dans l'œuvre de réorganisation réalisée entre 1874 et 1914, il convient de ne pas oublier la composante côtière.

Les quelques batteries construites en 1862 se trouvèrent vite surclassées par l'apparition dans les marines des grands états de navires cuirassés à hélice, propulsé à la vapeur et donc rapides, armés des nouveaux canons rayés, qu'on ne va pas tarder à placer sous tourelles cuirassées tournantes.

Les pièces de côte armant ces batteries (canons de 30 et obusiers de 22 cm) avaient été incluses dans les programmes d'amélioration et renvoyées dans les arsenaux pour y être rayées, ce qui en doublait la portée utile, et leurs boulets, pleins ou creux remplacés par les nouveaux obus explosifs cylindro-ogivaux : il semble que l'opération n'était pas terminée en 1870.

Mais, peu après 1870, la marine et l'armée mettent au point, chacune, de nouveaux matériels en fonte tubés et frettés, à chargement par la culasse, atteignant des performances très supérieures tant en portée (environ 10.000 m) qu'en puissance des projectiles. En outre ces pièces sont montées sur des affûts beaucoup plus élaborés à pivot antérieur ou central, dotés de systèmes de pointage mécaniques et de freins hydrauliques.

Du même coup, plus n'est besoin de placer les batteries au plus près du rivage, en des points souvent d'accès difficile, qu'il faut occuper en permanence, ravitailler et entretenir à grands frais. Désormais, quelques batteries armées des nouveaux matériels, placées sur des points hauts couvrent beaucoup mieux les zones sensibles, avec toutes les facilités offertes par l'altitude pour l'observation, la conduite du tir et l'allonge de portée résultant de la différence du site.

De la sorte, on construit en 1886-88 les batteries du Mont Boron et du Cap Ferrat (ou Canferrat) chacune armée de 6 pièces de 24 cm à pivot central battant les rades de Villefranche et du Saint-Hospice.

S'y ajoute, de 1889 à 92, la batterie du cimetière russe (4 pièces de 240 mm mle 1884) qui couvre la baie des Anges et l'embouchure du Var. Ces « piliers » sont complétés par la batterie annexe du fort de la Tête de Chien (4 x 95 mm de campagne) puis (1895-96) par quelques batteries de 95 mm G mle 1888 à tir rapide destinées à lutter contre les torpilleurs et les embarcations de débarquement.

Les batteries principales sont de véritables forts à crête unique, conformes aux dispositions du rapport du 9 mai 1874, avec casernes casematées et fossés flanqués, comme leurs homologues des fronts de terre.

Les anciennes batteries de 1862 prévues pour être déclassées restèrent provisoirement armées jusqu'à l'entrée en service des nouvelles. Elles furent alors désarmées et déclassées, puis aliénées.

De fait, à la mobilisation de 1914, le 14e corps d'armée partira sur les Vosges pour entrer dans la constitution de la 1ère armée (Dubail), les 15e et 16e en Lorraine pour former la 2e armée (Castelnau). Le 4 août, l'Italie s'étant déclarée neutre dans le conflit, l'armée des Alpes sera dissoute le 17 août, et ses divisions de réserve envoyées sur la ligne de feu.

Quant aux batteries de côte du front de mer, prises en charge par l'armée vers 1900, puis repassées à la marine à la fin de la grande guerre, elles avaient perdu beaucoup de leur utilité en 1914, à partir du moment où la coalition des flottes françaises et anglaises nous assurait la suprématie navale, au moins en surface.

Aussi, commença-t-on, dès l'automne 1914, à enlever personnel et matériel pour constituer l'artillerie lourde que réclamaient désespérément nos soldats immobilisés par la guerre de tranchées pour répondre à l'artillerie lourde allemande et écraser les organisations ennemies avant les attaques. Les matériels des places et des côtes, joints aux tubes de marine récupérés sur les navires retirés du service permirent de combler cette lacune. Mais pour construire les affûts - en particulier pour l'A.L.V.F. il fallut un an et demi de délai pendant lesquels nous subîmes de lourdes pertes.

D'une guerre à l'autre (1918-1940)

Au sortir de la grande guerre, l'Italie est affectée par les pertes de trois ans de campagne, appauvrie et déçue par les faibles avantages retirés aux traités de paix. A tort ou à raison, elle tourne son ressentiment vers la France, tandis que la situation économique et sociale amène la formation du fascisme. Mussolini accède au pouvoir en 1922 et aussitôt se lance bruyamment dans une série de revendications territoriales : la tension franco-italienne renaît.

De son côté la France réorganise son dispositif militaire sur les bases du temps de paix. Au fur et à mesure du retour des unités détachées à l'extérieur les garnisons des Alpes se repeuplent : nos ouvrages fortifiés de 1914 sont pratiquement à l'abandon depuis 10 ans.

