Construction et armement 1
L’intérêt d’occuper par des ouvrages de défense permanents les hauteurs dominant immédiatement Toulon au nord et au nord-est, dont le Mont Faron, n’avait pas été perçu par Vauban, qui s’était davantage intéressé aux ouvrages côtiers. Cette nécessité de pourvoir à la défense terrestre de la place par des ouvrages détachés fut mise en évidence pendant la guerre de succession d’Espagne, la prise de Toulon ayant été un des objectifs de la coalition formée par l’Empire, l’Angleterre, la Hollande et la Savoie, en 1707.
Le maréchal de Tessé, commandant en chef de l’armée française des Alpes, chargé de contrer les entreprises militaires terrestres du duc de Savoie et du prince Eugène de Savoie lors du siège de Toulon de juillet 1707, écrivait au roi, dans une lettre datée du 12 juillet, que Toulon n’était pas une place, mais un jardin, où l’on n’avait jamais songé aux fortifications du côté de la terre, tandis que tout ce qui regardait la mer était en bon état.
Le 29 juillet, les troupes savoyardes, fortes de 40.000 hommes, ayant occupé le secteur sud-est du Faron (village de La Vallette), attaquèrent en contrebas les positions d’Artigues et de Sainte-Catherine, qu’ils purent occuper avantageusement, dominant le camp de Sainte-Anne, retranchement avancé du front nord de Toulon. Renonçant à une attaque frontale du camp de Saint-Anne, le prince Eugène partit à la tête de ses Allemands, précédé par une troupe de 500 hommes chargée d’éclairer le terrain sous les ordres du colonel Pfefferkom, et fit passer ses troupes germano-savoyardes au nord du Faron, par le Revest et Dardennes, pour déboucher par la gorge Saint-Antoine et prendre à revers la position française. Au plus étroit de la gorge, à la hauteur du château Saint-Antoine, cette formation de quatre bataillons et un régiment de cavalerie, se trouva contrée par une ligne de défense tenue par 3 000 hommes sous le commandement de M. de Barville, dut se retirer au château de Dardennes, avant de revenir à la position initiale de Sainte-Catherine 2.
Cette stratégie démontra notamment l’utilité d’ouvrages défensifs contrôlant le passage à l’ouest du Mont-Faron, par la vallée du Las dite gorge de Dardennes ou de Saint-Antoine (toponyme respectif de deux châteaux, le premier au nord de la gorge, vers le Revest, le second, résidence épiscopale, à l’entrée de la même gorge). Le Faron pouvait en effet être facilement contourné par le nord, en longeant le vallon des Favières.
Après la levée du siège, l’alerte fut jugée décisive pour les hauteurs d’Artigues et Sainte Catherine, mais il semble que seule la première de ces deux position fut occupée, dès 1708 par une redoute pérenne, conçues par le directeur des fortifications de Provence Antoine Niquet. Du côté de la vallée de Dardennes, rien ne fut entrepris avant que la menace d’une nouvelle offensive de l’armée austro-savoyarde contre Toulon, en 1746, dans le cadre de la guerre de succession d’Autriche, ne suscite un effort de fortification préventive, organisé par le maréchal Charles-Louis Fouquet de Belle-Isle. L’effort était alors d’autant plus nécessaire que les projets de renforcement des fortifications du corps de place de Toulon, et notamment de réalisation de dehors manquants, n’avaient pas abouti depuis l’après siège de 1707, et que le retranchement Sainte-Anne, ouvrage sommaire lié à ce siège, était en ruines, ce qui rendait très vulnérable le front de terre mal fini et mal entretenu de Toulon.
Tirant les leçons des évènements de 1707, le maréchal de Belle-Isle fit élever des retranchements et des redoutes en pierres sèches entre les pentes ouest du Faron et les hauteurs proches du Bau de Quatre Aures. La situation militaire prit une tournure toute autre qu’en 1707, puisque l’armée ennemie, prise à revers par les Génois, se retira de l’autre côté du Var le 2 février 1747.
