Construction
Le projet général pour la défense de Toulon, établi par le directeur des fortifications de Provence Nicolas Milet de Monville en 1763-1764 sous le contrôle du Lieutenant-Général Pierre-Joseph de Bourcet, ingénieur en chef des fortifications du Dauphiné, et à nouveau présenté en 1766, est à l’origine du fort Faron.
Dans le projet de janvier 1764, pour le secteur Est de la montagne, une redoute est prévue à La Croix-Faron, et celle proposée en-dessous, sur un replat inférieur, le futur fort Faron (qui n’a pas encore ce nom), n’est alors qu’un ouvrage d’importance équivalente à celle de la Croix et à celle proposée plus bas, à La Gypière.
En janvier 1766, le sous-brigadier du génie Louis d’Aguillon, concepteur (sous l’autorité de Milet de Monville) du plan définitif du fort Faron, désormais ouvrage plus puissant que les deux autres, a conçu et vient de faire exécuter à proximité immédiate - « à demi portée de fusil » - de l’emplacement choisi pour le fort, un bâtiment crénelé, avec grande citerne, magasins et casernements. Ce bâtiment au service du fort en devenir est lui-même destiné à être dans un second temps retranché dans une enceinte « pour servir de poste de guerre en avant des bataillons campés sur ladite montagne ». Aguillon précise à propos de ce bâtiment, qualifié plus tard de caserne retranchée, qu’à court terme, « l’on ne peut s’en passer d’ailleurs, pour contenir les ouvriers nécessaires à la construction dudit fort »1.
A cette date, le fort Faron n’est pas encore commencé, ou seulement au stade des premiers déblais, ce qui est toujours le cas au début de l’exercice de l’année 1767, comme l’indique le projet de Milet de Monville pour l’enceinte crénelée qui doit retrancher la caserne « établie au nord de l’emplacement ou doit être le fort de Faron »2.
Le premier état de cette caserne, achevé dans l’année 1766, comportait, adossé à la pente du terrain, le bâtiment de casernement proprement dit, allongé, la citerne qui lui est adossée sur toute sa longueur, encaissée dans le terrain du côté dominant (nord), et, du côté inférieur (sud), vis-à-vis de l’emplacement du fort à construire et dominant un peu le chemin d’accès, une cour en terrasse surhaussée desservant les portes de la caserne, dont le revêtement prenait la forme d’un mur crénelé de faible hauteur terminé aux extrémités par deux demi-bastionnets. Les retours des bastionnets refermant cette cour sur les murs-pignon de la caserne étaient percés chacun d’une porte retranchée par un petit fossé particulier, porte d’entrée d’une part (ouest), poterne d’autre part.
Le projet Milet de Monville de 1767, réalisé l’année suivante, consistait à envelopper et retrancher complètement la caserne en complétant la clôture crénelée de la cour sud par une enceinte plus étendue vers le nord, avec des fronts latéraux rampants et un front supérieur au tracé tenaillé (ou étoilé) symétrique, avec épi central. Ce mur d’enceinte percé de deux niveaux de créneaux (le mur de la terrasse sud, prévu ainsi en 1766 en totalité, a été réalisé plus bas et avec un seul niveau de créneaux sur tout son front sud) est enveloppé d’un fossé. Deux tourelles bastionnées symétriques flanquantes sont prévues au raccord de la nouvelle enceinte avec les demi-bastionnets de la terrasse sud, à la place des portes et poterne. La porte (ouest) est seule maintenue, et reportée dans le nouveau mur, sous la protection d’une des tourelles bastionnées. Les plans de l’atlas de la place forte établi en 1775, par Charles-François-Marie d’Aumale, directeur des fortifications de Toulon et de Basse Provence, donne l’état réalisé, qui diffère un peu du projet : les tourelles bastionnées sont remplacées par de simples épis dans la continuité du mur crénelé, la porte est percée dans la face gauche de l’épi ouest, et le fossé de retranchement de la nouvelle enceinte s’étend aux flancs de la terrasse sud, complété par des glacis. Ainsi l’enceinte apparait continue et unifiée du nord au sud, mi-bastionnée, mi-tenaillée.
Cet état définitif, par lequel la caserne devient un ouvrage de fortification d’appoint à part entière, n’est pas sans rappeler l’économie de certaines petites redoutes côtières du XVIIe s. notamment des Iles d’Hyères, avec caserne (le Pradeau) ou réduit (Le Grand Langoustier, l’Alycastre) inclus dans une enceinte tenaillée crénelée. On pense aussi, beaucoup plus près du Mont Faron, à l’ouest, au fort des Pomets, de quinze ans seulement plus ancien que la caserne retranchée du Faron, et dont l’enceinte fossoyée est à peine plus robuste et plus étendue.
