Commentaire historique
C'est sans doute dès le 16e ou le 17e siècle qu'un quartier agricole s'est développé à cet emplacement. Dans le cadastre de 1570, ce quartier est nommé « las Chauchières », appellation renvoyant à la présence de tanneries – qui n'existent manifestement déjà plus.
Sur le cadastre de 1839, le bâtiment actuel correspond à trois parcelles mentionnées comme « écurie », formant une partie d'un petit îlot exclusivement agricole dominant les jardins du quartier appelé « sous Vière ».
Le bâtiment le plus au nord (parcelle 1839 F1 52) a une emprise au sol de 20 m² et appartient à Marc Laget, demeurant à Raton. Celui-ci possède une ferme et un grand domaine autour de ce hameau (voir dossier IA05001624) mais également quelques biens au bourg dont une maison (1839 F1 166, voir dossier IA05001529), une autre dépendance agricole (F1 110, voir dossier IA05001579) et un jardin (F1 115).
Le bâtiment du milieu (F1 53) mesure 18m² au sol et appartient à François Lombard qui ne possède pas d'autres biens au bourg.
Enfin, le bâtiment le plus au sud (F1 54), d'une emprise au sol de 40 m², est détenu par Claude Rabasse qui possède également une maison au bourg (F1 96) et un petit domaine avec une ferme au quartier des Millets.
Plan de masse d'après le plan cadastral de 1839, section F1. Echelle d'origine 1/1000e.
Sans s'attarder sur les mutations de propriétaires pour ces bâtiments autour du milieu du 19e siècle, on note toutefois une succession parfois rapide, notamment dans les années 1850-1860. Ainsi et en guise d'exemple, entre 1853 et 1858 le bâtiment F1 54 change trois fois de propriétaire.
En 1866, le bâtiment F1 53 est acquit par Rose Montlahuc, épouse Ferris. A partir de 1873, ses biens passent à Elie Brès, maréchal ferrant. En 1874, celui-ci devient propriétaire du bâtiment F1 54. Dès 1876, il déclare avoir transformé le bâtiment F1 53 en « forge », comptant 2 ouvertures. Puis, en 1877, il déclare que la parcelle F1 54 accueille désormais une « maison » issue d'une construction neuve, possédant 3 ouvertures, avant d'être à nouveau agrandie en 1879. A partir de cette date, cette maison est déclarée s'étendre sur les parcelles F1 53 et 54, elle possède 6 ouvertures et est imposée dans la 3e classe fiscale (sur 8).
Ceci pose la question de la signification de la date portée sur le bâtiment : « 1872 ». Soit il s'agit d'un rappel d'un événement (mariage, changement de propriétaire avec Elie Brès ?), soit il s'agit bien de la date de construction mais celle-ci a tardé à être rapportée et réévaluée au cadastre. Cette dernière hypothèse paraît la plus probable, d'autres cas similaires ayant été observés ailleurs dans le bourg.
Pignon sud, deuxième niveau. Porte du logis : date gravée (1872).
En 1882, Elie Brès acquiert un jardin tout proche (F1 45, 80 m²) et, en 1885, il déclare une nouvelle extension sur la maison F1 53-54 qui compte désormais 7 ouvertures. En 1888, il récupère le bâtiment mitoyen F1 52. Enfin, en 1894, un « atelier » est construit à l'emplacement du jardin F1 45, muni de 3 ouvertures.
Ainsi, dans la dernière décennie du 19e siècle, le maréchal-ferrant Elie Brès dispose d'un ensemble bâti resserré, regroupant maison, dépendance agricole, forge et atelier accompagnés d'un jardin. Dans les années suivantes, il y ajoute deux autres bâtiments agricoles un peu plus éloignés, mais toujours dans ce même quartier (F1 59P en 1896, F1 110 en 1905 voir dossier IA05001579). Dans le même temps, il acquiert des terrains agricoles, notamment au quartiers des Rosières, où il achète aussi un petit « pavillon » (voir dossier IA05001602).
L'actuel ensemble bâti est la conséquence d'une fusion de trois bâtiments agricoles alignés, complétée par d'importants travaux de reconstruction. Ses dimensions le place à la limite entre la maison composite et la petite ferme agglomérée – cette dernière catégorie aurait sans doute été retenue si la plus grande partie de son étage de soubassement n'était en réalité destinée à une activité artisanale.
