Construction et armement
Le Pas de la Masque, point faible des escarpements naturels nord du Mont Faron, est directement dominé par une petite éminence qui est un des points hauts de la montagne, la « hauteur Lebat ». Ce « Pas », ou passage naturel en haut d’un ravin escarpé, fait partie de ceux sur lesquels fut établi vers 1768 un mur de retranchement en pierres sèches, comme au Pas de Leydet, à la suite du projet général pour la place de Toulon élaboré par le directeur des fortifications de Provence Milet de Monville en 1763-1764. La mise en œuvre de ces travaux, qui consistaient à la fois à escarper et régulariser le rocher naturel et à le couronner d’un mur, à la fois barrage et terrasse de surveillance et de défense, n’est pas documenté. Ces retranchements, apparentés à des ouvrages de campagne non pérennes, ne sont pas figurés sur les plans généraux du Faron antérieurs au XIXe siècle, peu précis. Certains ont été retravaillés par les occupants anglais de la place en 1793, dont l’action n’est pas plus documentée, en sorte qu’il est impossible de dater avec certitude ces structures en pierres sèches, abandonnées par la suite, jusqu’à la fin des années 1830. Retranchement, vue plongeante de la terrasse basse flanquante ouest de la batterie.
Projets et réalisations 1839-1845
A partir de la mise en route des grands programmes de renouvellement des fortifications du Mont Faron en 1836, plusieurs bâtiments défensifs capables d’héberger des soldats ou des ouvriers ont été proposés en appoint des forts, redoutes et batteries dont les projets d’ensemble proposaient le rétablissement ou la construction ex nihilo.
L’alternative la plus fréquente, au fil des projets successifs élaborés en fonction des idées des chefs du génie, des avis du Comité des fortifications ou du directeur des fortifications, se joue entre un projet de tour crénelée capable de loger des hommes et un projet de bâtiment défensif de forme plus classique, dont l’échelle varie du corps de garde à la caserne.
Les tours qui ont été projetées et réalisées sur le Mont-Faron dans la décennie 1840 (Tour de La Croix-Faron, tour Beaumont, tour de l’Hubac) occupent une position dominante sur les crêtes nord et nord-ouest, et permettent plus ou moins des tirs de batterie. Les « bâtiments défensifs » simplement crénelés proposés à différents endroits de la montagne, pour contrôler chemins et passages, généralement moins élevés ou moins directement surplombants, atteignaient rarement l’équivalent de la capacité d’accueil de l’unique caserne fonctionnelle à cette époque (avant l’achèvement des forts Faron et Saint-Antoine) sur le Mont Faron, la caserne retranchée construite en 1766-1768 près du fort Faron.
De plus, aucun des bâtiments crénelés proposés ne sera réalisé : en 1839 « un bâtiment défensif à la coupure du grand chemin du Faron », en 1840 un corps de garde défensif proposé en alternative à une tour circulaire pour une « chiuse » (fermeture) dans la gorge de Siblas, sur le versant sud, en 1841, un corps de garde défensif à 200m à l’ouest de la tour Beaumont (pas encore construite) au Pas de Lesteau, en 1844 un autre au Bau de Midi, au-dessus de Grand Saint-Antoine, en alternative à une tour ; dans le secteur sud-est, un bâtiment défensif de 36 hommes associé à la batterie de la Gypière (également en projet), etc.
Cet inaboutissement concerne aussi les tours proposées sur des points hauts du Mont-Faron, ouvrages plus fortifiés a priori mais qui ont une fonction de corps de garde défensif et de point d’observation relais entre les ouvrages, sans être le plus souvent associées à une batterie, comme celles proposées en 1842 et 1843 sur la crête nord : d’ouest en est, au Bau de Midi, à la barre de Lesteau (surveillant la route entre la tour Beaumont et le fort du Grand Saint-Antoine), au Pas de la Masque et au Grand Bau (point culminant de la montagne). La tour Beaumont est la seule de cette génération de projet qui sera exécutée, mais son principe avait été adopté dès 1839 et n’a jamais varié.
Il semble que les besoins de la défense du Mont Faron en terme d’hébergement de soldats et d’officiers, et en termes de défense active des passages, ait été surestimé par les chefs du génie auteurs de ces projets, Louis ou Dautheville, sans doute en considération du personnel que devrait exiger la défense des différents retranchements plus ou moins passifs existants (Pas de Leydet, Pas de la Masque) ou projetés (Retranchement ouest entre le fort du Grand Saint-Antoine et le Bau de Midi, retranchement Est entre la tour de La Croix-Faron, le fort Faron et la Gypière).
