La construction
La construction de l'église St. Louis commença très rapidement après les premiers travaux de fortification du site. Les fondations furent creusées entre 1697 et 1699, et la première pierre fut bénie le 20 Juillet 1700 par l'aumônier de la place-forte, quelques mois avant la seconde visite de Vauban, qui approuva les dispositions du projet. Les travaux allèrent bon train, puisque l'église fut consacrée le 2 janvier 1706, probablement sous une forme très proche de son aspect actuel : le chœur, couvert et fermé par un mur "provisoire", suffisait à abriter la garnison peu nombreuse et une population civile encore embryonnaire. A compter de cette date, malheureusement, les crédits furent systématiquement affectés en priorité aux ouvrages strictement militaires, à Montdauphin puis à Briançon ; le site perdit progressivement l'intérêt stratégique qui l'avait fait naître, et le très faible accroissement de la population civile n'était plus à la mesure de l'investissement envisagé au départ. Malgré les demandes réitérées du Génie, les fonds se firent de plus en plus rares, et la construction des murs du transept, puis de la quatrième travée de la nef, s'étalèrent sur de nombreuses années. En 1783, on envisagea une première fois de démolir les ouvrages inachevés pour en récupérer les matériaux. En 1790-91, la couverture fut refaite une première fois, à l'exception de celle du clocher. L’église de Mont-Dauphin fut desservie jusqu’à la Révolution par un aumônier militaire.
A la Révolution, l'église est transformée en magasin où sont entreposées viandes salées, fourrage et bois de chauffage. En 1803, l'édifice est rendu au culte, et devient propriété de la commune : le Génie, qui gardera la haute main sur tous les ouvrages militaires jusqu'en 1980, se désintéresse d'un édifice dont il n'a pas l'usage. La commune, brusquement investie d'une charge dont elle se serait volontiers passée, n'est bien entendu pas en mesure d'assurer la conservation d'un édifice dont l'inachèvement multiplie les difficultés d'entretien : elle tente en 1826 d'en faire don au Roi, qui décline hélas rapidement l'honneur qui lui est fait. En 1836, une tempête emporte une partie du clocher (en fait, sans doute essentiellement la toiture) : il faudra attendre 1860 pour que les réparations nécessaires soient enfin réalisées. En 1843, la municipalité décide de détruire les ailes inachevées de l'église, afin de pouvoir récupérer les matériaux pour financer les travaux de restauration et d'agrandissement de l'église devenue trop petite et du clocher (A.D. 05 : 2 O 1340).
Le 4 septembre 1848, Joseph Bouffier, entrepreneur des travaux militaires s'engage à faire les travaux « pour construire un toit avec piédroit en maçonnerie au-dessus du clocher actuel de l'église pour mettre la cloche à l'abri». Dès 1838, le conseil de Fabrique attirait l'attention de l'administration sur la vétusté de cette partie de l'édifice (A.D. 05 : 3 E 3866). En effet, depuis le règne de Louis XIV, « le manque d'entretien de la charpente provisoire qui abritait l'intérieur du clocher a été cause que le toit s'est écroulé, il y a environ douze ans sans que les revenus de la commune lui permissent de la faire refaire» (A.D. 05 : délibération du conseil municipal du 9 mai 1848).
Dans une lettre du 30 juin 1848, l'administration militaire revendique la propriété des « portions inachevées de l'église, ... c'est à dire les croisillons et la nef, attendu qu'elles n'avaient pas été comprises dans la remise faite au service du culte en vertu de l'arrêté du préfet ... du 13 floréal an 11, d'après l'article 75 de la loi du 18 germinal an 10, et qu'elles avaient continué par conséquent d'appartenir au département de la guerre qui jusqu'au 1er octobre 1829 s'est servi des croisillons pour l'emmagasinement de bois destiné au chauffage militaire ». Par contre, les portions achevées de l'église, c’est-à-dire le chœur, la sacristie et le clocher appartiennent à la commune (A.D. 05 : 2 O 1340).
