Dossier collectif IA04002770 | Réalisé par
Mosseron Maxence (Contributeur)
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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Sauze Elisabeth (Rédacteur)
Sauze Elisabeth

Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.

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  • inventaire topographique
cabanes pastorales ; ensembles pastoraux ; enclos
Copyright
  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    ensemble pastoral, cabane, enclos
  • Aires d'études
    Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var

SECTION I. DE LA TRANSHUMANCE A L'ESTIVE : JADIS ET AUJOURD'HUI DANS LE PAYS

Nous nous intéresserons ici à la pratique de la transhumance montante dans le Pays Asses-Verdon-Vaïre-Var (Pays A3V), c’est-à-dire aux migrations ovines, en période estivale, sur des distances supérieures à 50 km, selon un système cadencé entre la basse Provence et les reliefs alpins. Car historiquement il existe aussi une activité d’inalpage1, dans laquelle le berger local dispose d’un troupeau à l’année qu’il conduit sur zone pendant la saison d’estive2 et qu’il peut même ramener quotidiennement au village pour la nuit. C’est même la première forme d’utilisation des pâturages d’altitude, qui a progressivement dû intégrer l’afflux de troupeaux transhumants, non sans conflits. Le territoire considéré épouse l’entité administrative formée par le Pays A3V, soit une zone située à l’est du département des Alpes-de-Haute-Provence regroupant quarante et une communes entre Allos et Rougon, du nord au sud, Saint-Pierre et Senez, d’est en ouest. Ce territoire composite, entièrement concerné par le phénomène de la transhumance mais à des degrés divers, apparaît marqué par un fort enclavement induit par la présence de quatre vallées dont la plus importante, celle du Verdon, traverse l’aire du sud au nord. Le relief omniprésent est surtout significatif dans la partie est et davantage encore dans le nord du territoire, où les altitudes maximales dépassent 2 000 m.

Portion de l'unité pastorale du lac d'Allos, depuis le col de l'Encombrette (Allos).Portion de l'unité pastorale du lac d'Allos, depuis le col de l'Encombrette (Allos).

Dans le sud cependant, quelques reliefs compris entre 1 500 m et 2 000 m favorisent la présence d’alpages3, donc de troupeaux, fixant séculairement la pratique de l’estive [REF IA04002535].

Cabane avec enclos sur le massif de la Bernarde (Vergons). A l'arrière-plan, le pic de Chamatte.Cabane avec enclos sur le massif de la Bernarde (Vergons). A l'arrière-plan, le pic de Chamatte.

I. Une pratique très ancienne dans le Pays A3V…

La pratique de la transhumance est attestée au moins à partir du 4e millénaire avant J.-C. – le mot n’apparaît pourtant qu’au 19e siècle – même si les spécialistes divergent quant aux distances parcourues alors par les troupeaux. Depuis l’époque romaine jusqu’à la Révolution française, les historiens s’accordent à reconnaître une permanence des usages. La transhumance d’une manière générale paraît ainsi constituer une pratique ancestrale balisée ; or, de grandes incertitudes demeurent concernant son évolution, notamment en raison de la faiblesse du matériel archéologique exploitable et des études menées jusqu’à présent in situ. En outre, les aires géographiques concernées par ce phénomène n’apportent pas les mêmes sources d’informations. Dans ce domaine, pour le Pays A3V, et à défaut d’enquête de terrain de type archéologique permettant de remonter de manière fiable en-deçà du 15e siècle, seules les sources historiques (notamment les actes notariés de type contrats marchands ou les cartulaires4 comme celui de l’abbaye de Saint-Victor) autorisent quelques certitudes malgré leur caractère lacunaire. Les dépouillements partiels entrepris par l’historien Noël Coulet pour la sphère aixoise ont prouvé l’existence d’un mouvement transhumant dans la vallée du Verdon notamment dès la seconde moitié du 14e siècle, avec un essor significatif dès le premier quart du 15e siècle, avant d’essaimer plus au nord pour investir les vallées alpines de l’Ubaye, du Champsaur ou encore du Valgaudemar, avant le milieu du 15e siècle. D’autres recherches, plus récentes, tendent même à prouver une antériorité du phénomène. En effet les archives le font remonter au 13e siècle voire à la fin du 12e siècle pour les vallées irriguant notre territoire, notamment pour l’estivage des troupeaux appartenant à l’abbaye du Thoronet. L’abbé Pellissier, dans son Histoire d’Allos…, précise que le sénéchal du roi de Naples Charles de Duras, à l’article 50 de la charte du 12 août 1385, confirma les souhaits des habitants d’Allos en matière de gestion du bétail transhumant : « Les troupeaux d’Allos qui vont hiverner dans la basse Provence et qui reviennent dans les montagnes pour y passer l’été auront le passage libre et gratuit sur toutes les terres du comte de Provence et de Forcalquier, et les conducteurs de ces troupeaux n’auront aucune indemnité ou redevance à payer, excepté pour les dégâts faits dans les blés, les vignes et les prés, etc… ».

1. ... Pérenne

La transhumance constitue donc une activité pluriséculaire dont les modes de fonctionnement semblent n’avoir guère évolué. Elle permet de pallier le manque en herbe l’été pour les troupeaux ovins de la frange côtière. Il est ainsi remarquable d’observer la stabilité de nombreux domaines d’estive au cours du temps. Les troupeaux aixois par exemple, durant la première moitié du 15e siècle, montent pâturer sur la montagne de Lachen, à Thorame-Basse [REF IA04002412, ill. 4], sur les pentes de l’Orgeas, à Thorame-Haute [REF IA04002406], du Défens, à Beauvezer, au col de Lignin, à Colmars, ou encore dans le domaine pastoral d’Allos, entre les alpages de l’Autapie ou ceux du Laus, autour du lac.

Ensemble pastoral sur la montagne de Lachen (Thorame-Basse).Ensemble pastoral sur la montagne de Lachen (Thorame-Basse). La cabane de l'Orgéas dans sa pâture (Thorame-Haute).La cabane de l'Orgéas dans sa pâture (Thorame-Haute).

C’est ainsi que Pierre Eyguesier, nourriguier5 d’Aix, loue pour l’été, par contrat du 10 janvier 1417, les alpages de Pierregrosse situés à Méailles, pour un aver6 comprenant 160 trenteniers7 (4 800 têtes). Ces pâturages sont toujours en activité six siècles plus tard, même si la provenance des troupeaux diffère (ils viennent désormais majoritairement du Var). D’ailleurs la présence de cabanes d’estive séculaires, ou de bâtiments successifs occupant le même emplacement sur les différents alpages, est attestée par les cartes anciennes comme celles des ingénieurs militaires levées pour la région Est de la France entre 1764 et 1778.

Certaines ont conservé leur appellation, d’autres sont apparues sur le cadastre dit napoléonien levé pour notre territoire entre 1811 et 1838.

On constate donc l’ancienneté des sites d’estive, ainsi qu’un accroissement du nombre de cabanes consécutif à la Révolution française, qui se poursuit durant le 19e siècle, traduisant un développement du phénomène transhumant.

2. Les trois formes historiques du pastoralisme transhumant en Pays A3V

Le Pays A3V constituerait-il une zone comme une autre du pastoralisme transhumant ? Oui et non. Car il s’appréhende de trois manières complémentaires.

D’abord comme espace de transhumance courte dans les limites du Pays : un troupeau basé dans la vallée de l’Asse de Clumanc, à Saint-Lions, a par exemple entamé son estive en 2013 par les alpages de Boades, du Clot d’Hughes, et du Poil, à Senez, de mi-juin à mi-juillet avant de rejoindre à pied les pâturages de Pra-Mouret, à Peyresq (commune de Thorame-Haute) pour le reste de la saison, après une halte au col des Robines (commune de Saint-André-les-Alpes).

Ensuite, comme aire géographique de passage, où le territoire actuel considéré ne constitue qu’une partie intermédiaire du trajet global : en 1432, les entrepreneurs de transhumance Antoine Bonet et Antoine Bellieud regroupent à Esparron (Bouches-du-Rhône) 440 trenteniers formant quatre troupeaux ; le premier à destination de Prads (Alpes-de-Haute-Provence), le second de Thorame-Basse (Pays A3V), le troisième de Méolans (Alpes-de-Haute-Provence) et le dernier plus au nord en Champsaur et au-delà de l’Ubaye.

Enfin comme point de départ vers des alpages plus élevés, dans le nord du département voire au-delà : un troupeau, basé au lieu-dit la Rouvière, à Senez, réunissant 650 têtes de bétail, transhume ainsi avec d’autres avers depuis le sud du Pays A3V vers les Hautes-Alpes. D’où des convois de plusieurs milliers de bêtes réunissant différents troupeaux aux destinations finales variées mais qui cheminent jusqu’à leur alpage respectif. Tel gros troupeau appartenant à un éleveur unique pouvant d’ailleurs être scindé en plusieurs lieux d’estive, sur des montagnes distinctes, pour éviter la surpécoration8. En 2008, la taille moyenne des troupeaux locaux est d’environ 480 brebis. Avant la Révolution, elle était inférieure à 100 têtes.

3. L’évolution de la transhumance

Pourtant, si la pratique de la transhumance est ancienne, elle n’a rien de spontané. En tant que phénomène dûment identifié, elle s’inscrit dans l’histoire et évolue avec elle, tant par ses finalités (débouchés commerciaux) que par ses modalités (itinéraires et organisation logistique). Noël Coulet a bien énoncé d’ailleurs l’imprudence à établir sans justification l’hypothèse de parcours immuables. L’élevage ovin transhumant a vu au fil du temps ses objectifs varier. En premier lieu, et au sein d’une polyculture vivrière attestée jusque dans la seconde moitié du 19e siècle dans le Pays A3V, il permet de récolter un fumier d’une grande richesse propice aux cultures d’abord céréalières. D’autre part, la production de laine représente l’essentiel du revenu financier du troupeau, qui selon les textes est constitué de « bettes à laine », et ce jusqu’à la fin du 19e siècle. La lecture du livre de raison9 de Jean-Baptiste Blanc, éleveur établi à La Colle Saint-Michel sous le règne de Louis XIV, commune administrativement rattachée à Thorame-Haute depuis1976, révèle que le 9 juin 1705 il met en vente 450 kg de laine issus de la tonte de son troupeau. Rien n’a semble-t-il changé deux siècles plus tard. Émile Chaillan, berger transhumant à La Colle, copropriétaire d’un troupeau de 420 moutons et 7 chèvres, obtient en 1912 pour la tonte 1 032 francs, frais déduits. Somme considérable, mais reliquat d’une période révolue. Car la suppression des droits de douane entre la France et l’Angleterre, consécutive au traité de libre-échange commercial de 1860, ajoutée à la concurrence étrangère et à une demande accrue d’animaux de boucherie liée à l’augmentation de la population urbaine, avait modifié la donne dès le dernier tiers du 19e siècle. Au début du siècle suivant, le marché de la viande prend le relais d’un marché lainier dévalorisé, dont les années 1950 sonnent le glas. La fabrication et la vente des fromages assuraient également une ressource complémentaire non négligeable, mais secondaire, et cette activité paraît avoir peu à peu disparu dans la seconde moitié du 19e siècle.

