Dossier d’aire d’étude IA04001162 | Réalisé par
Mosseron Maxence
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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  • inventaire topographique
présentation de la commune de Senez
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  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var
  • Adresse
    • Commune : Senez

I. Localisation et géographie

La commune de Senez appartient au canton de Barrême. Elle est limitrophe au nord de la commune de Barrême, à l’ouest de celle de Moriez et Saint-André les Alpes, au sud de celle de Castellane et à l’est de celle de Blieux. L’enclave du Poil, en bordure, sur son côté ouest, de la zone d’étude du Pays d’Asses-Verdon-Vaïre-Var, jouxte au nord la commune de Chaudon-Norante, à l’est de Barrême, et au sud celle de Blieux.

Le village, en bordure de l’Asse de Blieux, est l’un des points les plus bas de la commune (780 m. d’altitude contre 748 m.). Il est baigné par l’Asse, cours d’eau ponctuellement bordé de zones planes propices aux cultures malgré une qualité des terres souvent médiocre, et dont témoignent les toponymes locaux : « les Iscles », « les Aires », « Plan Touchard »...

La localité est située (comme celle de Barrême) à la marge occidentale des affleurements des couches inférieures du Tertiaire du flanc ouest du synclinal nord-sud de Barrême. Ces dernières reposent en discordance directement sur le Crétacé inférieur (marnes bleues). À l'est du village les couches du Tertiaire (dont on ne voit plus le soubassement crétacé) décrivent plusieurs plis mineurs, relativement fermés, dont l'un au moins (celui qui forme la butte de Malvoisin) s'avère avoir fonctionné pendant le cours même de la sédimentation oligocène apto-albiennes). Plus à l'est encore, dans les pentes qui s'élèvent vers Lioux, on traverse un compartiment surélevé où affleurent le Jurassique supérieur et le Néocomien, jusqu'aux marnes bleues apto-albiennes, qui forment le soubassement des prairies de l'ancien village de Lioux, aujourd’hui hameau.

Ce bloc se termine en pointe vers le nord, dans le diapir de Gévaudan, par la réunion des deux bandes de cargneules triasiques qui le délimitent. Celle de l'ouest, très étroite par places, se connecte vers le sud (à la Tuilière de Senez) aux accidents de la pointe septentrionale du bloc de Taulanne. Celle de l'est s'effile vers le sud, dans la surface du chevauchement de l'unité du Castellard (dont le Tithonique constitue le crêt de la Grau de Courchons). Du côté nord-est, le Tertiaire des abords orientaux de Senez s'enfonce sous la montagne du Bois de Lieye, où il est recouvert en chevauchement par du Sénonien, supportant une grosse épaisseur de conglomérats d'Argens. Une lame de gypses, connectée au diapir de Gévaudan, est injectée le long de la surface de chevauchement. Le gypse est également présent au hameau du Gipas, toponyme évocateur, dont le gisement servit à alimenter l’ensemble de la commune. On le reconnaît à sa couleur rose orangé caractéristique (due à la présence d’oxydes métalliques dans le gisement). Sa mise en œuvre intervenait tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des bâtiments.

La commune est bordée à son extrémité est par les plateaux de Courchons et la montagne de l’Aup (1 726 m. d’altitude), qui constitue le point culminant de la zone, et à l’ouest par celle de Vibres (1 692 m. d’altitude). Au sud, on trouve la clue de Taulanne et le Col Saint-Pierre, ancienne voie de passage pour les évêques faisant le trajet entre Senez et Castellane.

L’enclave du Poil est quant à elle plus élevée puisqu’entièrement montagneuse, entre la montagne de Beynes au nord-ouest et celle de la Sapée (point culminant 1 682 m. d’altitude) au sud-est. Le village en lui-même se dresse sur la Côte Chastelar, à 1 220 m. d’altitude, au pied d’un immense rocher long et étroit.

Le climat s’apparente au type de moyenne montagne méditerranéenne, ponctué par des étés chauds et secs jusqu’au 15 août qui détermine un changement climatique vers une intersaison plus humide (printemps et automne). Les hivers sont en général froids et secs. Le régime hydrique est de type orageux et les crues fréquentes par temps de pluie, ce qui a du reste causé bien des problèmes à Senez même (« L’Asse, bien fou qui le passe », dit un proverbe local). Les récits tragiques de noyades dans les cours d’eau soudainement impétueux, charriant de la boue, ne sont pas un mythe, et il arrive qu’on déplore encore aujourd’hui des accidents.

L’appréhension globale du territoire a perdu en lisibilité du fait de la reforestation artificielle ou naturelle, spontanée. Dans le premier cas l’État, souvent seul à même de prendre en charge, de programmer, de planifier et de mettre en œuvre les vastes opérations de reboisement, a commencé les campagnes dans le dernier tiers du 19e siècle ; elles atteignirent un pic dans le premier tiers du siècle suivant. Il faut voir dans cette politique volontariste une tactique pour atténuer les effets désastreux de la torrentialité sur le relief. On a par ailleurs trop tendance à minorer le reboisement spontané, dû au déclin irréversible des activités agricoles et à celui du surpâturage. Les pentes autrefois dénudées sont quoiqu’il en soit recouvertes aujourd’hui de végétation (pins, buis, genêts, taillis, bruyères) qui obstrue et finit par effacer une grande partie de l’ancien petit réseau viaire. Une portion non négligeable des bâtiments agricoles disséminés sur la commune, y compris à immédiate proximité de Senez, et aujourd’hui abandonnés, donc largement ruinés, ne sont plus discernables sans l’aide du cadastre.

II. Histoire

Les recherches archéologiques ont permis de découvrir, au Poil, des vestiges de diverses époques : sur le Chastelar, une grotte occupée à l’époque néolithique ; près du pont du Pas d’Escale, une vaste grotte a été occupée à la même époque1. Mais d’une manière générale ces témoignages restent fort rares. Senez et ses alentours restent ainsi une énigme à l’époque préromaine, faute de sources écrites et archéologiques.

