I. HISTORIQUE
En 1714, François de Rolland-Tertulle de Réauville, marquis de Cabannes, second président à la cour des Comptes de Provence, à Aix-en-Provence, demande à l'architecte Robert de Cotte, "intendant des Bâtiments du Roy" des plans pour un hôtel particulier. De Cotte lui fait parvenir une première version (des esquisses ?) au mois de novembre. Réauville achète en janvier 1715, aux moines feuillants, un terrain situé dans le nouveau quartier créé par Michel de Mazarin dans la deuxième moitié du 17e siècle. Il reçoit les plans définitifs en mars 1715. La première pierre est posée le 4 avril 1715. La réalisation est le fait de maîtres d'œuvre locaux dont François Aubert, "gipier" d'Aix, chargé de mettre en œuvre tous les ouvrages de maçonnerie suivant les plans de Robert de Cotte, puis à partir de 1722 de Georges Vallon.
En 1717, Jean-Baptiste Rambot, sculpteur, fils du sculpteur Jean-Claude Rambot, réalise le décor de roses et de gouttes sous le balcon de la façade, Adrien Dhuez, sculpteur flamand de passage à Aix entre 1716 et 1719, les métopes de la frise et le masque de la porte d'entrée. En 1719, Dhuez, réalise "quatre vases à mettre aux quatre coins de la maison, sur la corniche" et les armes au fronton. Ces éléments ont à présent disparu. A la mort de François de Réauville en 1718, le projet est poursuivi par son fils Joseph-François, également second président à la cour des Comptes. C'est le début de la décoration intérieure, principalement par Honoré Gastaud, sculpteur sur plâtre, de 1719 à 1745. Il collabore en 1722 à la réalisation des deux termes en plâtre du vestibule par Routier le fils (s'agit-il d'Esprit Routier qui travaille sur le chantier en tant que sculpteur sur bois ?). En 1719 et 1720, Antoine Fleury réalise des décors de cheminées en plâtre. Les autres artistes à intervenir sur le chantier sont Pierre Damart sculpteur, (1719-1720), Lange-Maucord, sculpteur (1722). En 1722, Robert de Cotte envoie de Paris les dessins des ouvrages en ferronnerie du balcon et de la montée d'escalier. Ils sont exécutés par Raynaud, ferronnier. En 1722, Georges Vallon, architecte et ingénieur de la ville, fils de l'architecte Laurent Vallon, reprend la conduite des travaux et ce jusqu'en 1734. Toutefois François Aubert continue à intervenir au moins jusqu'en 1732, mais uniquement comme maître maçon. Entre-temps, Joseph-François est décédé en 1727. Son fils Jean-Baptiste, conseiller au Parlement, poursuit l'œuvre. Les travaux de marbrerie, cheminées et fontaine du vestibule, sont effectués entre 1736 et 1745 par le maître marbrier tessinois Marc-Antoine Contestable. Les peintres, qui exécutent de 1738 à 1745 les toiles peintes de certains dessus de portes et de cheminées, sont Jacques Carpenel, Ferrand (marchand bijoutier ?), Joseph Rolland, Ramus et Clericy. Tous ces décors peints ont disparu. En 1742-1748, de Réauville fait réaliser un orgue (disparu) pour la grande salle du premier étage par le facteur Emmanuel Posser. Les travaux sont globalement achevés en 1748.
Après la mort du conseiller de Réauville en 1752, l'hôtel passe par voie d'échange à François Bruny de La Tour-d'Aigues dont la petite fille Pauline épouse le marquis de Caumont en 1796. Après avoir appartenu à divers propriétaire, il est acheté par la ville à la fin des années 1950 et reste dans un état de semi-abandon jusqu'à sa restauration entre 1966 et 1969. Les décors des appartements nord et ceux du deuxième étage n'ont pas été conservés. L'aile des communs a été entièrement remaniée. Depuis 1970, l'hôtel abrite le conservatoire de musique.
II.DESCRIPTION
La description essaie de restituer l'état originel à partir des plans de Robert de Cotte et du rapport d'estimation de la maison de 1782.
1.2. Situation et composition d'ensemble
L'hôtel est construit sur une parcelle carrée d'environ 1850 mètres carrés, située à l'extrémité d'un îlot dont elle occupe toute la profondeur. Elle est donc circonscrite par des rues sur trois côtés : la rue Cabassol (anciennement Saint-Jacques), la rue Mazarine et la rue Goyrand (Saint-Michel). Elle est elle-même divisée en quatre carrés occupés au nord-est par la demeure, au sud-est par le jardin, au sud-ouest par les ailes des communs et d'une galerie délimitant la basse-cour, et au nord-ouest par la grande cour close d'un mur.
