1. Un édifice composite
L'édifice, qui doit son nom de "Maison aux Têtes" à la présence de têtes sculptées sur la façade de la rue du Milieu, regroupe trois bâtiments contigus entre la rue principale et la rue du Milieu, construits en maçonnerie de grès et de calcaire liés au mortier de chaux. Une date portée (1504) rue du Milieu pourrait désigner la date de construction du bâtiment (ainsi que celle de la sculpture des têtes ?), ce qui constituerait un exemple rarissime de maison aussi ancienne. La façade sur mur-pignon rue du Milieu conserve des traces d'appareillage en pierre de taille de grès, qui semble avoir été circonscrit d'emblée et donc ne concerner qu'une portion très limitée de l'élévation dans sa partie basse, c'est-à-dire autour des ouvertures. L'élévation sud est enduite d'un mortier récent, l'élévation nord présente un enduit récent à pierres vues. L'ensemble édifié forme un groupe peu homogène, notamment en ce qui concerne la forme des toits, puisque chacun des bâtiments présente un toit à pan unique, chacun orienté différemment des autres. La façade rue du Milieu se partage donc en un alignement de deux élévations, l'une sur mur-pignon, l'autre sur mur gouttereau, avec un traitement de l'avant-toit à trois rangs de génoise, une disposition déjà présente lors de l'acquisition de l'édifice par les actuels propriétaires en 1972. Par ailleurs, si les deux élévations mitoyennes se développent chacune sur trois niveaux, on constate un décrochement d'environ 80 centimètres entre les deux étages de comble. Cet écart s'avère beaucoup moins important à l'intérieur : en réalité les deux portes hautes ne sont pas placées au même niveau par rapport au plancher. De la même manière, une légère différence de niveau est perceptible entre la maison côté sud et celle côté nord (le niveau du rez-de-chaussée surélevé est plus haut de quelques centimètres côté nord, alors qu'on observe une disposition inverse pour le plancher des deux maisons à l'étage de comble). Ainsi, même si l'édifice forme un ensemble, il convient de garder à l'esprit qu'il est constitué de trois bâtiments distincts qui ont pu très tôt composer un tout organisé et aménagé en conséquence. Il apparaît donc plus pertinent de le décrire non en fonction de ses différentes parties - trois maisons - mais en tant qu'unité rassemblant plusieurs bâtiments, dont les organes de distribution - notamment les escaliers - assurent une circulation fluide d'un espace à l'autre.
Cartel avec date portée (1504) sur la façade nord. Détail d'une tête sculptée en grès, orientée à l'est.
Trois maisons en une
Les deux bâtiments ont pu être indépendants, mais on imagine difficilement celui dont l'entrée se situe rue du Milieu dépourvu de fonction agricole en partie basse, surtout lorsqu'on observe la mise en oeuvre du cellier en pierre appareillée à l'étage de soubassement, qui correspond au reste de la mise en oeuvre en pierre de taille en rez-de-chaussée surélevé rue du Milieu. Il est donc fortement vraisemblable que les deux bâtiments aient d'emblée sinon très tôt constitué une maison traversante. La façade sud sur la rue Basse ou rue Principale se déploie sur quatre niveaux : un étage de soubassement dévolu aux fonctions agricoles, un rez-de-chaussée surélevé ainsi qu'un étage carré tous deux dédiés au logis, et un étage de comble agricole à deux niveaux. Les trois derniers étages présentent chacun une loggia avec balcon en fer. L'étage de soubassement comprend une porte d'entrée et une porte charretière. Ce niveau est entièrement dévolu aux fonctions agricoles. Il se divise en plusieurs espaces. Le premier présente un couvrement en voûtes d'arêtes avec lunettes en pénétration et son sol conserve des traces de calade. Un mur de refend correspondant à la séparation entre les deux bâtiments a été ouvert par une arcade cintrée qui prolonge ainsi la pièce et plaide pour une fusion ancienne des deux bâtiments. Ce vaste espace tenait lieu d'étable à chevaux et aussi de remise, vraisemblablement en lien avec l'ancien Hôtel du Midi contigu (ancienne parcelle 28, actuelle parcelle 115 et actuellement Café de la Vallée). Une mangeoire en bois avec râtelier d'alimentation est encore en place, ainsi que deux trappes d'alimentation percée dans le couvrement. A mi-profondeur, à l'ouest, le rocher à été excavé pour ménager un espace voûté en berceau segmentaire, dont la fonction n'a pas été déterminée. Il s'achève de manière irrégulière par la paroi rocheuse au nord. Contre la paroi de cette pièce, pris sur l'espace de l'étable à chevaux, une petite porcherie a été édifiée, avec une trappe d'alimentation extérieure. Dans le prolongement de l'étable et dans la profondeur, une dernière pièce prend place. Il s'agit d'un cellier qui présente la particularité d'un couvrement en plein-cintre et pierre de taille de tuf à partir de 80 centimètres au-dessus du sol. Le tuf proviendrait d'une ancienne carrière située près du hameau de la Valette : il a été découpé en blocs de moyen appareil (environ 10 x 20 cm). Un soupirail en abat-jour permet l'aération de la pièce.