L’histoire de la commune de Senez se confond inévitablement avec celle du village, siège de l’évêché et de l’ancienne cathédrale devenue église paroissiale (Voir le dossier individuel qui lui est consacrée, REF IA04001163). La cité de Senez est très ancienne : fondée par les Gaulois, elle était désignée sous le nom de Civitas Senecensium. Elle devint chef-lieu de district romain avant de se voir érigée en évêché au 5e siècle. Le diocèse de Senez doit son existence à la disparition de deux autres évêchés : celui de Castellane qui tentera à plusieurs reprises de reprendre un siège épiscopal et celui de Thorame. Il est attesté pour la première fois de manière sûre à l’occasion du concile d’Arles en 506 avec l’évocation de Marcellus, évêque de Senez de l’époque, Marcellus. Dès la fin du 6e siècle, les ravages dus aux Lombards et aux Sarrasins engendrent une interruption dans la liste des évêques jusqu’en 993. Le diocèse de Senez, sans doute un des plus petits de France (32 paroisses et 30 succursales), était limité au nord par celui d’Embrun, au nord-ouest par celui de Digne, à l’ouest par celui de Riez et au sud par celui de Grasse et de Fréjus. En 1122 une charte montre l’abbaye de Saint-Victor (sise à Marseille, et dépendant de l’évêché de Marseille) céder ses droits sur Blieux à l’évêché de Senez. Ce dernier avait sous son autorité plusieurs bourgs et malgré la pauvreté générale de son territoire juridictionnel et sa grande exiguïté, résista aux tentatives d’union à un autre siège plus important, comme celui de Vence à travers la bulle du pape Eugène IV datée du 16 juillet 1432, ou celui de Digne au 18e siècle. les évêques successifs rendirent du lieu rendirent hommage en 1351 à la reine Jeanne, puis en 1385 à Marie de Blois et le renouvellent à Louis II en 1399, puis au roi René en 1480 ; ils gardèrent cette possession jusqu’à la Révolution, mais en partie seulement : Jean-Baptiste de Pontevès, coseigneur de Blieux, seigneur de La Clue et autres lieux, en reçut la haute juridiction du roi René en 1474 ; ses successeurs Durand puis Jean II de Pontevès rendirent hommage pour cette seigneurie respectivement en 1499 et 15152.

L’histoire du diocèse est attachée à la réputation de son emblématique évêque, monseigneur Soanen, qui défia jusqu’à son excommunication l’autorité papale en refusant d’abjurer sa vocation janséniste, ce qui lui valut d’être déchu de ses fonctions en 1717 et de mourir en exil à la Chaise-Dieu en 1740. Le territoire communal ne fut pas épargné par les épisodes belliqueux qui émaillèrent la Provence : les troupes du vicomte Raymond de Turenne dévastèrent Senez mais aussi le hameau de Boade en 1390 ; l’invasion de la Provence au 16e siècle troubla profondément le pays : tour à tour les armées impériales inféodées à Charles-Quint puis celle de François Ier, en 1536, puis en 1559, laissèrent les campagnes ravagées et le territoire exsangue. La seigneurie de Senez était divisée entre l’évêque, le chapitre et la famille de Louis de Gauthier, à qui Jean II Pontevès, seigneur de Carcès, avait cédé une partie de ses droits par acte du 11 septembre 1556. Louis en fit hommage au roi en 1560, date à laquelle il reçut commandement de la cité et du château de Senez. Les évêques rendirent régulièrement hommage du XVIe au XVIIIe siècle, et continuèrent à partager la juridiction avec la famille de Gauthier : Jean-Baptiste (hommage en 1723) puis Antoine (hommage en 1764), enfin Antoine-César de Gauthier3.

La zone fut particulièrement touchée par les exactions nazies durant la seconde guerre mondiale, conséquence d’une forte activité résistante de la population. Plusieurs villages et hameaux furent ainsi des refuges ou des zones de rassemblement pour les maquisards organisés en groupes d’action. Ce furent ainsi le maquis Fort de France et le « camp Josette » qui se rassemblèrent notamment dans le village du Poil fin 1943. Les nombreuses stèles commémoratives le long de l’ancienne route nationale 85, à Senez même, témoignent de cet épisode héroïque et tragique de la récente histoire de France. Certaines ruines subsistent qui révèlent les destructions ennemies, ainsi à Lioux, pour l’ancienne école brûlée en mars 1944, qu’un panneau mentionne au randonneur.

Le territoire de la commune s’est agrandi au 15e siècle de la commune de Boades au sud est du village et en 1973 de la commune du Poil, sans limite commune avec Senez, située au nord-ouest du village.

III. Peuplement

Les travaux d’Édouard Baratier sur la démographie provençale permettent de dresser un état des lieux de la population sénézienne, dès l’enquête comtale de 12784, mais pas de l’ensemble des hameaux ou quartiers séparément, puisqu’ils relevaient de la même entité religieuse et administrative. Seule la commune du Poil, rattachée à celle de Senez en 1974, se démarque.

Pour autant, il est possible d’avancer quelques chiffres plus précis hors du chef-lieu (voir le dossier individuel village, REF IA04001163), dont le détail apparaît dans les deux tableaux ci-dessous. En 1278 par exemple l’enquête comtale permettait de dénombrer au hameau de Boades quatorze feux de queste soit environ soixante-dix habitants ; par comparaison, la population sénézienne s’élevait à la même date à six cent personnes, et celle de Castellane à mille deux cents ; le village du Poil comptait quant à lui en 1315 soixante-quatre feux de queste soit environ trois cent vingt personnes.

Le début du 14e siècle marque une valeur haute du développement démographique avant une chute brutale et générale de la population provençale, réduite de moitié au milieu du 15e siècle. La commune de Senez n’échappe pas à la règle. Les chiffres pour Boades en témoignent de manière éloquente. La reprise démographique interviendra dans la seconde moitié du siècle, et sera rapide. On estime en moyenne qu’elle a triplé entre 1471 de 1540 sur l’ensemble de la Basse-Provence. Pour Senez même, entre 1471 et 1728, elle a presque quintuplé (de 30 à 142).

D’une manière générale sur un territoire s’étendant à l’échelle de la géographie bas-alpine, on observe un mouvement de décroissance démographique à partir du milieu du 19e siècle, parfois légèrement plus tôt dans le siècle, à la fin du premier tiers. À Senez le pic est atteint en 1851 (872), mais il intervient après un premier apogée en 1831 (913). Dans la seconde moitié du siècle, le recul fut inexorable et ce jusqu’à la fin des années 1990, avant une très modeste reprise aujourd’hui. La population de la commune du Poil a quant à elle globalement stagné entre 1729 et 1831 (soixante-quatre feux de queste en 1729 soit environ trois cent vingt personnes, trois cent quarante-quatre en 1831), avant de progressivement et d’inexorablement décroître (un peu plus de deux cents habitants en 1900, en incluant au total la population de Preynes et des Moulières, deux hameaux de la commune) jusqu’à disparaître au Poil après la Seconde Guerre mondiale, qui est aujourd’hui un village ruiné (le hameau des Moulières n’est plus habité actuellement que par deux personnes. Même tendance pour le hameau de Lioux, pourtant le plus important après le chef-lieu : près de deux cents personnes au début du 19e siècle, vingt-sept à la veille de la Première Guerre mondiale, six après la Seconde, une seule en 2009 (encore s’agit-il d’une résidence secondaire à proximité du hameau proprement dit, une ferme en cours de rénovation par une personne originaire du département des Alpes-Maritimes, sans attache donc avec le terroir local). Lioux n’est plus qu’une ruine aujourd’hui. Le Villaron également, tout comme le Gipas.