A cette occasion fut construite sur une hauteur à l’ouest de la gorge, à mi-distance de l’éminence rocheuse du Bau de Quatre Houres, sur la hauteur des Pomets, une redoute provisoire, tandis qu’un mur de retranchement en pierre sèche était édifié sur la pente ouest du Faron, descendant vers la vallée, au pied de la barre de l’Hubac ; une autre redoute en pierre sèche, intermédiaire, s’ajoutant au dispositif défensif. A la suite, le nouveau directeur des fortifications de Toulon, Honoré d’Antibes de Bertaud, proposa d’édifier un ouvrage permanent, en remplacement de la redoute en pierres sèches des Pomets : « A mon arrivée dans cette direction Mr le maréchal de Belle-Isle avait proposé de faire une autre redoute sur un plateau de roc plus élevé et plus à portée de défendre ce retranchement, je le suppliais de me permettre d’y faire un petit fort ; j’en prévins Mgr le comte d’Argenson, en lui envoyant mon projet ; il l’approuva et en ordonna les fonds par des acomptes, à quoi l’on travailla depuis la fin de l’année 1748 » 3 Ces travaux furent bientôt dirigés par un jeune ingénieur qui venait de prendre ses fonctions à Toulon, Auguste-Aimé Verrier, dont la signature figure sur un plan de 1749 et sur le projet pour 1753 4 daté de “ la maison de campagne auprès du fort”, le 9 novembre 1752 5. C’est à partir de l’arrivée de l’ingénieur, en 1749, que des maisons situées près du fort furent louées 64 livres pour lui et les ouvriers, et même réparées pour offrir un bon hébergement.
Les dépenses occasionnées par les travaux du fort, déroquetage, fourniture de pierre et maçonnerie, sont bien documentés par un "Etat des ouvrages qui ont été faits au fort des Pomets à Toulon pendant les années 1748, 1749, 1750, et de ceux qui restent à faire pour le finir », établi par Bertaud le 16 mai 1751 6.
En 1748, cette dépense s’élevait à 9708 livres 9 sols et 1 denier, dont 7716 livres 10 sols pour des maçonneries ordinaires et 1704 livres 10 sols 6 deniers pour des pierres smillées et à bossages. L’année suivante, la dépense de 11894 livres 19 sols 1 denier se décompose en 6088 liv. 16 s. 8d. de maçonnerie ordinaire, 2128 liv. 13 s. 2 d. de pierre d’échantillon, 851 liv. 2 s. 3 d. de pierre de taille à bossages, 516 liv. 19 s. 5 d. de pierre bouchardée, enfin 28 liv. 8 s. 1 d. de maçonnerie de briques. Durant les quatre mois de la campagne de travaux de 1750, 29840 livres furent employées, en particulier au déroctage des fondations et à la construction des souterrains voûtés du bâtiment à usage de caserne et magasins. Cinq des six soupiraux du souterrain furent alors réalisés, dans un mur épais de 5 pieds (1,62 m). La mise en œuvre de la maçonnerie ordinaire coûta 3183 livres, celle de la pierre d’échantillon à la rustique et de la pierre de taille dure bouchardée, respectivement 1185 livres et 942 livres (en plus 851 livres pour celle des portes et fenêtres. Le coût total des travaux est alors estimé à 58788 livres, dont plus de la moitié, soit 29848 livres, reste à exécuter.
La progression architecturale du chantier de construction est documentée par les plans d’archives.
Le plan de l’enceinte assez modeste de la redoute, dite fort, est un compromis entre un tracé bastionné et un tracé tenaillé. Selon le projet, cette enceinte forme un trapèze proche du carré déformé, comprenant un angle aigu au nord, un front de tête droit à peu près symétrique au nord-ouest flanqué d’un petit bastion au centre, deux fronts latéraux non parallèles flanqués chacun par un demi-bastion, l’un à l’angle sud, l’autre à l’angle ouest, le front latéral gauche (sud-ouest) accueillant la porte ; enfin, le front opposé au front de tête, en théorie front de gorge, est formé par le retour d’angle, obtus à l’est, aigu au sud, des deux demi-bastions latéraux, se joignant en formant un redan ou épi central. Un bâtiment allongé transversal, à usage principal de caserne et magasins, voûté à l’épreuve, divise en deux, dans un axe biais, l’aire intérieure du fort et va buter sur les deux fronts latéraux. Son extrémité sud-ouest forme le sas couvert de la porte du fort, laquelle distribue de part et d’autre deux cours ou places d’armes donnant accès aux parapets de l’enceinte, la moins spacieuse des deux régnant au revers du front de tête. La porte du fort est précédée d’un tambour triangulaire crénelé.
