Commentaire historique
L'origine des bâtiments remonte sans doute au 16e siècle : dans le cadastre de 1570, plusieurs bâtiments agricoles sont déjà présents dans ce quartier, alors appelé « Jeu de Paulme ».
Dans le cadastre de 1699, la configuration des lieux est similaire à celle d'aujourd'hui. Toutefois, il s'agit alors de plusieurs constructions indépendantes. En effet, la partie orientale de l'actuel bâtiment principal est alors occupée par une « maison d'habitation et régailles » appartenant à Pierre Alesard (f° 201 v), alors que la partie occidentale est mentionnée comme une « grange » appartenant à Jean Barre, à feu Jacques (f° 31v). Ces deux constructions sont bordées au nord par un espace libre appelé « Jeu de Paume du Tripot », qui correspond à l'actuelle place du Tricot. Quant à la dépendance agricole située au nord-ouest, elle est désignée comme une « grange et régailles » appartenant à Pierre Gautier (f° 88).
Bâtiment principal
Sur le cadastre de 1839, l'emprise du bâtiment principal correspond à deux parcelles (1839 F1 321 et 322) dont le plan général est assez semblable à celui d'aujourd'hui. On note toutefois l'existence d'une petite excroissance au nord-est du bâtiment principal, disparue depuis.
La parcelle F1 321 est mentionnée comme une « maison » mesurant 139 m² d'emprise au sol, comptant 6 ouvertures et imposée dans la 5e classe fiscale (sur 8). Elle appartient à Jean Chastel qui possède également une dépendance agricole toute proche (1839 F1 327, 36 m²) et un jardin au pied sud-est du bourg (1839 F1 45, 80 m²). Ce propriétaire détient aussi de nombreux terrains, notamment aux quartiers de la Coste de Raton, Blache Bouvaire, la Combe, le Suquet, le Buisson, Luzerne, Champaure, etc.
La parcelle F1 322 est indiquée comme « maison et vacant », avec une emprise au sol de 77 m², comptant 2 ouvertures et imposée dans la 8e et dernière catégorie fiscale. Elle appartient à Joseph Boulignon, dit Fortune, qui possède également un jardin à proximité de l'Ecu de France (1839 F1 351), ainsi que quelques terres aux quartiers de Fouent de Vège, Blache Bouvaire, Serre des Costes, Pigerolles, Serre d'Enfaure.
La maison F1 322, correspondant à la partie ouest du bâtiment principal, a connu une évolution mouvementée. Elle est partagée une première fois en 1846 lorsque, sur l'emprise au sol initiale de 77 m², Joseph Boulignon en conserve 38 m² et que Jean-Antoine Barbeyer, gendarme, en acquiert 39 m². En 1849, la part de Joseph Boulignon est à nouveau divisée, celui-ci n'en conservant que 8 m² et les 30 m² restant passant à Pierre-André Richaud, tailleur. En 1854, les 8 m² de Joseph Boulignon viennent compléter la part déjà acquise par Jean-Antoine Barbeyer. En 1873, la partie du tailleur Richaud passe à son fils Aimé Richaud, qui est marchand de laine. A partir de 1908, les biens de Aimé Richaud passent à Aman Roustan, boucher. En 1909, celui-ci récupère également la partie du gendarme Barbeyer, reconstituant ainsi l'intégralité de la parcelle de 1839.
Quant à la maison F1 321, constituant la grande partie orientale du bâtiment principal, si son histoire foncière reste limpide jusqu'à la fin des années 1870, elle se complexifie ensuite. Restée propriété de Jean Chastel jusqu'en 1877, elle passe alors à Frédéric Chastel. Dès 1879, celui-ci s'en sépare au profit d'une indivision entre Philomène et Emilie Deydier. En 1883, cette maison est partagée, l'indivis Deydier en conservant un tiers (46 m²) et le reste (93 m²) passant à Elie Garaix, gendre Brunel, demeurant à l'Estang. En 1890, celui-ci cède sa part au marchand de laine Aimé Richaud – déjà propriétaire d'une partie de la maison voisine F1 322 – et qui revient au boucher Amand Roustan en 1908. En 1894, la part des Deydier passe à Pierre Rolland, cultivateur demeurant au Collet, puis en 1897 à Jacques Deydier, gendre Pays.