Tableau de la démographie pour la commune de Senez (Ancien Régime)5 :

N.B. : on compte en moyenne qu’un feu correspond à une famille de cinq personnes. Les chiffres de 1765 en revanche sont absolus

Commune ou hameau

1278

1303

1315

1319

1471

1504

1540

1698

1728

1765

Senez

120 + 2

118

111

-

30

60

-

140

142

673

Tableau de la démographie pour la commune de Senez (depuis la fin de l’Ancien Régime)6 :

N.B. : les chiffres sont absolus

Commune

1804

1811

1821

1831

1841

1851

1861

1881

1901

1911

1921

1931

Senez

808

841

880

913

860

872

800

575

472

427

352

274

L'année 1831 désigne le maximum démographique

Tableau de la démographie pour la commune du Poil et le hameau de Boades (Ancien Régime)7 :

N.B. : on compte en moyenne qu’un feu correspond à une famille de cinq personnes. Les chiffres de 1765 en revanche sont absolus

Commune ou hameau

1278

1303

1315

1319

1471

1504

1540

1698

1728

1765

Le Poil

-

-

64

-

-

-

-

50

67

323

Boades

14

11

17

12

0

-

-

-

-

-

Tableau de la démographie pour l'ancien village du Poil (depuis la fin de l'Ancien Régime)8 :

N.B. : les chiffres sont absolus

Commune

1804

1811

1821

1831

1841

1851

1861

1881

1901

1911

1921

1931

Le Poil

328

303

326

344

334

315

314

247

209

187

112

63

IV. Réseau viaire

La commune était traversée par la route Vence-Sisteron, jalonnée par vingt-six bornes milliaires des 3e et 4e siècles. L’une d’entre elles, au nom de l’empereur Caracalla, occupait le territoire communal. Elle marquait le sixième mille sur la voie antique de Castellane à Digne. L’ancienne route Napoléon (actuelle route départementale 4085 et ancienne route nationale 85 jusqu'en septembre 2007) s’est appuyée en partie sur le tracé antique, en partie sur le tracé déjà existant sur la carte de Cassini (rive droite de l’Asse de Blieux). Le cadastre napoléonien levé en 1811 montre en tout cas un franchissement du ravin de Taulanne au lieu-dit La Tuilière, là où il se jette dans l’Asse de Blieux, pour poursuivre son chemin vers Taulanne en longeant ledit ravin. C’est dans ce secteur que fut retrouvée la borne milliaire.

L’enclavement consécutif au relief rendait les communications très difficiles. En outre les pesanteurs administratives de l’Ancien Régime et l’absence d’un véritable corps des ponts-et-chaussée expliquent le grand nombre de chemins vicinaux, muletiers, parfois empierrés voire caladés. Ainsi au-dessus de Lioux pour celui menant de Lioux à Gévaudan (sur la commune de Moriez), lui-même prolongement du chemin de Barrême à Lioux. Napoléon Ier envisagea la construction d’une vraie route mais les difficultés militaires empêchèrent de mener son projet à bien, que Louis-Philippe et surtout Napoléon III reprendront à leur compte.

D’une manière générale les anciens chemins serpentaient le long des crêtes. Certains ont disparu, dont le sentier reliant le hameau du Gipas à celui de Lioux. Notons que le cadastre napoléonien ne signale aucun chemin direct entre Senez et le Gipas (une route goudronnée y conduit aujourd’hui). Pourtant nombre de ces voies existent toujours, même si leur tracé tend à s’effacer, du fait du reboisement mais aussi de la déprise agricole : bien souvent elles ne mènent plus qu’à des habitations voire des hameaux isolés et ruinés, souvent des cul-de-sac, parfois à des zones de cultures ou de pâturage. Le village du Poil en constitue un bon témoignage. Perché à 1 220 mètres d’altitude, le tableau d’expertise pour le cadastre de 1812 mentionne pour y accéder un chemin « très mauvais et coupé par une infinité de ravins et par plusieurs torrents ». La situation n’a guère changé aujourd’hui, même si une piste difficilement carrossable y conduit (fig. 19-20). Certains aménagements ont été réalisés dans le courant du 20e siècle ; c’est le cas de la « route » pour accéder à Lioux, qui emprunte sans l’épouser complètement un itinéraire secondaire ancien différent de l’ancien chemin muletier, qui est d’ailleurs mentionné sur la feuille correspondante mais pas sur le tableau d’assemblage. La stabilité des accotements reste toutefois précaire et par temps d’orage le franchissement des ravins gonflés par les pluies s’avère impossible. Actuellement encore, donc, l’accessibilité de certains hameaux demeure délicate, sans que des aménagements de voirie puissent radicalement changer la donne.

L’entretien des chemins était une préoccupation constante car il conditionnait les communications entre chef-lieu et hameaux ou entre hameaux. Un extrait du registre des délibérations de la Commission départementale du Conseil général des Basses-Alpes en date du 1er février 1892 approuve ainsi le projet de reconstruction d’un aqueduc et de murs de soutènement sur les chemins vicinaux ordinaires numéros 1, 4 et 5 de la commune de Senez9. Les archives révèlent des demandes répétés d’habitants pour voir reclasser leur réseau viaire afin de le prémunir d’un progressif délaissement, surtout lorsque la liaison entre le hameau et le village était réduit à une seule voie d’accès. Ainsi, parmi tant d’autres, un procès-verbal de reconnaissance du 2 avril 1906 atteste-t-il que le conseil municipal de Senez a pris acte de la demande des habitants du Riou d’Ourgeas de voir classer le chemin qui les relie au chef-lieu en chemin vicinal ordinaire au regard de son utilité publique10. Inversement, le déclassement du chemin muletier vicinal ordinaire numéro 3 de Senez à Lioux, prononcé par la commission départementale le 1er juillet 1909, prend en filigrane acte de l’inexorable dépérissement de l’ancien village devenu hameau, bientôt ruiné11.

Tableaux de tous les chemins vicinaux existant dans la commune depuis 1841 à 1872 :

n° d'ordre

noms des chemins

Désignation

Début/Liieux traversés/Fin

Longueur (en m.)

Largeur (en m.)

Réelle/Nominale/Proposée

1

Chemin de Senez au

Pas-d'Escale

Au Village/

Traverse des terres cultivées,

le torrent de Roubion et celui

de Font Jaline/

A la Croix de la Melle

6 000 m

1,80/

3,00/

3,00

2

Chemin de Senez

à Blieux

De la route impériale n° 85

en face de la Maurelière/

Traverse la rivière d'Asse et

le hameau de la Maurelière/

A terre Longue, terroir de Blieux

1 700 m

1,55/

3,00/

3,00

3

Chemin de Senez

à Lioux

Au moulin sur la route impériale n° 85/

Traverse des terres labourables, des terres

vagues et le torrent de Lioux/

Au hameau de Lioux

3 000 m

1,00/

2,50/

3,00

4

Chemin de Senez

à Moriez

Au village/

Traverse le ravin et le torrent du Gipas/

Au terroir de Barrême

5 000 m

1,00/

3,00/

3,00

5

Chemin de Blieux

à Castellane

Aux limites de la commune de Blieux/

Traverse quelques terres labourables

et des rochers/

Au col Saint-Pierre

2 000 m

2,00/

3,00/

3,00

Tableau 1.

n° d'ordre

Motifs des propositions de l'agent voyer quant aux classements nouveaux, aux classements à faire, aux classements existants et aux déclassements.

