La première chapelle Notre-Dame-de-la-Fleur
Cartes des frontières Est de la France, 1764-1778.Thorame-Gare, autrefois nommé Notre-Dame-de-la-Fleur, est un lieu-dit de Thorame-Haute, c'est avant tout un lieu de pèlerinage. La Vierge y serait apparue, à deux reprises, à un berger nommé Arnaud, lui indiquant l'endroit où faire construire une chapelle qui lui serait dédiée. Lors de la seconde apparition, "une rose cueillie dans les jardins du ciel fut laissée au berger comme signe authentique de sa vision, ce qui valut à Marie le titre de Notre Dame de la Fleur" selon Félix Jaume.
Il est probable qu'un édifice médiéval existe à cet emplacement, détruit au moment du passage des huguenots en 1576, en même temps que l'église paroissiale de Thorame-Haute. La première mention connue d'un édifice primitif se trouve dans le registre des délibérations de la communauté de Thorame-Haute et date de 1612. Il est question dans cet acte de travaux de réparations, tout comme dans un prix-fait de 1632. Un peu plus tard, en 1634, Fabri de Peiresc cite la chapelle et sa procession. La dévotion liée à l'apparition est donc déjà vive au début du 17e siècle. La statue de la Vierge à l'Enfant dite Notre-Dame-de-la-Fleur (Référence IM04002666), aujourd'hui placée dans l'église paroissiale de Thorame-Haute, est également auréolée d'une autre légende miraculeuse. Elle serait en effet arrivée à dos de mulet, dans le village de Thorame-Haute, avec comme seule mention d'adresse "à ma destination".
Dans le compte rendu de la visite pastorale de 1697, l'évêque décrit le mauvais état de la chapelle Notre-Dame-de-la-Fleur et son interdiction corrélative : "sur nostre route (venant de Thorame-Basse) avons trouvé la chapelle soubz le tiltre de Nostre-Dame de la Flour ouverte et profanée y ayant de paille en dedans où paroit avoir couché des personnes ou bestiaux, qu’est cause que nous l’avons interdite et nous estant informé du titulaire de ladte chapelle nous seroit esté dict que c’est le sieur abbé de la Garde pour raison de quoi après que nous aurons veu les titres de fondation de ladte chapelle nous se réservons de prononser sur ce de suppression et service contre qui de droit". Dans la visite suivante, en 1712, l'état est toujours le même.
Dans le 3e quart du 18e siècle, la chapelle est reportée sur les cartes de Cassini et de Bourcet-de-la-Saigne. En 1796, au moment des saisies révolutionnaires, le procès-verbal décrit un état toujours aussi dégradé : "au quartier dit de notre dame de la fleur [...] contenant en sol quinze cannes longueur de murailles cinq cannes, largeur deux cannes, hauteur deux cannes aussi, couverte en partie en mallons de brique, et l'autre partie en planches de bois de mélèze, le tout en assez mauvais état".
La chapelle est, après la Révolution, rachetée par la communauté, comme les autres chapelles de Thorame-Haute. En 1803, sont nommés des marguilliers chargés gérer le temporel du sanctuaire. La chapelle va donc être restaurée et remeublée. Dans les visites pastorales de 1858 et 1876, elle est dite en bon état. En 1866, le journal des marguilliers porte état de l'achat de "800 mallons pour le toit de la chapelle". En 1874, on refait le pavement. La même année, on paie A. Comte, peintre-doreur à Digne pour "peinture et dorure du maître-autel", pour la "décoration des voûtes et nervures du sanctuaire" et pour la "réparation du tableau du maître-autel". L'année suivante un appui de communion est acheté. En 1877, on place deux nouveaux vitraux de l'Immaculée Conception et de saint Joseph ; autre vitrail en 1882. En 1890-91, un "abris" est construit grâce au don de la "prieuresse" Julie Arnaud ; il s'agit sans doute d'un porche, en bord de chemin, à l'entrée de l'ancienne chapelle. Le toit est refait en 1903.