L'accès se fait par une porte cochère, ou portail à carrosses, couverte en plein cintre. Elle est encadrée au sud par le logement du concierge et au nord par une autre petite construction reprenant l'arrondi de l'angle. La cour est couverte d'une calade et de dalles le long de la façade. Au sud, elle communique par une autre porte cochère avec la basse-cour délimitée par les deux ailes des communs au sud et à l'ouest et par une galerie, à l'est, dont la façade aveugle est rythmée de moulures figurant des ouvertures.
La demeure occupe toute la largeur de la grande cour. Une entrée de service, dans l'angle nord-ouest, ouvre sur la rue Mazarine.
3. Matériaux
La pierre de taille est employée pour les élévations ouest, nord et sud ainsi que pour le mur de clôture antérieur. La façade arrière est en blocage non enduit. C'est un calcaire "pierre froide de l'enclos de l'avocat général Gauffridy" et "pierre rousse de Saint-Jérôme".
Les sols du rez-de-chaussée et du premier sont en "mallons d'Auriol", celui du vestibule est en grand carreaux de marbre blanc et gris.
Les 16 grandes portes pour les appartements du rez-de-chaussée et du premier sont en noyer, mais il est fait mention aussi de portes en bois de tremble pour les salons.
4. Structure
L'hôtel se compose donc de trois corps de bâtiment. La demeure a deux étages carrés sur le rez-de-chaussée et un étage de sous-sol. Les pièces du sous-sol sont voûtées en berceau plein-cintre. L'aile des communs (nord-sud) est d'un seul niveau subdivisé en deux demi-étages reliés par un escalier. L'aile de la galerie (nord-sud) est d'un seul niveau occupé par un seul volume.
L'hôtel possède trois escaliers :
- L'escalier principal, qui occupe une position centrale dans la demeure, dessert tous les étages. C'est un escalier suspendu, tournant autour d'un jour, à trois volées droites séparées par des repos formant retour en équerre. Le mur de cage est ouvert, à l'ouest, sur une petite cour dont la grande verrière l'éclaire. Il dispose également d'un éclairage zénithal, le lanterneau qui le surmonte étant percé de six fenêtres. Il dessert le sous-sol par une volée droite.
- Les deux escaliers de service, dérobés, sont situés à l'arrière de la cage principale, de part et d'autre. Ils desservent la totalité des étages dont les demi-étages qui recoupent à cet endroit-là de la maison les différents niveaux. Ce sont des escaliers tournant sans jour, en plâtre, sur structure de bois.
5. Élévations extérieures
La façade antérieure sur la grande cour s'élève sur trois niveaux au-dessus des soupiraux du sous-sol, à présent fermés. C'est une élévation ordonnancée. A chaque niveau, trois travées de fenêtres segmentaires sont situées de part et d'autre d'un avant-corps central en saillie marqué par des pilastres jumelés et des refends que l'on retrouve aux angles du bâtiment. L'avant-corps est horizontalement rythmé par un balcon, un fronton cintré et un fronton triangulaire. L'ensemble de la façade est couronné d'une corniche.
La façade présente un intéressant décor sculpté. Le garde-corps du balcon est un beau travail de ferronnerie.
Décor : cf. Description - Décors - Précision sur la représentation.
Façade sud, sur jardin : sept travées de portes-fenêtres segmentaires.
6. Couverture
Demeure : toit à longs pans à croupes. Lanterneau à toit polygonal.
Ailes nord-sud : toits à longs pans à pignons couverts.
Couverture de l'ensemble en tuiles creuses.
7. Distribution intérieure
- Sous-sol
L'étage de sous-sol est occupé par les caves et les bas offices. Deux couloirs est-ouest prennent jour sur la grande cour par des abat-jour grillés. A l'ouest, ils ouvrent sur une galerie longeant la façade sur toute la longueur en avant de celle-ci. A chaque extrémité de la galerie se trouve un puits. Le couloir nord dessert une cuisine équipée d'une cheminée, d'un tournebroche et d'un potager, un garde-manger, un bas-office, des celliers, caves et caveau. Toutes les pièces prennent jour par des abat-jour sur la cour ou sur la rue Mazarine. Au sud, une deuxième cuisine est dédiée à la pâtisserie, avec un four et un office spécifiques. On trouve également un office avec cheminée, potager et fontaine, une souillarde avec une auge et un lavoir, un bûcher, une charbonnière, des latrines. Ces pièces sont aussi bordée par une galerie sous la terrasse du jardin. Ce niveau est desservi à la fois par le grand escalier et par les deux petits escaliers de service.
- Rez-de-chaussée
L'accès à la demeure se fait par quelques marches en pierre (actuellement trois). On pénètre dans un vestibule, prolongé par la cage d'escalier. Décor : cf. notices mobilier Ensemble de 2 supports anthropomorphes et de reliefs (décor d'architecture) du vestibule et Fontaine intérieure.