Les matériaux de construction étaient extraits classiquement du creusement du fossé, puis, dès 1749, de l’excavation intérieure destinée à recevoir les caves ou souterrain du bâtiment, réalisée sur toute sa longueur. Les murs et les voûtes de ce souterrain furent alors mise en oeuvre (à l’exception de la citerne, en extrémité droite) en priorité sur les maçonneries de l’enceinte ou revêtement d’escarpe. Les travaux de l’enceinte commencèrent par le front latéral droit, attenant à l’extrémité des fondations du bâtiment, et par le demi-bastion sud suivi de l’épi du font de gorge.
En 1751 les maçonneries épaisses du revêtement étaient terminées sur tout le circuit de l’enceinte, jusqu’au cordon, le parapet restant à exécuter. Le plan du tambour est désormais projeté pentagonal, et un muret garde-corps est proposé autour de la contrescarpe, encore brute de déroquetage. La construction du bâtiment, comportant trois niveaux, est très avancée, y compris la citerne, mise en eau, mais elle reste à terminer du côté de la porte –qui elle est en place en attente de son pont-levis- et n’a encore ni toit ni planchers.
Plans, profils et élévations du fort des Vieux-Pomets. 1754.La réalisation de la contrescarpe, par finition des fronts de taille donnant au fossé sa largeur définitive, et revêtement maçonné surmonté du muret garde-corps, a lieu entre 1752 et 1754, en commençant par le front d’entrée. Prévu d’abord avec un tablier de bois, le pont dormant d’accès est réalisé avec une arche de pierre en 1753-1754 ; le parapet du chemin de ronde d’arase du front de tête est réalisé plus haut que sur les autres fronts, et crénelé. Le chantier se termine par la construction du tambour crénelé, en 1756.
Une carte daté de 1762 7 indique les « redoutes et retranchements » relativement récents et plus ou moins pérennes des abords de la place forte, jusqu’au secteur du fort des Pomets. Entre le fort et les pentes ouest du Faron sont indiqués les ouvrages mis en place par le Maréchal de Belle-Isle : « H retranchement en pierre sèche pour barrer la gorge de Saint-Antoine, en partie détruit, I redoute de St Antoine en pierre sèche au même usage et à peu près dans le même état ». D’après cette carte, et une autre, moins précise, datée de 1759 8, la redoute mentionnée n’occupait pas l’emplacement des futurs forts ou redoutes du Grand et du Petit Saint-Antoine, n’étant pas située sur le versant sud-ouest du Faron, mais de l’autre côté de la gorge de Saint-Antoine, entre cette vallée et le fort des Pomets. Cette redoute « de Saint-Antoine » correspond à celle qui sera désigné par la suite sous le nom de redoute de Landré, comme on le voit sur la « carte des environs de Toulon avec les ouvrages extérieurs relatifs au projet général » de 1768 9, qui présente le « fort Saint-Antoine » à son emplacement définitif, ou sur une autre carte « relative aux projets de 1791 » 10.
Plan du fort des Pomets. 1764.Dans son projet du 8 janvier 1764, dessiné par le sous-brigadier et ingénieur du génie Louis d’Aguillon 11, le directeur des fortifications de Provence Nicolas Milet de Monville donne l’état d’occupation du bâtiment transversal, recoupé de six murs de refend, dont deux encadrant la cage d’escalier à rampes droites montant de fond en comble : au sous-sol, souterrains, magasins aux vivres, citerne et citerneau, au rez-de-chaussée, entre la porte du fort et l’escalier, corps de garde des soldats et d’officiers, logement des troupes ; à la suite de l’escalier, magasin aux ustensiles d’artillerie et magasin à poudres. Enfin, à l’étage, logement du gardien en temps de paix (au-dessus du sas de la porte du fort), logement des troupes (sur trois salles, avant l’escalier), puis magasin aux ustensiles et salle d’armes. Ces locaux donnaient au fort une capacité de près de cent hommes. La toiture du bâtiment, à deux versants couverts de tuile, reposait sur les reins du voûtement en plein-cintre de l’étage, à l’épreuve des bombes. A chaque extrémité du bâtiment, un passage couvert assurait la continuité du chemin de ronde d’arase du revêtement. Les latrines pour la troupe et pour l’officier, séparées, étaient placées dans une bretèche sur consoles de pierre au-dessus de l’escarpe du front latéral droit, dans le prolongement du bâtiment. Les murs de façades avaient une épaisseur proche de 2 mètres..