Mais, compte tenu des incertitudes de l'avenir - du côté de l'Allemagne en particulier - du nouveau tracé de la frontière du nord-est issu du traité de Versailles, et des enseignements de la guerre il apparaît qu'une nouvelle réorganisation de notre système fortifié s'impose et le principe en avait été posé dès avant l'armistice du 11 Novembre.

Les études piétinent jusqu'en 1926, et c'est finalement la Commission de défense des frontières (C.D.F.) présidée par le général Guillaumat qui en fixe le tracé dans un monumental rapport au ministre daté du 6 novembre 1926. Ce document inclut, bien sûr, le Sud-Est, mais n'y consacre qu'un chapitre d'orientation générale, en attendant un travail plus approfondi. Celui-ci débouchera le 12 février 1929 sur un programme détaillé, véritable schéma directeur de la fortification du sud-est, approuvé un mois plus tard par le ministre Painlevé.

Ce schéma, contrairement aux idées du général Degoutte, commandant désigné de l'armée des Alpes et partisan de petits ouvrages nombreux et sommaires, prévoyait la constitution d'une position principale de résistance étayée de 103 ouvrages ultra modernes, dont 75 nouveaux. Limitée à des tronçons barrant simplement les trouées et s'appuyant latéralement aux zones infranchissables, dans toute la partie nord, la fortification devenait continue dans les Alpes-Maritimes, entre le mont Mounier et la mer, en raison de l'altitude moindre et de la plus grande perméabilité. La dépense en était estimée à 700 millions de travaux échelonnés sur dix ans.

Entre temps, les rodomontades de Mussolini et la dégradation de nos relations avec l'Italie conduisirent à arrêter le 31 août 1927 un premier « programme restreint de défense de Nice » - partie intégrante du schéma d'ensemble - et comprenant le barrage des principales voies d'accès à Nice (Tinée, Vésubie, trouée de Sospel et corniches) par la construction d'ouvrages à Rimplas et Flaut, et la réactivation du Barbonnet et du mont Agel. De fait, l'ouvrage de Rimplas fut effectivement mis en chantier en août 1928 - premier de ce qu'on appellera la « ligne Maginot » - acte d'ailleurs purement politique car rien n'étant étudié, on ignorait ce qu'on allait mettre au bout des galeries dont on commençait le creusement.

Les propositions de la Commission de défense de 1926 ayant été approuvées, on avait créé, en 1927, la « Commission d'organisation des régions fortifiée » (C.O.R.F.) présidée par l'Inspecteur général du génie et qui devait être le maître-d'œuvre du nouveau système. La situation économique du pays s'améliorant, restait à demander les crédits au Parlement : après des coupes sombres dans les prévisions qui lui avaient été présentées, le ministre André Maginot qui avait succédé en novembre 1929 à Painlevé, faisait voter le 14 janvier 1930 la loi-programme accordant 2 milliards 900 millions pour la réalisation des « nouvelles fortifications ».

Sur cette somme, 204 millions seulement étaient consacrés au « programme restreint » de la frontière du sud-est. Le général Belhague, président de la C.O.R.F., fit bien comprendre qu'une telle somme était insuffisante et que la sécurité de la frontière ne pouvait être garantie. Saisi de l'affaire, le maréchal Pétain intervint et, après une visite des lieux en mai 1930, parvint à obtenir une rallonge portant les crédits à 362 millions pour la première urgence (1930-35) au lieu des 404 escomptés. Finalement, en procédant à un certain nombre d'ajournements (ouvrage de l'Arboin), en obtenant la participation de la main-d'oeuvre militaire pour la construction de quelques ouvrages moins importants, le général Belhague put proposer en décembre 1930 un programme cohérent, offrant une sécurité minimale. Le programme approuvé par D.M. 214-3/11.1 du 26 janvier 1931, les travaux purent démarrer en 1931, mais on avait déjà perdu une année.

Jusqu'ici, on ne s'était préoccupé que des ouvrages modernes, à établir selon les normes de la C.O.R.F. et dotés d'un armement spécifique à grand rendement et de tous les perfectionnements techniques. Ces ouvrages devaient jalonner une ligne relativement en retrait de la frontière tant pour des raisons tactiques que politiques.

Le général Degoutte, dont les idées avaient été jusque là écartées, finit cependant par obtenir la création, en avant de la ligne principale de résistance, de 24 ouvrages d'avant-postes (15 dans le 14e RM., 9 en 15e R.M.) plus petits, beaucoup plus sommaires, mais qui, sur des points sensibles de la frontière, pourraient constituer des sonnettes avancées. Ils devaient, eux aussi, être construits par main-d'œuvre militaire, sur crédits «instruction» (en dehors du « compte spécial » géré par la C.O.RF.) et être capables d'une résistance limitée en cas d'encerclement, sans pour autant constituer une ligne continue. Ils devaient jouer un rôle très important dans les combats de 1940.