Il convient aussi de considérer l’importance de l’élevage ovin transhumant dans une perspective de chaîne économique large,puisque la tonte offrait une matière première à la proto-industrie textile lainière qui s’est progressivement mise en place en haute Provence et significativement dans la haute vallée du Verdon à partir du 15e siècle. Cette activité prit une importance économique indéniable (elle marque encore le paysage local) avec l’apparition et l’exploitation des nombreuses draperies, notamment sur la commune de Beauvezer, qui témoignent de la mise en place d’une production industrielle au cours du 19e siècle sous la forme de draps essentiellement destinés à la confection des uniformes de l’armée française. Mécaniquement, la demande croissante entraîna un accroissement du cheptel ovin et par conséquent le recours à de nouveaux pâturages pour accueillir des troupeaux transhumants toujours plus nombreux, accentuant de fait le phénomène.

La grande draperie Trotabas, ancienne usine textile (Beauvezer).La grande draperie Trotabas, ancienne usine textile (Beauvezer).

La désertification rurale qui frappe les Alpes du Sud depuis la seconde moitié du 19e siècle s’est accompagnée d’un recul massif des troupeaux locaux, offrant en retour d’immenses superficies de pâturages pour les ovins transhumants. Aujourd’hui l’économie du pastoralisme, concentrée sur les races à viande (Mérinos d’Arles, Préalpes et dans une moindre mesure Mourrerous) est intégralement axée sur l’agroalimentaire.

Berger et son troupeau sous l'orage.Berger et son troupeau sous l'orage.

II. L’économie du pastoralisme transhumant

1. Les différents acteurs de la transhumance

Plusieurs catégories d’acteurs participent historiquement de la transhumance en tant que système économique. On en dénombre six, certaines pouvant être ramifiées : les propriétaires de troupeaux ou éleveurs (ainsi de Jean-Baptiste Blanc dont on conserve un livre de raison établi entre juillet 1704 et octobre 1709) ; les négociants ; les entrepreneurs de transhumance (Noé de Barras, qui a laissé un carnet de compte pour l’année 1480, en est le parangon) ; les baïles, pâtres ou maîtres bergers (ainsi de Peyre Barruel, maître berger du roi René, qui a également rédigé un carnet daté de 1460) ; les bergers (secondés par les aides-bergers) ; les propriétaires-bailleurs des alpages. Les fonctions peuvent être couplées : M. T., un habitant de Villars-Heyssier rencontré en 2013, possède un troupeau d’environ 500 têtes qu’il emmène pâturer une partie de l’été au Défens, sur la commune de Beauvezer. Mais cet éleveur garde lui-même son aver ainsi que celui de son frère, soit 1 000 bêtes au total, auxquelles s’ajoutent environ 300 moutons d’un troisième troupeau, appartenant à un autre éleveur de Beauvezer. Les deux troupeaux familiaux hivernent à Charleval, dans les Bouches-du-Rhône. Durant l’estive il est secondé dans sa tâche par un aide-berger.

Aujourd’hui l’activité de transhumance se réduit à trois acteurs principaux : l’éleveur, le berger et le propriétaire-bailleur d’alpages.

Le Pays A3V est suffisamment vaste pour présenter, et ce jusqu’à la Révolution française, une grande disparité entre propriétaires terriens. La partie sud de l’actuel Pays est surtout marquée par la propriété seigneuriale, inféodée au comte de Provence. Mais il existe des exceptions : Vergons par exemple était une commune libre au 14e siècle. Le nord du territoire présente un visage plus communautaire. Certes, on constate la présence d’un pouvoir seigneurial notamment représenté par des familles issues de lignées nobiliaires comme les Faraud de Thorame. Mais le comte Raymond Béranger a favorisé l’implantation de consulats, donc la propriété collective, dès le 13e siècle à Allos, Colmars ou encore Beauvezer (1233). Ce schéma général admet quelques exceptions en ce qui concerne les alpages proprement dits : il existait ainsi des ordres monastiques propriétaires terriens de pâturages, comme l’abbaye Saint-Victor de Marseille, mais aussi des consortages au sein des montagnes communales, c’est-à-dire des groupements de propriétaires indivis qui observaient des règlements d’usage particuliers, autorisant sous conditions la location de parcelles à des tiers extérieurs, donc à des troupeaux transhumants en sus de la charge locale. La propriété individuelle constitue une autre possibilité. Il convient enfin de mentionner, depuis la loi Montagne de 1972, l’émergence puis le développement des Groupements Pastoraux permettant une réorganisation de la gestion collective des pâturages communaux, facilitant les accès sur site et les conditions d’exercice du métier de berger. On en comptait 25 en 2009 rassemblant 47 000 ovins,90 éleveurs et 27 000 hectares, soit 16 % du territoire du Pays Asses-Verdon-Vaïre-Var.

2. Une économie lucrative : la commercialisation des alpages

Très vite s’est mis en place un véritable marché des alpages traduisant une économie florissante. Les contrats de location de troupeaux avec clauses spécifiques sont alors nombreux et de natures variées. Il en va de même pour les taxes. Le marché en expansion à partir de la fin du 13e siècle a en outre induit une complexité croissante du droit en la matière. Citons les plus importants. Les contrats tout d’abord : baux de location de montagne pastorale (locatis montanae) auxquels s’ajoute souvent, pour le preneur du ou des troupeaux, le contrat d’acheminement à destination (promessio ducendi). On relève un autre type de contrat, le contrat divisionnaire, lorsque le preneur sous-loue l’alpage à d’autres bergers pour atteindre la jauge, c’est-à-dire le maximum de têtes de bétail prévu dans le bail de location initial. Signalons aussi les associations pastorales de type baux à cheptel ou mègerie10, lorsque le propriétaire confie son troupeau à un tiers moyennant partage des profits et du croît en laine, fromage, bétail.

Les taxes formaient l’autre aspect essentiel de ce commerce, avec notamment les droits de péage, dont les plus importants dans l’actuel Pays A3V se situaient principalement à Castellane, et secondairement à La Garde et Robion. Ces communes, de par leur implantation, constituaient dès le 15e siècle des verrous ouvrant l’accès aux massifs intermédiaires et bien sûr à la haute vallée du Verdon et au-delà. D’autres taxes étaient en vigueur comme le pasquerium (dû au seigneur d’un terroirpar les éleveurs des troupeaux qui y paissent) et le « pulvérage » (lié à la poussière soulevée par les troupeaux transhumants, néfaste aux cultures). Il existait également des taxes particulières comme celle appelée « cabanage » à Colmars, qui imposait aux bergers transhumants une contribution en nature sous la forme de fromages au profit des propriétaires des pâturages. Dès la fin du premier tiers du 15e siècle apparaissent les baux de location d’alpage à long terme (entre 2 et7 années). Aujourd’hui la concession est pérennisée durant toute la période d’activité du berger. La commune de Thorame-Haute loue sur ce principe neuf montagnes de son domaine pour les troupeaux transhumants.

3. La transhumance, une composante de l’identité du Pays A3V

La transhumance ascendante constitue un élément caractéristique du Pays A3V. C’était déjà le cas pour le phénomène historiquement premier, la transhumance hivernale dite descendante, vers les plaines du littoral, preuve d’un ancrage ancien. Ce marqueur identitaire résiste. Certes, l’activité transhumante, fortement dépendante du système d’aides et de subventions, et bénéficiaire d’une politique volontariste de l’État et de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, est en baisse même si elle constitue encore une ressource essentielle de l’économie locale. La chute du cours de la viande explique aussi ses difficultés. Toutefois la pratique persiste et tend à devenir un signe identitaire du territoire, véhiculé par les manifestations locales (fête des bergers, de la transhumance, rencontres pastorales…) auprès du public. Si d’autres activités ont pu jouer un rôle ponctuel important dans le Pays A3V, dégager des bénéfices substantiels et entraîner des aménagements particuliers (la culture de la lavande fine et les distilleries afférentes, les draperies, liées en grande partie d’ailleurs à l’élevage ovin), aucune n’a eu autant d’impact sur le territoire, et de manière aussi durable. Car la transhumance ovine englobe un ensemble d’usages, des espaces naturels anthropisés, maillés de bâtiments, d’édicules et d’aménagements spécifiques, tout un réseau de communication propre (carraires et drailles11), en somme des problématiques culturelles, patrimoniales, économiques et environnementales qui continuent aujourd’hui à structurer le terroir, même si de façon moins visible.

En outre, la transhumance a mobilisé très tôt de nombreuses ressources humaines locales. Dès le 14e siècle, les éleveurs de basse Provence ont fait appel aux montagnards pour acheminer leurs avers sur les alpages, parce qu’ils avaient une connaissance fine des parcours surtout en zone alpestre, ainsi que du contexte tant géographique qu’économique. D’où des associations pastorales précoces. Mais les montagnards bas-alpins ne servaient pas que de nourriguiers. Ils étaient aussi des éleveurs et surtout des bergers transhumants qui d’ailleurs ont laissé des témoignages écrits de leur activité comme de leurs origines, que ce soit sur le lieu d’hivernage ou sur l’alpage d’estive. Ces graffitis se limitent généralement aux informations essentielles mais certains peuvent être beaucoup plus développés. Ainsi du maître berger P. J. H. (?) Féraud dit Laverdière, qui grave sur la porte de la cabane de Chalufy le message suivant : « FERAUD pjHDIT/LAVERDIERE. NÉ/AISTRES LE 5/7TEMBRE1816/CARABINIER AU/20ME LÉGER./AN CONGÉ LEX/7TEMBRE.1842./BAYLEJ BERGER/AN 1846/D’AUCUNE PROTETION/ORPHELIN A14 AN/D’UNE SAGE FAMILLE/FAIT AN 1854 ».