Milet de Monville prévoyait de donner des vues plus étendues que celles offertes par les embrasures percées dans les revêtements du fort, sous le chemin de ronde. Les tirs de batteries devaient en outre être puissamment renforcés, et mieux balayer les abords, grâce à la construction proposée de deux cavaliers presque aussi hauts que le bâtiment central, en maçonnerie sur voûte, l’un, de plan heptagonal, avec sept embrasures d’artillerie rayonnantes, dans le bastion de tête, et en saillie dans la cour de devant, l’autre, plus petit, à l’opposé, à la gorge du redan ou épi du front de gorge. Il projetait d’élever trois plates formes moins hautes que les cavaliers, à l’est dans la cour arrière, pour porter des canons permettant un tir d’artillerie à barbette au-dessus des parapets d’infanterie de l’enceinte. Milet proposait en outre d’établir un chemin couvert sur arcades aux dépens de la contrescarpe du fossé des fronts latéraux et du front de gorge, cédant place, sur le front de tête, à une plate-forme plus large établie, sur le glacis, immédiatement en avant de la contrescarpe, fermée de part et d’autre par des murs crénelés et recoupées de traverses en chicane également crénelées. De plus, la position isolée de cette redoute lui suggère d’en couvrir les approches par des ouvrages de campagne.
Rien de tout cela ne fut réalisé, et, en 1774, le successeur de Milet, Charles-François-Marie d’Aumale, proposait (sans plus convaincre) de renforcer la position défensive confinant au fort par un projet théorique de retranchement imaginé à partir d’ouvrages et amorces de retranchement en pierre sèche existants : « On appelle gorge de St Antoine le passage compris entre la croupe de l’ouest de la montagne de Faron et le Bau de quatre Houres. Ce passage est fermé par un retranchement susceptible, malgré son étendue, d’une très bonne défense. Sa droite s’appuye à une masse de rochers escarpés de la montagne de Faron qu’on appelle Bau du midy. Il y a dans cette partie de difficile accès deux batteries en amphithéatre qui flanquent efficacement la fuite de la ligne. Le canon y seroit aisément amené du fort de St Antoine en pratiquant un chemin à mi-côte qui seroit presque de niveau (…) ce chemin ne serait pas moins utile pour retirer l’artillerie dans le cas où le passage serait forcé, le retranchement projeté barre ensuite les deux chemins qui arrivent du valon des Favières et deDardenne, traverse la rivière de Las dans l’endroit ou son lit est le plus étroit, et gagne la hauteur de St Landré ou il est soutenu par une grande redoute (redoute de Landré) qui porte ses feux sur les deux avenues de Dardenne et du vallon des Favières. Il lie cette redoute avec le fort des Pomets qui ferme l’avenue du village de ce nom (…) Ce retranchement, tel qu’il vient d’être décrit, n’existe pas en totalité, mais les circonstances du terrain en indiquent le tracé à ne pouvoir s’y méprendre et il serait au besoin de la plus facile et la plus prompte exécution. » 12.
Le mémoire pour les projets de 1782 13, précise que l’ensemble du fort inoccupé est en bon état, à l’exception des couvertures du bâtiment, délabrées, et des souterrains, humides en hiver.