Le vestibule dessert deux appartements, l'un au nord, l'autre au sud. Au nord, il s'agit d'une enfilade de trois pièces, une antichambre, une chambre et un cabinet ouvrant sur un corridor de dégagement donnant dans le petit escalier particulier d'accès à une alcôve entresolée, et dans une garde-robe (dite décharge) prenant jour par une fenêtre sur le puits de lumière.
Au sud, on retrouve la même enfilade de pièces. L'antichambre est éclairée par cinq fenêtres, trois sur la cour et deux sur le jardin. (Décor : cf. notice mobilier Ensemble de reliefs et cheminée (décor d'architecture) de l'antichambre sud du rez-de-chaussée). Elle ouvre sur un salon situé dans l'aile nord-sud, lui-même introduisant à la galerie qui pouvait faire office de salle à manger. Ce salon est éclairé par deux fenêtres, à l'est, sur le jardin. A l'ouest, il est complété par un petit office pris sur la cour (disparu). (Décor : cf. notice mobilier Ensemble de reliefs (décor d'architecture) du salon de l'aile nord-sud). Le salon à galerie était plafonné en anse de panier (ses charpentes sont aujourd'hui apparentes). Cinq fenêtres donnent dans le jardin. La cheminée en marbre blanc veiné, incrusté de marbre de Sicile a disparu. (Décor : cf. notice mobilier Ensemble de 3 reliefs du décor d'architecture de la galerie). De l'antichambre, on passe à l'est dans le salon de compagnie (Décor : cf. notice mobilier Ensemble de reliefs du salon de compagnie au rez-de-chaussée) dont la cheminée en marbre vert de Gênes a disparu, puis dans une chambre à alcôve dont le cabinet ouvre par une porte-fenêtre sur le jardin. Comme au nord, un escalier en plâtre monte jusqu'à un entresol au-dessus du cabinet. Un passage dessert le cabinet de toilette et l'escalier de service.
- Premier étage
Une seule porte sur le palier ouvre sur une grande antichambre commune aux deux appartements nord et sud composés chacun de trois chambres en enfilade. La chambre nord-ouest a cinq fenêtres, deux à l'ouest sur la cour et trois au nord sur la rue Mazarine. La cheminée en marbre commun a disparu.
La deuxième chambre a deux fenêtres au nord. Elle a un issu sur le palier du petit escalier de dégagement. Elle a conservé sa cheminée de marbre jaune surmontée d'un décor de stuc en haut-relief avec des amours musiciens.
Elle donne accès à une autre chambre de deux fenêtres sur la rue Mazarine, à l'escalier de service éclairé par une fenêtre sur le puits de lumière et à un cabinet prenant jour par une fenêtre à l'est. L'escalier de service dessert aussi un entresol.
De la grande antichambre on pénètre dans l'appartement sud par une chambre de cinq fenêtres (deux à l'ouest sur la cour et trois au sud) dont la cheminée en marbre dit bardie a disparu. Décor : cf. notice mobilier Ensemble de reliefs (décor d'architecture) de la chambre sud-ouest (premier étage).
La seconde chambre a deux fenêtres sur jardin. Elle présente un important décor de sculptures dorées : cf. notice mobilier Ensemble de reliefs et cheminée (décor d'architecture) de la chambre sud du premier étage.
Le cabinet de repos a deux fenêtres sur jardin. Une fausse porte est adossée au mur oriental pour faire symétrie avec la porte d'entrée. La pièce présente également un décor de sculptures dorées sur plâtre : cf. notice mobilier Ensemble (reliefs, cheminée, table d'applique) du décor d'architecture du cabinet de repos.
Le cabinet de repos est complété par une garde-robe éclairée par une fenêtre à l'est. Sur le mur ouest, deux portes donnent, l'une dans un placard et l'autre dans l'escalier de service qui dessert un entresol au-dessus et les autres étages.
- Deuxième étage
On y trouve un ensemble de six chambres, chacune complétée d'un cabinet et d'une garde-robe. Certaines antichambres sont communes à deux chambres. Ces différents petits appartements communiquent entre eux mais sont également desservis de façon individuelle par deux corridors nord-sud. Toutes les chambres présentaient des décors et des cheminées mais moins riches que ceux des étages inférieurs.
Les communs
Les communs consistent en deux ailes à angle droit sur la basse-cour. Le rez-de-chaussée de l'aile nord-sud abrite une écurie de cinq chevaux, des latrines avec "un espace pour jeter le fumier dans un souterrain ou caveau qui ouvre par une porte sur la rue" et une autre petite écurie voûtée ayant une fenêtre sur la rue. L'aile est-ouest est occupée par deux remises. L'étage des deux ailes est accessible par un escalier. Il est occupé par des greniers à foin et deux chambres de domestiques dont celle du cocher.