Le mémoire descriptif de l’atlas d’Aumale 3 donne d’autres précisions sur la configuration de la caserne retranchée : « On a fait sur ce même plateau occupé par le fort Faron, des cazernes dont l’enceinte est retranchée avec un fossé autour. Il s’y trouve une très belle et grande citerne. Les bâtiments et la citerne seroient en même temps très utiles aux troupes placées sur la montagne de Faron en temps de siège (…) La citerne contient 10075 pouces carrés et 352625 litres. Longueur 134 pieds 4 pouces ; largeur 15 pieds, hauteur d’eau 5 pieds ». D’Aumale, qui est également l’auteur du mémoire sur la place de Toulon en 1774, comportant diverses propositions d’amélioration, suggère un expédient provisoire pour mieux remplir la citerne, consistant à placer des tuiles creuses sur la pente du terrain inclus dans l’enceinte crénelée ajoutée en 1767-1768.
Les casernes n’étant pas plus voûtées que la citerne, elles ne font pas partie des abris à l’épreuve de la bombe de la place de Toulon. Leur partition et leur capacité sont précisées : « 2 niveaux. Rez-de-chaussée composé de 4 chambres pour officiers, d’une pour le corps de garde et le reste du bâtiment est une caserne sans division. L’étage au-dessus est composé de trois chambres et un cabinet pour officiers, le reste comme au Rez-de-chaussée pour cazernes. On peut placer 26 lits… ». Dans les demi-bastions du sud sont aménagés d’une part un très petit magasin à poudres (pour la fusillade), d’autre part des latrines.
A l’extérieur de cette « caserne retranchée », à l’est, au-delà des glacis, s’élève un bâtiment militaire isolé, à usage de « magasin pour la fortification », sans doute destiné à l’entreposage des matériaux (bois d’œuvre) et outillage employés pour les travaux de construction du fort Faron, peut-être aussi au logement des ouvriers, qui n’est plus d’actualité dans la caserne retranchée.
Compte tenu de l’arrêt des travaux de construction du fort Faron après 1775, monté sur seulement trois mètres d’élévation, donc inutilisable, à l’exception de sa lunette ouest, seule achevée avec un magasin, la caserne retranchée reste dès lors, et jusqu’à la fin des années 1830, le seul bâtiment d’hébergement militaire disponible sur la montagne du Faron pouvant assurer le logement des hommes servant l’artillerie de la lunette du fort, les redoutes de campagne en pierre sèche et les retranchements de la montagne, notamment à la Croix-Faron. Il est aussi le seul ouvrage avec enceinte maçonnée capable d’une auto-défense et d’une certaine résistance à l’investissement.
Si d’Aumale employait l’expression « Cazerne retranchée du fort Faron » significative du statut de l’ouvrage, simple annexe du fort et casernement provisoire « délocalisé » en attente de la construction du fort et de ses casernes casematées, on note sur un plan de 1791 (date à laquelle les travaux du fort Faron sont abandonnés), l’appellation « citerne retranchée », significative du fait que la caserne n’était pas occupée par une garnison permanente, et que le principal avantage offert par cet établissement militaire était sa citerne, mise à l’abri des incursions ennemies par l’enceinte qui l’environne.
Un plan général des abords du fort Faron en 1840, pour le projet de retranchement entre ce fort et la Croix-Faron, où une tour est en construction, montre que l’ancien « magasin pour la fortification » existant à proximité ouest de la caserne retranchée en 1775, est encore en place, mais en ruines, associé à des murs de terrasses et de bordure de communications, et à un autre bâtiment non identifié (corps de garde ?), ruiné aussi, plus au nord sur la pente montant vers la Croix-Faron.
Un mémoire sur les projets de 1841, dû au chef du génie Louis 4, est très explicite sur le statut inchangé de l’édifice, qui a atteint sa perfection en 1768, auquel on n’envisagera jamais d’apporter quelque amélioration : « la caserne retranchée, après l’achèvement du fort Faron, ne sera plus que d’un faible intérêt, sous le rapport défensif. C’est cependant un poste à conserver comme existant et à cause de sa citerne toujours précieuse en pareille localité. La protection qu’il reçoit du fort Faron supplée à la faiblesse du profil de son retranchement. Il bat un peu mieux que le fort Faron l’arrivée du chemin de la Gypière.