Le projet pour 1793, dans un contexte de réarmement des ouvrages détachés, pérennes ou non, face à la menace de prise de Toulon par les anglais, comportait la réfection du sol de ces souterrains en pavés de briques avec pouzzolane, et celle des enduits muraux, moyennant 2000 livres ; en l’attente de leur exécution, on prévoyait d’y placer les approvisionnements sur des chantiers en bois. Maîtres de Toulon, les anglais verrouillèrent les deux rives de la gorge St Antoine pour éviter l’irruption des républicains par le nord-ouest, et s’assurèrent du contrôle du fort des Pomets. Lors de leur évacuation forcée, en décembre, ils mirent le feu aux poudres dans le fort. Faisant le point sur la situation militaire de Toulon, rebaptisé Port La Montagne, au lendemain de la reprise de la place, le chef du génie Armand-Samuel de Marescot rappelait cette circonstance, en portant un jugement sans appel sur les capacités de ce fort isolé : “En abandonnant le fort de Pommets, les ennemis ont mis le feu à son magasin à poudre. Il est considérablement endommagé ; je crois que la dépense nécessaire à son rétablissement est superflue, son tracé est défectueux et sa position est telle qu’il pourroit être facilement ruiné par des batteries placées sur les hauteurs voisines, sa défense est presque nulle, il avoit l’avantage d’éclairer le vallon de St Antoine et de défendre la partie accessible à l’ouest de la montagne de faron ; mais cette partie accessible étant rendue inabordable, on pourroit y établir une petite batterie qui conjointement avec le haut St Antoine rempliroit à peu près le même objet. En un mot le fort des Pommets n’étoit tenable que dans le cas où la montagne du Bau de Quatre heures seroit occupée ; ainsi, d’après ce que nous avons dit plus haut, il est aisé d’en conclure que le fort des Pommets peut être razé sans inconvénient” 14.
Les inspections et projets ultérieurs pour la défense de Toulon confirmeront l’abandon de l’ouvrage, désormais dépourvu de tout rôle militaire, mais, ne constituant pas une menace, il ne fut pas rasé mais laissé sans entretien, condamné à une lente ruine à laquelle sa construction soignée résista, sans trop souffrir de pillage.
Le fort en ruines sortit de sa léthargie durant les combats pour la libération de Toulon en août 1944, en servant de point de ralliement à une compagnie française qui fut repérée et prise à partie par les allemands le 20 et le 21 août, ce qui se solda par la mort d’un jeune tirailleur français.
Ensemble du front d'entrée (sud-ouest) vu du bastion sud : porte du fort et maison récente.Dans les années 1860, les ruines bien conservées du fort furent acquises par un particulier, qui fit construire une villa à la sobre architecture dans l’enceinte stabilisée, en partie sur les infrastructures du bâtiment de casernement.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
Le fort des Pomets occupe à 160 mètres d’altitude, une éminence ou plate-forme naturelle formant palier entre le versant est du Bau de Quatre Aures et la vallée ou gorge du Las, et dominant directement au nord-est le vallon de Fournas, creusé par un petit affluent du Las. Cette position lui permet de découvrir des vues lointaines sur le port et la rade de Toulon. Son chemin d’accès traditionnel est celui qui part à l’ouest de la route de la rive gauche de la gorge du Las entre Toulon Le Revest, via Dardennes, au pied du fort du Grand Saint-Antoine, pour traverser le Las puis remonter vers le nord sur la rive droite (ouest) jusqu’au Bau de Quatre Aures et au hameau des Pomets. Ce chemin se divise ensuite en deux branches, l’une, à l’ouest, contournant le Bau et allant à Evenos, l’autre, à l’est, redescendant vers Le Revest. Le fort est desservi par un sentier discret remontant à droite à l’est de cette route, plusieurs centaines de mètres avant le hameau des Pomets.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
L’enceinte du fort et son fossé taillé dans le roc sont conservés en totalité, non sans lacunes dans les parapets et dans certaines parties d’élévation des revêtements au-dessus du sol intra-muros, dû à la ruine. Le revêtement de contrescarpe est également assez largement conservé.
Les dispositions générales en plan déjà décrites ci-dessus s’inscrivent dans un parallélogramme de 45 mètres de côté environ (fossé non compris), ce qui exprime bien l’échelle réduite de cet ouvrage, simple redoute justifiant d’autant moins son appellation de fort qu’à la différence du fort Faron, par exemple, elle n’a subi ni renforcement de ses défenses ni adjonctions de dehors, au XIXe siècle. L’état réalisé avant 1760 a été, en quelque sorte « fossilisé » par la non réalisation des renforcements proposés en 1764, et par l’abandon après 1793. Vue générale sud du fort : front d'entrée avec pont, demi bastion sud, front de gorge avec redan ou épi.