1

Cette ligne qui a déjà reçu d'importantes améliorations - ce qui prouve son utilité doit former avec son [...rgement] de la commune de Blieux

et du Poil une voie de moyenne communication pour l'entretien de laquelle chaque commune fournirait des prestations et des centimes.

Elle est muletière et seulement.

2

On a fait dans l'état de classement de 1838 porter cette ligne par erreur sans doute; son point de départ se trouve bien plus rapproché

de Blieux et est indiqué dans la colonne 3.

3

Ce chemin est le seul qui dessert le hameau de Lioux, qui se compose de dix-huit habitants. Il a par conséquent un caractère

d'utilité publique et doit être conservé ; seulement sa direction au lieu de suivre le torrent du Pin doit suivre la direction indiquée ci-contre.

4

Attendu que le canton de Senez est celui de la circonscription de Saint-André, il existe beaucoup de relations entre ces deux cantons et ce n'est que par ce chemin qu'elles peuvent avoir lieu. Il doit donc être conservé.

5

Ce chemin fait suit au chemin de Blieux à Castellane ; il est donc indispensable pour la commune de Blieux. Cette ligne doit par conséquent figurer sur le tableau des chemins vicinaux de Senez ; mais son entretien doit toujours rester à la charge de Blieux qui seule y est intéressée.

Tableau 2.

V. Organisation du bâti

Si l’on excepte le site castral sis sur la Roche à l’entrée du village (il sera étudié dans le dossier individuel), l’habitat est regroupé en plusieurs points circonscrits autour de Senez proprement dit. Outre le village de Senez, qui contient la plus forte densité de population de la commune on trouve six hameaux, plus ou moins étendus, parfois ruinés, dont on a peine à mesurer l’importance il y a encore un siècle. Ce sont par ordre alphabétique les hameaux de Boades (fig. 01), du Gipas, de Lioux, de Malvoisin, de la Maurelière et du Riou d’Ourgeas – ceux de Boades, de Lioux, de la Maurelière et du Riou d’Ourgeas possédant même leur chapelle voire leur église, comme le montre la carte de Cassini – ainsi à Lioux et au Riou d’Ourgeas – et certains leur propre école (ainsi à la Maurelière et à Lioux). S’ajoutent à cet ensemble le hameau des Moulières, celui de Preynes et l’ancien village du Poil – son église et son école –, aujourd’hui abandonné, qui font partie de l’enclave rattachée administrativement à la commune de Senez en 1973.

Fermes et entrepôts agricoles émaillent par ailleurs le territoire communal et attestent d’une économie agricole de polyculture vivrière où la culture céréalière mais aussi fruitière jouait un rôle important (voir infra), de petit élevage, aujourd’hui devenu intensif mais très réduit en nombre d’exploitations. Beaucoup de ces bâtiments ne sont plus en activité ; certaines fermes font actuellement office de résidences secondaires, ce qui est d’ailleurs le cas pour une proportion non négligeable du bâti dans le village lui-même. À ce titre, on trouve quelques constructions pavillonnaires, dont les Clots, sur les hauteurs du village, représentent l’ensemble le plus significatif, édifié dans le courant des années 1960 (voir le dossier individuel village, REF IA04001163).

L’appréhension du bâti est problématique dans la mesure où les ruines, parfois aussi les dénaturations, émaillent le territoire, ce que révèle une confrontation entre les cadastres napoléonien et actuel. Ceci, sans prendre en compte les zones autrefois construites qui ne livrent plus la moindre trace visible en surface d’un quelconque édifice, comme c’est le cas pour la partie de Senez bordant l’Asse de Blieux. Le cadastre napoléonien nous apprend par exemple que le hameau de Malvoisin comportait en 1811 treize parcelles bâties. Il n’en reste plus aujourd’hui que des pans de murs informes.

Les deux tableaux ci-dessous donnent un état des lieux pour la commune au début du 19e siècle (1813) du nombre des propriétés bâties. On pourra le comparer, en ce qui concerne le village, avec la situation actuelle (voir le dossier présentation du village correspondant) :

Nature des pptés

classe

nombre

(état au 15 juin 1813

nombre

(état modifé à une date indéterminée)

pptés bâties, imposables

(PBI)

Maisons

1

9

9

PBI

id.

2

12

11

PBI

id.

3

24

24

PBI

id.

4

34

38

PBI

id.

5

52

58

PBI

id.

6

95

104

PBI

Total des maisons

226

244

PBI

Fours

1

1

1

PBI

id.

2

1

0

PBI

Moulins

1

1

1

PBI

id.

2

1

1

PBI

Total PBI

230

247

PBI

Bâtiments nationaux ou destinés

au service public

1

1

pptés bâties, non imposables

(PBNI)

Eglises, presbytères

3

3

PBNI

Total global

234

251

PBI + PBNI

SENEZ (population 891 habitants). Fait à Digne, le 15 juin1813 : Classement parcellaire des revenus imposables des propriétés bâties de la commune (AD 3 P 290)

Section

A

B

C

D

E

TOTAL

Four

0

0

0

0

2

2

Maison

50

12

1

39

124

226

Moulin

1

1

0

0

0

2

TOTAL

51

13

1

39

126

230

Total pour Senez (par section)

Il est possible d’identifier deux typologies principales d’habitat, chacune se scindant en deux sous-groupes :

1) Habitat groupé :

- en village (chef-lieu)

- en hameau

2) Habitat isolé :

- exploitation isolée de type ferme avec ses bâtiments agricoles à proximité immédiate

- bâtiment agricole isolé de type entrepôt ou remise agricole

Dans le cas de l’habitat groupé en village il conviendrait d’établir une distinction entre d’une part le village chef-lieu (Senez), d’autre part le village du Poil, qui a tenu le même rôle lorsque la commune du Poil était indépendante. Ceci étant posé on observe trois configurations : la première présente une formation en village-tas (c’est le cas de Senez), organisé en îlots peu denses selon un axe nord-est/sud-ouest (Asse/ancienne cathédrale) et nord-ouest/sud-est (ravin de la Bonde/plan des Aires). Mais là encore manque pour une appréciation plus fine tout le bâti détruit à proximité de l’Asse. La seconde configuration détermine une forme en village-rue : c’est le cas du Poil, calé contre une barre rocheuse longue et étroite, appuyé contre la pente naturelle, ou encore, de façon plus caractéristique, du hameau de la Maurelière au sud de Senez, en bordure d’Asse, selon un axe unique nord-ouest/sud-est. La troisième configuration s’apparente à une forme ramifiée en grappe, sans réel centre. On la retrouve au hameau du Riou d’Ourgeas, avec deux groupes d’habitations, très nettement perceptibles sur le cadastre napoléonien. Le hameau de Lioux, où trois parties se détachent distinctement, l’une se divisant elle-même en deux, est particulièrement intéressant car il combine différentes formes, tel qu’il apparaît dans le tableau ci-dessous établi d’après le cadastre napoléonien :