[Carte postale] Vue de l'ancienne chapelle Notre-Dame-de-la-Fleur, avec la gare, depuis le sud-est.L'ancienne chapelle de Notre-Dame-de-la-Fleur, telle qu'on la voit sur les cartes postales du début du 20e siècle, est un édifice orienté, donc perpendiculaire à celui que l'on connaît aujourd'hui, mais se trouvant à peu près à l'emplacement actuel. Elle ouvrait directement sur le chemin la bordant, l'entrée précédée par un porche couvert. Édifice à une seul vaisseau, elle était voûtée en berceau plein cintre sur deux arcs doubleaux (correspondant sans doute aux contreforts que l'on voit à l'extérieur), si l'on en croit la description qu'en fait l'abbé Juvenal Pellisier dans La Voix du Bon Pasteur. Elle était prolongée, à l'est, par la sacristie. Le bâtiment dans le prolongement de la chapelle a pu être un ancien ermitage, transformé au début du 19e siècle.
La gare de Thorame-Haute (Référence IA04000640) est construite à partir de 1908 dans une volonté de desservir les villages de la haute vallée du Verdon. Elle est inauguré en 1911. Dès 1904, le conseil de fabrique, avec l'autorisation de l'évêque de Digne, cède le parc de la Fleur, près de la chapelle pour sa construction.
Le pèlerinage
[carte postale] La statue de Notre-Dame-de-la-Fleur, ca. 1920.Lors du pèlerinage à la chapelle, la statue de la Vierge à l'Enfant [Référence IM04002666] est portée en procession depuis l'église paroissiale.
La première mention en est donnée par Fabri de Peyresc en 1634, la procession a lieu le lundi de Pâques. En 1788, Achard précise que "la fête de ND de la Fleur est célébrée le dimanche de la Trinité. Toute la paroisse se rend en procession à la chapelle dédiée à Notre-Dame de la Fleur, éloignée du village d'une lieue et demie sur le chemin royal qui conduit dans la Basse-Provence. On y porte en procession une grande statue de la Sainte Vierge, et il se fait un concours considérable de personnes qui s'y rendent de toutes les paroisses voisines pour satisfaire à leur dévotion".
En 1836, l'évêque fixe la date de la procession au lundi de Pentecôte. En 1860, l'abbé Testanière en fait un compte rendu assez précis. Associée à la fête de Notre-Dame-de-la-Fleur, une foire se tient devant l'édifice. Le succès est tel qu'il génère quelques désordres : le conseil de fabrique y met bon ordre par un arrêté, enjoignant aux forains, d'une part de demander l'autorisation préalable à leur installation aux marguilliers et, d'autre part, de s'acquitter d'un droit d'occupation. C'est le succès croissant de ce pèlerinage qui engendre la nécessité de construction d'une nouvelle chapelle, c'est aussi les revenus qu'il génère qui va rendre la chose possible.
En 1861, l'abbé Féraud décrit l'ancienne chapelle et ses ex-voto : "on fait remonter la construction de la chapelle au 17e siècle seulement. Elle est assez vaste mais n'offre rien de remarquable sous le rapport de l'architecture. On donne à cette chapelle une origine miraculeuse les nombreuses layettes suspendues à la voûte de la chapelle, en forme d'ex-voto, attestent qu'on invoque Notre-Dame-de-la-Fleur dans les maladies des enfants et que plusieurs miracles s'y sont opérés". Selon le récit de Joseph Reboul, de nombreux ex-voto se trouvaient encore dans l'ancienne chapelle en 1930. Il relate également les nombreux miracles qui ont fait la renommée du sanctuaire, miracles dont témoigne uniquement une tradition orale et les ex-voto qu'il a pu lui-même observer.
La procession connaît, depuis 1988, un regain d'intérêt. Felix Jaume en retrace toute l'histoire dans son ouvrage, transcrivant des témoignages.
La fontaine
Fontaine : vue d'ensemble.La fontaine n'apparaît pas sur le cadastre napoléonien. Dans le journal des marguilliers de Notre-Dame-de-la-Fleur, on trouve les premières mentions du "canal de la fontaine", construction et/ou réparation à partir de 1872 : paiement de "12 litres de vin aux ouvriers qui ont travaillé à la réparation du canal de la fontaine de Notre-Dame". On commande également du zinc pour les grilles de la fontaine. En 1879, le canal est terminée. Dans ce même journal, on trouve mention, en janvier 1885, d'une donation de 211 francs par Mle Julie Arnaud "prieuresse de Notre-Dame" pour "le prix et le port de la statue en fonte qui surmonte la fontaine". Frais effectivement engagés pour le "port de la statue en fonte", un peu plus tard. En mars 1885, on verse le premier acompte pour la fontaine à Guillaume Jean, tailleur de pierre à Beauvezer, en 1887 on lui verse le solde final. La fontaine est donc réalisée entre 1872 et 1887.