Quoi qu'il en soit, son histoire illustre parfaitement la dynamique de densification de l'habitat dans ce quartier pendant la seconde moitié du 19e siècle. Alors attiré par la proximité de la nouvelle Route Nationale 94, l'habitat quitte les maisons devenues vétustes du bourg intra muros pour investir les dépendances agricoles installées au bas de la Grande Rue. Les données cadastrales précisent que les premières transformations ont lieu en même temps que débutent les travaux routiers, vers 1847-1848, et qu'elles s'étalent jusque vers 1900. Dans ce quartier, ce glissement entraîne la conversion d'« écuries » et de « greniers à foin » en maisons et magasins. De la fin du 19e siècle aux années 1990, cette Grande Rue a constitué l'artère commerciale de Rosans, comptant au moins une vingtaine de commerces jusqu'au milieu du 20e siècle.
Plan de situation d'après le cadastre de 2021, section 000F. Echelle d'origine 1/500e.
Plan de masse d'après le cadastre de 2021, section 000F. Echelle d'origine 1/500e.
Description architecturale
Cette maison est située dans la partie sud-est du bourg extra muros, où elle constitué l'extrémité d'un petit petit îlot de bâtiments. Adossée perpendiculairement au sens de la pente, elle comporte un étage de soubassement, un rez-de-chaussée surélevé et un étage carré.
Vue d'ensemble prise du sud-est.
Vue d'ensemble prise du sud-ouest.
Fonctions et aménagements intérieurs
L'étage de soubassement est occupé par une étable au nord, une forge au centre et un atelier pouvant servir de boutique et/ou de remise au sud.
La petite partie nord du rez-de-chaussée surélevé était un ancien fenil aujourd'hui transformé en pièce d'habitation. Quant à la grande partie sud, entièrement occupée par le logis, on y accède par une porte piétonne occupant la presque totalité de l'étroit pignon sud ou par une petite porte ouverte côté ouest. Le côté oriental est éclairé par une fenêtre et une porte-fenêtre qui donne sur un long balcon.
L'étage carré, qui n'existe que sur la partie sud, est desservi par un escalier intérieur. Il est également occupé des chambres ; deux fenêtres sont ouvertes côté est, complétées par deux autres, au sud et à l'ouest.
Vue d'ensemble prise du nord-est.
Elévation ouest.
Matériaux et mise en œuvre
Le bâtiment est construit en maçonnerie de moellons calcaires et de grès et les élévations portent un crépis récent. A l'angle sud-est, le départ de la chaîne d'angle en grand appareil de pierre de taille de grès est commun au piédroit de la porte de l'atelier-boutique.
Au deuxième niveau du pignon sud, l'encadrement de la porte du logis est en pierre de taille de grès, bouchardée à arêtes ciselées, avec une base de piédroit saillante et moulurée. Sur le linteau droit monolithe, un petit cartouche lisse porte la date gravée « 1872 ». Les encadrements des autres ouvertures sont façonnés au mortier et sans doute en brique pour les fenêtres, avec un linteau droit en bois.
Sur le pignon sud, le balcon de la porte du logis est constitué d'une dalle en béton sur un bâti métallique soutenu par un corbeau en ferronnerie (cercle de tonneau remployé ?) ; son garde-corps est en ferronnerie à doubles volutes avec des angles ornés d'une pomme de pin en fonte moulée. Sur la façade orientale, l'autre balcon est construit de la même manière, mais les corbeaux sont en fer industriel et les pommes de pin laissent la place à une treille en ferronnerie intégrée au garde-corps qui supporte une vigne.
La porte du logis est équipée d'une menuiserie à deux panneaux asymétriques moulurés, surmontée d'un jour d'imposte vitré en bois.
Le toit est à longs pans sur la partie sud et à un seul pan sur la partie nord. Il est couvert en plaques ondulées de fibro-ciment qui reçoivent des tuiles creuses. L'avant-toit et la saillie de rive sont constitués de deux rangs de génoise, le passage aux angles du bâtiment étant traité en éventail.
Pignon sud, deuxième niveau. Porte du logis, portant une date gravée (1872).
Elévation est, deuxième niveau. Balcon et treille de vigne.
Jardin
Le jardin est situé juste à côté de la maison, en contrebas de la rue des Jardins. Là, le mur de soutènement de cette voie est doublé de trois arcades en arc segmentaire, basses mais larges. Cette structure servait peut-être aux activités de l'atelier construit à cet emplacement en 1894, dont il ne reste pas d'autres vestiges.