Forme générale en grappe* (FGG)

FGG

FGG

FGG

FGG

FGG

Formes de la grappe (FG)

FG

FG

Hameau de Lioux

(A)

Nbe de parcelles

îlot aggloméré

Alignée à rang simple

Alignée à double rang

Grappes

B

7

+

Grappes

C

6

+

Grappes

C

13

+

Grappes

D

14

+

*le cadastre est composé comme suit : A correspond à l’ensemble du hameau ; B, C et D aux trois grappes prises en compte dans le tableau

L’habitat isolé présente deux aspects. Il peut concerner une exploitation agricole complète de type ferme avec le corps de bâtiment principal et ses différentes annexes, telles que entrepôt, remise, four éventuellement, l’ensemble occupant une portion restreinte du domaine agricole proprement dit. L’exploitation de Preynes dans l’enclave du Poil en fournit un échantillon remarquable, parce qu’il réunit à la fois la ferme avec ses composantes traditionnelles et la maison disposant de ses propres fonctions agricoles (cadastre actuel 1986 33, 34 et 20b. Voir le dossier individuel correspondant, REF IA04001207) sur un faible périmètre. L’exploitation Isnard, plus étendue, en offre un autre exemple : elle se déploie sur les pentes de la Rouvière et montre l’évolution du domaine de la polyculture fruitière jusque dans les années 1940 au tournant de l’élevage ovin devenu aujourd’hui intensif (porcs puis brebis). La cellule initiale constituée d’une ferme et d’entrepôts agricoles (1986 A2 1089) a glissé le long de la pente autrefois couverte d’arbres fruitiers en bordure de la route départementale 4085, avec une nouvelle ferme servant de bergerie accompagnée d’entrepôts et d’une autre bergerie dévolue à l’élevage.

Ce premier aspect désigne une structure autonome. L’autre cas de figure concerne les bâtiments agricoles disséminés sur le territoire, cabane d’estive, bergerie, remise avec éventuellement un logis saisonnier lors des travaux des champs. Ces unités fonctionnelles ne sont pas autonomes et sont complètement isolées dans le terroir. On notera toutefois que le territoire, même s’il présente des zones en altitude, ne dispose pas de prés d’alpage. Elles étaient attachées à des exploitations isolées ou à des habitations en typologie groupé (hameau ou village), les domaines étant parfois très étendus et parfois morcelés. Il n’est donc pas rare que plusieurs kilomètres séparent des unités bâties appartenant à un même propriétaire.

Un peuplement réticulaire : les possessions disséminées sur le territoire

Les tableaux d’expertise pour la commune de Senez établis en 1812 apportent des informations importantes pour mieux comprendre les façons d’habiter le territoire. On remarque en effet qu’il n’était pas rare qu’une même personne possédât plusieurs propriétés bâties, de différentes natures le cas échéant : maisons, chambres (donc partie de maison), bâtiments agricoles tels que ferme. La plupart du temps, ces édifices sont circonscrits dans un périmètre réduit autour d’un hameau, mais il arrive que les distances soient plus importantes. Ainsi de monsieur Chrisostome Tartanson déclaré propriétaire des parcelles mitoyennes E 66 (l’ancienne « dixmerie ») et 70 au village de Senez, sur la place du Coulet, et de la parcelle D2 1426 correspondant à la ferme dite de Chaurits, isolée, avec les terres afférentes. Honoré Bondil quant à lui possédait une maison dans le chef-lieu (la parcelle E 60, elle aussi sur la place du Coulet), une autre dans le hameau de Malvoisin (parcelle A2 2767), une autre à la sortie de ce même hameau (A2 2747) et il partageait la propriété du moulin à eau et à farine à la sortie du village (A 789). Cela ne signifie pas bien sûr qu’il occupait successivement ces lieux : il devait recourir à la location, qui lui assurait une partie de ses revenus. Typiquement, les fermes pouvaient être louées à des exploitants moyennant une partie de la récolte. Les cas de ce genre abondent à Senez. Certains étaient propriétaires d’un pied-à-terre dans le village ou dans un hameau (une chambre simple parfois, c’est-à-dire une pièce) et d’une ferme dans le terroir, qu’ils devaient occuper les mois d’été pour les travaux de la terre. Le témoignage d’Albert Cotte nous éclaire sur un phénomène traditionnel : l’occupation saisonnière (successivement dans la maison de village – en l’occurrence au Poil – et dans la « bastide » de campagne à Chabannes, à distance réduite – 2 kilomètres à vol d’oiseau dans le cas présent). L’hiver se passait au village, puis la famille se déplaçait avec le cheptel entre mai et octobre.

Dans ce schéma général il est difficile de s’entendre sur les dénominations. Car ce que les tableaux d’expertise et les matrices cadastrales désignent sous le vocable « maison » voire « bastide » peut déterminer ce qu’aujourd’hui nous appelons une ferme, à plus forte raison lorsqu’il prend place dans le terroir, de manière isolée.

Dernière remarque : le même patronyme revient à 4 reprises pour les quatre habitations composant le Riou d’Ourgeas en 1811 : Granet, avec des membres tous différents. Parcelle 1166 (actuelle parcelle 1080) : Jean-Baptiste ; parcelle 1167 (actuelle parcelle 1081) : Jean Honoré ; parcelle 1487 (actuelle parcelle 1103) : Joseph dit Jérôme ; parcelle 1488 (actuelle parcelle 1104) : Valentin. Il s’agit d’un cas extrême, mais il doit être considéré avec sérieux : les hameaux agricoles de taille modeste semblaient fonctionner par apparentements. Quelques familles au maximum les composaient.

Dans les procédés de construction, d’une manière générale on utilisait pour la mise en œuvre les matériaux disponibles sur place. Le calcaire domine largement, employé en moellons souvent non équarris à l’exception des chaînes d’angle, plus travaillées. On trouve aussi parfois du grès, du galet voire du tuf (à proximité des sources), mais ces matériaux demeurent des compléments minoritaires. Le liant principal est le mortier de gypse, qui peut être couvrant à la couleur ocre-rouge caractéristique ; le hameau du Gipas en possédait une carrière. Le système de voûte reste une rareté sur la commune (fig. 40) : on lui préfère systématiquement le plancher plat. La maçonnerie, de médiocre qualité, ne recevait pas de décor : les exceptions relèvent toutes de bâtiments de taille importante, d’ailleurs souvent ruinés aujourd’hui. En revanche, les intérieurs pouvaient recevoir, en guise d’isolant (murs et planchers de bois, ces derniers préalablement bûchés), de l’enduit de plâtre. Selon un principe répandu, et notamment en ce qui concerne le bâti isolé, on n’hésitait pas à s’appuyer sur le rocher non exploitable pour économiser le terrain cultivable et les matériaux de construction.