Bien entendu, une entreprise de cette importance, échelonnée sur une telle durée, devait subir tout au long de son exécution des variations. Les dépassements de dépense apparus très tôt, des difficultés imprévues de tous ordres, des ajustements amenèrent d'autres ajournements (bloc d'artillerie sud du Monte Grosso). Le plus grave fut la décision prise par le gouvernement Laval d'arrêter les travaux en août 1935 officiellement sous prétexte d'une amélioration de nos relations avec l'Italie, mais aussi en partie pour des motifs d'économies : ce furent, en fait, près de deux années perdues pour des chantiers déjà en retard. L'embellie, d'ailleurs, ne dura pas.

La C.O.RF., garante de l'homogénéïté et du suivi de l'œuvre, fut dissoute à la fin de 1935 et les travaux passèrent sous la direction des régions militaires. Cette décision n'eut pas, dans le Sud-Est, de conséquence fâcheuse, en raison de la haute personnalité du général Mittelhauser qui avait succédé en 1931 au général Jacquemot, mortellement blessé par la foudre près du camp des Fourches. Lors des sept ans passés à ce poste, le général ne cessa de déployer la plus grande activité en vue de renforcer les organisations, pousser les travaux, obtenir des moyens.

Il obtint l'étude et la mise en chantier, sur l'Authion, des ouvrages de Plan Caval et de la Baisse de Saint-Véran, pour suppléer aux ouvrages du programme primitif ajournés faute de crédits. Evidemment, compte tenu de la date tardive de l'ouverture de ces chantiers (1938), on ne pouvait espérer les terminer avant 1941 ou 42 : en juin 1940 ces ouvrages étaient en construction, et une faible partie utilisable seulement et encore de manière précaire.

A son départ, en juin 1938, le général laissait, en guise de testament, un long « programme d'avenir » faisant le bilan des organisations à terminer et de celles à entreprendre, par ordre d'urgence : mais les évènements allaient gagner de vitesse les prévisions humaines.

Le 1er septembre 1939, l'Allemagne nazie attaquait la Pologne, le 3, la France et l'Angleterre lui déclaraient la guerre. L'Italie mobilisait, mais restait neutre.

A ce moment, l'avancement des travaux de fortification s'établit comme suit :

- Tous les ouvrages mixtes - sauf Plan-Caval - constituant les piliers d'ossature de la position de résistance, sont achevés et opérationnels. On y travaille toujours, bien sûr, car, par nature même, la fortification n'est jamais terminée et toujours perfectible.

A Plan-Caval - non prévu au programme initial et entrepris en 1938 seulement - les travaux sont réalisés à peu près à 50 % : galeries percées, mais en partie revêtues seulement, 3 blocs (4-5-6) sur 6 sont coulés et utilisables de façon précaire. Aucun équipement n'est en place.

(Les canons des casemates d'ouvrages (75 et 135) sont entrés en service au printemps 1936, ceux des tourelles à l'automne suivant, et les mortiers de 81 mm de casemate au printemps 1939 seulement. Les matériels sont exactement les mêmes que ceux du Nord-Est, seules les pièces de 75-33 de tourelle ont conservé la culasse à bloc oscillant Nordenfelt d'origine. Mais les dotations en munitions sont plus faibles que pour le nord-est (2.000 coups par canon obusier au lieu de 6400 dans le nord-est). Les mortiers de 75-31, spécifiques dans les Alpes, ne sont dotés que de 1500 coups par pièce, et il s'agit de munitions spéciales, dont il ne semble pas exister de réserves.

- Pour les ouvrages intermédiaires, la situation est moins avancée. Les plus élevés, Crous et Lavalette ont leurs galeries percées et revêtues, mais seul le premier a deux blocs sur quatre coulés et aucun cuirassement n'est en place. Fressinex et Valdeblore très tôt mis en chantier en fond de vallée sont achevés, mais jusqu'au col d'Agnon inclus il manque des blocs et aucun équipement n'est en place. Plus au sud, et à des altitudes moindres, les derniers travaux seront terminés in extremis pendant la « drôle de guerre ».

Les ouvrages d'avant-poste sont en ordre de combat depuis 1936, même s'il reste encore des travaux complémentaires et des réseaux de barbelés à faire.

Le dispositif militaire, rôdé au fil des alertes successives qui se sont succédées depuis deux ans, se met en place normalement, sous l'égide de la 6e armée couvrant la frontière du sud-est.

Celle-ci mobilise :

- 3 corps d'armée (l4e, 15e et 16e corps d'armée) et leurs E.O.C.A.