Plan de masse d'après le plan cadastral de 1839, section F1. Echelle d'origine 1/1000e.
Plan de masse d'après le cadastre de 2021, section 000F. Echelle d'origine 1/500e.
Dépendance agricole
Dans le cadastre de 1839, la dépendance agricole nord-ouest (parcelle 1839 F1 320) est mentionnée comme « écurie et vacant ». Avec une emprise au sol de 45 m², elle était alors moins étendue vers l'ouest. Elle appartient à Pierre Fort qui possède également une petite maison à proximité de la tour du Four (1839 F1 257, 20 m²) ainsi que quelques terres aux quartiers de la Roche, la Combe, Saume Longue, Béal Noir, Clot de Bonnet, Merdaric, etc. (voir la carte de ses propriétés).
Son histoire est plus simple, puisqu'elle a changé seulement trois fois de propriétaire sur cette période : Jean-Jacques Rolland, dit Luzerne, de 1853 à 1871 ; François Gueyte, de 1871 à 1908 ; Julie Bégou à partir de 1908. Aucune modification de destination ou d'emprise au sol n'est relevée dans ce laps de temps.
Propriétés de Pierre Fort en 1839.
20e siècle
Ainsi, entre 1839 et les années 1910, ces bâtiments ont connu diverses partitions et changements de propriétaires, dans une dynamique d'évolution foncière parfois rapide tout à fait caractéristique de la seconde moitié du 19e siècle.
A l'orée des années 1910, le boucher Amand Roustan détient la plus grande partie de l'actuel bâtiment principal, le reste étant la propriété de Jacques Deydier, et que la dépendance nord-ouest appartient à Julie Bégou. L'aspect actuel du bâtiment principal montre qu'il a été largement reprit par la suite, très probablement après la réunion des deux parts foncières, et la tradition familiale rapporte que le bâtiment du logis a été très remanié en 1933-1934.
C'est aussi à cette époque que la dépendance agricole a été agrandie vers l'ouest. D'ailleurs, la marque de fabricant visible sur la poutrelle métallique du couvrement de la porte charretière indique qu'elle a été produite par la société Senelle, qui avait son siège à Longwy (Meurthe-et-Moselle) et était très active durant cette période.
Les archives familiales conservent plusieurs registres de comptes des années 1890 aux années 1940, illustrant les activités commerciales de Amand Roustan. Les papiers à en-tête indique une raison sociale de boucherie, charcuterie et salaison, complétée par un statut de négociant en vin jusque au milieu des années 1910. La boucherie, passée au nom de Samuel, a cessé son activité en 1975.
Le cellier abrite encore la plupart de ses aménagements vinaires : cuves de fermentation, tonneaux et barrique, dames-jeannes, etc. La boutique dédiée à la boucherie est intégralement conservée dans son état de fin d'activité.
Description architecturale
Cette ferme est située dans la partie sud-ouest du bourg extra muros, bordant le sud de la place du Tricot (ancien Jeu de Paume). Elle est constituée d'un bâtiment principal orienté est-ouest et d'une dépendance agricole mitoyenne à l'angle nord-ouest, orientée de la même façon.
Vue de situation prise du sud-ouest.
Vue d'ensemble prise du sud-est.
Vue d'ensemble prise du nord-est.
Dépendance agricole. Vue d'ensemble prise du sud-ouest.
Dépendance agricole. Elévation est.
Bâtiment principal : fonctions et aménagements intérieurs
Le bâtiment principal comporte un étage de soubassement, un rez-de-chaussée surélevé, un étage carré et un étage de comble.
Etage de soubassement
La disposition de l'étage de soubassement reprend le découpage parcellaire de 1839. La partie nord-est est occupée par une étable, accessible de plain-pied par une porte large ouverte côté oriental. Cette pièce, couverte par des voûtains de briques sur poutrelles métalliques, abrite des mangeoires mobiles en menuiserie destinées aux ovins.
Plan schématique du bâtiment : étage de soubassement.
Etage de soubassement, étable nord-est. Vue de volume prise de l'est.