En 1853, l'armée accepte, compte tenu de l'absence de moyens de la commune, d'effectuer sur l'édifice quelques interventions d'urgence : purge des corniches, démontage des pots-à-feu fendus ou cassés... En 1859 des travaux sont entrepris concernant notamment la maçonnerie (rebouchage de lézardes, replacement des fonts baptismaux, raccords de corniches), mais aussi la réparation et la remise en place des ardoises du toit (A.D. 05 : ibid.). Le 31 décembre 1860, Louis Ferrier remet un mémoire des travaux exécutés à l'église. Il est payé pour « le blanchissage couleur canari, pour avoir passé en couleur bleu-ciel et étoilé la voûte du chœur, pour avoir relevé en partie du pavé en dalles » (A.D. 05 : ibid.). Dix ans plus tard (1869), des travaux sont exécutés au clocher : couverture d'ardoise, remplacement des arêtiers, cloison pour fermer le clocher du côté de la toiture de l'église (A.D. 05 : ibid.). En 1873, pourtant, l'église retrouve quelque intérêt aux yeux de l'autorité militaire : le vieux projet de 1783 est enfin mis à exécution, et les murs béants du transept et de la nef sont démontés pierre à pierre, afin d'en récupérer les matériaux pour construire un rang de casemates voûtées, le long du flanc sud de l'édifice. Les pots à feu qui ponctuaient les corniches du transept sont vendus, ou volés1. Dans la partie inachevée, seule une partie du transept sud échappe au zèle des démolisseurs, sans doute arrivés au terme de leurs besoins en matériaux.
L'église St. Louis fut le premier monument de Montdauphin à être classé au titre des Monuments Historiques, le 30 juillet 1920. Les travaux entrepris par le service portèrent d'abord sur la charpente et la couverture, sous la direction de l'architecte en chef Albert Chauvel, en 1933 : la charpente fut systématiquement consolidée, et la couverture fut entièrement refaite en ardoises d'Angers.
Le bombardement de l'Arsenal, en juin 1940, causa quelques dégâts à l'église toute proche ; il fallut toutefois attendre 1967 pour que des travaux soient entrepris sur des crédits "dommages de guerre", sous la direction de l'architecte en chef Jean-Claude Rochette : la sacristie, aménagée en chapelle d'hiver, retrouva sa toiture en bardeaux de mélèze, qui avait été remplacée à l'issue de la guerre par des tôles ondulées. En 1971, les fenêtres, dont certaines étaient curieusement bouchées dans leur partie supérieure, furent toutes remplacées ; en 1972, enfin, l'intérieur de l'édifice fut entièrement remis en état (enduits, dallage, autel...).
L’église inachevée de Montdauphin ne se compose donc que du chœur de l’église initialement prévue par les ingénieurs militaires, de la sacristie, de la partie inférieure du clocher et de la première travée du mur occidental du transept sud.
L'édifice était orienté "à l'envers", avec un chœur à l'ouest, pour des raisons qui tiennent à la fois aux principes d'urbanisme adoptés à Montdauphin et aux contraintes de la défense : l'église devait en effet s'ouvrir sur une vaste place d'armes, taillée dans le maillage orthogonal des rues et implantée comme tous les ouvrages "sensibles" du côté ouest de la place-forte, c'est à dire le plus loin possible des points vulnérables de l'enceinte. La vaste dimension du projet initial s'explique bien évidemment par le souci de réunir pour les offices la garnison de la place-forte et une population civile que l'on espérait nombreuse. Le vaste transept, comme à la collégiale de Briançon, permettait de répartir en tant que de besoin dans des espaces distincts les différentes catégories de population appelées à assister aux offices : notables, officiers, hommes de troupe et population civile... La chapelle du fort des Têtes de Briançon, construite quelques années plus tard à l'usage exclusif d'une garnison, ne comportait plus d'ailleurs qu'une nef unique, sans transept ni clocher.