Porte entièrement couverte d'inscriptions de bergers, dans la cabane de Chalufy (Thorame-Basse). La plus ancienne date de 1840.Porte entièrement couverte d'inscriptions de bergers, dans la cabane de Chalufy (Thorame-Basse). La plus ancienne date de 1840.

Nombreux étaient les hameaux dont l’économie reposait intégralement sur le pastoralisme transhumant : La Colle Saint-Michel à Thorame-Haute, Aurent à Castellet-les-Sausses ou encore La Valette à Thorame-Basse. Les transhumances successives ont permis de pérenniser les relations jusqu’à aujourd’hui. En 2012, le plus gros éleveur ovin de Thorame-Haute, avec environ 3 000 têtes, fait hiverner son troupeau six mois dans la Crau (de novembre à avril), et les six mois restants (de mai à octobre) dans les prés puis dans les alpages de la commune et ceux d’Allos.

III. La pâture en alpage, finalité de la transhumance

1. Accéder à l’alpage : l’acheminement des troupeaux

L’accès à la pâture s’effectue à partir de chemins dédiés depuis la basse Provence. L’histoire précise de ces carraires ou drailles reste à écrire. Quelques jalons établis permettent cependant d’en dresser les grandes lignes, au moins depuis le 13e siècle, même si la réutilisation des anciennes voies romaines n’est pas exclue, ce qui indiquerait une existence plus précoce encore. Dès 1232, Raymond Béranger accorde aux Arlésiens le libre passage de leurs troupeaux à travers le territoire, et un statut de 1235 établit l’usage des carraires, pour assurer le trajet jusqu’aux montagnes, et de haltes pâturées intermédiaires, les relarguiers12, puisque la route demandait environ vingt-cinq journées de marche dans une période comprise entre fin mai et mi-juin, avant la Saint-Jean. Les droits à payer, les taxes multiples parfois indues imposées aux transhumants par les seigneurs et les communautés traversées, qui avaient tendance à surestimer les dommages provoqués par les troupeaux en transit, entraînèrent les habitants d’Arles à demander l’arbitrage de l’intendant de Provence dans un Mémoire sur les vexations exercées sur les troupeaux qui vont à la montagne, rédigé en 1766. Ils eurent gain de cause mais ces excès demeurèrent car la transhumance générait une économie importante dont chacun cherchait à tirer parti. Cela entraîna, en lien avec le marché des alpages (voir ci-dessus I/2/b), une organisation stricte ayant donné lieu à des textes réglementaires. La largeur des carraires reliant la Basse et la Haute-Provence fit ainsi l’objet d’un arrêt du Parlement de Provence en date du 21 juillet 1783, disposant  par exemple dans son article 2 qu’elle devait s’en tenir exclusivement à une mesure comprise entre 5 et 10 cannes13. Mais les décisions n’étaient pas toujours appliquées, souvent au détriment des transhumants, nous l'avons vu.

Toujours est-il que cette activité très ancienne représentait une manne financière indispensable à qui pouvait louer à prix d’or ses quartiers de montagnes. Aussi les communes disposant de vastes alpages ne pouvaient-elles en faire l’économie. Dès lors, le tracé des carraires, puis des drailles – autrement dit le chemin principal et les chemins secondaires14 ‒ revêtait une importance cruciale, puisqu’il déterminait des enjeux réciproques. Un document d’archive intitulé « Procès-verbal de reconstitution et de détermination du tracé des carraires sur le territoire d’Annot » et daté de mai 1784, par exemple15, précise avec force détails les modalités et la localisation du tracé de la carraire et des ramifications secondaires, les drailles, au nombre de 916.

La Révolution laissa le réseau viaire en déshérence, surtout dans les zones montagneuses. Finalement, les carraires furent abandonnées dans la seconde moitié du 19e siècle, au profit du chemin de fer à partir de 1878, puis du réseau routier à partir des années 1960, grâce aux bétaillères qui assurent un transport des troupeaux au pied des pâturages. Aujourd’hui, la transhumance pédestre n’existe quasiment plus. Seuls quelques courts tronçons sont encore empruntés.

La transhumance aujourd'hui (Thorame-Haute).La transhumance aujourd'hui (Thorame-Haute).

En revanche, certaines anciennes voies d’accès depuis le fond de vallée jusqu’à l’alpage continuent d’être pratiquées puisqu’elles sont à l’écart du réseau routier. Ainsi existe-t-il toujours des carraires plus ou moins larges qui maillent les flancs montagneux. Le cadastre napoléonien les mentionne, et beaucoup n’ont pas évolué depuis maintenant deux siècles.

Extrait du cadastre de 1827 signalant les cabanes et les carraires (pâture de Mouriès-Lignin, Colmars)Extrait du cadastre de 1827 signalant les cabanes et les carraires (pâture de Mouriès-Lignin, Colmars)

2. La pratique de l’alpage : un espace conflictuel

Historiquement, nous l’avons vu, les propriétaires d’alpages pouvaient être de différentes natures, publiques comme privées. Certaines formes ont disparu : propriétés seigneuriales ou monastiques. D’autres sont apparues : propriété de l’État via l’Office national des forêts (ONF) et la Restauration des terrains de montagne (RTM), ou parc national du Mercantour qui inclut une petite frange du Pays A3V (Allos et Colmars) ; propriété de collectivités territoriales comme le parc régional du Verdon qui rassemble huit communes du sud du Pays dont certaines possèdent des alpages (Blieux, La-Palud-sur-Verdon). Les groupements pastoraux constituent la forme la plus moderne d’exploitation des pâturages, et peuvent prendre des formes variées telles que société, association, syndicat ou groupement d’intérêt économique.

Cette diversité traduit en filigrane la complexité de la gestion des alpages depuis plusieurs siècles, notamment sur le plan juridique depuis l’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669,qui interdit l’abattage sauvage des arbres, donc la pratique de l’essartage17, ainsi que la création de nouvelles pâtures – même si faute de personnel elle ne fut pas appliquée en montagne. En outre, les logiques et les intérêts s’affrontaient entre les éleveurs accusés de pratiquer la surpécoration et les agriculteurs enquête de terres de cultures. S’ajoutait à cela le grave problème de l’érosion lié au déboisement, qui économiquement conduisit à l’abandon de plusieurs villages, les terres ravinées n’autorisant plus les cultures et les crues des torrents entraînant des dégâts considérables. Trois textes, qui contribuèrent à accroître fortement les tensions, puisqu’ils autorisaient les expropriations, doivent à ce titre retenir l’attention. Les éleveurs, locaux comme transhumants, étaient directement visés par la nouvelle législation. Il s’agit des lois du 28 juillet 1860, sur le reboisement, du 8 juin 1864, sur le gazonnement des montagnes, et surtout du 4 avril 1882, sur la restauration et la conservation des terrains en montagne (cette dernière étant toujours en vigueur dans onze départements métropolitains). L’hostilité de la population était manifeste. Le constat formulé par un habitant de Barrême à la fin des années 1850 : « Celui d’entre nous qui voudrait toucher au pâturage serait aussitôt attaché à l’arbre de la Croix » témoigne des nombreuses tensions sur ce point. L’attitude autoritaire des ingénieurs agronomes, détenteurs du droit et censés détenir le savoir au mépris des populations locales prétendument sous-éduquées, n’aida pas à pacifier les relations. Les archives abondent en demandes d’autorisations exceptionnelles, émanant des particuliers ou des communes elles-mêmes, pour le passage de transhumants sur les terrains replantés afin de gagner les montagnes pastorales ; toutes ou presque refusées par les inspecteurs des forêts18.

Quoiqu’il en soit, l’action concertée de la RTM, notamment dans l’entre-deux-guerres, permit de stabiliser les sols grâce aux ouvrages du génie civil comme les barrages, puis de reboiser de nombreux espaces grâce aux pépinières aménagées, y compris sur des zones d’estive.

La déprise agricole19, particulièrement sensible depuis la seconde moitié du 19e siècle, joua aussi un rôle dans le reboisement spontané.

Notons, depuis 1992, la réintroduction du loup dans le parc national du Mercantour, qui s’y reproduit activement et provoque des avanies importantes chez les bergers transhumants, mesurables en pertes sèches de brebis, mais incalculables sur le plan de la gestion des troupeaux, modifiant profondément la pratique du métier.

3. L’estive, un espace commun aux enjeux multiples

Aujourd’hui, la montagne est plus que jamais un espace partagé, où les intérêts parfois complémentaires, parfois opposés, doivent désormais cohabiter (écologiques, touristiques, économiques, culturels, patrimoniaux).

La montagne partagée : zone de pâture sous les remontées mécaniques (la Foux d'Allos).La montagne partagée : zone de pâture sous les remontées mécaniques (la Foux d'Allos).

L’organisation interne propre à la transhumance, comprise comme système de relations économiques et sociales dans lequel les pratiques et le facteur écologique jouent un rôle central, a beaucoup évolué depuis quelques décennies. Certains acteurs tels que les baïles (entrepreneurs de transhumance en charge de leurs alpages) et l’ancienne génération de bergers ont disparu après la Seconde Guerre mondiale, entraînant une évolution des savoirs et des pratiques aussi bien dans la gestion des pâtures que dans la conduite des troupeaux et les techniques de garde. L’abandon généralisé des parcours pédestres tend à réduire auprès du public le phénomène au lieu de l’estive, alors même que les anciens itinéraires réservés, les drailles ou carraires, apparaissent encore sur le cadastre, et parfois aussi sur le terrain.

Troupeau en file le long d'une draille dans la pâture de Mouriès-Lignin (Colmars).Troupeau en file le long d'une draille dans la pâture de Mouriès-Lignin (Colmars).

De même, certains aménagements sur l’alpage deviennent aujourd’hui caducs. On observe ainsi un désir de patrimonialisation pour une activité qui reste d’actualité, encore dynamique, mais dont certaines traces matérielles historiques tendent à disparaître au profit d’une modernisation nécessaire. La transhumance vit en outre une profonde mutation, marquée par l’évolution des pratiques et liée aux clivages et revendications qui modifient l’usage commun des pâtures (bergers, randonneurs, cyclistes, chasseurs, écologistes…). La cabane elle-même peut aussi être commune aux bergers et aux touristes (hors période d’activité durant l’estive), ou exclusivement réservée aux uns ou aux autres, en fonction de son statut public ou privé.

Témoignage de la cohabitation entre berger et randonneurs (cabanes de Bressenge, Colmars).Témoignage de la cohabitation entre berger et randonneurs (cabanes de Bressenge, Colmars).