L’une de ces tours non réalisées des hauteurs nord du Faron, la tour du Pas de La Masque, dite aussi de Lebat, est à l’origine de la caserne défensive qui occupe le même emplacement. En 1840, cette tour « intermédiaire » entre les extrémités est et ouest de la montagne, entre la tour de la Croix-Faron et celle de Beaumont, est considérée comme ne devant être construite qu’après l’achèvement de la tour de La Croix-Faron.
En juin 1841, le directeur des fortifications E Sicot 1 donnait son opinion sur ce système de défense, appuyé alors sur seulement trois tours ; cette opinion réfute implicitement la pertinence des systèmes de retranchements :
« Nous trouvons utiles aussi la tour projetée sur la hauteur Lebat, point culminant de la montagne à 1800m de la tour de la Croix-Faron, et la tour projetée à 1200 m de la tour Lebat, sur la hauteur Beaumont. Ces deux nouvelles tours raccordées aux escarpements, situées près des deux passages appelés Pas de Leidet et Pas de la Masque, et la tour de La Croix-Faron, éclairent le vallon par lequel l’ennemi peut tourner le Faron ; elles peuvent se signaler (réciproquement) les mouvements de l’ennemi ; l’artillerie de leurs plates-formes se croise à bonne portée sur les plateaux de la montagne ; elles surveillent et battent les rares passages par lesquels l’ennemi peut arriver. Nous pensons qu’elles suffisent parfaitement avec le fort Faron, la caserne retranchée et la batterie de la Gypière, pour empêcher l’ennemi de songer à un établissement très dangereux et peu utile pour lui sur le Faron.
En ce qui concerne le degré d’urgence en 1841, selon le chef du génie, « Il vaut mieux faire d’abord la tour de La Masque (ou de Lebat), en profitant des facilités que donnera la tour de la Croix-Faron, puis profiter des facilités de celle de La Masque pour faire celle de Beaumont."
La tour du Pas de la Masque est toujours en projet pour l’exercice 1842, au titre des travaux extraordinaires. Les dessins qui en sont donnés 2 montrent une tour circulaire tronconique isolée d’assez faible diamètre, à mâchicoulis, très semblable extérieurement à la future tour de l’Hubac construite après 1845, abritant deux étages voûtés sur une citerne, avec noyau central voûté en coupole contrebuté par cinq voûtes rayonnantes. La capacité d’hébergement de cette tour semble très modeste.
En 1843, dans le projet présenté le 31 mai, le lieutenant-colonel chef du génie, Dautheville 3 a opté pour un modèle de tour de plus grande capacité, soit une reprise du modèle de la tour de la Croix-Faron, aussi proposé pour la tour Beaumont (qui sera réalisée), et pour les tours de Lesteau et du Grand Bau (qui ne le seront pas).
La planche de plan signée du capitaine Devèze, figurant en plan masse l’article 19 et 19bis du projet de 1843, soit les deux tours du Grand Bau et du Pas de la Masque (alias de Lebat), comporte, sur le plan de situation d’ensemble de ces deux tours, une surcharge au crayon traçant les contours d’un long bâtiment rectangulaire à la place de la tour en fer-à-cheval proposée sur la hauteur Lebat 4.
Les circonstances par lesquelles Dautheville a dû changer radicalement son projet pour l’ouvrage à la fois logeable et défensif du Pas de La Masque, sont déterminées par une délibération du Comité des fortifications d’aout 1843, estimant qu’une caserne, en ce point central et peu vulnérable de la montagne, offrirait une capacité d’hébergement de troupe bien plus importante que celle d’une tour. En l’occurrence, cette capacité, estimée à 200 hommes sur des couchettes 5 était quatre à cinq fois celle de la tour de Beaumont ; il est possible que ce fait ait contribué à la non réalisation des tours de Lesteau et du Grand Bau.
On ignore la part d’initiative personnelle du capitaine du génie qui signa le nouveau projet le 15 mars 1844, et dont le nom n’était pas apparu jusqu’alors dans les projets du Faron. Il s’agit de Raymond-Adolphe Séré de Rivières 6, le futur rénovateur du système de fortification du territoire français à partir de 1874. Séré de Rivières, au moment où il conçoit la caserne défensive du Pas de La Masque, soit vers l’automne 1843, est un jeune capitaine du génie de vingt huit ans en poste à la chefferie de Toulon depuis le mois d’avril. Ses capacités personnelles prometteuses, qui s’exerceront aussi en 1845 dans la conception et la réalisation du fort du Cap Brun, lui vaudront une lettre de félicitation du ministre de la guerre.