- 11 divisions (27e, 28e, 29e, 30e, 31e, 63e, 64e, 65e, 66e, 1ère DINA, 2e DIC)

- 1 brigade de spahis

- 4 secteurs fortifiés adaptés aux grands compartiments du terrain soit:

- secteur défensif du Rhône

- secteur fortifié de Savoie

- secteur fortifié du Dauphiné

- secteur fortifié des Alpes-Maritimes

soit un total de près de 550.000 hommes.

Le découpage de la position frontière en secteurs a été réglé par décret du 4 mai 1934 et chaque secteur confié à une sorte de division statique constituée dans le Sud-Est à des « bataillons alpins de forteresse » soutenus par une puissante artillerie de position regroupant l'artillerie ultra-moderne des ouvrages et les vieilles mais excellentes pièces des batteries extérieures.

La non-belligérance italienne et l'arrivée de la saison d'hiver amènent le haut commandement selon la logique séculaire qui régit notre stratégie sur les Alpes, à opérer des prélèvements importants: 4 divisions d'active (27e, 28e, 29e, 30e) et une de formation (63e), le 16e corps et la 31e DI, puis la 1ère DINA sont dirigées sur le front du Nord-Est de septembre à octobre 1939. Puis la 6e armée elle-même devient armée de réserve et part en emmenant ses parcs, laissant la place à « l'armée des Alpes », simple corps d'observation réduit à la portion congrue et confié au général Olry, officier de haute valeur, parfaitement familiarisé avec la région. On notera cependant que les bataillons actifs de chasseurs alpins, en quittant la région, laisseront sur place leurs sections d'éclaireurs - skieurs - l'élite de l'élite : 86 de ces petites unités surentraînées participeront, en juin 1940, à la bataille des Alpes et s'y conduiront magnifiquement. L'artillerie de position - intransportable - reste également sur place et combattra côte à côte avec l'artillerie organique mobile des divisions et du corps d'armée.

La période d'attente est heureusement mise à profit pour parachever et compléter l'organisation défensive. En neuf mois, sous l'égide du commandement du génie 15e corps d'armée, le génie du secteur fortifié des Alpes-Maritimes - ex-chefferie de fortification de Nice mobilisée - fait construire par main-d’œuvre militaire entre Rimplas et la mer une série de casemates de mitrailleuses en béton, traitées en protection n° l, destinées à compléter les feux d'infanterie des ouvrages C.O.R.F. de la position de résistance. 29 d'entre elles, achevées ou au moins utilisables, furent prises en compte, après la guerre, dans le domaine militaire, mais d'autres étaient commencées ou au moins projetées. De même, plus en arrière, sur les principales pénétrantes, on construisit 8 casemates dites « de deuxième position » pour mitrailleuse et canon antichar de 25 mm de campagne.

Parallèlement, les troupes construisent en fortification passagère, renforcée ou non, abris en « tôle cintrée forte », emplacements d'armes, réseaux de barbelés, en application des études et des plans établis de longue main depuis 1935.

Contrairement à l'anarchie et à l'inflation désordonnée que l'on constate sur le front du nord-est, le S.F.A.M. se caractérise en la matière par la primauté de la qualité sur la quantité : une maîtrise d'œuvre stable et ferme a permis de réaliser une œuvre homogène, dont tous les composants auront reçu portes blindées et plaques d'embrasure, même si des équipements n'ont pas été livrés à temps.

Le déclenchement de l'offensive allemande, le 10 mai 1940, entraîne encore des prélèvements sur les forces, déjà réduites, de l'armée des Alpes. Or, après avoir attendu la consécration de notre défaite, l'Italie nous déclare la guerre le 10 juin, mais attend que la situation ait encore empiré pour entamer les opérations le 21 juin avec une supériorité numérique écrasante : 600.000 hommes contre 175.000 français dont 85.000 combattants seulement. Par ce « coup de poignard dans le dos », comme on le qualifie en France à l'époque, et qu'on aura bien du mal à pardonner ensuite, l'Italie espère un facile succès sur une armée réputée en pleine débandade, puis la satisfaction de ses vieilles revendications territoriales : la Savoie, Nice, la Tunisie etc. etc.

(L'engagement de l'Italie a été annoncé par un discours théâtral de Mussolini prononcé au balcon du palais Venezia à Rome, devant une foule de 100.000 personnes, le 10 juin à 18 heures. Le Duce parle encore que, de Vence, partaient les ordres de l'armée aux 14e et 15e corps d'armée: à minuit exactement - heure fixée pour le début de l'état de guerre - tout le long de la frontière, avec une précision mathématique, les 53 tonnes d'explosifs de la première série de destructions préparées sautaient, détruisant routes, ponts et passages obligés, lignes électriques et téléphoniques, en guise de réplique cinglante au dictateur. La mesure était justifiée, mais devait sérieusement gêner l'évacuation des populations civiles habitant en avant de la P.R. et que les pouvoirs civils n'avaient ordonnée qu'à 21 heures et qui était en cours).