VI. Économie rurale

1. Les activités agricoles

L’agriculture constituait la principale source de revenus, mais les méthodes de culture ne donnaient que des rendements médiocres : longtemps les labours, peu profonds, se pratiquèrent à l’araire en bois avec des bœufs pour unique force motrice. L’élevage constitue la principale ressource locale aujourd’hui, l’économie agricole étant devenue marginale. Il est essentiellement ovin (moutons, brebis) et intensif, ne reflétant pas dans ses proportions la réalité historique ancienne de cette sorte d’élevage, qui se limitait dans la seconde moitié du 19e siècle, sinon à quelques têtes, à une moyenne maximale de deux, trois voire quatre dizaines pour les plus gros élevages, quand les moyennes tournent aujourd’hui autour de plusieurs centaines de têtes (voir les chiffres ci-dessous). La baisse sensible au tournant du 20e siècle illustre le déclin rural. L’élevage caprin complémentaire désignait généralement la pauvreté du propriétaire. Traditionnellement, chaque famille pouvait disposer en sus de quelques chèvres, d’un ou deux cochons, faisait de l’élevage de poules et de lapins, et plus rarement possédait un mulet voire un cheval pour les travaux des champs et le transport de charges. L’élevage bovin, secondaire, servait essentiellement à la production laitière, à la traction ou à la consommation (voir les données ci-dessous). Les chiffres pour l’affouagement de 1471 qui recensent non seulement la population mais dressent aussi l’inventaire des ressources en terres et en troupeaux pouvant être soumis à la taille donnent une idée de la répartition des espèces animales à Senez dans une proportion qui semble n’avoir guère varié jusqu’au 20e siècle :

Commune

ânes et chevaux de bât

brebis ou chèvres

vaches laitières

boeufs

SENEZ

13

330

8

30

Les statistiques et états pour la période entre 1855 et 1955 apportent des précisions sur la nature et le nombre de têtes déclarés pour Senez avec le nom de leur propriétaire respectif :

- le 19 décembre 1867 étaient déclarés, pour 59 propriétaires, les chiffres suivants pour les bêtes destinées à l’usage : bêtes de somme : 68 ; bœufs ou vaches : 5 ; brebis ou moutons : 1047 ; porcs : 60 ; total : 1180

- le 21 novembre 1880 étaient déclarés, pour 43 propriétaires, les chiffres suivants pour les bêtes destinées à l’usage : bêtes de somme : 47 ; bœufs ou vaches : 20 ; brebis ou moutons : 1358 ; porcs : 45. Et pour celles destinées au commerce : brebis ou moutons : 286 ; porcs : 1. Le total s'élevait à 1757 têtes.

- le 10 novembre 1889 étaient déclarés, pour 47 propriétaires, les chiffres suivants pour les bêtes destinées à l’usage : bêtes de somme : 56 ; bœufs ou vaches : 45 ; brebis ou moutons : 997 ; porcs : 97. Et pour celles destinées au commerce : brebis ou moutons : 608 ; porcs : 21. Le total s'élevait à 1774 têtes.

- le 25 novembre 1912 étaient déclarés, pour 41 propriétaires, les chiffres suivants pour les bêtes destinées à l’usage : bêtes de somme : 53 ; bœufs ou vaches : 4 ; brebis ou moutons : 825 ; porcs : 30. Et pour celles destinées au commerce : brebis ou moutons : 686 ; porcs : 28. Le total s'élevait à 1629 têtes.

- le 27 novembre 1921 étaient déclarés, pour 28 propriétaires, les chiffres suivants pour les bêtes destinées à l’usage : bêtes de somme : 6 ; bœufs ou vaches : 4 ; brebis ou moutons : 584 ; porcs : 0. Et pour celles destinées au commerce : brebis ou moutons : 376 ; porcs : 1. Le total s'élevait à 968 têtes.

L’économie rurale s’est surtout essentiellement appuyée sur les cultures céréalières (froment principalement et dans une moindre mesure orge, seigle, avoine) et fruitières (prunes en premier lieu, mais aussi pommes, poires et pêches ; amandes en quantité plus restreinte, voir les chiffres en annexe). On cultivait aussi le chanvre et les légumes pour une consommation personnelle, mais pas seulement. Les statistiques de l’An XII, en 1804, indiquent en effet pour la pomme de terre une production de 900 charges à Senez, qui excédait les besoins de la population. Le surplus était donc vendu sur les marchés, ainsi que quelques autres produits locaux, parfois « travaillés » comme les fruits séchés, ou bénéficiant d’un attrait ciblé mais très lucratif, comme la lavande. Nous y reviendrons. Les prés de fauche, destinés au fourrage pour les bêtes, se répartissaient sur l’ensemble du territoire communal, y compris en altitude lorsque l’arrosage était satisfaisant. L’arrosage pouvait être contrôlé grâce à des canaux d’irrigation.

L’augmentation très sensible de la production céréalière entre 1860 et 1869 (multiplication par 2 pour le méteil et le seigle, par 2,5 pour le froment, par 8 pour l’avoine), avant un retour à des chiffres plus conformes aux surfaces ensemencées précédentes, reste un phénomène à expliquer. S’agit-il d’un contexte local ou plus large ? Par ailleurs, les données à partir de 1904 montrent un resserrement de la culture céréalière sur le froment exclusivement, dont les chiffres décroissent progressivement entre cette date et 1941 pour atteindre un total étique inférieur à 9 hectares cultivés. Faut-il corréler cette baisse à l’essor des transports notamment grâce à l’inauguration de la ligne du Train des Pignes à l’extrême fin du 19e siècle, reliera directement Digne à Nice via Barrême à partir des années 1910, rendant l’approvisionnement plus facile ? Elle est en tout cas bien évidemment liée à l’exode rural qui s’est enclenché dans la seconde moitié du 19e siècle.

Un quartier pouvait avoir sa spécialité. Le hameau de Lioux était ainsi considéré comme le grenier à blé de Senez, avec des terres de bonne qualité permettant de bonnes récoltes ; on y cultivait aussi le seigle, l’épeautre, la lentille, le pois chiche et la gesse. Le quartier de Malvoisin était quant à lui réputé pour sa production fruitière (poires, pommes, prunes), y compris de fruits secs (amandes et noix), qu’agrémentait une production beaucoup plus limitée de légumes secs (haricots, petits pois et lentilles). Certains quartiers pratiquaient presque la monoculture : ainsi au Riou d’Ourgeas, avec la prune (« perdigone »). On avait l’habitude de dire que les usuriers faisaient crédit aux habitants de ce hameau avec comme garantie la récolte de prunes à venir.

Les terres planes en bordure de l’Asse constituaient un avantage et un inconvénient non négligeable. De fait, si l’arrosage s’avérait parfois compliqué pour certains quartiers (au Gipas par exemple. À Malvoisin, l’eau faisait cruellement défaut), elles s’exposaient régulièrement aux crues fréquentes du cours d’eau capricieux, noyant plus d’une fois et donc ruinant les récoltes.