La caserne défensive du Pas de La Masque ne correspond pas à un modèle-type de réduit défensif, comme ceux alors en cours d’élaboration (pour les batteries de côte) par la commission d’armement des côtes créée en 1841, mais elle se rapproche, par son plan rectangulaire et sa distribution intérieure, des plus grands corps de garde crénelés « type 1846 » issus des prescriptions de cette commission. Elle est cependant deux fois plus longue et comporte deux niveaux au lieu d’un. De plus le dessin de l’édifice s’autorise des citations de l’architecture militaire du XVIIe siècle (échauguettes d’angle, cordon), signe, sans doute, de la culture de son concepteur en la matière. Le résultat est à la fois monumental, au mépris de tout souci de défilement, et assez peu moderne d’aspect, d’où le qualificatif d’ « énorme maison forte d’un autre âge » que lui a attribué, cent cinquante ans après sa construction, un historien de la fortification lui-même lieutenant colonel du génie, Philippe Truttmann 7. On notera toutefois, au chapitre de la modernité de l’ouvrage, que Séré de Rivières a choisi pour le pont-levis un système inventé en 1843 par l’un de ses collègues de la chefferie du génie de Toulon, le capitaine Devèze 8, système qui eut un bel avenir.
En mars 1844, le directeur des fortifications Sicot demande l’imputation d’une somme de 100000 francs sur la réserve des fonds des travaux extraordinaires, pour l’achèvement de « la caserne retranchée Lebat » 9.
D’après le dessin fait à cette date par Séré de Rivières, les fossés sont creusés et seules les travées extrêmes et le mur nord de l’édifice sont construits sur une certaine élévation. Toute la partie centrale, citerne comprise, toutes les voûtes et les superstructures restent à faire.
Le projet pour 1845, présenté par le nouveau chef du génie Corrèze, successeur de Dautheville, comporte un article consistant à « terminer la caserne défensive du Pas de la Masque et construire une batterie de flanc à gauche du retranchement avec sa caponnière de communication » 10, la planche de plans indiquant que la caserne est terminée, et son intitulé précisant qu’il s’agit seulement d’en régler les glacis. Les circonstances particulières du début du chantier sont rappelées dans le mémoire, pour justifier les dépassements de la dépense initialement prévue : « Par suite de l’arrivée tardive de l’avis du Comité, cette caserne a été commencée sur la fin de 1843 seulement, et sans état estimatif préalable vu qu’elle a été substituée à une tour projetée sur ce point ». L’état estimatif fait en 1844, était de 100.000 francs, alors que les travaux n’étaient pas assez avancés pour permettre de juger de l’importance et du coût exact des déblais de roc, d’où un dépassement de 4700 francs sur ce poste. D’autres surcouts sont mentionnés, dont un dû au fait que l’essentiel des encadrements des fenêtres ont été finalement exécutés en pierre de taille plutôt qu’en briques, parce que ces dernières n’auraient « pas résisté aux intempéries ».
Les sommes dépensées en 1843-1844 s’élèvent à 158.980 francs ; celles demandées pour 1845 à 29.700 francs. Une partie de cette somme est destinée à organiser les abords de la caserne : le chemin d’accès montant au sud en courbe, une terrasse étroite sur deux côtés de la caserne (ouest et façade d’entrée sud) formant chemin couvert avec au centre du front d’entrée un saillant en épi type « place d’armes » que traverse le chemin d’accès, enfin, des glacis partant de ce chemin couvert, ou, pour les autres côtés, directement de la contrescarpe du fossé.
L’autre partie de la dépense doit servir à créer une batterie sur le retranchement en pierre sèche plus ancien au nord et en contrebas de la caserne, très propice selon le chef du génie Corrèze : « Le retranchement du Pas de la Masque est terminé sur la gauche par une saillie de rocher escarpé formant un beau flanc qui éclaire non seulement le pied du retranchement, mais encore une partie du versant nord de la montagne et le vallon de Favière. Ce flanc semble fait exprès pour recevoir une batterie ». Cet aménagement exige quelques déblais de roc peu coûteux demandés pour 1845, avec création des terre-pleins et mise en communication carrossable avec le chemin qui descend au retranchement. L’organisation est prévue en partie en pierre sèche. Corrèze propose en outre une communication en caponnière de la caserne à la batterie, partant de l’angle nord du fossé de la caserne et ferme à la gorge le retranchement. La pente de 20% la rendrait impraticable pour les voitures, d’où un parti de chemin de pente plus douce (adaptation d’un ancien chemin d’exploitation de carrière) allant près de la batterie, suivi d’un escalier pour y descendre.