La fragilité relative des défenses de l’ouvrage, incapable de s’auto-suffir et d’interagir efficacement avec le fort Faron face à un ennemi venu en nombre depuis l’Est, semble avoir été une des justifications du projet de retranchement reliant le fort Faron à La Croix-Faron. C’est ce que rappelle le directeur des fortifications Dupau, qui précise dans un mémoire en 1840 que cet obstacle au passage « donnera plus de sécurité à la caserne retranchée qui n’a que de très faibles escarpes, de même qu’aux communications en arrière ».
Front de tête nord de l'enceinte tenaillée crénelée, grand redan nord-est, épi nord, fossé.
Dans un autre mémoire, en 1841 le nouveau directeur des fortifications, Sicot, rappelle sommairement la genèse et les objectifs du programme d’ensemble : « Le projet de 1836 et l’avis du comité en 1838 admettent une dépense de 610.000 francs pour les travaux de défense à ajouter à la caserne retranchée et au fort Faron pour empêcher l’ennemi de s’établir sur une montagne élevée de cinq à six cent mètres au-dessus de la plaine et dont les plateaux accessibles sont à 2500 m de la place … » 5.
Ce programme comporte la construction du retranchement mais aussi, ce qui est mal exprimé dans les termes du mémoire, la construction d’une tour à la Croix-Faron, point haut du retranchement, et l’achèvement du fort Faron, pièce maîtresse du dispositif, alors qu’aucun changement ne doit être apporté à la caserne retranchée, qui bénéficiera simplement de la protection procurée par les nouveaux ouvrages projetés, dont seul le retranchement n’est pas lancé en 1841.
La caserne retranchée est entretenue par la suite sans subir de modifications. Les plans d’ensemble postérieurs, ceux de 1855, ou celui du projet de la « Crémaillère du Faron », en 1870, montrent un état des lieux stable[6].
En 1872, une nouvelle voie carrossable a été créée pour relier directement la caserne retranchée du Faron à la caserne Centrale, ou caserne défensive du Pas de la Masque.
Au vingtième siècle, et encore de nos jours, l’édifice, abandonné et découvert depuis plusieurs décennies, est connu sous l’appellation un peu cryptée d’ « Impluvium », toujours en référence à sa citerne, qui sert depuis longtemps de réserve pour la protection incendie. Il est assez bien conservé, peu affecté par le vandalisme, mais les ruines de la caserne, plus fragiles que l’enceinte, ont nécessité récemment une opération de consolidation d’urgence.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
Le fort Faron occupe un replat aménagé du versant sud du Mont Faron, à l’extrémité est de la montagne, à la cote d’altitude 394m. A 600m de distance vers le nord/nord-est, le fort est dominé par le fort de la Croix-Faron, qui culmine à la cote 563m.
La route actuelle du Mont Faron reprend à peu près le tracé du chemin, puis route militaire amorcée vers 1766, achevée dans les années 1840, et améliorée après 1872, montant du sud vers l’est de la montagne par le vallon de la Gypière après avoir desservi les ouvrages de l’aile est de la défense terrestre de Toulon au pied de la montagne (forts de Sainte Catherine et d’Artigue). Cette route aboutit, au débouché haut du vallon, à un replat aménagé du versant sud, que surplombe immédiatement à gauche la caserne retranchée du Faron, bâtie à flanc de pente (cotes d’altitude 396m à 404m). De là, une branche divergente de la route dessert à droite le fort Faron, construit à l’extrémité de ce replat ; la route principale amorce une montée raide, par une série de lacets, jusqu’au plateau de la Croix-Faron, desservant au passage à droite le fort de la Croix-Faron. Cette route oblique ensuite vers l’ouest, traversant le plateau dans toute sa longueur, pour rejoindre le secteur ouest de la défense du Mont-Faron. Vers le milieu du plateau, la route passe en contrebas du point sommital du Mont Faron, la « hauteur Lebat » (580m) ou s’élève la caserne défensive du Pas de La Masque, seule autre caserne du Mont Faron qui ne soit pas incluse dans un fort.