Le chœur, articulé en deux travées droites séparées par de puissants pilastres, est couvert d'une voûte enduite de conception assez curieuse : chaque travée se compose d'une sorte de voûte en berceau, s'amortissant sur des pendentifs à sa jonction avec les murs gouttereaux ; l'hémicycle est couvert d'une voûte en cul-de-four de principe identique, recoupée en trois voûtains séparés par des bandeaux plats. L'ensemble est largement éclairé par quatre grandes fenêtres et un oculus d'axe, placé très haut de façon à dégager l'espace nécessaire à la mise en place d'un grand retable baroque - qui n'a sans doute jamais été installé. Le dallage, très proche de celui de la collégiale de Briançon, est constitué de carrés de marbre rose posés sur la diagonale. Les murs et la voûte sont enduits, à l'exception des pilastres, des arcs-doubleaux et du mur aveugle auquel s'adosse le clocher. Le volume intérieur de l'église est coupé net à son extrémité orientale par le mur "provisoire" en moellons enduits, édifié à l'entrée du transept probablement dès le début du XVIIIe siècle, afin de permettre une utilisation immédiate du volume déjà construit.
Extérieurement, l'église inachevée se distingue par son volume trapu, scandé d'épais contreforts, édifié en bel appareil de marbre rose local. Le clocher, accolé au flanc nord de la première travée, aurait dû comporter deux étages de baies, couverts d'un dôme de charpente et d'un lanternon, comme à Briançon : la construction, interrompue juste au-dessus du niveau de la balustrade du premier étage, a été complétée de façon très fonctionnelle - à un niveau juste suffisant pour y installer les cloches - par quatre grosses piles de maçonnerie supportant un toit en pavillon2. La sacristie, accolée au chœur, était éclairée primitivement par cinq grandes fenêtres : les ingénieurs militaires avaient mal mesuré les effets conjugués de la neige et du vent dans un tel site, puisque les deux fenêtres directement exposées au vent, côté ouest, durent être rapidement murées ; les allèges trop basses des trois fenêtres nord furent ensuite remontées jusqu'à une hauteur permettant d'échapper aux effets de l'accumulation hivernale de la neige, mais il convient de noter que les belles menuiseries d'origine en noyer sont encore en place, parfaitement conservées, au revers des parties murées.
Des cinq somptueux pots à feu qui ponctuaient la puissante corniche à ressauts, il ne subsiste qu'un seul : les quatre autres ont été réduits à l'état de moignons par les effets conjugués du gel et des purges réalisées par le Génie. Du transept encore debout en 1873, il ne reste qu'un pan de mur du côté sud, avec sa belle fenêtre à l'appareillage savant ouvrant sur le vide.
D'après A. Golaz, les fondations du transept et la plaque scellée qui devait marquer l'extrémité orientale de la nef sont encore en place sous le niveau du sol actuel : une mise en valeur minimale du site devrait comporter en priorité le dégagement de ces éléments, et la création d'un traitement de sol faisant ressortir le tracé du plan primitif
La question des couvertures
Le chœur de l'église a selon toute vraisemblance été couvert à l'origine de grandes ardoises de provenance locale, directement clouées sur un voligeage en mélèze, comme la quasi-totalité des bâtiments de la place-forte. Cette première toiture a été refaite à l'identique en 1791, à l'aide du même matériau, comme en témoignes les photographies de la fin du XIXe siècle. En 1933, la toiture a été refaite en ardoises d'Angers d'assez faible épaisseur (4-5 mm), posées au clou galvanisé sur un lattis en sapin ; ce dernier est fixé sur l'ancien voligeage, en partie remplacé à neuf, par l'intermédiaire de contre-lattes. Le faîtage, l'égout et les entourages de pots-à-feu ont été traités en plomb. Ce système, beaucoup plus léger que le précédent, a mal résisté au vent très violent qui frappe le chevet de plein fouet une grande partie de l'année : un bon nombre d'ardoises se sont soulevées, puis arrachées, provoquant plusieurs trous parfaitement visibles (voir photos). La bande à rabattre du faîtage s'est soulevée à son tour, après avoir arraché ses pattes de fixation, en entraînant à sa suite le faîtage en plomb: la faîtière est ainsi exposée à la pluie et à la neige depuis plusieurs années, et les désordres ne font que s'accélérer avec le temps, comme en témoignent plusieurs photos prises par nos soins depuis 1974. En conclusion, toute la couverture de cette partie est entièrement à reprendre au bout d'une soixantaine d'années d'existence - ce qui, compte tenu des conditions climatiques propres à Montdauphin, n'a rien de surprenant. Ce travail doit être réalisé dans les meilleurs délais, sous peine de voir la charpente se dégrader rapidement
Les ardoises locales avaient la particularité de prendre une patine gris-argent au fil du temps, ce qui conférait aux couvertures anciennes un caractère bien particulier; ce matériau, autrefois extrait à Châteauroux, est introuvable depuis de longues années. Depuis le début du siècle, le Génie avait procédé à une réfection systématique des couvertures de Montdauphin en ardoises d'Angers, ce qui avait abouti à complètement dénaturer la physionomie de la place-forte, Depuis une dizaine d'années, toutes les toitures refaites sous l'autorité du service3 ont été réalisées avec des ardoises de Maurienne, qui prennent en vieillissant une patine grise qui se rapproche de celle des anciennes ardoises locales, sans malheureusement l'égaler tout à fait. C'est donc ce matériau que nous proposons d'utiliser pour la nouvelle toiture du chœur, avec les mêmes détails de mise en œuvre que sur les bâtiments précédemment traités : pureaux variables décroissants du bas vers le haut, joints brouillés, pose des ardoises (épaisseur 6-8 mm) au clou cuivre carré cranté sur un voligeage neuf en mélèze de 34 mm d'épaisseur, qui procure à la toiture une rigidité qui s'avère ici tout à fait indispensable.