Ce projet d’aménagement du retranchement existant fait suite à l’abandon d’un autre projet plus ambitieux présenté pour 1844 par Séré de Rivières et Dautheville, qui aurait consisté à « escarper » les gorges qui recoupent la continuité de la crête rocheuse entre le retranchement du Pas de la Masque et celui du Pas de Leydet, pour créer une sorte de retranchement continu haut de 4m surmonté d’un mur de pierre sèche haut de 2m. 11
La batterie sommaire et petite proposée en 1845 a sans doute été réalisée, d’autant qu’une faible partie de la garnison de la caserne pouvait suffire à son service.
Un état non détaillé des bouches à feu armées de la place de Toulon, en date du 30 juin 1847, donne un chiffre de quatre canons pour la « caserne du Pas de la Masque » 12. Il semble probable, d’après des indices fournis par des sources postérieures, que ces quatre pièces aient été réparties en deux points différents : deux à l’emplacement nord, sur le retranchement, et deux autres sur la petite place d’armes en épi sommairement retranchée devant l’entrée de la caserne, permettant des tirs vers la route et la tour Beaumont, à l’ouest.
Des batteries de la génération 1870 à l’abandon
Retranchement, façade du magasin enterré 1875 sur la terrasse basse flanquante ouest de la batterie.
En 1870 avait été présenté pour l’exercice 1870-1871 un projet de « fort central » 13 conçu en fonction des données d’un projet général de camp retranché sur le Mont-Faron, rédigé en mai 1867. Ce fort de plan quadrangulaire bastionné avec batterie en forme de cavalier au centre offrant des tirs en éventail du nord-ouest au nord-est, était central sans se situer à proximité immédiate de la « caserne centrale ». En effet, il aurait dû être implanté à 700m au sud-est, près du col du Grand Bau, sur la hauteur des Guillets. Mais le projet général de 1867-1870, qui est à l’origine du fort de La Croix-Faron, fut entièrement reconsidéré en mars 1873 par le colonel Le Masson, directeur des fortifications, auteur d’un rapport circonstancié sur la défense terrestre éloignée de la place de Toulon.
Le projet de « fort central » ne fut pas maintenu dans le nouveau projet général issu du rapport Le Masson, car ce directeur des fortifications avait jugé préférable de donner au fort de la Croix-Faron une importance capitale au sein du dispositif, aux dépens d’autres ouvrages projetés ou existants. Un mémoire rédigé par le lieutenant colonel Boulangé, chef du génie de Toulon, au début de l’année 1874 indique qu’on projette alors : « d’établir des batteries aux abords du Pas de la Masque » L’armement de « la batterie existante devant la caserne du centre » est de deux pièces d’artillerie, et peut en comporter trois, aucune autre batterie existante n’est mentionnée, mais il est aussi question, pour améliorer la défense à longue portée vers le secteur nord du Faron, d’un projet de batterie au nord-ouest de cette même caserne, qui pourrait accueillir six pièces. 14. Il s’agit sans doute en partie de l’emplacement de batterie du retranchement, relié à la caserne en caponnière, qui semble donc désarmé à cette date.
Cette batterie a été effectivement retouchée par l’ajout d’un petit magasin, mais elle a été augmentée d’un nouvel emplacement distinct, environ 200m plus à l’est et en contrebas, pour accueillir tout ou partie des six pièces projetées. Cette nouvelle batterie est conçue non en compensation de l’abandon du projet de fort Central, mais en alternative partielle d’un autre projet de batterie fermée de seize pièces, plus à l’est, vers le Pas de Leydet, mentionné dans le mémoire Boulangé de 1874. Les aménagements nouveaux du Pas de la Masque sont d’ailleurs indépendants de la batterie préexistante « devant la caserne », qui conserve ses deux pièces, ce qui fait un total de huit canons sur le site.
Un rapport de la délégation des comités techniques de l’artillerie et du génie, établi par les généraux de division de La Hitte et Gillon, daté du 13 novembre 1891, mentionne que la batterie du Pas de la Masque est garnie de canons (nombre et calibre non précisé) et de trois mortiers de 22 cm ; ce même rapport mentionne aussi de façon distincte deux canons de 7cm pour la « caserne du Centre ». 15 Cette dernière position devant l’entrée de la caserne correspond sans doute à ce dont on trouve mention ultérieurement sous l’appellation de « batterie de la Caserne ».
En 1872, une nouvelle voie carrossable avait été créée à la place d’un chemin muletier à escaliers, pour permettre une communication directe entre la caserne Centrale et la caserne retranchée du Faron, par le Grand Bau, sans passer par La Croix-Faron.
Abandonnée après la seconde guerre mondiale, la caserne a été vendue à la ville de Toulon, en même temps que l’ancienne batterie, le 17 juin 1961 ; elle a été flanquée à l’est d’importants réservoirs d’eau municipaux qui déparent un peu la qualité du site. Faute de réutilisation, le bâtiment abandonné sans entretien, resté longtemps ouvert, a été pillé progressivement. Baillé récemment à une association, il a été mis en sécurité par occultation des fenêtres et verrouillage de la porte.