En tant qu'entité territoriale et géographique - entre le pied de Restefond et la mer - le S.F.A.M. est tenu par le 15e corps d'armée (général Montagne) qui coiffe, sur 100 km de frontière à défendre :

- au nord, la 65e division (série B) soit 9 bataillons et 5 groupes d'artillerie déployés entre Saint-Dalmas-le-Selvage et l'Authion et commandés par le général de Saint-Julien

- au sud, de l'Authion à la mer, le S.F.A.M. commandé par le général Magnien aligne 9 bataillons et 9 groupes d'artillerie

- en sus, on dispose de deux bataillons de mitrailleurs, un régiment de tirailleurs sénégalais, une demi-brigade de chasseurs pyrénéens mais surtout 42 sections d'éclaireurs skieurs.

Total général : 1732 officiers, 50.204 soldats - dont un peu plus d'une moitié de combattants - soutenus par 427 pièces de canons, toutes catégories confondues. En général, l'équipement est convenable, le moral satisfaisant: le particularisme alpin, les efforts incessants des cadres à tous les niveaux, les efforts portés sur l'instruction et la remise en condition, le maintien d'une ferme discipline ont évité à l'armée des Alpes cette sorte de dilution morale qui a gangrené, en huit mois, beaucoup d'unités du Nord-Est et de l'intérieur. Malgré leurs effectifs presque dérisoires pour défendre 400 km de frontière face à une formidable masse d'attaque, et, en plus, leur constitution à près de trois quarts de réservistes de série B, enlevés par la mobilisation à leurs familles et leurs activités professionnelles, les soldats d'Olry, essentiellement montagnards et provençaux sont prêts, courageusement, à encaisser le choc et couvrir la région dont la plupart sont originaires.

La bataille pour Nice (14-25 juin 1940)

Vu la faiblesse des moyens, le général Olry a décidé de ne livrer qu'une seule bataille défensive sur la position de résistance. A part les ouvrages d'avant-poste qui ont l'ordre de tenir jusqu'au bout nos éléments avancés doivent se replier en combattant sur la position de résistance.

Il fait un temps exécrable (neige au nord, pluie et brouillard plus au sud), ce qui paralyse partiellement l'aviation italienne et l'artillerie qui, faute de temps, n'a pas pu achever sa mise en place. Par contre, l'artillerie française, tant celle de position que celle d'ouvrage, a eu tout le loisir, depuis 1935, de mettre au point tout un ensemble de tirs préparés pouvant être appliqués sans réglage : même lancés à l'aveuglette, nos obus frappent à coup sûr.

Le 14 juin, les Italiens se manifestent par des patrouilles qui cherchent à localiser et jauger notre dispositif. Puis ce sont des attaques locales visant à occuper nos observatoires et les cols de la crête frontière entre le Grammondo et la mer. A la suite de ces premiers contacts, on constate :

- les grosses pertes - surtout en officiers - des Italiens, en particulier au 89 R.I. et au bataillon de Chemises noires engagés dans l'affaire

- la résistance et l'agressivité de nos sections d'éclaireurs skieurs

- la rapidité et l'efficacité de notre artillerie.

Aussi, le commandement français décide-t-il de disputer le terrain en avant de la position de résistance.

Le 15 juin, les Italiens se portent en avant dans la partie nord du secteur (région de la Pointe du Lugo, des Granges de Zuaine, Mont Ainé). Ils occupent la crête frontière du Scandail au passage de la Tranchée. Leur pression s'accentue le 16, surtout en avant de Fontan : à l'est de Breil et au Cuore, nos S.E.S. qui avaient pris pied en territoire italien maintiennent leurs positions et, le 17, infligent partout des échecs sanglants aux assaillants, en particulier au Mont Ainé, au 37e R.I. italien.

Ce même jour, on apprend que la France vient de demander l'armistice : cette nouvelle aura, dans le Nord-Est, des effets très nuisibles sur le moral des combattants. Dans les Alpes, les Italiens se livrent à des tentatives de fraternisation, parfois sous couvert du drapeau blanc : en vain. A l'ouvrage du pont Saint-Louis, l'adjudant-chef commandant l'ouvrage laisse passer deux parlementaires italiens : il est aussitôt relevé de son commandement, menacé de la justice militaire et les « parlementaires» aussitôt refoulés.

18 et 19 juin : accalmie. Les forces italiennes se mettent en place pour l'effort décisif exigé par Mussolini.

20 juin : début de l'offensive générale sur le saillant de Saorge, entre le Grammondo et la mer avec des actions secondaires sur l'Authion et la Haute-Tinée.

Sur la Roya, la S.E.S. qui tient le saillant le défend pied à pied et n'évacue le village que le 23 juin. Les Italiens sont arrêtés au confluent du Cairos et ne peuvent entrer dans Saorge.