La caserne retranchée du Faron, annexe historique du fort et bâtie avant lui, n’est qu’à 140 m de distance au nord-ouest du fossé du fort, et à moins de 80 m des banquettes de son enveloppe. Front d'entrée ouest, porte, mur-pignon de la caserne, aile droite crénelée du cornichon.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues
La caserne retranchée, comme l’indique cette appellation, est avant tout un bâtiment militaire, et accessoirement un ouvrage défensif. A la différence de la caserne défensive du Pas de la Masque, ou caserne centrale du Mont Faron, qui date de la décennie 1840, cet ensemble construit entre 1765 et 1768 se décompose en deux sous-ensembles fonctionnellement bien dissociés : d’une part la caserne avec citerne incorporée, bâtiment militaire non défensif et non voûté, d’autre part l’enceinte fossoyée et crénelée qui l’enveloppe, à vocation purement défensive. Cette économie évoque plutôt, on l’a vu, certaines redoutes du milieu du XVIIIe comme le fort des Pomets, situé à peu de distance à l’est du Mont Faron. Mais la caserne retranchée du Faron n’a jamais été considérée ni comme un fort, ni comme une redoute, sans doute moins du fait de la relative faiblesse de son enceinte, que parce qu’elle n’est qu’un ouvrage d’infanterie, tout à fait inadapté à recevoir la moindre pièce d’artillerie.
Le bâtiment de la caserne, de plan rectangulaire aux murs maigres, de grand axe est-ouest, est subdivisé dans sa longueur de 45m environ, en onze travées à peu près égales, sa largeur de 14,60m étant séparée en deux « nefs » équivalentes en plan, mais de hauteur différente. La « nef » sud constitue le casernement proprement dit, élevé de deux à trois niveaux : les huit travées en partant de l’est sont délimitées par une série de sept hautes arcades plein-cintre ou arcs-diaphragmes en enfilade, dont la largeur équivaut à peu près à la moitié de celle de chaque travée, d’où l’effet général évoquant une nef d’édifice religieux ou monastique. Intérieur du casernement, arcs-diaphragmes vus en enfilade depuis l'ouest.
L’extrados des arcs portait les deux versants du toit, sur des rampants maçonnés tenant lieu de fermes, et recevant directement les pannes de la charpente. A peu près à mi-hauteur (à 2,40m du sol), un plancher dont il ne reste plus trace divisait ces huit travées de « nef » en deux niveaux, affectés chacun principalement au dortoir des troupes[7]. Au rez-de-chaussée, les sixième et septième travées étaient utilisées comme corps de garde des soldats, la sixième avec une cheminée du petit côté nord, la septième étant par ailleurs encombrée par la volée d’escalier d’accès à l’étage, en bois (disparue). L’estimation moyenne de 1775 à 26 lits à l’étage suppose une répartition en quatre lits par travée libre, calés derrière la saillie des murs-diaphragmes, en décomptant la travée de l’escalier et un côté de travée médiane (la 4eme) avec cheminée. Ces travées ne prenaient jour que du côté sud, par une fenêtre flanquée d’une porte au rez-de-chaussée, et par une fenêtre centrée en oculus à l’étage. La majeure partie des portes de travées du rez-de-chaussée a été condamnée assez tôt (à en juger par le plan de 1775), la circulation en corridor central rendant ces issues superflues.
Les trois travées ouest qui prolongent ce casernement des soldats ne sont plus autant décloisonnées, la première (soit la huitième travée de l’ensemble) communique à la « nef » par un huitième arc diaphragme, mais au-delà, ces trois dernières travées sont séparées entre elles par des murs de refend seulement percés de petites portes de communication. Chacune de ces trois travées était de plus subdivisée par une cloison légère séparant une salle principale à cheminée, côté sud, bénéficiant des fenêtres, d’une partie plus petite, espace de service, voire avec escalier. Chaque travée, au rez-de-chaussée et à l’étage, servait de chambre d’officier. L’élévation extérieure du « bloc » occidental de deux travées (dixième et onzième) portant sur les murs de refend se distingue de celle des neuf travées précédentes parce qu’elle est un peu surhaussée, ses pignons portant un toit à deux versants indépendants qui domine de plus d’un mètre celui des casernements (Fig. 03). Ce surcroît d’élévation permettait de ménager des fenêtres à l’étage dans ces deux travées aussi du côté nord, dont le mur est partout ailleurs aveugle, faisant transition avec la seconde nef plus basse, ou « bas côté » nord du bâtiment (dans la huitième et la neuvième travée, ce mur est aujourd’hui détruit). Angle nord-ouest de l'enceinte tenaillée crénelée, front de tête, fossé.
Cette seconde nef est entièrement consacrée à la citerne de 352m3, qui s’étend donc sur les onze travées, délimitées par le même système d’arcs diaphragmes, ici au nombre de dix, dont les arcs plein-cintre sont montés deux fois moins haut que ceux du casernement mitoyen, soit à la hauteur du rez-de-chaussée de celui-ci. Le sol de la citerne, en revanche, est évidemment décaissé dans le terrain naturel plus de deux mètres en contrebas de celui du rez-de-chaussée. Au-dessus des arcs, le rampant des murs-diaphragmes portant le toit est à pente unique versant au nord, et prolongeant directement le versant nord du toit de l’étage du casernement. Autrement dit, le bâtiment, considéré sur toute sa largeur cumulant caserne et citerne, était couvert d’un toit asymétrique, avec au sud, au-dessus de l’étage de la caserne, un versant couvrant un quart de la largeur, et au nord un long pan couvrant les trois-quarts restants.