Signe des temps, on constate malgré la crise un renouveau du métier de berger transhumant qui bénéficie de formations professionnalisantes attirant essentiellement de jeunes urbains (dont le Centre de formation du Merle à Salon de Provence constitue l’archétype depuis 1931) et qui se féminise : telle cabane sur le massif de la Bernarde (Vergons, REF IA04002535), la cabane de la Sellanche (Beauvezer, REF IA04002404), celle de Juan (Villars-Colmars) ou de l’Encombrette (Colmars) étaient occupées chacune par une bergère de moins de quarante ans, en 2013.

SECTION II. CABANES D'ESTIVE ET ENSEMBLES PASTORAUX DANS LE PAYS

I. Loger le berger : la cabane pastorale et ses fonctions

1. L’implantation des cabanes

L’implantation des cabanes respecte deux logiques simples, la première étant impérative : être à proximité d’une alimentation en eau (sous la forme d’une source ou d’un cours d’eau) et choisir autant que possible un emplacement qui protège le bâti (contre les intempéries mais surtout, dans des zones d’altitude et pentues, contre les éboulements fréquents). Aussi trouve-t-on beaucoup de cabanes sur des replats isolés, là où la vitesse et la puissance d’une éventuelle avalanche seraient amoindries.

Cabane implantée sur un replat (Clauvas, Thorame-Basse).Cabane implantée sur un replat (Clauvas, Thorame-Basse).

Mais certaines cabanes sont également accolées au massif. Cette implantation étant potentiellement dangereuse, l’encaissement et la faible hauteur du bâti permettent d’atténuer les risques en donnant moins de prise aux éléments [REF IA04002413].

Cabane implantée dans la pente (Cheval Blanc, Thorame-Basse).Cabane implantée dans la pente (Cheval Blanc, Thorame-Basse).

Les combinaisons foisonnent évidemment, comme pour la cabane du Chabanal à Beauvezer : adossée à une barre rocheuse proche d’une éminence donc abritée des éboulements, encaissée sur un replat en bordure de ravin. La cabane peut aussi tirer parti des accidents du relief comme pour la cabane des Blocs, à Villars-Colmars, et ainsi économiser les matériaux de construction [REF IA04002371].

La cabane des Blocs (Villars-Colmars) intègre des rochers erratiques de grès dans sa structure.La cabane des Blocs (Villars-Colmars) intègre des rochers erratiques de grès dans sa structure.

L’emplacement de la cabane reste toutefois tributaire de la disposition naturelle de la pâture et les destructions ne sont pas rares. On observe des reconstructions ou des constructions nouvelles à proximité de cabanes effondrées victimes des éléments, sur des sites apparemment moins exposés.

Davantage encore que la recherche d’une situation préservée, la stratégie d’implantation doit tenir compte de l’utilisation de la pâture en fonction des ressources disponibles (en herbe, en eau, etc…). On remarque aussi quelques dédoublements de cabanes sur un même site, non pas pour améliorer le fonctionnement de la pâture mais pour des raisons de modernisation et de confort (l’ancien bâtiment étant devenu impropre à l’accueil des bergers) et/ou d’accueil des randonneurs. En témoignent par exemple les cabanes de Joyeux ou de Sangraure, à Villars-Colmars [REF IA04002407].

Cabanes de Sangraure (ancienne, au premier plan ; nouvelle, au second plan). Villars-Colmars.Cabanes de Sangraure (ancienne, au premier plan ; nouvelle, au second plan). Villars-Colmars.

2. La datation

Il est extrêmement difficile d’apprécier l’ancienneté et la durée d’occupation d’un site d’estive sans pratiquer de fouilles archéologiques. Les cabanes présentes aujourd’hui peuvent avoir été construites dans un passé relativement ancien (antérieurement au 19e siècle, voire en deçà), mais les techniques de construction et de mise en œuvre a priori figées depuis la fin du Moyen Âge ne permettent pas, sans examen approfondi, d’identifier d’éventuelles modifications et encore moins une reconstruction. Par ailleurs, les documents figurés (cadastre napoléonien ou cartes plus anciennes) ont leurs limites. S’ils mentionnent – parfois sous la même appellation lorsqu’elles sont nommées – des cabanes en place aujourd’hui, ils n’autorisent pas à certifier qu’il s’agit bien des mêmes bâtiments. Ils ne font que désigner sans autre précision l’occupation d’une pâture d’estive et l’existence à un moment donné d’un logis destiné aux bergers. En vérité, les exemples de cabanes reconstruites abondent. Quant aux dates portées et autres chronogrammes, peu fréquents, ils doivent être considérés avec circonspection. Ils peuvent en effet renseigner une intervention sur un bâti existant tout autant qu’une construction nouvelle, ou encore une date d’occupation.

Dates portées avec nom et initiales de bergers sur la chaîne d'angle de la cabane Michard (Villars-Colmars). Dates portées avec nom et initiales de bergers sur la chaîne d'angle de la cabane Michard (Villars-Colmars).

Inscription avec date sur un bloc de grès de la cabane de Sainte-Anne (Villars-Colmars) : "1894/STE LE 26 ANNE/JUILLET/G.J".Inscription avec date sur un bloc de grès de la cabane de Sainte-Anne (Villars-Colmars) : "1894/STE LE 26 ANNE/JUILLET/G.J".

Quoi qu’il en soit, il est certain que les cabanes encore visibles actuellement sont très rarement antérieures à la fin de l’Ancien Régime (18e siècle) : auparavant, surtout pour ces constructions temporaires voire précaires, on avait tendance à utiliser davantage le bois, qui résiste moins aux attaques du temps, et dont on ne garde plus trace en élévation. L’étude de terrain a en outre permis d’établir l’existence, à l’état de ruines identifiables, de quantité d’anciennes cabanes avec enclos, ce qui montre de façon éloquente l’intensité séculaire de l’activité d’estive dans le Pays A3V.

Vestiges d'une occupation pastorale de la fin du 18e siècle sur la pâture de Mouriès-Lignin (cabane de la Mole, Colmars).Vestiges d'une occupation pastorale de la fin du 18e siècle sur la pâture de Mouriès-Lignin (cabane de la Mole, Colmars).

3. Les différents modes de construction

Les cabanes d’estive observées dans le Pays A3V utilisent la matière première directement accessible : grès et/ou calcaire sous forme de moellon non équarri et non assisé. La construction en pierre sèche existe, mais reste minoritaire.

Cabane du Sel (Villars-Colmars).Cabane du Sel (Villars-Colmars).

La maçonnerie est mise en œuvre avec un mortier grossier constitué de chaux grumeleuse et de terre, qui se dégrade rapidement. Ce liant sommaire associé aux conditions climatiques difficiles (écarts de températures importants, variations hygrométriques de l’air…) impose des restaurations fréquentes. Les interventions récentes privilégient la maçonnerie en ciment et parfois le parpaing, acheminés par hélicoptère, que l’on enduit systématiquement. La cabane traditionnelle reçoit un éclairage naturel limité : il s’agit généralement d’un jour, voire d’une petite fenêtre unique.

Eclairage par un jour (bergerie de la Baragna, Beauvezer).Eclairage par un jour (bergerie de la Baragna, Beauvezer).

Certaines sont aveugles (cabane du Vallonet, à Allos, REF IA04002438). La porte s’inscrit le plus souvent sur le mur pignon. Elle est intégrée à un encadrement massif en bois composé de deux jambages, d’un linteau et parfois d’un seuil, le tout assemblé, formant un bloc qui joue un rôle structurel.

Bloc porte structurel (cabane d'Allègre, Colmars).Bloc porte structurel (cabane d'Allègre, Colmars).

Lorsque la cabane dispose d’un étage de comble, toujours aveugle, les murs pignons peuvent être formés d’un essentage20 de planches. La charpente est traditionnelle, constituée d’une panne faîtière, d’arbalétriers21 et d’entraits22 avec parfois des entraits retroussés pour stabiliser l’ensemble. On remarque très souvent une solidarisation des entraits, des sablières et des arbalétriers, par un système d’embrèvement23 et d’enfourchement24. Les clous servent ensuite à renforcer l’assemblage. Souvent, la charpente agit comme une structure autonome, indépendante, posée sur les murs-pignons et gouttereaux.

Cabane de sangraure (Villars-Colmars).Cabane de sangraure (Villars-Colmars).

Traditionnellement, le bois d’œuvre est le mélèze, essence locale imputrescible réputée très résistante aux contraintes de tous ordres, et ce tant pour la charpente que pour sa couverture, constituée d’un tuilage de planches d’un mètre de longueur environ, cloutées. Depuis les efforts de reboisement on utilise aussi le sapin. À l’exception des cabanes situées dans le parc national du Mercantour qui respectent une charte paysagère, les couvertures en planche tendent hélas à disparaître aujourd’hui au profit de la tôle ou du bac acier.

Cabane sur le massif de l'Eichanet (Colmars), avec une couverture en planche de mélèze.Cabane sur le massif de l'Eichanet (Colmars), avec une couverture en planche de mélèze.

Couverture en tôle de récupération sur charpente ancienne (cabane de Mouret, Villars-Colmars).Couverture en tôle de récupération sur charpente ancienne (cabane de Mouret, Villars-Colmars).

La rigueur climatique dans ces altitudes supérieures à 1 500 m, surtout dans la haute vallée du Verdon, induit la confection de toits à longs pans à pente forte (supérieure à 40°), mais au sud du Pays, les conditions moins rigoureuses permettent d’observer des couvertures en tuile creuse sur des pentes plus modérées (inférieures à 30°). Ainsi à Blieux, avec la cabane de Peire-Naisse (REF IA04002425). Les toitures à pan unique sont rares.