Au nord, on note des poussées en direction de l'Authion et de la Haute-Tinée, dont les Italiens atteignent la rive gauche, sans parvenir à la franchir.

A l'est de Nice, nos adversaires coiffent le Razet, commencent à encercler les ouvrages d'avant-poste de Pierre Pointue, du Collet du Pilon et de la Baisse de Scuvion qui résistent, et commencent à descendre le versant ouest de la crête frontière. Pris sous le feu de l'artillerie ils refluent en laissant de nombreux cadavres sur le terrain. A Fascia Fonda, notre point d'appui est submergé et cinq alpins se font tuer sur leur fusil mitrailleur plutôt que de reculer.

Plus au sud, les Italiens tentent en vain de forcer le petit ouvrage du pont Saint-Louis. N'y parvenant pas, leurs infiltrations le contournent, pénètrent dans Menton - la ville est située, rappelons-le, en avant de la position de résistance - et atteignent les réseaux de barbelés de l'ouvrage du Cap Martin : écrasés par les tirs d'appui des ouvrages de Roquebrune et de Sainte-Agnès, ils ne peuvent aller plus loin. Un train d'artillerie de marine sur voie ferrée (4 pièces de 1523 mm) prend à partie la façade du bloc de barrage (B 2) de l'ouvrage du Cap Martin, dont le 75 de casemate prend d'enfilade tout le front de mer de Menton. Il tire plus de 200 coups et parvient à toucher le blindage d'embrasure. Après chaque tir, il se replie à l'abri du tunnel du cap Mortola. Lors d'une nouvelle sortie, il tombe sur un tir d'action d'ensemble de l'artillerie du sous-secteur (en particulier les 4 pièces de 75 des tourelles du mont Agel), le convoi est sérieusement endommagé, 3 pièces sur 4 sont hors de service et l'officier de marine commandant la batterie mortellement frappé. Simultanément, les pièces de 220 long M 17 du plateau du mont Agel auraient fait sauter un train de munitions en gare de Vintimille.

Lorsque intervient l'armistice, le 25 juin à 0 H 35, l'offensive italienne, poussée à fond « sans tenir compte des pertes » - ce sont les ordres de Mussolini - est bloquée partout. Malgré leur allant, les troupes italiennes n'occupent qu'une faible portion du no man's land entre la ligne des avant-postes et la position de résistance, et en particulier, la moitié est de Menton. A l'intérieur de cette zone, tous nos ouvrages d'avant-poste tiennent, bien qu'encerclés.

Furieux de ces piètres résultats, et du peu d'avantages dont il peut se prévaloir, Mussolini essaie de pousser en avant ses troupes après l'entrée en vigueur de l'armistice : certains ouvrages (Flaut) rouvrent alors le feu et des hommes tombent ...

Le bilan de ces quinze jours de bataille s'établit comme suit :

Effectifs engagés : Français : 38 000 hommes - Italiens : 80 000 hommes

Tués : 10 179

Blessés : 32 856

Prisonniers ou disparus : 23 106

Les 427 pièces d'artillerie française (dont 90 d'ouvrage, sous tourelle ou casemate) a tiré, tous calibres confondus (du 65 au 220 mm) 30.416 projectiles. Ni les anti-chars, ni les pièces sur voie ferrée (1 x 320 mm et 3 x 194 mm) ne sont intervenus. Plusieurs localités ont été sérieusement endommagées, soit par la mise en œuvre des destructions préparées, soit par la bataille elle-même : en particulier, la ville de Menton est en partie dévastée.

Même en partie inachevés, les ouvrages fortifiés ont joué un rôle très important, surtout par leur artillerie. Les ouvrages d'avant-poste ont tous tenu et leurs caractéristiques modestes se sont à l'usage révélées bien adaptées à la mission qu'on attendait d'eux, et aux conditions d'attaque auxquelles ils devaient résister : plusieurs seront cités à l'ordre de l'armée.

Certains ouvrages ont été sérieusement bombardés : on a relevé des impacts de très gros calibre sur les blocs du Monte Grosso et de nombreux coups de calibre moyen sur l'Agaisen et le Cap Martin, le tout sans aucun résultat.

Dans sa zone d'action, et comme l'ensemble de l'armée des Alpes, le XVe corps d'armée avait remporté un beau succès défensif et infligé à l'Italie fasciste un échec cuisant dont ne manquèrent pas de se gausser les Allemands.

La bataille pouvait-elle se poursuivre longtemps ? Du côté italien, c'est vraisemblable compte tenu des effectifs disponibles, mais sous réserve d'accepter d'en payer le prix fort ; de notre côté, il faut rappeler que l'absence totale de réserves interdisait toute relève. Les combattants, et en particulier les éclaireurs des S.E.S. étaient épuisés par le manque de sommeil.