La distribution de la citerne était assurée par une coursive en rez-de-chaussée réservée le long du grand côté sud, traversant les murs-diaphragme en corridor par une enfilade de dix petites portes couvertes en arc segmentaire. ; cette circulation traverse le bâtiment dans son entier, car elle débouche aux deux extrémités par une porte dans les murs-pignon. Les murs-pignon en appentis de la citerne proprement dite ne sont percés que de fenêtres (une, centrée, à l’ouest, deux à l’est).
Le mur gouttereau bas du côté nord de la « nef » de la citerne est bordé d’un canal, collecteur des eaux pluviales du long pan du toit et de celle ruisselant sur la pente naturelle, un peu aménagée, du terrain inclus au nord dans l’aire intérieure de l’enceinte. Ce canal est ponctué à intervalles réguliers de cinq citerneaux. Les murs-pignons de la partie casernement à étage sont presque aveugles, celui du sud percé seulement d’une fenêtre, très latérale (nord), au rez-de-chaussée. De 1765 à 1768, soit avant la construction de l’enceinte, ces murs étaient percés de créneaux de fusillade, de même que le mur de séparation entre la nef de la caserne et celle de la citerne, pour défendre la coursive de la citerne contre toute incursion ennemie. Par la suite, ces créneaux, devenus sans objet du fait de la construction de l’enceinte qui retranchait complètement la caserne, ont été condamnés, à l’exception de ceux du mur-pignon est de la caserne, conservés comme prise de jour du dortoir.
L’enceinte, homogène en apparence, n’en est pas moins, comme on l’a vu et comme on vient de le rappeler, le fruit de deux campagnes de construction bien distinctes réalisées à trois ans d’intervalle.
Elle se compose en premier lieu, dans la partie basse du pendage naturel du site, soit au sud de la caserne-citerne, d’une terrasse créée pour desservir de plain-pied le rez-de-chaussée de cette caserne en procurant un dégagement retranché le long de sa façade principale (mur gouttereau sud) dans laquelle sont percées portes et fenêtres. Cette terrasse sud, construite en même temps que la caserne, participe de l’enceinte, par son plan en « cornichon » (petit ouvrage à cornes), c’est-à-dire formant une courtine encadrée de deux demi-bastionnets qui constitue le front de gorge. Elle y participe aussi par son élévation, le revêtement maçonné s’élevant de trois à quatre mètres au-dessus du niveau de la terrasse pour former un mur ou parapet d’infanterie, abondamment crénelé. La longueur hors-œuvre de l’ensemble, demi-bastionnets compris, atteint une soixantaine de mètres, pour une largeur (ou profondeur) de terrasse de moins de 5m entre courtine et façade de la caserne.
Compte-tenu de la pente du terrain extérieur, ce mur crénelé est moins haut sur le front sud proprement dit (courtine, flancs et faces des demi-bastionnets) que sur les ailes en retour d’angle des demi-bastionnets, qui participent des fronts latéraux ouest et est de l’enceinte. Sur ces murs en retour ou ailes, le crénelage est,disposé sur deux niveaux, en alternance plein sur vide, le niveau inférieur seul se continuant sur le front nord. Le décrochement rampant qui réduit la hauteur de l’arase horizontale du mur d’environ 1,50m, est localisé sur la face des demi-bastionnets, près de l’angle de capitale, lequel, de ce fait, est plus haut que l’angle d’épaule. Le rythme des créneaux est très serré, et tous ceux de cette partie sud, terrasse ou cornichon, ont un ébrasement extérieur rectangulaire vertical à ressauts, dit « en trémie » avec talus plongeant. L’ébrasement intérieur, plus petit, est carré ; celui de la rangée basse, près du sol, est adapté au tir plongeant. Ensemble du cornichon sud, avec la porte dans l'épi ouest.
Le revêtement, ou escarpe, de ce front sud de l’enceinte, caractérisé par un fruit assez marqué et constant (la partie parapet crénelé n’est pas rétablie à la verticale dans l’élévation extérieure), est fondé directement sur l’affleurement rocheux qui surplombe la route, régularisé à l’horizontale dans l’axe est-ouest.