La partie sud-est accueille un vaste cellier, lui aussi accessible de plain-pied par une porte ouverte côté oriental, flanquée d'une fenêtre. Il dispose également d'une porte piétonne côté sud. Ce cellier est couvert par un plancher sur solives, confortée par une longue poutre métallique. Divers équipements vinaires y sont conservés : caisse à vendanges (localement appelée « banastes »), dames-jeannes, tonneaux et tonnelets. On note également la présence d'une cuve vinaire verticale, en bois, d'une capacité d'environ 2 300 litres, qui servait au foulage et à la fermentation (voir dossier IM05004532). L'angle nord-ouest de cette pièce est occupé par une autre cuve vinaire, maçonnée, dont le parement intérieur est enduit. Anciennement accessible depuis le rez-de-chaussée surélevé grâce à une trappe et trois marches volantes scellées dans sa paroi est, sa capacité avoisine les 11 m3.
Etage de soubassement, cellier. Angle nord-ouest, cuve vinaire en bois et tonneau.
Etage de soubassement, cellier. Angle sud-ouest, tonneaux et dames-jeannes.
Etage de soubassement, cellier. Banastes à vendanger.
La partie sud-ouest est réservé à une étable à cochon disposant d'une baie d'auge équipée d'un bas-volet.
Elévation sud, premier niveau. Volet de l'auge à cochon et jour.
Quant à la partie nord-ouest, il s'agit d'une longue pièce orientée nord-sud, occupée par une étable. On y accède par deux portes piétonnes, une au sud et l'autre à l'ouest, mais également par un escalier intérieur depuis la place du Tricot. Une mangeoire sur banquette maçonnée est adossée au mur oriental, équipée d'abreuvoirs automatiques et munie d'un râtelier en bois desservi par des trappes d'abat-foin.
Etage de soubassement, étable ouest. Mur est, mangeoire avec râtelier surmonté des trous d'abat-foin.
Etage de soubassement, étable ouest. Mur nord, escalier descendant du rez-de-chaussée surélevé.
Etage de soubassement, étable ouest. Angle nord-ouest, bassin.
Rez-de-chaussée surélevé
La partie nord-ouest du rez-de-chaussée surélevé est occupée par un fenil pouvant servir de remise, accessible de plain-pied côté nord par une haute porte charretière. Non couverte, cette partie communique directement avec le fenil de l'étage.
Le reste de ce rez-de-chaussée est réservé au logis, dont les pièces sont desservies depuis un couloir en L par des portes à menuiseries vitrées. L'angle nord-est du rez-de-chaussée accueillait la boutique de la boucherie. Celle-ci dispose d'une baie boutiquière vitrée, d'un sol en carreaux de ciment décorés et de murs enduits et partiellement recouverts par du carrelage. Des barres de suspension métallique sont scellées aux murs, qui servaient à suspendre les outils de découpe mais aussi les carcasses à débiter. Un billot occupe un angle, complété par une commode servant de comptoir où est installée une balance à cadran. Deux chambres froides sont aménagées dans le mur sud, une grande à hauteur d'homme et une plus petite, disposant de portes isolées en bois. Enfin, dans le l'angle sud-ouest, une niche accueille des étagères.
Rez-de-chaussée surélevé, couloir.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Vue de volume prise du nord-est.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Mur sud.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Balance et affiche des tarifs.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Mur est, rail de suspension pour le débitage des carcasses.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Mur ouest, rail de suspension des outils.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Mur sud, porte de la grande chambre froide.
Rez-de-chaussée surélevé, boucherie. Mur sud, porte de la grande chambre froide. Plaque du fabricant.
Premier étage et étage de comble
L'étage carré est accessible depuis le couloir du rez-de-chaussée grâce à un escalier droit en menuiserie. Sa plus grande partie est occupée par un fenil desservi par une grande baie fenière côté nord, surmontée d'une potence métallique. Deux pièces à usage de séchoir ou de logis temporaire sont aménagées du côté est. Le dessus de ces pièces, planchéié, correspond à un petit étage de comble.
Etage, fenil. Vue de volume partielle prise du nord-est.
Etage, fenil. Vue de volume prise du sud-ouest.