II. Les différents types de cabanes d’estive

A priori, rien ne semblerait distinguer une cabane d’estive, par sa forme, d’un entrepôt agricole vernaculaire25 du fond de vallée. D’une manière générale il s’agit d’un bâtiment sur un, deux, voire trois niveaux, couvert d’un toit majoritairement à longs pans. Pourtant les fonctions particulières, l’organisation d’ensemble, les relations entre les différentes composantes ainsi que certains aménagements conduisent à proposer un classement des cabanes par types. Il a été choisi de mettre prioritairement l’accent sur l’élément unique ou principal constitué par la cabane, à travers sa morphologie, son organisation et ses fonctions, de sorte que le critère avec ou sans enclos (attenant ou disjoint), renseigné dans chaque grand type, intervient de manière secondaire. Dans les faits, les caractères unifonctionnel ou plurifonctionnel sous le même toit priment et caractérisent donc les deux premiers types. Un troisième type s'ajoute, qui prend en compte la question des dépendances : il permet d'intégrer le reste des cas rencontrés en conservant la logique de l'arborescence typologique, fondée sur la présence ou non et le cas échéant la place de l'enclos. L’absence d’enclos pérenne n’exclut pas la présence d’enclos amovible et déplaçable, par définition difficilement observable puisqu’une fois enlevé il ne laisse pas de trace matérielle. C’est même sans doute le type d’enclos historiquement le plus répandu. On notera que les cabanes dépourvues d’enclos visible et pérenne sont très rares en ce qui concerne l’estive ovine. En outre, même si les cabanes récentes (après 1950) sont standardisées et s’éloignent de l’architecture vernaculaire, elles sont comprises dans la typologie puisque les fonctions demeurent pour un même type d’activité (l’estive pastorale) : la fonction fenil a cependant tendance à disparaître au profit de celle de remise pour le matériel lié à l’estive : filets pour enclos amovibles, outils, mais aussi sacs de sel pour le troupeau voire provisions de bouche non périssables.

Typologie illustrée :

Trois types ont ainsi été répertoriés dans le Pays A3V, chacun se ramifiant en trois sous-types. Le récapitulatif ci-dessous détaille la typologie retenue :

-          Ia1 : bloc unique à terre26 : unifonctionnel (logis) avec enclos attenant (fréquent) ;

Ancienne cabane de Joyeux avec son enclos empierré (Villars-Colmars).Ancienne cabane de Joyeux avec son enclos empierré (Villars-Colmars).

-          Ia2 : bloc unique à terre : unifonctionnel (logis) avec enclos disjoint ;

L'enclos à moutons et les ruines de la cabane de l'Aiguille (à gauche) dans le massif des Trois Evêchés (Allos).L'enclos à moutons et les ruines de la cabane de l'Aiguille (à gauche) dans le massif des Trois Evêchés (Allos).

-          Ib : bloc unique à terre : unifonctionnel (logis) sans enclos ;

Cabane pastorale dite cabane du Mouret (Villars-Colmars). Vue d'ensemble de la façade antérieure. L'étage de comble sert de chambre à coucher, avec un lit en bois solidaire de la charpente.Cabane pastorale dite cabane du Mouret (Villars-Colmars). Vue d'ensemble de la façade antérieure. L'étage de comble sert de chambre à coucher, avec un lit en bois solidaire de la charpente.  

-          IIa1 : bloc unique en hauteur27 : plurifonctionnel (logis + agricole) avec enclos attenant. Ce cas a été fréquemment observé. La cabane dispose souvent de deux niveaux, le premier à fonction de logis et le second de fenil. Mais on trouve quelques cas de cabanes sur trois niveaux, avec une étable au niveau inférieur (l’étage de soubassement) ;

Cabane de Peire Naisse avec son enclos empierré (Blieux).Cabane de Peire Naisse avec son enclos empierré (Blieux).

-          IIa2 : bloc unique en hauteur : plurifonctionnel (logis + agricole) avec enclos disjoint ;

La cabane de l'ensemble pastoral de Chalufy, vue depuis l'est (Thorame-Basse). Les restes de l'enclos empierré sont très légèrement à l'écart.La cabane de l'ensemble pastoral de Chalufy, vue depuis l'est (Thorame-Basse). Les restes de l'enclos empierré sont très légèrement à l'écart.

-          IIb : bloc unique en hauteur : plurifonctionnel (logis + agricole) sans enclos ;

Cabane pastorale dite cabane d'Allègre (Colmars).Cabane pastorale dite cabane d'Allègre (Colmars). Cabane pastorale dite cabane de Sainte-Anne (Villars-Colmars).Cabane pastorale dite cabane de Sainte-Anne (Villars-Colmars).

-          IIIa1 : cabane avec dépendance(s) accolée(s) et ou disjointe(s) : plurifonctionnel (logis + agricole) avec enclos attenant28 ;

Cabane de la Sellanche avec sa résille d'enclos empierrés (Beauvezer).Cabane de la Sellanche avec sa résille d'enclos empierrés (Beauvezer). Ensemble pastoral de Grand Paul (Colmars) : dépendance disjointe et enclos multiples.Ensemble pastoral de Grand Paul (Colmars) : dépendance disjointe et enclos multiples.

-          IIIa2 : cabane avec dépendance(s) accolée(s) et ou disjointe(s) : plurifonctionnel (logis + agricole) avec enclos disjoint ;

Ensemble pastoral dit cabane de l'Orgéas (Thorame-Haute). Vue de situation avec enclos au premier plan.Ensemble pastoral dit cabane de l'Orgéas (Thorame-Haute). Vue de situation avec enclos au premier plan.

-          IIIb : cabane avec dépendance(s) accolée(s) et ou disjointe(s) sans enclos. Ce cas reste rarissime, à moins d’un aménagement récent. Le schéma type est le suivant : une cabane moderne remplace l’ancienne, qui perd sa fonction de logement pour remplir exclusivement des fonctions agricoles (de remise pour le matériel d’estive essentiellement, comme pour les ensembles du col de l’Encombrette ou de l'Adroit des Muletiers, tous deux à Colmars).

Cabanes sur l'Adroit des Muletiers (Colmars). Au premier plan, la nouvelle cabane a remplacé l'ancienne à l'arrière-plan, transformée en dépendance pour le matériel nécessaire à l'estive.Cabanes sur l'Adroit des Muletiers (Colmars). Au premier plan, la nouvelle cabane a remplacé l'ancienne à l'arrière-plan, transformée en dépendance pour le matériel nécessaire à l'estive.

III. Cabanes anciennes, cabanes modernes

1. La cabane vernaculaire jusqu’au milieu du 20e siècle

Une cabane d’estive est avant tout un logement saisonnier destiné au berger. En l’absence de logement, on ne parlera pas de cabane d’estive. En revanche, le terme « cabane » ne désigne que le bâtiment ayant la fonction de logement et qui, dans l’immense majorité des cas, dispose d’une ou de plusieurs fonctions agricoles (fenil très souvent, étable ou bergerie parfois). La cabane, de dimensions modestes (avoisinant 15 m2 au sol, parfois moins), est presque toujours accompagnée d’un enclos à moutons en pierre, et parfois de dépendances. Le sol de l’enclos est dallé ou utilise l’affleurement du rocher pour maintenir les pieds des moutons au sec.

2. La cabane pastorale depuis 1950

Alors que l’architecture des cabanes anciennes présente les caractères vernaculaires décrits ci-dessus, la cabane moderne se singularise par sa standardisation sur l’ensemble du Pays A3V. Les nouvelles cabanes qui remplacent progressivement les cabanes traditionnelles sont plus stéréotypées. Aujourd’hui le nombre de pièces est fonction de la durée d’utilisation, principe peu respecté pour les cabanes anciennes où l’espace unique prédomine. Une comparaison entre l’ancienne cabane du Vallonet et la nouvelle, construite dans les années 1960, à Allos, s’avère instructive à ce titre [REF IA04002438].

Vue de l'ensemble pastoral (détail de la cabane avec l'enclos) depuis l'est avec le ravin du Vallonet au premier plan.Vue de l'ensemble pastoral (détail de la cabane avec l'enclos) depuis l'est avec le ravin du Vallonet au premier plan.

Nouvelle cabane du Vallonet (Allos).Nouvelle cabane du Vallonet (Allos).

La première est agencée en pièce unique ; la seconde possède une pièce à vivre doublée en profondeur d’une chambre indépendante qui, grâce à une trappe, permet d’accéder au comble. On observe aussi que la fonction de fenil a aujourd’hui disparu. L’étage de comble sert de remise et/ou de couchage, notamment pour les randonneurs. La niche, élément typique, qui rappelle la fonction essentielle du chien dans la gestion du troupeau, trouve ici une forme pérenne.

Ancienne cabane du Vallonet (Allos) - PlanAncienne cabane du Vallonet (Allos) - Plan

Plan de distribution et de l'étage de comble de la nouvelle cabane pastorale du Vallonet (Allos).Plan de distribution et de l'étage de comble de la nouvelle cabane pastorale du Vallonet (Allos).

Le remplacement graduel des anciennes cabanes par de nouvelles plus adaptées aux normes du confort moderne constitue une évolution indispensable pour améliorer les conditions de vie des bergers (étanchéité des murs et des ouvertures, amélioration de l’éclairage par l’agrandissement des ouvertures, prise en compte de l’intimité des occupants, alimentation en eau et en énergie par l’installation de panneaux solaires, équipements sanitaires, mobilier, sol en dur). Pour autant, ce mouvement s’accompagne d’une inexorable et très regrettable dégradation, jusqu’à la destruction, des cabanes vernaculaires, lorsqu’elles ne sont plus utilisées.

3. L’aménagement intérieur et le mobilier traditionnel de la cabane d’estive

L’aménagement intérieur est des plus sobres. La pièce unique se décompose en quatre zones principales, réparties, pour les cabanes vernaculaires anciennes, sur un sol le plus souvent en terre battue. Il s’agit des espaces dévolus au foyer, au rangement, au repas et au couchage, lequel devient souvent une chambre lorsqu’il y a au moins deux pièces dans la cabane. Le foyer occupe en règle générale un angle du mur à proximité de la porte d’entrée. On ne parle pas de cheminée, mais d’un âtre surmonté d’une cape ou plus sommairement d’une pierre à feu destinée à éviter une dispersion de la fumée à l’intérieur de l’habitat. Un trou d’aération percé au droit du mur permet son évacuation. Le conduit traversant les niveaux jusqu’à la souche de cheminée semble apparaître plus récemment, à partir de la seconde moitié du 19e siècle, et est réservé au poêle. Le rangement est de deux types : petit placard aménagé dans l’épaisseur du mur, ou étagères en saillie. On notera l’existence d’un mobilier dédié rudimentaire qui varie en fonction de l’ingéniosité du berger. Il présente plusieurs formes et usages, dont deux ressortent : le garde-manger en bois avec grille pour éviter l’intrusion d’insectes et de rongeurs, et le buffet rustique, plus rare, pour serrer la vaisselle et les aliments non périssables.

Garde-manger (cabane de Lachen, Thorame-Basse).Garde-manger (cabane de Lachen, Thorame-Basse).

Buffet de berger avec charnières en cuir (cabane sur le plateau des Sagnes, Villars-Colmars).Buffet de berger avec charnières en cuir (cabane sur le plateau des Sagnes, Villars-Colmars).