La partie nord de l’enceinte, qui comporte un front de tête plein nord, vers le haut du terrain naturel, et deux fronts latéraux est et ouest, adopte, à partir des ailes du front de gorge bastionné ou « cornichon » sud, auxquelles elle se greffe, un tracé « en étoile » ou « tenaillé », soit composé d’une série de cinq redans enveloppant la caserne. De taille (longueur des faces) inégale, ces redans sont disposés à raison de trois petits (ou épis) en milieu de fronts alternant avec deux grands formant les angles nord-est et nord-ouest ; de ce fait, le plan de l’enceinte est symétrique, l’axe de cette symétrie étant une ligne nord-sud passant au milieu de la courtine du front bastionné sud et dans l’angle de capitale du petit redan central du front nord. Dans le détail de l’état réalisé, cette symétrie est à peine moins idéale que sur le plan de l’atlas de 1775, qui s’avère d’ailleurs plus juste que les plans-masses du milieu du XIXe siècle. Toute la partie tenaillée de l’enceinte, c'est-à-dire trois fronts sur quatre, est retranchée par un fossé taillé dans le roc, avec contrescarpe revêtue, fossé relativement étroit mais pratiquement aussi profond que large. L’aire incluse dans l’enceinte, au nord de la citerne, est à peine plus vaste que la terrasse sud, et son sol conserve le pendage naturel quelque peu régularisé en glacis.
Cette partie tenaillée, plus précisément la partie de l’enceinte construite en 1768 (à l’exception des ailes du « cornichon » sud), se caractérise aussi par son élévation rampante « en écharpe » dans le sens de la pente du terrain, tant au niveau de l’arase qu’au niveau du fond du fossé. Logiquement, ce pendage des arases varie en fonction de l’orientation des faces des redans : Les faces est et ouest des deux grands redans d’angles, et celles de l’épi nord, sont celles sur lesquelles l’arasement rampant est le plus pentu. Par contre, la face nord de chacun des deux grands redans d’angle étant un peu rentrante jusqu’à l’épi axial, et implantée à la perpendiculaire de la pente du terrain, son arase est traitée par contrecoup en très légère redescente ; les deux « épis » des côtés est et ouest de l’enceinte ont une face nord arasée presque à l’horizontale, alors que leur face sud rampe davantage dans le sens de la montée.
L’arasement du mur de contrescarpe du fossé tient aussi compte de la pente, et, sur le front latéral est, prolonge cette pente devant l’aile du « cornichon » sud, alors que le fond du fossé est passé à l’horizontale. Cette différence permet à la contrescarpe de s’amortir complètement au niveau de coïncidence du fossé avec le sol naturel, soit au droit du front sud ; de ce côté, le fond de fossé débouche d’ailleurs de plain-pied sur la route actuelle, qui monte le long du front sud d’ouest en est.
La disposition du côté opposé du cornichon, plus élevé par rapport à la route, n’est pas symétrique, car la porte de l’enceinte est ménagée dans la face gauche (sud) de l’épi du front ouest. La nécessité de bien retrancher cette porte et d’asseoir sur une terrasse horizontale la partie terminale du virage de la rampe qui y accède, a justifié le maintien d’une hauteur constante de contrescarpe devant l’aile ouest du cornichon, avec mur de soutènement côté route.
La plupart des caractéristiques d’élévation de la partie tenaillée de l’enceinte reprennent par ailleurs celles du front bastionné ou cornichon sud : la moitié inférieure du revêtement est terrassée intra-muros (non par recharge de l’aire intérieure comme au sud, mais par creusement du fossé à l’extérieur et chemisage de l’escarpe rocheuse par l’escarpe maçonnée). La totalité de l’élévation, du fond du fossé à la tablette d’arase, présente un fruit assez accusé ; le surcroit d’élévation murale au-dessus du sol de l’aire intérieure forme un parapet lardé de créneaux très rapprochés sur deux niveaux (comme dans les ailes du cornichon sud).
Ces deux étages de créneaux s’adaptent aux variations de pendage constatées sur les différentes faces des redans de l’enceinte, et sont donc très nettement échelonnés en escalier sur les faces où la pente de l’arasement et du fossé est la plus forte. Les très nombreux postes de tir d’infanterie fournis par ces créneaux sont desservis, à partir des épis latéraux, par un chemin de ronde maçonné de faible hauteur adossé à la face intérieure du mur-parapet ; dans les portions les plus pentues du crénelage, ce chemin de ronde est traité en escalier en « pas de mule » bordé d’un muret en gradins. Le long du front nord, la bordure du chemin de ronde est traitée en degré de trois marches descendant au sol en pente de l’aire intérieure. Epi Est de l'enceinte tenaillée et aile gauche du cornichon, crénelés, fossé.