Le retranchement est à l’abandon, mais peu ruiné, à la différence de la batterie voisine de 1875, dont les vestiges ont été apparemment détruits lors des aménagements du zoo du Faron, qui s’étend sur son emplacement.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
Le Pas de la Masque, situé vers le milieu des escarpements naturels du front nord du Faron, est, plus qu’un passage étroit en creux de vallon entre deux barres, un secteur assez large dans lequel l’escarpement était à la fois moins haut et moins abrupt. Il est dominé directement au sud par une petite éminence naturelle arrondie, l’un des points hauts du Mont Faron, la « hauteur Lebat » dont le sommet culmine à 546m d’altitude, soit à peu près la même cote que celle de l’entrée du fort de la Croix-Faron.
La route actuelle du Mont Faron, qui reprend à peu près le tracé du chemin, puis route militaire amorcé vers 1766, achevée dans les années 1840, et améliorée après 1872, monte du sud en deux points pour faire une boucle traversant le plateau de la montagne. La branche Est monte par le vallon de la Gypière pour desservir, dans l’ordre, la caserne retranchée du Faron le fort Faron, puis, dans une montée raide en lacets, la Crémaillère du Faron, enfin, en haut de cette montée le fort de la Croix-Faron. Le départ Ouest de la route, passant par le vallon de Saint-Antoine dessert successivement le Fort du Grand Saint-Antoine, la tour de l’Hubac, la Tour Beaumont associée à une batterie et au retranchement du Pas de Leydet. Dans l’intervalle, la route passe sur le plateau en contournant par le sud la « hauteur Lebat ». A l’ouest de celle-ci, au point où la route passe au plus près des escarpements nord et du Pas de la Masque, part un chemin vers l’ouest qui se divise en deux branches, la plus haute monte directement à la plate-forme sommitale pour desservir la caserne défensive du côté de sa façade d’entrée (sud). L’autre branche contourne l’éminence au-dessus de la route, par le sud et par l’ouest, pour desservir l’extrémité nord-ouest du retranchement du Pas de la Masque, et remonter à la caserne en faisant une boucle avec la première branche du chemin.
La caserne est implantée au ras du rebord nord de la plate-forme sommitale de la « hauteur Lebat », en sorte qu’un dégagement aménagé règne devant sa façade sud, conservant peu de traces du petit retranchement, simple parapet de terre avec épi triangulaire, proposé en 1845 devant cette façade pour filtrer les entrées. Mieux conservée que ce parapet, la tranchée rectiligne de communication en caponnière plongeant plein nord de l’angle nord-ouest du fossé de la caserne jusqu’à l’extrémité nord-ouest du retranchement du Pas de la Masque, est en place, longue d’une soixantaine de mètres. Le retranchement règne au plus près à environ à 46m de distance de la caserne et à 20m en contrebas au nord/nord-est, la pente intermédiaire étant régularisée en glacis à pierres coulantes partant de la contrescarpe du fossé de la caserne.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues
Caserne défensive, façade d'entrée sud, élévation extérieure d'ensemble.
La caserne est un édifice parfaitement rectangulaire longiligne de 49,50 m de longueur sur 15m de largeur hors œuvre, environné d’un fossé taillé dans le roc profond de 3m, large de 7m à la crête de la contrescarpe, réduits à environ 5,50m en fond de fossé. En effet, la réservation rectangulaire de l’assiette rocheuse sur laquelle est construite la caserne, plus haute au milieu que sur les bords, est laissée en saillie apparente en pied d’escarpe, avec ses reliefs irréguliers, et non pas retaillée soigneusement à l’aplomb des parements ou chemisée de maçonnerie, ce parti-pris répondant sans doute à un souci d’économie. Cependant la partie centrale de cette même réservation rocheuse a été excavée, sous la caserne, sur une surface rectangulaire de 15m x 9m et une profondeur de 6m pour le cuvelage de la citerne. Ces excavations du fossé et de la citerne ont sans doute procuré une partie significative des moellons ordinaires qui ont servi à la construction. La contrescarpe du fossé est entièrement revêtue d’un chemisage en pierres sèches avec fruit, qui, du côté sud seulement, laisse dépasser en partie basse quelques affleurements du rocher.
La hauteur de la caserne atteint 11,30 m du fond du fossé à la tablette du parapet, et 8,30m du sol intérieur (rez-de-chaussée) à la tablette.