Le jardin
Le jardin n'était accessible que par le cabinet sud-est. Il comporte un accès direct par la rue Goyrand. Il était planté de dix châtaigniers formant des allées. La façade de l'hôtel est longée par une terrasse pavée de dalles.
III. CONCLUSIONS
L'hôtel de Réauville est un édifice historiquement très bien documenté. Les plans de 1715, de Robert de Cotte sont conservés à la Bibliothèque Nationale. Le Livre de la bâtisse de la maison, tenu par le président de Réauville et ses successeurs de 1714 à 1748, mentionne toutes les dépenses effectuées au titre de la construction et de la décoration, et nous informe donc sur les dates de réalisation et sur les différents artistes intervenant. Enfin le Rapport d'estimation et de partage de la succession de monsieur de Saint-Cannat dresse un état des lieux en 1782.
Les plans conservés à la Bibliothèque Nationale sont des esquisses au graphite de 1714 et des plans à l'encre de 1715. On peut penser que ces esquisses sont celles parvenues à Aix le 7 novembre 1714 et que les plans sont ceux livrés le 7 mars 1715. Or ce ne sont pas les plans qui ont été réalisés. Si on les compare avec l'état décrit en 1782 et avec l'état actuel, on se rend compte que des modifications ont eu lieu, qui ne touchent cependant pas à la structure générale de l'hôtel : composition d'ensemble, distributions intérieures... On ne peut faire la part avec certitude des changements dus à de Cotte et de ceux apportés par les conducteurs de travaux locaux. C'est de Cotte qui a rajouté le couloir qui longe la façade orientale et permet une sortie de service sur la rue Mazarine, car cette option existe sur un croquis de la Bibliothèque Nationale. Mais qu'en est-il du toit, du lanterneau ou du décor de la façade? Le toit réalisé est à pente beaucoup plus douce. Le lanternon visible sur le document, percé d'arcades à colonnes et coiffé d'un petit dôme a été remplacé par un lanterneau au volume écrasé, coiffé d'un toit polygonal. Quant à la façade, si les proportions restent les mêmes, ainsi que les refends des angles et de la travée centrale, certains détails changent et iraient vers une homogénéité et un allègement. Les fenêtres sont toutes semblables et les clefs sculptées ont été supprimées. Le décor se concentrait sur la partie centrale avec la présence forte du fronton triangulaire sculpté. Ce dernier gagne le dernier niveau où il outrepasse le couronnement du mur et se découpe sur le ciel. Le corps central apporte un élément de verticalité qui équilibre les horizontales de la bâtisse.
Ces modifications sont-elles l'œuvre de Robert de Cotte lui-même, peut-être effectuées à la demande du maître d'ouvrage. Cette nouvelle façade plus aérée, plus épurée, moins baroque, ne pourrait-elle pas être considérée comme plus "moderne", plus dans l'esprit du 18e siècle commençant ? D'autant que Georges Vallon, lui-même architecte et qui aurait pu donner un nouveau dessin, n'intervient comme conducteur de travaux qu'à partir de février 1722, alors que la façade est déjà achevée et décorée. C'est François Aubert, "maître gipier", qui le 15 janvier 1715 s'engage à faire tous les ouvrages de maçonnerie suivant le plan et élévation fait à Paris par M. de Cotte intendant des Bâtiments du Roy. De plus, Robert de Cotte envoie en 1722 les plans des ouvrages de ferronnerie (balcon et rampe de l'escalier). La ferronnerie de la façade correspond au grand garde-corps qui embrasse toute la largeur de la travée centrale, tel que réalisé. Est-ce que l'on aurait demandé à un architecte aussi important que Robert de Cotte d'être le simple dessinateur d'un ouvrage secondaire pour une réalisation dont il ne serait pas l'auteur ? En revanche les termes du vestibule semblent être un rajout local car ils s'inscrivent tout à fait dans la tradition baroque locale.
Le décor intérieur a été réalisé de 1719 à 1745 en pleine période d'apogée du style rocaille, dont on trouve tous les motifs : coquilles cannelées, moulurées, déchiquetées, arabesques, feuillages, fleurs, fruits, singes, animaux hybrides, visages féminins, personnages de comédie... Il est tout à fait vraisemblable que Robert de Cotte, aussi remarquable architecte que décorateur ait dessiné les modèles. Le décor du petit salon de l'aile nord-sud et de la galerie, postérieur à 1748 (il ne figure pas dans le livre de compte) ne peut être de Robert de Cotte, décédé en 1735.
Architecte et décorateur français, actif à partir de 1685. Auteur de prestigieuses commandes publiques et privées en France et en Europe : péristyle du Grand Trianon et achèvement de la chapelle à Versailles, palais Rohan à Strasbourg ... En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, il est l'auteur de l'hôtel de Réauville (hôtel de Caumont), à Aix-en-Provence.