Un point resterait à éclaircir : l'inaction de l'escadre de la Méditerranée dans la période du 20 au 24 juin sur la côte. Elle avait pourtant bombardé Gênes et Vado les 13 et 14 juin, et ses canons auraient pu jouer un rôle déterminant dans la bataille de Menton en agissant à la fois sur les troupes d'attaque et les positions d'artillerie, et en désorganisant les arrières ennemies. Mais bizarrement - les négociations d'armistice étant engagées depuis le 17 juin et le sort de la flotte en est un enjeu - elle laissera nos fantassins seuls face à l'ennemi.

De même, la marine italienne comptait de belles unités modernes, comme les cuirassés « Vittorio Veneto », « Littorio » (9 pièces de 380 mm), ou anciennes modernisées, comme l'« Andréa Doria », « Caïo Duilio », « Giulio Cesare », « Conte di Cavour » (10 pièces de 320 mm). Même en défalquant les moyens destinés à masquer nos propres forces navales ou l'escadre anglaise d'Alexandrie, leur tir dans les façades sud des blocs de Sainte-Agnès ou Roquebrune - relativement minces par construction même - aurait pu avoir des effets très graves. Mais, là aussi, il semble que le gouvernement italien se soit contenté de garder sa flotte de surface à l'état de menace potentielle, sans l'engager.

L'armistice impose aux forces françaises l'évacuation d'une zone démilitarisée de 50 km à partir de la ligne atteinte par les Italiens, c'est-à-dire la frontière. Du 29 juin au 5 juillet, au prix d'un travail considérable, et avec l'aide des services civils, on put replier de la sorte : 68.000 hommes, 13.300 chevaux, 168 canons de campagne, 181 canons de position, 10.600 tonnes de munitions, 1.200 tonnes de matériel du génie, 70 tonnes d'explosifs, 1.000 tonnes de vivres et 1.600 tonnes de fourrage. Mais ces efforts furent inutiles, car ultérieurement l'Italie en exigea la livraison.

Les ouvrages restaient gardiennés et la situation resta en l'état jusqu'en novembre 1942 où le débarquement allié en Afrique du Nord entraîna l'occupation par les Italo-Allemands de la « zone libre ».

Puis le renversement de Mussolini et le revirement italien du 25 juillet 1943 entraînèrent l'élimination des forces italiennes par la Wehrmacht qui poursuit la mise en état de défense de la côte méditerranéenne. Le 15 août 1944, les alliés débarquaient près de Saint-Tropez et crevaient la défense côtière. Mais l'axe d'effort, par Toulon et Marseille vite enlevées, visait la vallée du Rhône, puis le Rhin par la trouée de Belfort. La côte dégagée, les Américains se contentent de pousser des pointes pour se flanc-garder et couvrir leurs armées face à l'Authion où se sont solidement retranchés les Allemands. Sospel, laissée entre les lignes, ne sera libérée que le 28 octobre avec de gros dégâts et de nombreuses victimes.

Les Américains vont quitter la région pour le front d'Allemagne en mars 1945. Ils sont relevés par le « détachement de l'armée des Alpes » créé par le général de Gaulle et regroupant, sous les ordres du général Doyen - l'ancien commandant de la 27e division alpine de 1940 - les maigres unités mal équipées issues de la Résistance. Relevée d'Alsace, la première division française libre du général Garbay est adjointe au D.A.A. : sa constitution est parfaitement inadaptée à la montagne, mais on n'a pas le choix, et c'est la première D.F.L. qui, au prix de pertes sérieuses, réalisera la conquête de l'Authion en avril 1945.

L'offensive française a d'ailleurs été précédée par une diversion sur la zone côtière, à l'occasion de laquelle les ouvrages CORF ont été bombardés par les canons des croiseurs « Gloire » et « Duguay Trouin ». En se repliant, les Allemands essaieront de détruire les ouvrages : le bloc 3 du Cap Martin, l'observatoire de l'Agaisen, l'entrée de Castillon, les blocs du col de Brouis sont disloqués, ainsi que les ouvrages d'art des routes et voies ferrées.

L'Authion enlevé, les forces françaises descendent en Roya et pénétrent en Italie, mais le commandement allié, en accord avec le gouvernement Bardoglio, s'oppose à toute occupation et le général Alexander impose le repli. Finalement, le traité de paix signé à Paris en 1947 concèdera à la France quelques cessions de territoires et rectifications de frontière, dûment sanctionnées par consultation des populations (Tende, Brigue) mais nettement inférieures à ce que nous souhaitions.