Généralement une table avec un banc solidaire ou non ou bien un tabouret complètent le dispositif. Le lit constitue un élément essentiel du mobilier. Réalisé par assemblage de planches, il comporte une caisse profonde pour y déposer une litière en paille et des pieds, parfois réalisés en branches de résineux non équarri.

Exemple de lit de berger (cabane de Sangraure, Villars-Colmars). Au-dessus, la tringle.Exemple de lit de berger (cabane de Sangraure, Villars-Colmars). Au-dessus, la tringle.

Lorsque la cabane est occupée par plusieurs bergers on peut trouver un ou plusieurs lits dans l’étage de comble. Il arrive que le couchage soit intégré à une structure élaborée comprenant un espace de rangement en hauteur (cabane du Vallonet, Allos ; cabane des Blocs, Villars-Colmars). Quelques éléments viennent compléter l’installation : niche aménagée dans l’épaisseur du mur pour sécuriser la bougie, portemanteau taillé dans une branche d’arbre puis fiché dans la maçonnerie et, dispositif emblématique de la vie pastorale, la tringle en bois suspendue au plafond par deux cordelettes pour entreposer linge et matériel.

Tout ce mobilier très caractéristique des cabanes d’alpage se singularise par sa simplicité et la qualité de ses matériaux laissés le plus souvent bruts. Les combinaisons sont nombreuses. La décoration est inexistante, à l’exception d’un motif géométrique stylisé, peu fréquent mais observé à plusieurs reprises : celui de la rosace incisée ou pyrogravée. Ce mobilier, modeste mais typique, dont il reste finalement peu d’exemples encore en place, doit autant que possible être préservé.

SECTION III. LA CABANE DANS SON ENVIRONNEMENT

I. Les aménagements complémentaires

La cabane ne constitue qu’une partie de l’estive. Il convient d’y ajouter les dépendances, les enclos, les différents aménagements nécessaires à l’usage de l’alpage, et la pâture elle-même. Tous ces éléments combinés participent au fonctionnement général et composent un système appelé ensemble pastoral ou unité pastorale29, qui comporte souvent plusieurs cabanes. Quels sont ces éléments complémentaires ? On en dénombre huit : le corral, l’enclos isolé, l’abri, la pierre de garde, le grenier à sel, la pierre à sel, la fontaine ou l’abreuvoir, la quihèto.

Le « passe » ou corral sert à juguler le flot du troupeau de façon à diriger ce dernier tête par tête vers l’espace de gardiennage fermé (l’enclos) pour comptabiliser et, le cas échéant, trier les bêtes. Il peut être intégré à l’enclos ou amovible, grâce à des barrières en bois ou métalliques (aujourd’hui) ;

Passe moderne métallique (cabane sur le plateau des Sagnes, Villars-Colmars).Passe moderne métallique (cabane sur le plateau des Sagnes, Villars-Colmars).

L’enclos isolé est placé à distance de la cabane (laquelle dispose déjà d’un enclos attenant) et sert à garder le troupeau aux heures de repos (en milieu de journée et/ou la nuit) sans qu’il soit besoin de retourner à la cabane. La présence de plusieurs enclos permet d’optimiser les circuits de pâture au sein d’un même quartier30 divisé en secteurs31 : l’enclos par secteur facilite la gestion de l’herbe en répartissant la charge en bétail, évitant des parcours identiques d’un jour sur l’autre. L’enclos pérenne est toujours monté en pierre sèche. Sa forme varie beaucoup : carrée, rectangulaire, ronde, ovale, voire irrégulière, sans qu’il soit à ce jour permis d’avancer une datation pour sa mise en œuvre ou pour sa période d’utilisation, en l’absence de fouilles archéologiques. Dans l’immense majorité des cas, la structure n’est pas appareillée et ses murs sont bas (entre 50 et 80 cm, souvent inférieur au mètre) : on pouvait monter une haie vive en branchages sur ce socle minéral destiné à prévenir l’intrusion d’éventuels prédateurs et ralentir l’attaque. Les angles, arrondis pour la plupart, favorisent la circulation des bêtes et limitent les risques d’étouffement.

Enclos isolé ancien, empierré (pâture de la Sellanche, Beauvezer).Enclos isolé ancien, empierré (pâture de la Sellanche, Beauvezer).

Il arrive que les enclos ne soient pas identifiables de prime abord : ils s’assimilent à des bordures d’épierrage. Par ailleurs, on observe parfois des divisions intérieures pour trier les bêtes voire des emboîtements d’enclos qui communiquent les uns avec les autres. La densité très forte des enclos en certaines pâtures laisse supposer un usage puis un abandon cumulatif au fil du temps, mais peut-être aussi la scission de troupeaux importants en groupes moins denses (par exemple dans le quartier de Juan, à Villars-Colmars). On remarquera que les pâtures dépourvues d’enclos pérennes restent l’exception dans le cadre de l’estive ovine. Ces cas exceptionnels s’expliquent sans doute par l’utilisation de structures légères aujourd’hui disparues telles que barrières en bois ou filets entre poteaux, à l’image des enclos amovibles actuels ;

Enclos isolé moderne (cabane du Clauvas, Thorame-Basse).Enclos isolé moderne (cabane du Clauvas, Thorame-Basse).

L’abri occupe toujours une position stratégique d’observation de la pâture et du troupeau. Pour ce faire, il est situé en hauteur. Abrité par un rocher, en partie troglodytique ou entièrement bâti en pierre sèche, il offre au berger un poste de vigie ainsi qu’un refuge en cas d’intempérie soudaine n’autorisant pas le retour jusqu’à la cabane [REF IA04001471] ;

Abri de berger de type troglodytique (Blieux, le Villard). Obturation par un montage en lit de pierre sèche et sur champ.Abri de berger de type troglodytique (Blieux, le Villard). Obturation par un montage en lit de pierre sèche et sur champ.

Abri de berger en élévation (pâture de la Sellanche, Beauvezer).Abri de berger en élévation (pâture de la Sellanche, Beauvezer).

La pierre de garde, isolée dans la pâture, occupe toujours une position stratégique (près d’un cours d’eau par exemple), et permet au berger de surveiller son troupeau sur une grande étendue sans avoir à se déplacer. Très rarement rencontrée dans le Pays A3V, elle peut être gravée au nom du berger ;

Pierre de garde de berger dans la pâture des Prés de Madame de France (Allos).Pierre de garde de berger dans la pâture des Prés de Madame de France (Allos).

Pierre de garde gravée par le berger : "T/CARPE,/NE PAUL,/1934" (les prés de Madame de France, Allos).Pierre de garde gravée par le berger : "T/CARPE,/NE PAUL,/1934" (les prés de Madame de France, Allos).

Le sel est indispensable à la brebis ; il excite son appétit et sert de complément alimentaire au régime herbacé. On le stocke pour la durée de l’estive dans la cabane. Toutefois le berger approvisionne régulièrement les greniers à sel, structures rudimentaires en pierre sèche couvertes en lauzes, vouées à conserver les sacs nécessaires sur les circuits de pâture ;

Grenier à sel dans la pâture de Chalufy (Thorame-Basse).Grenier à sel dans la pâture de Chalufy (Thorame-Basse).

Ces circuits sont ponctués, en un ou plusieurs points, de pierres à sel, plates, qui recueillent les précieux minéraux ;

L’eau s’avère cruciale pour le berger comme pour les bêtes. Pas d’estive sans elle. Disponible directement à la source ou dans les ravins qui sillonnent les flancs herbeux de l’alpage, elle est aujourd’hui le plus souvent captée et mise à la disposition du troupeau dans des abreuvoirs en cascade.

Abreuvoirs en cascade, près des cabanes de Mouriès (Colmars).Abreuvoirs en cascade, près des cabanes de Mouriès (Colmars).

Près des cabanes, les fontaines, souvent taillées dans des troncs monoxyles, élément emblématique du milieu alpin, ou maçonnées, témoignent d’un travail plus élaboré.

Abreuvoir monoxyle (cabane du Chabanal, Beauvezer).Abreuvoir monoxyle (cabane du Chabanal, Beauvezer).

La quihèto ou « petite quille » est une construction de taille modeste (environ 1,50 m de haut) parfois sommée d’une pierre gravée portant le nom du berger accompagné d’une date. Elle se distingue du cairn par sa mise en œuvre appareillée, en pierre sèche. Ce repère marquant l’appartenance de la pâture occupe généralement les lieux isolés et dégagés.

Une quihèto ou "petite quille" sur la pâture de l'Adroit des Muletiers (Colmars).Une quihèto ou "petite quille" sur la pâture de l'Adroit des Muletiers (Colmars).

II. Laisser une trace

Le profil sociologique du berger a évolué ces dernières décennies. On dénombre aujourd’hui de plus en plus de citadins, jeunes (entre 25 et 35 ans), en quête d’un retour vers la nature. Majoritairement diplômés et issus des classes moyennes, ils sont étudiants ou actifs en cours de reconversion. Il est bien plus difficile de retracer les parcours des anciens bergers. Toutefois, il s’agit d’une activité productrice de témoignages écrits et figurés, certes succincts, mais pourvoyeurs d’informations précieuses. Cela montre, contrairement aux idées reçues, que le berger, dès le 18e siècle au moins, bénéficiait d’une instruction, savait compter bien sûr, mais parfois aussi écrire. On dénombre quatre formes d’inscriptions :

Les inscriptions, courtes d’ordinaire, gravées dans la roche ou dans le bois. Elles apportent plusieurs types de renseignements, rarement tous réunis : les noms, prénoms, voire sobriquet, du berger ; son âge ; parfois son origine géographique et l’année de naissance ; l’activité exercée ; la date d’exécution. Il s’agit avant tout d’affirmer sa fonction et d’attester de sa présence en un espace précis (cabane ou plus largement sur l’estive).

Pierre de berger gravée : "MAUREL/JOSEPH/1888" (cabane de Chalufy, Thorame-Basse).Pierre de berger gravée : "MAUREL/JOSEPH/1888" (cabane de Chalufy, Thorame-Basse).

Certaines inscriptions livrent des messages religieux, jusqu’au mysticisme, sans qu’il soit toujours possible de les dater donc d’affirmer pour certains leur origine : berger philosophe ou randonneur exalté ? Certaines cabanes conservent ainsi, au fil des estives, quantité de témoignages ;

Inscription dans la cabane des Blocs (Villars-Colmars) : "FRANCOIS/GIRAUD, LE 4 AOU 1868/MARIE RAINE DU CIEL ELLE/NOUS DIT QUE SERT A L'HOMME DE/GAGNER L'UNIVERS".Inscription dans la cabane des Blocs (Villars-Colmars) : "FRANCOIS/GIRAUD, LE 4 AOU 1868/MARIE RAINE DU CIEL ELLE/NOUS DIT QUE SERT A L'HOMME DE/GAGNER L'UNIVERS".