Par ailleurs, il semblerait utile, même s'il ne s'agit pas d'un problème aussi urgent que ceux qui concernent l'étanchéité de la toiture, de rétablir les pots-à-feu qui couronnaient les cinq contreforts du chœur, et dont il ne subsiste qu'un seul à l'heure actuelle: ces éléments décoratifs étaient non seulement nécessaires à la présentation de l'édifice dont ils contribuaient à affiner la silhouette, mais ils jouaient également un rôle qui n'est peut-être pas négligeable dans sa stabilité, en chargeant les contreforts qui reçoivent les poussées conjuguées de la voûte et de la charpente.
Le clocher a peut-être été couvert à l'origine de bardeaux de mélèze, ce qui correspondrait bien à la vocation "provisoire" de la toiture installée à l'époque. Cette première toiture, après son effondrement en 1836, a été refaite en ardoises locales vers 1860 ; avec une petite lucarne triangulaire sur chaque versant (cf. photographies de la fin du XIXe siècle). En 1933, la couverture a été refaite en ardoises d'Angers, comme le chœur.
Contrairement à celle du chœur, la toiture du clocher, protégée des vents dominants par le comble voisin, a plutôt bien résisté aux intempéries : la croix sommitale est tordue, quelques ardoises sont cassées, mais ces quelques désordres relèvent plus d'une opération d'entretien que d'une réfection complète, du moins dans un premier temps. Les ardoises cassées devront être remplacées, mais il semble également inévitable de reprendre systématiquement les quatre arêtiers fermés, mal réalisés, en partie arrachés par le vent, et dont l'étanchéité laisse nettement à désirer (voir photos de détail) : en attendant une reprise complète de la toiture, il serait sans doute prudent de limiter la prise au vent de ces parties fragiles en les recouvrant d'une bande de métal (plomb, inox plombé ou cuivre) comme il était d'ailleurs couramment pratiqué dans les Alpes au XIXe siècle.
A plus long terme, il sera nécessaire de refaire complètement la couverture du clocher. Deux solutions sont envisageables : soit ardoises de Maurienne (ce qui correspond à une restitution de l'état XIXe, avec ou sans les quatre lucarnes supprimées en 1933), soit bardeaux de mélèze, ce qui ne correspondrait qu'à un état supposé d'origine, mais présenterait l'avantage de bien marquer le caractère "provisoire" et inachevé des superstructures du clocher.
En ce qui concerne la sacristie, le matériau de couverture primitif est inconnu, mais il y a fort à parier qu'il s'agissait d'ardoises locales, comme sur le chœur : néanmoins, les bardeaux de mélèze qui sont encore bien visibles sur les photos du XIXe siècle ont dû rapidement succéder aux ardoises initiales, en raison des inévitables dégâts causés par la décharge de la neige de la toiture du chœur sur un matériau trop fragile. La toiture actuelle en bardeaux, posée sur une dalle béton (avec ou sans étanchéité complémentaire en feutre bitumé ?), ne pose apparemment aucun problème particulier.
Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.
Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.
Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)
Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)
La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)