La partition intérieure de l’édifice, parfaitement symétrique, comporte dans la partie médiane cinq casemates transversales voûtées en berceau surbaissé, hautes de 6m à la clef des voûtes et larges d’autant L’élévation de ces casemates était recoupée en deux niveaux par un plancher intermédiaire (disparu) dont les poutres reposaient sur des corbeaux engagés dans les murs de refend. Dans cette partie de la caserne, l’épaisseur murale tant des façades que des murs de refend, est de 1m. La série des cinq casemates est contrebutée latéralement, à chacune des deux extrémités, par une travée de culée large de 5,80m dans œuvre, subdivisée en trois casemates étroites (2,75m) voûtées dans l’axe longitudinal. Les murs de façade nord et sud de ces dernières travées sont surépaissis jusqu’à 2,85m aux dépens du volume intérieur pour absorber la poussée des voûtes des trois casemates étroites ; un faible ressaut vertical détache au-dehors cette travée, créant une animation sur les longues façades.
Chaque grande casemate est percée dans l’axe, de part et d’autre, d’une vaste fenêtre (jour de 1,50m de large) débouchant dans les façades, et ces fenêtres, couvertes d’un arc très surbaissé, étaient recoupées par le plancher intermédiaire. Elles dispensaient par leur partie inférieure un jour plongeant au rez-de-chaussée, et par leur partie haute un jour rasant à l’étage. Dans la haute allège de chaque fenêtre est ménagé un créneau de fusillade en fente simple relativement longue.
La casemate d’axe est occupée aux deux-tiers par le vestibule d’entrée de la caserne, en sorte que la porte à pont-levis, axe de symétrie de la façade, occupe largement le mur sud de cette casemate. Ce dernier est d’ailleurs épaissi vers l’intérieur pour offrir la profondeur nécessaire à la composition extérieure de la porte : une grande arcade délarde le mur sur toute la hauteur de la façade, son arc segmentaire confinant au cordon du parapet ; cette arcade abrite en renfoncement la porte proprement dite, couverte d’un arc plein-cintre, elle-même inscrite en retrait dans le tableau rectangulaire prévu pour l’effacement du tablier du pont-levis en position relevée ; au-dessus de cet encadrement, le mur prend un fruit qui permet de donner à la partie supérieure de la grande arcade une profondeur suffisante pour dégager dans l’intrados de son arc un mâchicoulis qui reprend le principe de ceux contemporains du fort Faron et de la tour Beaumont. Caserne défensive, façade d'entrée sud.
Vers l’intérieur, le vestibule est encombré en partie par l’importante saillie (env. 3m) des deux murs latéraux délardés d’une rampe de roulage en doucine, destinée à recevoir le système de contrepoids à roues et disques du modèle de pont-levis conçu par le capitaine Devèze. Dessiné en 1844 par son inventeur pour la porte du fort du Grand Saint-Antoine, finalement non réalisé pour ce fort, ce modèle a été retenu pour la caserne défensive.
Une trappe au sol du vestibule trahit la présence en sous-sol d’une des deux travées de la citerne, l’autre étant sous la casemate immédiatement à droite en entrant ; ces deux travées de citerne sont moins longues mais aussi larges que les casemates et voûtées comme elles en berceau surbaissé. Le tiers postérieur de la casemate d’entrée était cloisonné du vestibule par un mur maigre (disparu) et affecté au casernement.
La distribution des casemates est assurée en corridor par une série de portes percées en enfilade au milieu des murs de refend, une au rez-de-chaussée, une pour l’étage, dont l’arc pénètre dans les sommiers des voûtes des casemates.
Les deux travées-culées tripartites terminant la caserne aux deux extrémités sont strictement symétriques en plan, avec leurs trois grandes fenêtres percées dans le mur de fond, soit les petites façades latérales Est et ouest de la caserne. La seule différence à l’origine tient à l’utilisation de la casemate centrale de la travée Est comme cage de l’escalier à rampe droite qui desservait l’ensemble de l’étage sous voûtes, mais accède aussi à la terrasse couvrant le tout. Cette casemate centrale de la travée tripartite Est n’en était donc pas une, faute de voûte ; le débouché de l’escalier sur la terrasse est abrité sous une guérite carrée.