Bâtiment principal : matériaux et mise en œuvre
Le bâtiment est construit en maçonnerie de moellons calcaires et de grès. Les élévations conservent un enduit à la tyrolienne – hormis sur la façade ouest où il s'agit d'un enduit rustique – avec un décor façonné au mortier de fausses chaînes d'angles harpées et un bandeau de sous-toiture peint en blanc. Les encadrements des fenêtres du logis sont en briques pleines avec un couvrement clavé en arc segmentaire et un appui en pierre de taille de grès, saillant et mouluré en doucine sur réglet. L'encadrement du jour losangique du pignon nord est également réalisé en briques pleines. Les encadrements des autres ouvertures sont en pierre de taille de grès avec linteau droit monolithe, ou simplement façonnés au mortier avec linteau droit en bois.
Elévation est.
Pignon nord, angle est. Décor façonné de fausse chaîne harpée.
Elévation est, premier et deuxième niveaux. Fenêtres et décor de fausse chaîne d'angle.
Elévation est, troisième niveau. Fenêtre.
Pignon nord, troisième niveau. Jour du fenil-séchoir.
La porte du logis possède une menuiserie avec soubassement cannelé et partie supérieure vitrée protégée par deux grilles en fonte à motifs floraux et géométriques ; elle est doublée côté extérieur par une autre porte en bois avec moustiquaire. Les fenêtres sont équipées de contrevents à cadre ou de persiennes métalliques articulées. On note la présence d'un trottoir en ciment qui court au pied de la façade nord, gravé de motifs en losanges.
Dalle en ciment décorée, au pied du pignon nord.
Pignon nord, premier niveau. Porte du logis.
Pignon nord, premier niveau. Porte du logis, détail de la grille en fonte moulée.
Le toit à longs pans est complété d'une large croupe côté sud. La charpente est à pannes sur arbalétriers, reposant sur un grand poinçon central à entraits, conforté par des goussets et des coyers. L'entrait est constitué de deux éléments assemblés à mi-bois. L'assemblage des coyers sur les goussets est à tenon et mortaises, les tenons débordant de la mortaise et étant chevillés. L'ensemble est rigidifié par des jambettes, notamment au niveau du poinçon. Deux de ces jambettes portent des inscriptions gravées, qui correspondent au nom du menuisier qui a réalisé la charpente (Auguste Hugues) aux prénoms des habitants de la ferme lors de ces travaux (Emma, Henri et Rosa accompagnés des patronymes Amand et Roustan) et probablement aux noms des ouvriers qui ont participé au chantier. La charpente de la partie à longs pans est simplement constituée de pannes.
La couverture en plaques de fibro-ciment supporte des tuiles creuses. L'avant-toit et la saillie de rive sont constitué de deux rangs de génoise, peints en blanc ou en blanc et rouge (côté nord), le passage des angles étant traité en éventail.
Charpente de la croupe.
Charpente de la croupe. Jambettes du poinçon.
Charpente de la croupe. Jambette du poinçon portant des inscriptions gravées.
Angle sud-est, passage de la génoise en éventail.
Dépendance agricole : fonctions
La dépendance agricole, implantée au nord-ouest du bâtiment principal, comporte un étage de soubassement et un rez-de-chaussée surélevé.
L'étage de soubassement est occupé par une remise, accessible de plain-pied côté ouest par une large porte charretière. Le rez-de-chaussée surélevé accueille un fenil-séchoir pouvant lui aussi servir de remise, desservi depuis la place du Tricot par une haute porte charretière et aéré côté ouest par un jour rectangulaire.
Dépendance agricole : matériaux et mise en œuvre
Ce bâtiment est construit en maçonnerie de moellons calcaires et de grès, avec des chaînes d'angles en gros moellons et moellons équarris. Les élévations sont enduites à pierres vues, sauf le pignon sud qui conserve un enduit rustique.
Sur la façade ouest, les encadrements des ouvertures possèdent des piédroits en moellons équarris avec un couvrement réalisé par une poutrelle métallique ; celle de la porte charretière porte les marque et référence de son fabricant : SENELLE PN 180. Sur la façade orientale, les piédroits de la porte fenières sont façonnés au mortier, et son couvrement originel, probablement en bois, a été remplacé par un linteau en béton armé.
Le toit à un pan est couvert en tuiles creuses posées sur chevrons taillés en quartons. L'avant-toit est réalisé par le simple débord des tuiles de couverture.
Dépendance agricole. Elévation ouest.
Dépendance agricole. Elévation ouest, avant-toit constitué du débord des tuiles de couverture.