Les créneaux de la partie tenaillée de l’enceinte diffèrent un peu de ceux du cornichon : ceux de la rangée du bas s’y apparentent par leur ébrasement extérieur plus haut que large à talus et couvrement plongeant, sans ressauts toutefois, et couvert d’un arc segmentaire monolithe. Côté intérieur, ces créneaux du bas, ou créneaux de pied battant le fossé, s’ouvrent près du sol du chemin de ronde par une courte fente très peu ébrasée, facilitant un tir fichant. Au second étage de créneaux, la disposition est inversée : l’ouverture extérieure est une fente courte très faiblement ébrasée latéralement, et l’intérieur est traité en ébrasement à hauteur d’appui sous arc segmentaire monolithe, plus large que haut, du fait d’un sol qui reste en légère plongée extérieure.
L’orientation des créneaux n’est pas systématiquement frontale, mais s’infléchit à l’approche des angles rentrants pour permettre un tir de flanquement réciproque prenant en enfilade les faces des redans et épis.
La série systématique des créneaux ne s’interrompt que sur la face gauche de l’épi ouest, entièrement occupée par la porte de l’enceinte, de gabarit charretier, qui était munie d’un pont-levis difficile à reconstituer, toute la partie supérieure de l’encadrement cette porte ayant disparue.
Sont encore en place les deux petits abris à peu près semblables, construits sur la terrasse sud dans l’angle de capitale des demi-bastionnets, qui contenaient l’un (ouest) un minuscule magasin à poudres, l’autre (est) des latrines ; couverts d’un toit en bâtière, non voûtés, ils ont chacun un mur-pignon avec porte au nord. On observe que l’adossement de ces chétifs édicules carrés au parapet n’interrompt pas la continuité du crénelage du cornichon, en sorte qu’il était plus ou moins possible de desservir certains créneaux depuis l’intérieur de ces abris, même si cela parait a priori incompatible avec la fonction qu’on leur avait attribuée. En réalité, cette contradiction vient sans doute du fait que ces deux abris n’étaient pas encore prévus dans l’état du projet en cours d’achèvement en 1766, et ne font leur apparition qu’en 1767, alors que les parapets crénelés du cornichon sont achevés.
L’enceinte, comme le bâtiment de la caserne, n’a pratiquement pas subi de remaniements affectant ses dispositions d’origine fixées en 1768. La principale modification, non datée, est la percée d’une poterne piétonne au milieu de la face nord de l’épi est, au dépens d’un créneau (Fig. 15), et en rabaissant le niveau du sol dans l’épi pour placer aussi bas que possible le seuil de cette poterne, qui communique au fond du fossé par un escalier maçonné. Epi Est de l'enceinte tenaillée crénelée, escalier de la poterne repercée.
Structure et mise en œuvre
Les maçonneries et parements ordinaires de la caserne et de son enceinte sont mises en œuvre en blocage de moellons d’extraction locale irréguliers peu ou pas assisés de gabarit variable. Les parements d’escarpe de l’enceinte, particulièrement soignés quant à la planéïté, malgré l’irrégularité des matériaux, parce que seulement jointoyés, emploient en moyenne de plus grosses pierres, dont la face vue seule est dressée.
Les parements intérieurs à l’enceinte, ceux des parapets crénelés ou ceux des murs de la caserne, étaient seuls destinés à être enduits, et des parties d’enduit subsistent sur certains segments du parapet.
Les parements du revêtement de contrescarpe sont d’une qualité équivalente.
La pierre de taille dure appareillée, finie à la boucharde avec liseré apparent, est sous-représentée dans la construction de la caserne, quasiment réservée aux angles droits saillants, mais en revanche elle est largement employée pour les chaînes des angles tant saillants que rentrants du revêtement de l’enceinte. Les chaînes des angles saillants des demi-bastions, redans et épis sont assez enveloppantes, comportant plusieurs pierres par assise et par face, mais cette emprise se réduit au fur et à mesure qu’on monte en élévation, en fonction du fruit. Ce moyen appareil se caractérise par l’inégalité des hauteurs d’assises. La porte de l’enceinte fait l’objet d’un traitement particulier, son encadrement (aujourd’hui tronqué) étant entièrement en pierre de taille, avec tableau d’effacement de pont levis, dans des jambages verticaux qui prennent du relief sur le revêtement du fait du fruit accusé de celui-ci. L’emprise importante de la porte dans la face gauche de l’épi fait que cette face est presque entièrement parementée en pierre de taille, excepté sous l’assise de seuil de la porte. La tablette de cette face était rampante, et en partie incurvée à droite de la façade de la porte.