La commune occupant un territoire marqué par des écarts d’altitude et des expositions variées en fonction des terrains de cultures, il n’est pas rare de voir relayées des observations relatives à des retards dans les récoltes pour les zones les plus élevées. Le tableau d’expertise pour la commune, rédigé en 1812, se fait l’écho des difficultés rencontrées par le sieur Brun de Boades, dont les biens consistent en « quatre domaines affermés séparément. Cette propriété est située au nord et au couchant dans la montagne, en sorte que les moissons s’y font beaucoup plus tard que dans les autres parties du terroir. Les blés y sont exposés plus longtemps aux froids, aux pluies et à la grêle. Ils sont d’une qualité inférieure », poursuit le rédacteur, entraînant de ce fait « une diminution de trois francs par charge au marché ». Le relief nécessitait le recours à des terrasses de cultures qui permettaient, sur la pente, de réserver des espaces relativement plans.

Une constante apparaît pour l’économie locale jusqu’à la fin du premier quart du 20e siècle. Elle concerne toute la vallée de l’Asse, notamment dans le canton de Barrême, et donc Senez même : la culture de la prune (voir ci-dessous en annexe). On ne saurait assez souligner l’importance, historiquement avérée, de ce fruit, aux variétés diverses, dont la reine – la « perdigone » – a fait la réputation de la commune sous la forme des pistoles (fruit dénoyauté, pelé, écrasé pour lui donner une forme caractéristique de pièce puis séché sur des claies la plupart du temps en osier), que François Ier avait mis à l’honneur à la cour de France, bientôt imitée par celles de l’Europe entière . Si bien que les vergers de pruniers investissaient littéralement les bords de l’Asse de Blieux à Barrême, parfois jusqu’au pied des reliefs, dans un système de cultures en complantation le plus souvent, afin d’optimiser le rendement. Ils se présentaient dans un système de cultures en complantation, afin d’optimiser le rendement global. La production a périclité après la Seconde Guerre mondiale : il n’en reste plus rien aujourd’hui, et les arbres morts ont presque tous été arrachés.

S’ajoutait la lavande, qui connut son apogée dans la zone bas-alpine entre 1900 et 1950 pour décliner peu à peu jusqu’à extinction de son « exploitation » sur la zone à la fin des années 1970. Dans ce contexte général Senez se démarque car si les premiers chiffres recensés datent de 1906 avec une production de 1200 quintaux, le maximum est atteint dès l’année suivante avec 1 500 quintaux, pour diminuer avec des périodes de flux et de reflux et stagner autour de 350 quintaux au seuil de la Seconde Guerre mondiale (voir les chiffres détaillés en annexe).

La lavande constituait un revenu d’appoint substantiel. La coupe, très réglementée, intervenait après les moissons, en août, ce qui explique sûrement la faiblesse des chiffres de 1940, alors que les hommes étaient mobilisés (80 quintaux sur 7 hectares cultivés au Poil) . La commune de Senez a aussi versé dans la culture du lavandin, très productif mais dont l’essence était de moindre qualité, moins concentrée. La lavande sauvage, aussi appelée la « fine », se vendait particulièrement cher auprès des parfumeurs de Grasse. Au début des années 1940, Senez distillait 500 kg d’essence, alors que le kilo se vendait aux alentours de 4000 francs. Le village disposa de sa propre distillerie à partir de 1927. Elle ferma ses portes en 1972 (voir REF IA04002430). Quelques familles distillaient à domicile ; on en dénombre cinq, dans cinq quartiers différents de la commune : à l’Abreuvage, à Boades, au Clôt d’Embarron, aux Granges ainsi qu’à Lioux. Il ne subsiste plus de champ d’exploitation dévolu à la lavande sur le territoire communal.

2. Activités pré-industrielles

La distillerie de Senez est un bon exemple des activités pré-industrielles liées aux activités agricoles présentes sur la commune. D’autres, plus anciennes, sont avérées, même si parfois les seules archives permettent de les identifier et de les localiser. Les documents permettent ainsi de dénombrer quatre moulins sur le territoire, deux à eau et à farine (dans le village, voir REF IA04001133), un à huile (ou à plâtre) au quartier de Pierrefeu où existait aussi une plâtrière, un enfin à Boades, dont ne subsiste plus que le canal de dérivation, et qui pouvait être à farine. L’un d’entre eux, à Senez même, fut transformé en draperie, aujourd’hui totalement ruinée (sur ces questions voir les dossiers individuels correspondants). On trouvait en outre une scierie à eau au quartier de Pierrefeu, ainsi qu’une tuilerie au lieu-dit la Tuilière, dont il ne reste plus trace et qui aurait fonctionné entre le 18e et le début du 20e siècles.

1Géraldine Bérard, Carte archéologique des Alpes-de-Haute-Provence, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1997, p. 451.2Abbé Jean-Joseph Maxime Féraud, Histoire, gépgraphie et statistique du département des Basses-Alpes, Digne, 1861, p. 476 et Jacques Cru, Histoire des orges du Verdon jusqu’à la Révolution, Moustiers-Sainte-Marie, Parc naturel régional du Verdon/Aix-en-Provence, Édisud, 2001 p. 173.3Jacques Cru, ibid., p. 303.4Édouard Baratier, La démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle, Paris, S.E.V.P.E.N., 1961, p. 153 sq.5Sources d’Ancien Régime d’après le Guide des Archives Départementales des Alpes de Haute-Provence.6Données démographiques de 1804 à 1931 et d’après A.D. 04, 6 M 192, Recensements, 1820-1936.7Voir supra note 5.8Voir supra note 6.9A.D. 04, E DEP 204-22.10ibid.11Ibid.