Les graffitis apportent des informations de nature comptable, ou artistique lorsqu’ils sont figurés, ce qui est plus rare. Dans le premier cas on trouve essentiellement des noms de bergers avec les années successives d’occupation de l’estive.

Dates d'occupation successives d'une même cabane par un berger [1988-2010] (nouvelle cabane du Vallonet, Allos).Dates d'occupation successives d'une même cabane par un berger [1988-2010] (nouvelle cabane du Vallonet, Allos).

Dans le second, ce sont des profils d’individus ou des décors floraux, stylisés ;

Graffiti figuratif : profil d'homme (cabane de Grand Paul, Colmars).Graffiti figuratif : profil d'homme (cabane de Grand Paul, Colmars).

Les marques de bergers et les initiales des éleveurs ou des bergers (estampillées par incision ou pyrogravure) sont disséminées en divers endroits de la cabane (murs extérieurs, linteau d’encadrement de la porte, porte, ébrasement de l’entrée, murs intérieurs du logis).

Marques de bergers sur la porte de la cabane de Lachen (Thorame-Basse).Marques de bergers sur la porte de la cabane de Lachen (Thorame-Basse).

Le monogramme de l’éleveur, apposé sur les moutons du troupeau, apparaît aussi traditionnellement comme signe d’appartenance.

Marques de berger sur le troupeau (Thorame-Basse).Marques de berger sur le troupeau (Thorame-Basse).

L’occupation s’étalant sur plusieurs années voire sur le long terme, à plus forte raison pour les cabanes privées, on cherche à s’approprier un lieu et à l’identifier pour autrui ;

Les marques de comptage, sorte de livre de raison sommaire du troupeau sous forme de chiffres ou de bâtons, peuvent occuper plusieurs endroits également, mais on les trouve essentiellement en des lieux stratégiques (ébrasement de l’entrée et murs intérieurs du logis).

III. Gérer l’alpage : la pratique de l’estive

1. Les déplacements dans l’unité pastorale

Un alpage est d’abord un espace complexe découpé en parties constitutives dont le bon usage requiert un grand professionnalisme. La pratique de l’estive tient d’un savoir-faire très élaboré prenant en compte trois éléments : l’expérience du berger secondé ou non par un ou plusieurs aides-bergers et par des chiens auxiliaires ; la nature et la taille de l’aver à mener jusqu’à l’estive puis à garder sur place ; la connaissance fine de l’alpage, c’est-à-dire de l’unité pastorale et de ses différentes zones. Celle-ci se décompose en effet en quartiers, puis en secteurs, parcourus chacun selon des circuits de pâturage préétablis en fonction de la charge (nombre de bêtes), de la superficie herbeuse existante, du moment dans la saison d’estive, des pauses du troupeau lors du circuit quotidien, et des qualités nutritionnelles des différentes portions parcourues dans la journée (dactyle, luzerne…), afin de proposer un menu équilibré aux brebis. Autrement dit, la gestion de l’alpage impose des déplacements quotidiens planifiés, et variés selon les contraintes énumérées ci-dessus, mais aussi selon la nature du terrain (zone pentue, plane, arbustive, boisée…). Le troupeau se garde ; il se mène surtout, en fonction des qualités propres à chaque pâture, en calculant la vitesse de progression du bétail entre deux stations, et en empêchant les bêtes de surpécorer des parcelles encore fraîches, à préserver pour la suite. Le berger s’appuie sur ces différentes données pour organiser des parcours types, qu’il assouplit le cas échéant au cours de la saison d’estive, mais aussi en prévision des années suivantes, afin de ne pas épuiser la pâture et d’assurer une meilleure gestion de la ressource sur le long terme. D’où la nécessité des aménagements pastoraux (cabanes, enclos, abris, greniers à sel) qui permettent de modifier les circuits, jusqu’aux éléments de franchissement (passerelles, ponts) servant à assouplir le jeu des contraintes.

2. Les déplacements dans l’estive et l’estive itinérante

Il existe des alpages suffisant à assurer l’accueil d’un troupeau complet pour la durée de l’estive, soit trois à quatre mois. C’est le cas par exemple de l’aver estivant aux cabanes privées de Mourre-Frey (1 750 m, commune de Castellet-les-Sausses) et de Sausses (1 900 m, commune de Sausses), sur le massif du Mourre Frey, chacune commandant un quartier de pâture. Les deux cabanes, sur deux communes, sont implantées sur la même unité pastorale qui permet au troupeau de pâturer 30 jours dans un quartier et 100 jours dans un autre, soit 130 jours correspondant aux quatre mois de l’estive, sans avoir besoin de se déplacer sur une autre unité. C’est également le cas du troupeau occupant les pâtures circonscrites entre le massif du Picogu et la crête de la Bernarde (commune de Soleilhas). Ou encore de celui gardé autour des lacs de Lignin, au pied des massifs du Grand Coyer et du Carton (commune de Colmars).

L’estive itinérante peut aussi concerner plusieurs unités pastorales, parfois éloignées, imposant des déplacements « longs », d’estive en estive, sur plusieurs communes, de juin à novembre. Le troupeau qui hiverne à Charleval (Bouches-du-Rhône) démarre la saison sur la pâture du Défens avec la cabane communale du même nom (Beauvezer). Il y reste de mi-juin jusque vers le 25 juillet, avant de franchir le massif du Laupon et de basculer de l’autre côté, sur la pâture comprenant les cabanes communales de la Sagne et du Lançonet (Colmars), jusqu’au 10 août environ. Ces pâtures, à cheval sur deux communes, constituent une seule et même unité pastorale. L’aver rejoint ensuite Allos et l’unité pastorale du Vallonet (en partie imbriquée dans celle du Lac d’Allos et comprenant sur deux pâtures distinctes une ancienne cabane désaffectée et une nouvelle cabane pastorale appartenant au domaine du parc national du Mercantour) jusqu’à la fin du mois d’octobre. Le troupeau redescend à Beauvezer au début du mois de novembre, pour regagner Charleval à la mi-novembre.

On comprend ainsi combien la pratique de la transhumance et de l’estive maille à différents niveaux le territoire du Pays A3V, comment elle continue de tenir un rôle fondamental garantissant la pérennité tant culturelle et patrimoniale qu’économique et, aujourd’hui, écologique, des espaces pastoraux bas-alpins. Car elle maintient des traditions et des savoirs séculaires, et participe activement de la bonne gestion de la montagne, en tentant tant bien que mal de s’adapter aux nouveaux enjeux contemporains.

1inalpage : ascension des troupeaux jusqu’à l’alpage.2estive : période durant laquelle, en été, on mène les troupeaux paître sur les pâturages de montagne. Par extension, le terme désigne aussi la zone de pâture considérée.3alpage : pâturage d'altitude.4cartulaire : recueil contenant les copies retranscrites des actes (administration, histoire, propriétés) d’une église ou d’un monastère.5nourriguier : personne chargée de l'organisation du troupeau, notamment lors de la transhumance.6aver : ce que l’on a (« avoir ») ; désigne génériquement le troupeau.7trentenier : lot de trente bêtes. Mode de comptage traditionnel du troupeau.8surpécoration : surcharge pastorale liée à un séjour trop long ou à la présence sur une zone herbeuse limitée d’un trop grand nombre de bêtes, entraînant une disparition de la ressource végétale.9livre de raison : désigne un registre de comptabilité domestique, à usage privé.10mègerie : mise en location d’un bien (ici, un troupeau) entre un berger et un propriétaire. À la fin du bail, l’accroissement du troupeau, le « croît », est réparti en parts égales entre les deux parties.11carraire : voie délimitée et réservée aux troupeaux ovins pour la transhumance, entre les plaines côtières et les alpages. draille : voie secondaire réservée aux déplacements des troupeaux, leur permettant d’atteindre l’alpage et d’y circuler.12relarguier : aire aménagée pour parquer les troupeaux transhumants.13Pour de plus amples détails, lire Jean-Pierre GILLES, « Aperçu historique des drailles et carraires de transhumance », dans Transhumances. Relique du passé…, p. 35-49, et p. 43 sq.14Ce qu’un « Procès-verbal de reconstitution et de détermination du tracé des carraires sur le territoire d’Annot » daté de 1784 qualifie aussi de « carraires génnéralles » et de « carraires particulières » (AD 04, E DEP 008/DD2).15Nous sommes donc moins d’un an après l’arrêt du Parlement de Provence de juillet 1783, dont l’article premier disposait que « Les carraires seront rétablies dans tous les lieux où il doit y en avoir, par les consuls des communautés, de concert avec les seigneurs des lieux. » Le rapport rédigé pour la carraire et les drailles d’Annot s’inscrit pleinement dans les dispositions du premier article de l’arrêt de 1783, puisqu’il est dressé par « Jean-Baptiste de Rabiers de la Baume seigneur de Châteauredon, maire et premier consul, et Jean-Baptiste Rabon marchand lieutenant de maire et second consul modernes de la communauté de cette ville d’Annot » et s’inscrit dans l’ « exécution du règlement de la province concernant les carraires homologué[es] par arrêt de la souveraine cour de parlement de Provence du vingt un juillet mil sept cent quatre vingt trois » (f° 1). Le document constitué de 13 feuillets recto et verso fut établi les 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 18 et 19 mai, et signé le 24 mai 1784.16Il s’agit de la carraire dite « des troupeaux » (1830 C3-D5 du plan figuré du cadastre dit napoléonien) et des carraires ou drailles « de combette maria » (1830 A2-C1), « du vallon de remotis [Remoti] » (1830 C2), « de verimande [Vélimande], ou de l’ancien chemin d’allons » (1830 C2), « de combereinard (Combe Renard) » (1830 D1), « allant aux revirevaux suivant la vaire » (1830 D1 ?), « du vallon de garnier ou de trescleous [Très Cleux]» (1830 D1). Il fallait ajouter trois drailles autour du hameau de Rouaine. La plupart de ces drailles n’étaient plus portées sur le cadastre dit napoléonien moins d’un demi-siècle plus tard (1830), du moins pas mentionnées selon leur fonction spécifique de passage des troupeaux. 17essartage : pratique de défrichement de terrain destinée à accroître les surfaces agricoles.18Lire sur ce point l'extrait transcrit en annexe.19déprise agricole : désigne, sur un territoire, l’abandon de toute activité agricole (culture et élevage) et le déclin qui s’ensuit.20essentage : technique de couverture d’une paroi verticale, dans le cas présent par des bardeaux ou des planches en mélèze.21arbalétrier : terme de charpenterie. Pièce placée à l’oblique, reliée à l’entrait, destinée à soutenir les pannes de la charpente. Les deux arbalétriers composent avec l’entrait une forme triangulaire.22entrait : terme de charpenterie. Il s’agit d’un élément de la ferme placé à l’horizontale et destiné à relier les arbalétriers. Il prend appui sur les murs gouttereaux.23embrèvement : technique d'assemblage de deux pièces par un système de tenon et mortaise.24enfourchement : même technique que la précédente, mais située à l’extrémité d’un montant.25vernaculaire (architecture) : caractéristique d’une aire géographique pour une période historique donnée.26bloc à terre : type de distribution architecturale qui juxtapose les fonctions domestiques et agricoles sous un toit unique, principalement au rez-de-chaussée.27bloc en hauteur : type de distribution architecturale qui superpose les fonctions domestiques et agricoles sous un toit unique, le logis se situant en étage.28La plurifonctionnalité est induite y compris dans le cas de la réutilisation d’une ancienne cabane qui n’aurait eu à l’origine qu’une fonction de logis, puisque celle-ci, remplacée par une cabane plus récente, est réaffectée comme dépendance à une ou des fonctions agricoles (remise, la plupart du temps, fenil éventuellement) : voir ainsi les ensembles pastoraux de l’Encombrette à Colmars et de Joyeux à Villars-Colmars. Mais la construction d’une cabane récente à côté d’une cabane ancienne ne signifie pas que l’ancienne cabane ait automatiquement perdu sa fonction de logis. Ainsi pour les cabanes de Bressenge et les cabanes de Mouriès à Colmars). Dans l’un et l’autre cas, les anciennes cabanes sont toujours plurifonctionnelles (logis + agricole). D’où l’intérêt de recourir à la dénomination d’ensemble pastoral pour traiter ce cas spécifique et mettre tout autant en évidence l’ancienne cabane qui présente parfois des caractéristiques plus intéressantes que la cabane récente standardisée.29unité pastorale : ensemble délimitant une pâture, composé de quartiers et de secteurs. Elle contient une ou plusieurs cabanes, et tous les aménagements afférents à la bonne pratique de la pâture.30quartier : subdivision de l’unité pastorale, qui contient le lieu de couche nocturne du troupeau. Il comprend plusieurs secteurs.31secteur : subdivision du quartier qui présente une unité à la fois physique (en termes de relief) et alimentaire (plantes spécifiques).

