HISTORIQUE
Jusqu´au milieu du 19e siècle, la passe fluviale entre l´étang de Berre et l´étang de Caronte, située entre le quartier insulaire de Martigues, l´Ile, et son quartier nord, Ferrières, était étroite et occupée par des bourdigues (installations de pêche), des îlots et des bancs de sables - les sèdes. Entre l´Ile et Ferrières, l´îlot principal était le ''Plan du Terraillet''. Depuis Ferrières, on y accédait par un pont-levis - au-dessus du canal du Passage ou Saint-Genest ; il fallait ensuite traverser un pont de bois fixe pour rejoindre l´Ile (COURTOT, GIRARD, MONNIER, p. 24 ; DEGUT, VIGNE, p. 117).
Dans les années 1840, afin d´améliorer les voies navigables et ainsi de permettre la circulation de navires, commerciaux ou militaires, de tonnage important, on décide d´aménager la passe nord de Martigues, entre l´Ile et Ferrières, en supprimant les îlots, en élargissant et en approfondissant le chenal. ''L´itinéraire historique de circulation des bateaux emprunt[ait] le canal de Ferrières où se trouvait le port : aussi la première étape a-t-elle été le creusement du chenal maritime et du port de Ferrières''. D´importants travaux, réclamés depuis le 18e siècle, sont décidés en 1846 (COURTOT, GIRARD, MONNIER, p. 63). En 1847, le projet prévoyant ''le creusement d´un canal avec l´aménagement de la passe de Caronte, la création d´un port à Ferrières et d´une passerelle entre quartier et l´île'' est déclaré d´intérêt public (MAISONNEUVE, DEL BALDO, ENTRESSANGLE, p. 25). Plus précisément, la construction d´un pont entre Ferrières et l´Ile est déclarée d´utilité publique en 1849 (GOUBERT).
Entre 1846 et 1870, la passe nord est ''creusée à 6 m de tirant d´eau et 20 m de large'' (COURTOT, GIRARD, MONNIER, p. 29 et p. 64). On aménage un bassin et un port, on supprime les rives marécageuses en créant des quais (ibidem, p. 62).
Pièce centrale de ces transformations, le pont tournant de Ferrières est édifié de 1859 à 1861, selon le modèle du pont tournant de Sète, par l´ingénieur ordinaire de l´arrondissement d´Arles, Emile Bertrand. Il est inauguré en octobre 1861 (MAISONNEUVE, DEL BALDO, ENTRESSANGLE, p. 29 ; La Marseillaise. Etang de Berre, 1996 ; DEUFF 1994, p. 30). Les techniques de réalisation de l´ouvrage sont novatrices puisque les profilés et les tôles en fer sont employés pour la première fois dans la région, la technique d´assemblage par rivetage étant également inédite (BRANDI III).
Le pont tournant se trouve à l´extrémité orientale du bassin régulier et abrité servant de port (SAUREL, p. 16-17).
Mais le nouveau port et le pont ''ne répondaient pas aux espoirs mis en eux. Seulement quatre-vingt bateaux de tonnage important y mouillèrent en dix ans'' (MAISONNEUVE, DEL BALDO, ENTRESSANGLE, p. 25). Le creusement du canal de navigation n´ayant été effectué que sur 20 m de large, seule une passe fut utilisée. Par ailleurs, la faible profondeur du chenal ne permit pas l´essor commercial escompté, les nouveaux besoins de la navigation exigeant un tirant d´eau toujours plus important. De plus, la passe du pont tournant était trop étroite pour permettre aux gros bâtiments de manoeuvrer. Ce canal maritime fut donc un échec et Martigues, qui avait fondé beaucoup d´espoir autour de ce projet, n´en retira que peu de bénéfices (La Marseillaise. Etang de Berre, 1996). Ce fut ''un désastre économique atténué en 1927 lors de l´aménagement de la passe sud'' (MAISONNEUVE, DEL BALDO, ENTRESSANGLE, p. 25).
Le pont ne suffisant plus à absorber la circulation routière, il est fermé au trafic routier en 1949, remplacé par un pont métallique basculant (Référence : IA13004141) situé un peu plus à l´ouest. Le pont tournant devient alors un passage piétonnier utilisé jusqu´en 1975, date à laquelle il est désaffecté (MAISONNEUVE, DEL BALDO, ENTRESSANGLE, p. 29 ; DEUFF 1998, p. 36).
Il faut attendre un nouveau projet élaboré en 1998, dont sortiront les ''ponts bleus'' actuels sur le canal de Baussengue (Références : IA13004084 et IA13004094), pour que son existence soit remise en cause. Des défenseurs du patrimoine souhaitent alors le sauver. Une pétition envoyée à la mairie, lancée par Maître Balique, président du Comité d´études économiques et sociales de Martigues, demandant la conservation et le classement du pont au titre des Monuments historiques, recueille plusieurs centaines de signatures. L´ouvrage est en effet un jalon dans l´histoire de l´architecture industrielle du 19e siècle dans la région ; en outre, c´est à l´époque le dernier pont de ce type encore en état en France (DEUFF 1998, ibidem ; BRANDI III ; GUILLEDOUX). La DRAC est également favorable à sa préservation. Mais le pont est déclaré délabré, voire dangereux, et sa réhabilitation coûterait trop cher ; par conséquent, il est finalement démonté entre le 7 et le 10 septembre 1999 sous l´égide du Port Autonome de Marseille. ''[Son] démontage (85 tonnes de fer) a nécessité la mise en oeuvre de deux barges flottantes. [...] Une opération dont le coût est estimé à 400.000 F. Soutenu par des renforts, le vieux pont a d´abord été soulevé par sa partie centrale avant d´être déposé et conduit - par voie maritime - au quai de Caronte. Une grue de 700 tonnes l´a ensuite déposé à terre'' (DEUFF 1998, ibidem).
La durée de vie du pont tournant de Ferrières a été un record pour un pont de fer datant du milieu du 19e siècle (MAISONNEUVE, DEL BALDO, ENTRESSANGLE, p. 30).