Le front d’entrée, ou front latéral gauche, face au sud-ouest, l’un des moins bien préservés, conserve son revêtement jusqu’au cordon inclus, mais il est manifeste que la partie supérieure des parements a été reprise de part et d’autre de la porte. Celle-ci est aujourd’hui réduite, au moins à l’extérieur, à une simple coupure dans le revêtement, le portail à encadrement très simple qui accueillait le pont-levis ayant entièrement disparu, comme le mur pignon sud-ouest du bâtiment traversant le fort, qui le surmontait. Le pont d’accès est un pont dormant de construction relativement récente, dont l’arche unique en anse de panier remploie au mieux la culée de départ de l’arche d’origine, qui était moins ample. La maçonnerie pleine portant la chaussée d’accès après cette arche vient buter contre le soubassement vertical du portail, jadis dégagé par la coupure du pont-levis, faisant saillie sur le nu en léger fruit du revêtement.
Vers l’intérieur du revêtement, l’issue de la porte qui donnait initialement dans un sas voûté sous la première travée d’étage du bâtiment transversal reste encadrée de deux piédroits en pierre de taille avec angle abattu d’un chanfrein amorti en congé, qui correspondent au support des arcades latérales par lesquelles le sas d’entrée communiquait, de part et d’autre, à la cour du front de tête et à la cour arrière. La courtine de ce front est percée de deux embrasures, chacune à peu près au milieu de chaque segment qui sépare la porte, d’une part de l’angle ouest du fort, d’autre part, du flanc du demi-bastion sud. Seule l’embrasure de ce dernier côté est relativement bien conservée, avec l’encadrement en briques de sa bouche extérieure ébrasée, couverte en arc segmentaire, et de son ouverture intérieure ( fig. 4). Entre celle-ci et les embases et piédroits de la porte et de son sas, subsistent les restes d’un des escaliers en « pas de souris » qui montait au chemin de ronde d’arase du revêtement.
Le front sud-est de l’enceinte, ou front de gorge, est mieux conservé, avec les deux demi-bastions qui l’encadrent, flanquants seulement sur les fronts latéraux du fort, et son redan ou épi central flanquant. Le parapet du chemin de ronde d’arase, simple garde corps non crénelé, y est à peu près complet à l’exception de sa tablette de couvrement, dont ne restent des vestiges que sur l’angle de capitale aigu du demi bastion sud. On note toutefois sur le côté droit de ce front ou face droite du demi-bastion, la ruine partielle du parapet et du cordon. Les embrasures, une dans chaque face des demi-bastions et de l’épi, sont assez bien conservées pour ce qui est de leur bouche extérieure, mais l’orifice de tir proprement dit en a généralement été élargi, sans doute pour donner des « vues » sur le paysage, modification qui a été réparée pour l’embrasure de la face gauche du demi bastion est. On remarque les chaînes soulignant les angles saillants, en pierre de taille à bossages rustiques harpées dans le parement courant en moellons simplement équarris et assisés.
Si l’on excepte le demi bastion est (à angle de capitale obtus), qui y participe, le front latéral droit (nord-est) est le plus mal conservé du fort. Son revêtement ruiné, ou subsistent les restes d’une embrasure, était creusé d’une profonde brèche échancrant son parement en V, descendant presque jusqu’au fond du fossé. Elle a été réparée en maçonnerie traditionnelle, mais de construction récente. Bastion central du front de tête nord-ouest du fort, parapet à demi ruiné.
Le front de tête (nord-ouest), en retour d’angle aigu du front latéral nord-est, et en retour d’angle droit du front d’entrée, est ruiné dans sa moitié gauche, y compris celle du bastion pentagonal symétrique qui le flanque en son centre. L’angle aigu nord de l’enceinte est même échancré au point que son parement n’existe plus que sur quatre ou cinq assises de pierre de taille au-dessus du fond du fossé. Cette ruine de tout le secteur nord et nord-est du fort semble devoir être attribuée à l’explosion du magasin à poudres provoqué par les anglais lors de leur retraite en 1793. En effet, ce magasin se trouvait dans la dernière travée des pièces du rez-de-chaussée du bâtiment transversal, confinant de ce côté au revêtement ou courtine du front latéral droit (nord-est), à peu de distance de l’angle nord. La déflagration aura « soufflé » davantage les superstructures de ce côté du front de tête, plus proche, que celles du front opposé (dont on a vu cependant que parapet et cordon étaient écornés du côté droit).