En 1901, "la statue qui domine la fontaine" est restaurée et on plante des épicéas dans le parc. En 1903 on paie 30 F à Brunetti père et fils pour réparation à la fontaine. Sur les cartes postales de la fin du 19e siècle ou du début du 20e siècle, la fontaine, surmontée de la statue de la Vierge est bien visible. Pour autant, elle a été déplacée, sans doute au moment de la construction de la nouvelle chapelle.
La fontaine présente aujourd'hui deux bassins : un bassin en semi-circulaire en grès, sur l'avant de la fontaine, et un bassin plus grand rectangulaire, ayant fonction de lavoir, en ciment, ajouté dans le courant du 20e siècle sur l'arrière. La statue de la Vierge à l'Enfant, en fonte aujourd'hui peinte, est posée sur un piédestal en grès avec décor en demi-relief (rosette, Sacré-Cœur enflammé, fleur de lys, et chiffre de la Vierge A et M entrelacés).
La reconstruction de la chapelle : 1936-1947
Juvenal Pellissier est tout d'abord curé de Méailles et Peyresq, puis de 1925 à 1955, on lui confie les paroisses de Thorame-Haute, Peyresq et La Colle-Saint-Michel. Il crée le bulletin paroissial nommé La Voix du Bon Pasteur dans lequel il est possible de suivre la vie paroissiale à partir de 1920, mais également les étapes de la construction de la nouvelle chapelle de la Fleur. Une inscription sur le mur ouest du chœur rappelle le rôle crucial joué par le prélat dans la construction de l'édifice : "Abbé J. Pellissier 125/1955 Il a de ses mains édifié et sculpté pour la Mère de Dieu cet écrin de pierre dédié à N.D. de la Fleur".
Dès 1927, la nécessité de construire un nouveau sanctuaire se fait jour, en raison de l'état de vétusté de l'ancienne chapelle, mais aussi en raison de son exiguïté avec le succès du pèlerinage. Enfin la gare a été construite en 1908 et, avec ce bâtiment, les infrastructures telles que route et buffet de la gare, achevé en 1911. L'ancienne chapelle et son état de décrépitude font un saisissant contraste avec cet environnement "moderne". Le 12 août 1927 l'évêque de Digne donne son accord pour la construction d'une nouvelle chapelle et l'ouverture d'une souscription. Celle-ci est lancée dès 1928.
Emplacements de l'ancienne et de la nouvelle chapelle Notre-Dame-de-la-Fleur. 1928.En 1928, l'abbé Pellissier publie, dans La Voix du Bon Pasteur, le projet d'emplacement de la nouvelle chapelle. Son érection est prévue au même endroit de l'ancienne mais selon une orientation différente, son chevet doit désormais être tourné vers le sud. La chapelle s'adapte ainsi à son nouvelle environnement : parallèle à la nouvelle route, sa façade ouvrira sur la place devant l'entrée de la gare. Cela est rendu possible par un échange de parcelles entre la Compagnie des chemins de fer et la commune.
En février 1936, Félix Duperron, architecte de la ville de Digne-les-Bains, dresse les plans et élévation de la future chapelle. Projet de chapelle à ND de la Fleur. Façade principale nord. La cérémonie de la pose de la première pierre a lieu le 1er juin 1936 : c'est Mgr Cosme Jorcin, évêque de Digne, qui officie. ll revient pour la consécration de la chapelle le 26 mai 1947.
Concernant les matériaux utilisés pour construire la chapelle : les pierres de grand appareil proviennent de la carrière sur la route de la Colle, "dans le vallon qui descend du Fontanif, au pont même appelé Pont de Guillaume", les pierres blanches ont quant à elles été extraites des carrières du sud-est de Ménerbes. Pour les colonnes de la façade et la rosace, vingt blocs proviennent de la carrière Saint-Symphorien (près de Ménerbes) où le calcaire est plus jaune. Le bois de charpente est issu des forêt de Colmars (voligeage en bois de sapin, voliges en bois de mélèze). La couverture enfin est constituée de plaques de cuivre rouge, aujourd'hui oxydées donnant un aspect proche de celui des ardoises. La toiture a été restaurée en 1992.