Reprises en compte par les services du génie et du matériel, les ouvrages vont faire ensuite l'objet de travaux de remise en état, y compris le remplacement, par des pièces neuves, des matériels enlevés par les Italiens. Ces travaux n'étaient pas terminés lorsque le commandement décida, en 1964, l'abandon de la fortification. L'entretien minimum et la surveillance se poursuivirent néanmoins pendant une dizaine d'années, puis progressivement les organisations furent remises au service des Domaines aux fins d'aliénation : ces opérations se poursuivent encore actuellement (1993).

Depuis le Moyen-Age, l'habitat se constitue en villages fermés et perchés pour faire face aux agressions. Le secteur des Alpes-Maritimes est le théâtre des conflits opposant le royaume de France au duché de Savoie dont il fait partie. Il fait l'objet d'une campagne de fortifications lancée par le duc Emmanuel-Philibert au 16e siècle. Il est occupé à plusieurs reprises par les troupes de Louis XIV, entre le 17e et le 18e siècle, dans la lutte entre la France et le duc Victor-Amédée II. Le comté de Nice est évacué en 1713. La région voit se succéder différents conflits jusqu'au début du 19e siècle. Après son rattachement à la France, en 1860, des études d'organisations sont conduites, mais sans aboutir. Après 1870, les relations entre l'Italie et la France sont tendues. Constatant les efforts d'organisations que les Italiens effectuent sur leurs régions frontalières, le comité de défense, dont le secrétaire est le général Séré de Rivières, décide en 1882 de renforcer le dispositif défensif. Divers ouvrages sont construits : forts, chiuses. Face à la crise dite de l'obus-torpille, à partir de 1885, il faut mettre les nouveaux forts sous roc ou sous carapace de béton ; l'artillerie est dispersée ou mise sous cuirassement. Le dispositif militaire est poussé plus loin et plus haut vers la frontière, en même temps qu'est mise en place une infrastructure logistique. La ceinture de Nice est complétée par une série de batteries d'intervalles. En 1926, le comité de défense des frontières envisage le renforcement du sud-est. Des ouvrages modernes sont créés selon les normes définies par la Commission d'Organisation des Régions Frontalières. Plus de vingt-quatre ouvrages d'avant-poste sont installés. Cette organisation se révèle efficace lors de l'offensive italienne de juin 1940. Les ouvrages, après la Libération, font l'objet de travaux de remise en état. En 1964, la fortification est abandonnée.

  • Période(s)
    • Principale : 2e moitié 19e siècle
    • Principale : 1ère moitié 20e siècle
  • Murs
    • béton béton armé
    • pierre moellon
    • pierre pierre de taille
  • Statut de la propriété
    propriété publique

Bibliographie

  • Anonyme (Groupe de divisions militaires d'Avignon, sous la direction du général OLRY). La bataille des Alpes. 1940.- Avignon, 1941.

  • AZEAU, Henri. La guerre franco-italienne. Juin 1940. Presses de la Cité, 1967.

  • BERAUD, Henri. Bataille des Alpes. Album mémorial. Juin 1940. 1944/45.-Editions Herindal, 1987.

  • DOUMENC (Gal d'armée A). Le Mémorial de la Terre de France. Contribution à l'histoire militaire de nos provinces. Savoie-Dauphiné-Provence.- Arthaud,1944, 2 vol.

  • HUMBERT (Général Jacques). La défense des Alpes 1860-1939. Dans : Revue historique de l'Armée. 1ère partie, 1956, n° 3 ; 2e partie, 1956, n° 4.

  • MARY, J.-Y. La ligne Maginot, ce qu’elle était et ce qu’il en reste. – Paris : Sercap, 1985.

  • MONTAGNE, Général A. La bataille pour Nice et la Provence (11-25 juin 1940). Editions des Arceaux, 1952.

  • PERRIN M. (Colonel). Topographie et défense des Alpes françaises. 1894.

  • PERREAU, Joseph. L'épopée des Alpes. Episodes de l'histoire militaire des Alpes. Berger-Levrault, 1903-1912. 3 Vol.

  • PLAN, Général E., LEFEVRE Eric. La bataille des Alpes. 12-25 juin 1940. Lavauzelle, 1982.

  • SEGRETAIN (Général Alexandre). Souvenirs d'une carrière d'officier du génie (manuscrit original publié en 1962 par Ch. Lavauzelle sous le titre « Souvenirs d'un officier du génie »).

  • TRUTTMANN, Philippe. La muraille de France ou la ligne Maginot. – Thionville : édition Gérard Klopp, 1988, 627 p.

Annexes

  • Etat sommaire des sources utilisées pour l'étude des ouvrages militaires des Alpes-Maritimes
  • Organisation hiérarchisée des dossiers et sous-dossiers du Secteur fortifié des Alpes-Maritimes
Date d'enquête 1996 ; Date(s) de rédaction 1997
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Truttmann Philippe
Truttmann Philippe

Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.

Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.

Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)

Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)

La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)

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