[Vue d'ensemble de l'étable et bergerie à l'étage de soubassement, état 1972.]
L'entrée, située sur la partie droite de l'élévation, ouvre sur un petit espace nécessaire au débattement de deux portes : celle de l'entrée mais aussi d'une autre, qui communique avec l'étable. Un escalier droit mène au rez-de-chaussée surélevé. A ce niveau, la cage d'escalier devient couloir communiquant avec l'entrée rue du Milieu. En haut de l'escalier, une porte située sur la gauche permettait d'accéder à un espace de dégagement, ancienne alcôve prolongeant la pièce principale côté sud. Cette dernière tenait lieu de vaste cuisine, laquelle a conservé son évier avec sa pile en céramique décorée de carreaux de terre cuite vernissée dans l'angle sud-ouest. A l'angle opposé, les propriétaires ont conservé un petit placard mural en hauteur avec porte à deux battants en bois. Le sol alors couvert en carreaux de ciment teintés dans la masse témoignait d'un état du début du 20e siècle. La pièce donnait sur une loggia disposant d'un garde-corps métallique. A l'extrémité est l'enduit masquait l'encadrement en pierre de taille calcaire avec arc en plein-cintre d'une porte ouvrant sur un ancien escalier droit alors condamné (et supprimé ?) avant les aménagements menés par les actuels propriétaires. Un jour était en revanche encore visible sur les photos témoignant de l'état de l'élévation sud en 1972. La cuisine disposait de deux entrées sur l'alcôve. Cette dernière était pourvue d'un placard mural à deux portes en bois. Elle était également percée à son extrémité ouest d'une porte communiquant avec le rez-de-chaussée de la maison adjointe à la maison nord. La pièce, voûtée d'arêtes, était une ancienne bergerie avec double porte donnant sur la rue du Milieu et flanquée d'un jour. Côté élévation nord précisément, l'entrée de la maison portant la date 1504 permettait d'accéder au long couloir déjà mentionné. Une porte à droite ouvrait sur l'espace principal, pièce à vivre avec un plafond traditionnel ; une cheminée occupait la paroi ouest et une fenêtre percée sur la rue du Milieu en assurait l'éclairage naturel.
[Vue de la cuisine, état 1972. Au fond, la cheminée avec son manteau en bois sculpté par Ranguin.]
La pile d'évier en terre cuite vernissée, état 2011.
Vue de l'ancienne bergerie transformée en pièce d'habitation, état 2011.
Poursuivant le long du couloir, un autre escalier prenait place, à droite, en maçonnerie et de forme droite, menant à l'étage carré et en premier lieu sur un couloir distribuant deux chambres, l'une côté nord, l'autre côté sud (voir le plan de distribution de l'étage carré). Une alcôve prenait place entre la cage d'escalier et la chambre au sud. Cette dernière comprenait à l'entrée, dans la paroi ouest, un placard mural, ainsi qu'une cheminée de style Louis-Philippe avec un tableau plaqué de marbre blanc. Une porte-fenêtre, à l'instar de la cuisine à l'étage inférieur, offrait l'accès à une autre loggia pourvue d'un garde-corps métallique également. A l'opposé, la chambre au nord disposait d'un placard contre la paroi est. Une fenêtre sur la façade nord permettait d'éclairer la pièce. Le couloir distribuait aussi, en face de l'escalier, une troisième chambre, au-dessus de la bergerie donc, percée en façade nord d'une fenêtre, et dans laquelle on pénétrait par l'intermédiaire d'un petit vestibule doublé dans la profondeur par une petite alcôve indépendante de ce côté, mais qui communiquait avec la chambre. Une seconde volée droite, agrémentée d'une rampe métallique, permettait d'accéder à l'étage de comble. Il s'agissait d'un vaste espace scindé en trois pièces reprenant l'emprise au sol de chacune des maisons, avec une communication assurée de pièce en pièce. Côté nord, deux portes hautes assuraient l'approvisionnement du fenil. Quant à la pièce située côté sud, elle présentait, comme aux étages inférieurs, une loggia à laquelle une porte-fenêtre à l'est donnait l'accès. La grande hauteur sous comble avait autorisé le percement de deux baies fenières supplémentaires, témoignage sinon de l'existence ancienne de planchers mobiles du moins de la nécessité de disposer de volumineuses capacités de stockage durant les mois d'hiver prolongés sur cette partie du territoire. Les trois toits à pan unique sont recouverts de tôle ondulée.