Si la fonction de casernement des troupes des grandes casemates est évidente, celle des petites casemates des travées-culées d’extrémités, également divisées en deux niveaux par le plancher intermédiaire qui recoupait leurs grandes fenêtres, est plus conjecturale. Elle peut être reconstituée par comparaison avec l’économie des corps de garde défensifs normatifs du type fixé en 1846 pour procurer des réduits aux batteries de côte, lesquels, quoique moins longues et à niveau unique, comportent aussi des grandes casemates transversales et des travées-culées tripartites. Les petites casemates de ces travées-culées y sont en partie à usage de magasins, en partie à l’usage de chambres pour le chef de poste ou le gardien. Toutefois la caserne du Pas de la Masque n’étant pas conçue à l’origine pour servir de réduit à une batterie, on peut exclure les fonctions de magasins à poudres et de magasin d’armement. Celle de magasin à vivres demeure pertinente pour un ou deux rez-de-chaussée de casemate de culée, de même que l’affectation à une cuisine. On notera que la casemate d’axe de la travée-culée ouest a été neutralisée en rez-de-chaussée par un repentir précoce qui a créé une poterne à la place de l’allège de la fenêtre, pour permettre une sortie directe dans l’axe du corridor, traversant le fossé sur une passerelle, mais aussi y descendant pour desservir la communication en caponnière vers le retranchement du Pas de la Masque.
Reste, pour les étages de ces petites casemates de culées, la fonction de chambres d’officiers et de sous-officiers, qui, à l’échelle de cette caserne, ne doit pas être sous-estimée.
La terrasse supérieure, d’un seul tenant, est bordée d’un parapet maçonné sur cordon, épais et peu élevé, avec tablette, mais sans créneaux ni embrasures. Elle est pourvue à chaque angle d’une échauguette à cul-de-lampe de plan pentagonal, d’un modèle intégrant le cordon qui, on l’a vu, rappelle ceux des XVIIe et XVIIIe siècles. Aujourd’hui tronquées, ces échauguettes étaient plus hautes que le parapet et découvertes, leur mur maigre percé de créneaux de fusillade en fente (comme l’échauguette centrale du front de tête du fort Faron). La terrasse pouvait recevoir des pièces d’artillerie sur les reins des voûtes à l’épreuve des casemates, tirant à barbette par-dessus le parapet, mais elle ne comporte aucun aménagement spécifique et n’a jamais été conçue comme une batterie haute permanente.
Caserne défensive, détail de l'échauguette sud-ouest.
Le retranchement du Pas de la Masque est défini par un mur en pierre sèche linéaire de tracé très irrégulier en plan, adapté aux sinuosités d’un escarpement rocheux en partie artificiel. Ce mur délimite et soutient une terrasse ou chemin de ronde long d’un peu moins de 250m et large de deux à trois mètres jusqu’au pied du glacis qui part de la contrecarpe fossé nord de la caserne. Ce glacis régulier a été aménagé lors des travaux de 1845 pour ne laisser aucune anfractuosité ou angle mort entre la caserne et le retranchement.
Au pied du mur de terrasse du retranchement, l’escarpement naturel est retaillé en front vertical d’environ 5m de hauteur, créant au pied un palier, sorte de fossé, dont les déblais forment un bourrelet de contrescarpe et un glacis très pentu à pierres coulantes, bloqué au pied. Le chemin de ronde, qui n’est pas à un niveau constant et comporte donc des segments en escalier, est terminé à ses deux extrémités par un saillant flanquant de plan organique portant une terrasse plus spacieuse. Celui de l’extrémité gauche (ouest), le plus ample et le plus proche de la caserne, forme en plan un double redan en tenaille. Il a été aménagé en 1845 pour recevoir une petite batterie, la terrasse de son redan Est, de plain-pied avec le chemin de ronde, étant surplombée de 3m environ par celle du redan nord-ouest. Chacun de ces deux étages de terrasse était adapté à une pièce d’artillerie. Les murs de revêtement en pierre sèche de ce saillant ou batterie ont été repris et maçonnés en partie supérieure pour former un parapet garde-corps. La gorge, défilée par le rocher naturel en partie chemisée, mais en vue de la plate-forme de la caserne, comporte une rampe incurvée montant du chemin de ronde vers l’ouest, distribuant la terrasse supérieure. Elle y rencontre le débouché inférieur de la communication en caponnière rectiligne déjà mentionnée, venant du fossé de la caserne, taillée en tranchée dans le rocher, avec bourrelet extérieur prolongé jusqu’au revêtement de la batterie pour la fermer à la gorge. Cette fermeture est traversée par un autre accès de la batterie, partant d’un coude que forme à l’ouest le chemin en boucle qui dessert l’ensemble caserne et retranchement.
Sous la terrasse haute du saillant-batterie, en appui contre son parapet nord maçonné, est édifié un petit magasin souterrain dont la façade et la porte (aujourd’hui murée) donnent au sud sur la terrasse basse. Le type de cet aménagement, qui rappelle un abri de traverse, est attribuable sans équivoque à la décennie 1870, son usage pouvait être un magasin à munitions à l’usage de la batterie alors étendue à six nouveaux emplacements de tir de ce côté ouest du retranchement.