Les recherches archéologiques ont permis de découvrir, au Poil, des vestiges de diverses époques : sur le Chastelar, une grotte occupée à l’époque néolithique ; près du pont du Pas d’Escale, une vaste grotte a été occupée à la même époque. Mais d’une manière générale ces témoignages restent fort rares. Senez et ses alentours restent ainsi une énigme à l’époque préromaine, faute de sources écrites et archéologiques. L’histoire de la commune de Senez se confond inévitablement avec celle du village, siège de l’évêché et de l’ancienne cathédrale devenue église paroissiale. La cité de Senez est très ancienne : fondée par les Gaulois, elle était désignée sous le nom de Civitas Senecensium. Elle devint chef-lieu de district romain avant de se voir érigée en évêché au 5e siècle. En 1122 une charte montre l’abbaye de Saint-Victor (sise à Marseille, et dépendant de l’évêché de Marseille) céder ses droits sur Blieux à l’évêché de Senez. Ce dernier avait sous son autorité plusieurs bourgs et malgré la pauvreté générale de son territoire juridictionnel et sa grande exiguïté, résista aux tentatives d’union à un autre siège plus important, comme celui de Vence à travers la bulle du pape Eugène IV datée du 16 juillet 1432, ou celui de Digne au 18e siècle. Les évêques successifs du lieu rendirent hommage en 1351 à la reine Jeanne, puis en 1385 à Marie de Blois et le renouvelèrent à Louis II en 1399, puis au roi René en 1480 ; ils gardèrent cette possession jusqu’à la Révolution, mais en partie seulement : Jean-Baptiste de Pontevès, coseigneur de Blieux, seigneur de La Clue et autres lieux, en reçut la haute juridiction du roi René en 1474 ; ses successeurs Durand puis Jean II de Pontevès rendirent hommage pour cette seigneurie respectivement en 1499 et 1515. L’histoire du diocèse est attachée à la réputation de son emblématique évêque, monseigneur Soanen, qui défia jusqu’à son excommunication l’autorité papale en refusant d’abjurer sa vocation janséniste, ce qui lui valut d’être déchu de ses fonctions en 1717 et de mourir en exil à la Chaise-Dieu en 1740. Le territoire communal ne fut pas épargné par les épisodes belliqueux qui émaillèrent la Provence : les troupes du vicomte Raymond de Turenne dévastèrent Senez mais aussi le hameau de Boade en 1390 ; l’invasion de la Provence au 16e siècle troubla profondément le pays : tour à tour les armées impériales inféodées à Charles-Quint puis celle de François Ier, en 1536, puis en 1559, laissèrent les campagnes ravagées et le territoire exsangue. La seigneurie de Senez était divisée entre l’évêque, le chapitre et la famille de Louis de Gauthier, à qui Jean II Pontevès, seigneur de Carcès, avait cédé une partie de ses droits par acte du 11 septembre 1556. Louis en fit hommage au roi en 1560, date à laquelle il reçut commandement de la cité et du château de Senez. Les évêques rendirent régulièrement hommage du XVIe au XVIIIe siècle, et continuèrent à partager la juridiction avec la famille de Gauthier : Jean-Baptiste (hommage en 1723) puis Antoine (hommage en 1764), enfin Antoine-César de Gauthier. Le territoire de la commune s’est agrandi au 15e siècle de la commune de Boades au sud est du village et en 1973 de la commune du Poil, sans limite commune avec Senez, située au nord-ouest du village. Il est difficile d'avancer des chiffres précis quant à la démographie de la commune, car on ne dispose pas de tous les chiffres (village et écarts parfois importants comme Boades). L'enquête comtale de 1278 fait état d'environ 700 habitants au moins (Senez, Boades et le restant aggloméré), chiffre qui diminue jusqu'à la fin du 15e siècle avant un rebond très important (plus de 700 habitants en 1728 à Senez, sans le Poil, qui ne faisait pas encore partie de la commune). Le pic démographique fut atteint en 1831 (913 habitants dans le village de Senez). La suite se caractérise par une forte diminution de la population avec un très modeste redémarrage à la fin des années 1990 (175 habitants à Senez en 2004, le Poil est un village fantôme à cette date). L'économie rurale était basée sur une agriculture de subsistance, reposant sur la polyculture vivrière et un peu d'élevage ovin. Il n'en reste plus trace aujourd'hui. On trouvait en 1811 sur la commune 4 moulins (2 au village, 1 au quartier de Pierrefeu et 1 à Boades), 1 scierie à eau (à Pierrefeu), 1 tuilerie (au quartier de la Tuilière) ainsi qu'une distillerie dans le village.

L'enclave du Poil correspond à une ancienne commune indépendante rattachée administrativement à la commune de Senez en 1973, alors que son chef-lieu, ruiné, était déserté depuis l'entre-deux-guerres par ses habitants. La commune elle-même ne comptait plus à cette date que quelques dizaines d'administrés.

La commune de Senez appartient au canton de Barrême. Elle est limitrophe au nord de la commune de Barrême, à l’'ouest de celle de Moriez et Saint-André les Alpes, au sud de celle de Castellane et à l’'est de celle de Blieux. L'’enclave du Poil, en bordure, sur son côté ouest, de la zone d’étude du Pays d'’Asses-Verdon-Vaïre-Var, jouxte au nord la commune de Chaudon-Norante, à l’'est de Barrême, et au sud celle de Blieux. Le village, en bordure de l’'Asse de Blieux, est l'’un des points les plus bas de la commune (780 m. d’altitude contre 748 m.). La commune est bordée à son extrémité est par les plateaux de Courchons et la montagne de l’Aup (1 726 m. d’altitude), qui constitue le point culminant de la zone, et à l'’ouest par celle de Vibres (1 692 m. d’altitude). Au sud, on trouve la clue de Taulanne et le Col Saint-Pierre, ancienne voie de passage pour les évêques faisant le trajet entre Senez et Castellane. L'’enclave du Poil est quant à elle plus élevée puisqu’'entièrement montagneuse, entre la montagne de Beynes au nord-ouest et celle de la Sapée (point culminant 1 682 m. d'’altitude) au sud-est. Le village en lui-même se dresse sur la Côte Chastelar, à 1 220 m. d’'altitude, au pied d'’un immense rocher long et étroit.

Bibliographie

  • BARATIER, Edouard. La démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle. Paris : S.E.V.P.E.N. , 1961, 255 p.

    p. 153 sq.
  • BERARD, Géraldine. Carte archéologique de la Gaule. Les Alpes de Haute-Provence 04, dir. Michel Provost, Paris : Académie des Inscriptions et Belles Lettres, Ministère de la Culture, Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, avec l'Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales, 1997.

    p. 451 : Découvertes archéologiques sur l'ancienne commune du Poil.
  • Cotte Albert. La vie de ceux d'avant ne doit pas s'oublier... Souvenirs d'un simple paysan de la vallée de l'Asse. Dans : Les Cahiers de Salagon, n° 105/106, Les Alpes de lumière,1990.

    Description de la vie quotidienne au village du Poil durant le premier quart du 20e siècle.
  • Cru, Jacques. Histoire des gorges du Verdon : du Moyen Age à la Révolution. [Moustiers-Sainte-Marie] : Parc naturel régional du Verdon ; [Aix-en-Provence] : Édisud , 327 p. : ill., 2001.

  • CUCCUZZELLA, Salvator. Récit de vie. Université de Nice Sophia-Antipolis, Faculté de Lettres, Arts et Sciences Humaines, 30 p. dactylographiées, 1992.

    Récit de vie d'un habitant de Lioux, hameau de Senez, au 20e siècle.
  • FERAUD, Jean-Joseph-Maxime. Histoire, géographie et statistique du département des Basses-Alpes. Digne : Vial, 1861, 744 p.

    p. 472-477 : Brève présentation historique et religieuse de la commune de Senez.
  • Paris : Res Universis, 334 p. : ill., 1993

    p. 104
  • HERMELIN, Juliette. Senez en Haute-Provence. Chronique d'une cité épiscopale aux 17e-19e siècles. Dans : Cahiers de Salagon, n°7, Les Alpes de Lumière, 2002.

    Généralités sur le village de Senez et historique de certains bâtiments emblématiques du village.
  • LIEUTAUD, Vincent. Le Poil, canton de Senez, arrondissement de Castellane (Basses-Alpes)... Histoire féodale, toponymique et religieuse. Sisteron : A. Clergue, 44 p.

    Historique de l'ancienne seigneurie provençale du Poil.

Annexes

  • Tableaux des statistiques agricoles
Date d'enquête 2008 ; Date(s) de rédaction 2008
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Mosseron Maxence
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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