Il faut noté que le décor sculpté est en grande partie l’œuvre de l'abbé Pellissier. S'il n'a lui-même taillé la pierre, il aurait, à tout le moins, dessiné les motifs des rosaces, des vitraux et du maître-autel.
Un édifice conçu par l'abbé Pellisier
Vue intérieure vers le choeur.La chapelle Notre-Dame-de-la-Fleur est un édifice conçu pour s'insérer dans son environnement, soit la gare et la place devant celle-ci. L'édifice n'est donc pas orienté mais son chevet est tournée vers le sud. C'est également un sanctuaire de pèlerinage, ses dimensions sont donc suffisantes pour accueillir une foule de pèlerins, son espace intérieur, adapté à cette affluence, présente certes trois vaisseaux mais traités de telle manière que l'espace semble unifié et que tous les fidèles puissent avoir la même vue sur le sanctuaire. En plus de la porte principale septentrionale, deux accès ont été prévus pour assurer la circulation des pèlerins, à l'est et à l'ouest. Suivant la même conception, la dévotion étant celle à la Vierge, il n'a été prévu aucun autel secondaire, aucune chapelle latérale.
Les façades extérieures sont en pierre apparente : moellons de calcaire de petite taille, équarris et assisés, les joints plutôt gras. L'ensemble est, comme l'intérieur, de style néo-roman : trois arcatures aveugles en plein cintre rythme la façade principale, celle de la partie centrale retombe sur de courtes colonnes à chapiteaux néo-romans. Un jeu de contraste est généré par l'emploi de deux pierres différentes pour ces deux colonnes ainsi que la rosace et le reste de l'appareil. La façade est surmonté d'un petit clocher à une seule baie en plein cintre. Quatre contreforts en légère saillie animent les façades occidentales et orientales. On observe plusieurs niveaux de toitures à longs pans, toutes couvertes de tuiles plates de cuivre : la plus grande partie est celle correspondant à la nef, puis en contrebas, celle du chœur, enfin de la sacristie et autres salles.
L'intérieur de la chapelle est constitué d'une nef à quatre travées et deux collatéraux de même. Le sanctuaire, légèrement surélevé, présente une seule travée ; le chevet est extérieurement saillant et plat. La sacristie se trouve dans le prolongement du chœur, on y accède par une porte à l'arrière de l'autel, la porte ouest, la porte est donnant accès à une autre salle de rangement. A l'arrière de ces deux salles, se trouve le "magasin", ouvert les jours de pèlerinage. L'abbé Pellissier détermine un style néo-roman avec, d'une part, ce choix de files de coupoles sur pendentifs, scandées par des doubleaux en plein cintre et reposant sur de massives colonnes circulaires, et, d'autre part par l'iconographie et le traitement de la sculpture des chapiteaux.
L'ensemble est très lumineux : la façade nord, façade principale, est percée d'une grande rosace surmontant la porte d'entrée et de deux baies en plein cintre, la nef présente, dans les deuxième et troisième travées, une baie par travée, également en plein cintre, la quatrième et dernière travée est éclairée par deux oculi, le mur du chevet enfin est percé, dans la partie supérieure, de trois baies étroites en plein cintre. L'ensemble est garni de verrières au programme iconographique empreint d'histoire locale : par la présentation de la flore associée à des figurations des édifices religieux de la région (voir Référence IM04002641). D'autres verrières présentent plus traditionnellement les figures divines (voir Références IM04002642 et IM04002644) ; tandis qu'une dernière est dédiée à Notre-Dame-de-la-Fleur (Référence IM04002643). Les panneaux peints à fresques des murs de la nef sont une réalisation contemporaine du peintre Philippe Hosiasson (Référence IM04003200) : ils narrent l'histoire du sanctuaire depuis l’apparition au berger.
Conservateur du patrimoine en poste au Service régional de l'Inventaire à la DRAC de Poitiers de 2002 à 2005, puis au Service de l'Inventaire de la DRAC d'Aix-en-Provence. En poste au Service de l'Inventaire et du patrimoine, région Provence-Alpes-Côte d'azur depuis 2008.