Les deux branches, ou segments de courtine du front de tête rectiligne, de part et d’autre du bastion sont percés d’une embrasure à peu près centrée, de même que les deux faces de ce bastion. On note que les flancs du bastion, en revanche –il est vrai assez peu saillants- ne sont pas munis d’une embrasure, pas plus que ceux des demi-bastions est et sud. Le flanquement proprement dit du front de tête du fort, était assuré par des tirs d’infanterie à l’arme d’épaule, à partir des créneaux de fusillade, ce qui suffisait à la défense rapprochée de l’ouvrage, compte tenu de ses petites dimensions. Dans la moitié gauche du front de tête, le bon état de conservation concerne non seulement les parements, avec leurs chaînes d’angle saillant à bossages rustiques, les embrasures à encadrement en briques, le cordon, l’escalier d’accès au chemin de ronde d’arase, mais aussi et surtout le parapet, deux fois plus haut que celui du front de gorge et lardé d’une série continue de créneaux de fusillade très rapprochés, simple fente au-dehors, ébrasée au-dedans sous linteau formant arc monolithe surbaissé. Ces encadrements intérieur et extérieur des créneaux se caractérisent par les parements « smillés » de leurs pierres de taille, c'est-à-dire ravalés rustiquement à la boucharde, traitement grenu qui accroche la lumière. Certains de ces créneaux ont un plan de tir biais, pour échapper aux angles rentrants. Front de tête nord-ouest :côté gauche du bastion central et branche ou courtine gauche, parapet crénelé.
La maçonnerie de revêtement de la contrescarpe du fossé est presque partout conservée, avec son parement rudimentaire en blocage de pierres de tout-venant, mais il ne reste rien du muret garde-corps qui la couronnait.
La maison actuellement bâtie dans l’enceinte, munie d’une porte d’entrée à fronton en pierre de taille, de provenance inconnue, dans l’axe de la porte du fort (à l’emplacement de la première travée de corps de garde), n’occupe qu’en partie l’emplacement de l’ancien bâtiment transversal que l’explosion de 1793 avait en partie détruit, le temps et les pillages ayant entraîné sa démolition jusqu’au dessus des voûtes du souterrain. En effet, le corps principal de cette maison est parallèle au front d’entrée, et en retrait de celui-ci, donc perpendiculaire à l’axe de l’ancien bâtiment, qui, on l’a vu, couvrait la porte du fort et son sas.
La maison comporte toutefois une aile arrière lui donnant un plan en T un peu biaisé, exactement superposée à certaines des travées de l’ancien bâtiment, remployant peut-être quelque élément d’élévation dans ses murs enduits (aucun indice particulier de réemploi) et sous laquelle les souterrains de 1749 demeurent en place. Ils s’étendent, comme à l’origine, sous les deux tiers médians de la longueur du bâtiment aujourd’hui disparu ou reconstruit, formant, divisées par des murs de refend, trois travées d’anciens magasins, la travée de l’ancienne cage d’escalier et le volume de la citerne, jadis évidemment sans percée vers la travée attenante. Seule, la voûte de la citerne a disparu (ruinée par l’explosion du magasin à poudres qui se trouvait au-dessus), et est aujourd’hui remplacée par un plancher récent. Les trois travées d’anciens magasins demeurent, dans leur organisation, conformes à ce que montrent les plans d’archives du XVIIIe s, avec leurs soupiraux revêtus en briques percés dans les reins de la voûte, et leurs portes de communication en enfilade, non centrées, dans les murs de refend, couvertes d’un arc et d’une arrière-voussure segmentaire. Les parois murales, et les voûtes en berceau, construites en blocage de moellons, sont revêtus d’un enduit couvrant à la chaux, ancien et bien conservé dans une des travées, rafraîchi et badigeonné en blanc dans les autres. Face intérieure du revêtement du front d'entrée: embrasure, escalier en pas de souris, et piédroits de la porte.
historien de l'architecture et de la fortification