Structure et mise en œuvre
La caserne est majoritairement bâtie en moellons de tout venant extraits localement, principalement du creusement des fossés et de la citerne. Les parements ordinaires, conformément à l’usage le plus fréquent à cette génération de constructions militaires des années 1840, sont en simple blocage de moellons à peine dégrossis et dressés, peu ou pas assisés, destinés à être entièrement revêtus d’un enduit couvrant, tant à l’intérieur qu’au dehors. Cette mise en œuvre s’étend aux voûtes. Intérieur de la travée casematée d'entrée, avec murs d'accroche du pont-levis à la Devèze.
L’enduit ancien de la caserne du Pas de la Masque est très bien conservé à l’extérieur, à la différence de ceux du fort Faron ou de celui de la tour Beaumont, en sorte que le blocage n’est guère visible, hors lacunes ponctuelles au pied du mur ouest, que du côté sud, sur le parapet de la terrasse et sur le pan de mur au-dessus de la porte, lessivé par les ruissellements du mâchicoulis. A l’intérieur, l’enduit a largement disparu et semble avoir été piqué, peut-être à la suite de dégradations dues à la perte d’étanchéité de la terrasse.
La pierre de taille, dressée à la boucharde, est employée pour les chaînes d’angles, y compris celles de l’angle à peine saillant du ressaut vertical qui détache les travées-culées sur les grandes façades nord et sud. Elle est employée aussi pour le bandeau ou plinthe en relief soulignant le soubassement des façades, pour le cordon et la tablette du parapet, pour les culs-de-lampe des échauguettes, pour l’encadrement extérieur en chambranle des fenêtres des grandes façades, et pour l’encadrement de la porte à pont-levis, tant arcade à mâchicoulis qu’arcade d’entrée. Les larges claveaux de l’arc plein-cintre de celle-ci ont des joints qui se retournent en crossette pour s’aligner à ceux du tableau d’encastrement du tablier du pont : la clef de l’arc est commune à la plate-bande de couvrement de ce tableau. Dans le claveau sommier est percée la saignée par laquelle passait la flèche ou bras de levage en fer du tablier (qui remplace les chaînes dans le système Devèze). Les jambages de la grande arcade sont chaînés en harpe, à assises concordantes avec celles de l’arcade d’entrée, et l’arc sommital du mâchicoulis est extradossé en escalier.
A l’intérieur, les rampes en doucine de roulage des contrepoids du pont-levis sont conservées, mais les rails de guidage en fer ont été arrachés avec l’ensemble du mécanisme.
Les culs de lampe des échauguettes, en pyramide renversée à trois ressauts largement chanfreinés partant des pierres de chaînage de l’angle sont sobres mais de belle qualité stéréotomique, autorisant une importante saillie de l’encorbellement. Le mur à cinq pans de l’échauguette est construit en brique jadis enduite.
La brique se retrouve à l’encadrement des créneaux d’allège en fente, et surtout à celui, en chambranle, des fenêtres des travées-culées, dans les façades est et ouest, et, dans cette dernière, à l’encadrement de la poterne en allège de la fenêtre médiane. Ces travées-culées ayant été construites en premier, comme on l’a vu, l’essai des chambranles en brique y avait été jugé peu convaincant, du fait de sa médiocre résistance à l’érosion éolienne, d’où l’emploi de la pierre de taille pour les chambranles des fenêtres des grandes façades 16.
Les éléments de second œuvre d’origine ont tous été enlevés, revêtements de sols, menuiseries des baies, mécanisme du pont-levis, passerelle métallique de la poterne. Des plaques fixes en tôle ont été récemment scellées dans les fenêtres pour les occulter, et une grille neuve à deux battants, verrouillée, a été placée à la porte d’entrée.
Les revêtements en pierre sèche de la contrescarpe du fossé de la caserne et ceux du retranchement, au fruit marqué, d’âge différent, sont de mise en œuvre dissemblable : ceux du fossé offrent en parement un blocage assez négligé de moellons irréguliers mais triés et calibrés, sans réglage d’assises. Ceux du retranchement sont constitués d’un blocage en opus incertum mêlant des moellons polygonaux irréguliers de gabarit très divers, dans un assemblage suffisamment soigné pour obtenir un parement assez plan et stable.
La façade du magasin de batterie enterré offre un parement en moellons équarris assez réguliers, dressés très rustiquement, qui correspond au type du parement courant employé au fort de la Croix-Faron en 1870-1875. L’encadrement chainé en pierre de taille lisse de la porte comporte une archivolte-larmier soulignant l’arc segmentaire, comme à la porte d’un des abris de traverse de la batterie de la tour Beaumont, construite vers 1875.
historien de l'architecture et de la fortification