Il n'est pas possible en l'état de comprendre les différentes étapes ayant conduit à l'usage des ces trois bâtiments distincts en une maison unique. La datation des aménagements spécifiques - notamment les espaces de circulation dédiés - nous échappe donc. Mais indubitablement, la différence de mise en oeuvre, ainsi que les décors portés sur la maison située côté nord, témoignent d'un édifice indépendant à l'origine, manifestement la demeure d'un commerçant aisé voire d'un bourgeois, qui peut remonter au 16e siècle comme l'indiquent la date portée en façade ainsi que l'encadrement de la porte avec coussinet, caractéristique de cette époque. Les têtes sculptées sur les coussinets des encadrements de porte en grès n'apportent pas, stylistiquement, d'informations probantes sur le sujet. Elles sont toujours identifiables : deux têtes encadrent la porte d'entrée de la maison rue du Milieu, et deux autres, associées aux piédroits d'un second encadrement de porte plus large, déterminent peut-être l'entrée d'une boutique. L'état de conservation très dégradé de deux têtes, celles dont le visage est orienté à l'ouest, indique le sens dans lequel vents et intempéries s'engouffrent dans cette ruelle étroite et peu à peu abîment la surface minérale jusqu'à rendre méconnaissable la représentation figurée. La poutre monumentale qui court le long de la façade est en réalité constituée de deux poutres superposées et bûchées qui tiennent lieu de linteau aux ouvertures.
La façade nord, rue du Milieu. Détail d'une tête très dégradée, orientée à l'ouest.
2. Les aménagements postérieurs à 1972
La distribution et les aménagements décrits ci-dessus témoignent de l'état de la maison en 1972, date à laquelle les propriétaires actuels ont fait l'acquisition du bien. Certaines interventions de confort ont été réalisées depuis lors, qui n'ont toutefois pas entraîné de modifications structurelles. L'escalier de la maison sud, entre le rez-de-chaussée surélevé et l'étage carré, était manifestement déjà supprimé à cette date. Au rez-de-chaussée surélevé, l'ancienne alcôve de la maison située au sud ne communiquait pas avec la pièce à vivre de la maison située au nord : vers 1975, les propriétaires ont déplacé le placard mural à deux portes pour créer une ouverture assurant la circulation entre les deux espaces, les portes de l'ancien placard tenant lieu d'ouverture d'une pièce à l'autre. La différence de niveau a été rattrapée par l'ajout d'un pan incliné. Les huisseries ont été harmonisées, mais en 1972, celles de la maison nord étaient en noyer et celles de la maison sud en mélèze. La cheminée qui prenait place dans la cuisine a été déplacée à l'étage carré de la maison adjointe à la maison sud, dans un angle de la chambre. Les carreaux de ciment teintés dans la masse, témoins d'un état du début du 20e siècle, ont été remplacés par des carreaux de terre cuite vernissée contemporains, et par de la tomette dans l'ancienne alcôve.
On identifie aussi certains aménagements de confort à l'étage carré, comme cette pièce d'eau (avec douche) insérée dans la chambre située au-dessus de la bergerie, à l'emplacement d'un ancien petit vestibule d'accès et de l'alcôve aujourd'hui détruite.
Vue de l'élévation sud, rue Principale, état 2011.
3. Un édifice en partie meublé avec des objets réalisés par le sculpteur local Auguste Ranguin
Plusieurs maisons du village contiennent des objets façonnés par le menuisier du village, Auguste-François Ranguin (1889-1960) [voir par exemple IA04002519]. Trois réalisations de la première moitié du 20e siècle vont de pair avec l'aménagement découvert par les propriétaires de la maison, avant travaux. Il s'agit de la cheminée de la cuisine, d'un lit de repos ou radassier, et de deux portes de placard avec encadrement dans la chambre à coucher de la maison sud, mis en oeuvre à partir de bois de noyer, une constante chez Ranguin. Les deux premiers présentent un décor sculpté végétal organisé symétriquement de part et d'autre d'un point central, sous forme de frise pour le radassier, et de guirlande fleurie pour le manteau de la cheminée, selon un style reconnaissable de l'artisan-artiste. Si le caractère naïf domine pour le décor du manteau de la cheminée, une référence à l'exubérance contenue issue de l'Art nouveau semble s'imposer pour le flanc et les montants chantournés du radassier. Les portes de placard et leur encadrement proposent quant à eux un décor subtil qui joue sur la déclinaison d'une forme simple, le rectangle, et sur l'évolution de la stabilité géométrique vers l'asymétrie dynamique, de bas en haut. Chaque porte présente une superposition de trois panneaux dont le premier est un rectangle, le second un rectangle avec un couronnement chantourné, le troisième une seconde évolution avec une base chantournée et un couronnement en chapeau de gendarme. L'attique, dans l'encadrement, reçoit en son centre un détail sculpté dans la masse, un coeur déformé qui semble irradier en halos successifs conservant la forme générale et débordant de part et d'autre sur les bandeaux moulurés : ce motif est également caractéristique d'Auguste-François Ranguin. Il s'inscrit dans un cadre mouluré sculpté en réserve dont les deux extrémités présentent un corps en doucine renversée d'orientation identique qui reprend avec finesse l'asymétrie du coeur central et achève d'apporter à l'ensemble un schéma dynamique très cohérent basé sur la variation à partir de formes simples.
Détail de la frise florale sculptée. Etage carré, chambre sud : coeur sculpté dans le noyer par Ranguin (attique du placard mural), état 2011.
Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).