Il convient de distinguer l'activité d'estive, liée à l'économie d'élevage, identifiée depuis au moins la fin du 13e siècle dans le Pays, et les marques tangibles d'occupation de la pâture, par le biais notamment des cabanes pastorales, enclos et édicules afférents. En zone d'altitude soumise à des conditions climatiques difficiles, rares sont les cabanes ayant traversé le temps. De fait, une fois détruite, la cabane était reconstruite à proximité la plupart du temps. Aussi les exemples antérieurs au 19e siècle sont-ils rares, et dès lors à l'état de vestiges (cabane de la Mole, Colmars) bien que les documents anciens puissent en signaler l'existence. Il s'agit en réalité de cabanes portant le nom de l'unité pastorale ou de la montagne dans laquelle elles s'inscrivent et qui ont conservé jusqu'à aujourd'hui la même appellation. Quelques dates portées attestent un usage ancien, même si elles demeurent sujettes à caution car susceptibles d'indiquer un remploi. Certaines cabanes ont été restaurées au fil du temps et les intérieurs signalent parfois des dates d'occupation précieuses pour l'historique des occupations : ainsi la porte couverte de dates dans la cabane de Chalufy (Thorame-Basse), dont le plus précoce indique 1840. Toutefois, la plupart des bâtiments observés remonte ainsi au plus tard à la fin voire à la première moitié du 20e siècle, sans compter les cabanes contemporaines, à partir de la seconde moitié du 20e siècle et même les plus récentes, depuis les années 1980.

Les enclos suivent la même logique que celle des cabanes, mais résistent davantage. Aussi a-t-on davantage de facilité à les identifier, sans pour autant parvenir à déterminer une période de construction précise. Dans la mesure où les techniques de construction en pierre sèche n'ont pas évolué, il est en effet ardu de dater ces aménagements. On peut en outre noter que le mode de garde des troupeaux dans ces espaces clos et pérennes s'accompagnait d'enclos amovibles attestés dès le moyen âge, qui eux ont disparu.

L'économie d'élevage liée à l'estive perdure aujourd'hui. Si les enclos solides ont été remplacés par les enclos amovibles, les cabanes constituent toujours l'abri du berger. C'est la raison pour laquelle elles continuent à émailler les unités pastorales.

  • Période(s)
    • Principale : Moyen Age, Temps modernes, Epoque contemporaine
  • Toits
    bois en couverture, bardeau, fer en couverture, tuile creuse
  • Murs
    • grès moellon
    • calcaire moellon
    • béton parpaing de béton enduit
  • CARAGUEL, Bruno, LEBAUDY, Guillaume, MSIKA, Bruno (dir.). L'alpage au pluriel. Avignon : Cardère éditeur/Champoléon : Maison du berger/Les Adrets : Fédération des alpages de l'Isère, 2015, 261 p.

  • GARDE, Laurent, DIMANCHE, Marc, LASSEUR, Jacques. Permanence et mutations de l’élevage pastoral dans les Alpes du Sud. Dans : Journal of Alpine Research/Revue de géographie alpine, 102-2, 2014.

Documents d'archives

  • Procès-verbal de reconstitution et de détermination du tracé des carraires sur le territoire d’Annot. 24 mai 1784. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : E DEP 008 / DD2.

    13 f°
  • Administration et économie du département - pâturages : commune de Villars-Colmars. Avril 1873. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 7 M 295.

    Extrait de délibération du conseil municipal de Villars-Colmars.

Bibliographie

  • BURRI, Sylvain. Vivre de l'inculte, vivre dans l'inculte en Basse Provence centrale à la fin du Moyen Âge. Histoire, archéologie et ethnoarchéologie d'un mode de vie itinérant : Laboratoire d'archéologie médiévale et moderne en méditerranée, UMR LA3M 7892. Aix-en-Provence, Th. doct., 2012, 3 vol. (1369 p.) + 1 vol. d'annexes (338 p.).

    Mobilités et stratégies résidentielles pastorales, p. 334-411.
  • COMPAN, André. Transhumance et douanes aux confins des Basses-Alpes et du haut comté de Nice (1814-1840). Dans Provence historique, t. 11, fascicule 46, 1961, p. 343-353.

  • COULET, Noël. Sources et aspects de l’histoire de la transhumance des ovins en Provence au bas Moyen Age. Dans : Le monde alpin et rhodanien, n° 3-4, 1978, p. 213-247.

  • DUCLOS, Jean-Claude, MALLEN, Marc. Transhumance et biodiversité : du passé au présent. Dans : Revue de géographie alpine, t. 86, n° 4, 1998, p. 89-101.

    Voir lien web.
  • GARDELLE, Charles. La transhumance ovine entre les régions méditerranéennes et les Alpes en 1964. Dans : Revue de géographie alpine, t. 53, n° 3, 1965, p. 449-477.

    Voir lien web.
  • GARDELLE, Charles. Evolution récente de la transhumance ovine dans les Alpes de 1964 à 1976. Dans : Revue de géographie alpine, t. 66, n° 2, 1978, p. 211-212.

    Voir lien web.
  • GILLES, Jean-Pierre. Aperçu historique des drailles et carraires de transhumance. / Dans : Transhumance. Relique du passé ou pratique d’avenir ? Etat des lieux d’un savoir-faire méditerranéen en devenir, dir. Patrick Fabre, Gilbert Molénat et Jean-Claude Duclos, Actes des Journées euro-méditerranéennes de la transhumance, juin 2000, Coudray-Macouard : Cheminements / Maison de la transhumance, 2002, 340 p.

    p. 35-49
  • MOUSTIER, Philippe, RIEUTORT, Laurent. Des trains de moutons pour se nourrir... Transhumance ferroviaire et alimentation à travers l'exemple provençal. Dans Revue d'histoire des chemins de fer, n° 41, 2010, p. 89-109.

    Voir lien web.
  • PELLISSIER, Jean-Esprit. Histoire d'Allos : depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Digne : Chapsoul et Vve Barbaroux, 1901.

  • RENDU, Christine. Fouiller des cabanes de bergers : pour quoi faire ? Dans Etudes rurales, n° 153-154, 2000, p. 151-176.

    Voir lien web.

Documents figurés

  • Cartes des frontières Est de la France, de Colmars à Marseille. / Dessin à l'encre sur papier, par Jean Bourcet de La Saigne et Jean-Claude Eléonore Le Michaud d'Arçon, 1764-1778. Echelle 1/14000e. Cartothèque de l’Institut Géographique National, Saint-Mandé : CH 194 à 197.

    Détail de la planche 194-10 bis : cabanes (Chalufy, la Sellanche, cirque de Juan).
  • Plan cadastral de la commune de Colmars, 1827. / Dessin à l'encre sur papier par Casimir Fortoul, Frison, Lambert, Allemand, Mathieu et Bouffier, 1827. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 105 Fi 061 / 001 à 018.

  • Berger et son troupeau sous l'orage. / Huile sur toile par Théodore Jourdan, vers 1900 (hauteur : 144 cm ; largeur : 195 cm). Musée de l'Empéri, Salon-de-Provence : FP22.

    Moutons de la race mérinos d'Arles.
  • COLMARS-Les ALPES - Lac de Lignin. / Carte postale, vers 1910. Collection particulière.

  • BEAUVEZER (B.-Alpes), alt. 1150 m. Station Estivale. - Bergerie du Défends, alt. 2050 m. / Carte postale, décennie 1910-1920. Collection particulière.

  • [La messe des bergers. Chalufy.] / Carte postale, Darasse (photographe), Ruat P. (éditeur), vers 1950. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 2 Fi 0415.

Annexes

  • "Extrait du registre des délibérations du Conseil général", Session d'avril 1873
Date d'enquête 2010 ; Date(s) de rédaction 2015
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Mosseron Maxence
Mosseron Maxence

Chercheur au Service régional de l'Inventaire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (2007-2022).

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Sauze Elisabeth
Sauze Elisabeth

Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.

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