Les chainages d’angle saillants du parapet côté intérieur sont en pierre de taille, mais plus limités et moins soignés, cette même pierre de taille étant employée pour la totalité des encadrements, extérieur et intérieur, des créneaux de la partie tenaillée de l’enceinte ; les ébrasements de ces créneaux, voûte et talus, en retrait de ces pierres d’encadrement, emploient de la brique de façon discrète, presque invisible.
En revanche, l’encadrement des créneaux de la partie « cornichon », ou terrasse sud de l’enceinte, est entièrement en briques, ce qui tranche fortement sur la mise en œuvre des chaînes d’angle en pierres de taille. Détail du crénelage de l'aile droite (ouest) du cornichon, vue extérieure.
Une autre différence de détail de mise en œuvre entre les trois quarts nord tenaillés de l’enceinte et le cornichon sud, concerne les tablettes : celles de la partie tenaillée sont invariablement en pierre de taille saillant en bandeau épais sur l’arase des revêtements ; celles du cornichon forment une sorte de réglet très mince sur l’arase des ailes des demi-bastions, en pierre de taille sur les chaînes d’angle, en briques posés à plat sur le reste. En revanche, sur la partie surbaissée de l’arase du même cornichon, courtine, flancs et majeure partie des faces des demi-bastions, la tablette redevient épaisse comme pour la partie nord, tout en matériaux mixtes : briques posées de chant pour le courant, pierre de taille au-dessus des angles. Cette hétérogénéité pourrait être l’indice d’un repentir de construction : les ailes seraient conformes au projet en œuvre en 1766, qui comportait un parapet continu à deux niveaux de créneaux, mais le parapet du front sud aurait été achevé seulement en 1767, en créant le décrochement et en optant pour un seul niveau de créneaux.
La brique, nettement plus présente dans le cornichon sud que dans l’enceinte tenaillée, est encore mieux représentée dans les bâtiments internes à l’enceinte : les deux petits abris calés sur la terrasse dans l’angle des bastionnets sont entièrement construits en briques (et couverts en tuile canal), et la construction de la caserne et de sa citerne l’emploient largement.
Les grands arcs diaphragmes de la nef du casernement sont bâtis en briques, arcs extradossés proprement dits, en rouleau épais, et encoignures des jambages. Ceux de la nef de la citerne sont cintrés en moellons, mais intradossés en briques ;intérieur du casernement et de la citerne formant bas côté, sous arcs-diaphragmes, vus depuis le sud-ouest.
les portes en enfilade de la coursive de desserte de la citerne sont en revanche encadrées en moellons ordinaires. Enfin, les encadrements des portes et fenêtres de la façade (sud) de la caserne, sont également en brique, y compris pour les jours circulaires du premier étage, de même que les baies et créneaux des murs-pignons. La différence de matériau, toutefois, n’était pas visible, car toutes les parois, arcades, et baies étaient apparemment revêtues d’un enduit couvrant qui laissait seules apparentes les pierres de taille des chaînes d’angle.
Les versants du toit du bâtiment de la caserne, long pan couvrant la citerne, versant sud et versants des deux travées surélevées, étaient revêtus de tuiles-canal dont restent des débris en place, notamment sur les rampants des fermes de maçonneries portés sur les arcs-diaphragme qui définissent les travées.
Les fenêtres d’étage nord et les divisions intérieures des deux travées surélevées du casernement ont été modifiées au XXe siècle, avec enduits au ciment.
Un édifice cubique en parpaings enduits au ciment, couvert d’une dalle béton, est construit dans la dernière travée est du casernement ; il s’agit du local (pompe ?) à l’usage de la protection incendie.
Dans l’état de ruine actuel, il n’existe plus aucune menuiserie ancienne. La porte de l’enceinte est munie d’une grille ouvrante sommaire et « bricolée » posée après l’abandon de la caserne retranchée, vers la fin du XXe siècle, pour en limiter l’accès aux usagers de la citerne. Le pont-levis est remplacé par un tablier en charpente posé récemment. Les parties ruinées les plus menaçantes, c'est-à-dire les grands arcs diaphragmes et les murs de la caserne, ont fait l’objet récemment d’une campagne de consolidation d’urgence qui a consisté à projeter du ciment sur les parements qui ont perdu leur enduit depuis la disparition des toits, et tendaient à se désagréger par creusement des joints, ou à se fissurer. La citerne est recouverte de plaques de tôle ondulée sur un boisage de fortune.
historien de l'architecture et de la fortification