L'idée d'assurer la liaison intérieure Rhône-Marseille, afin d'éviter tout passage maritime à des bateaux à gabarit conçu pour la navigation intérieure, est avancée dès la fin du 18e siècle : en 1790, une compagnie propose le creusement du "canal de Provence" ou "Grand Canal". Cette idée est reprise et développée par les Ponts et Chaussées au cours du 19e siècle (MASSON, p. 224), en 1820 notamment. Mais les projets restent de papier : le chaînon montagneux de l'Estaque, qui sépare Marseille de l´étang de Berre, constitue un obstacle infranchissable (MASSON, p. 224). Il faut se contenter au 19e siècle du tracé ''presque fluide'' déjà constitué depuis Arles jusqu'au golfe de Fos et l'étang de Berre via Martigues, avec le creusement du canal d'Arles à Bouc (Référence : IA13004106), mis en service en 1834, du chenal de Caronte (Référence : IA13004127) achevé en 1863, et du canal Saint-Louis (Référence : IA13004103), ouvert à la navigation en 1871. On pense d'ailleurs développer les infrastructures portuaires du golfe de Fos, et ainsi affranchir la navigation rhodanienne de l'emprise du port de Marseille, comme à l'époque romaine (ibidem). Mais le terrain du golfe de Fos est peu fiable, et le fantasme de la traversée de l'Estaque via l'étang de Berre reste présent au sein du gouvernement et de ses forces armées : il s'agirait de livrer une prouesse technique et d'imposer, dans un contexte tendu, la modernité française. Dans son rapport de 1873, Krantz, futur ministre des Travaux publics, évoque l'idée de ''traversée intérieure''. Le lieutenant-colonel du génie Marchand renchérit. En 1878, Charles de Freycinet, ministre des Travaux publics, se déplace à Marseille et apporte son soutien à une Chambre de Commerce et d'Industrie qui se veut pressante : le développement des ports européens menace de déclasser le Port de Marseille de son rang de premier port du continent (idem, p. 225). Un avant-projet est dressé en 1879 par les Ponts et Chaussées (Site internet de la ville du Rove). Le projet retenu d'un tunnel rectiligne au niveau de la mer est approuvé en 1900 (KLEFSTAD-SILLONVILLE, F., RAYBAUT, p. 21). La loi du 24 décembre 1903 déclare la liaison Rhône-Marseille d'utilité publique (BLAIS, RONCAYOLO, p. 35 ; MASSON, p. 225 ; le site internet de la ville du Rove donne la date de 1906) et arrête la mise en place d'un service pour l'exécution des travaux, que l'on planifie sur dix ans. En amont du tunnel du Rove, l'étang de Berre doit être endigué afin de guider les navires vers l'ouvrage à construire sous l'Estaque. Le gouvernement envisage le coût du chantier en étudiant la mise aux normes du tracé avec la batellerie fluviale : le tracé de la liaison entre Arles et Marseille est projeté à partir des ouvrages déjà réalisés, à savoir le canal d'Arles à Bouc (Référence : IA13004106), le chenal de Caronte (Référence : IA13004127) et le canal Saint-Louis (Référence : IA13004103). Les abords du port de Marseille, où débouche le futur canal souterrain, doivent être adaptés à la nomenclature des bateaux. Le tunnel du Rove, qui porte le nom de l'agglomération située à son embouquement sud, ne pourrait nécessiter que 18 m de large (au lieu des 22 m prévus), avec une navigation dans un seul sens. Mais la Chambre de Commerce de Marseille insiste (BLAIS, RONCAYOLO, p. 35 ; MASSON, p. 225). Sur une base de 71 millions de francs au global, l'institution marseillaise prendra en charge 22.660 F, soit 31,3 %, en échange de terrains à vocation commerciale, près des bassins du Port. Les travaux du seul souterrain sont estimés à 17.800.000 F (MASSON, p. 226). L'adjudication n'est signée que tardivement : en 1909 pour la moitié sud et en 1913 pour la moitié nord (ibidem). Des travaux sont menés dès 1907 au Bassin de la Lave (Site internet de la ville du Rove). Les premiers creusements ont lieu en 1910. Les véritables travaux ne débutent précisément que le 7 mars 1911 (Site internet Structurae ; Site internet de la ville du Rove) ou le 7 mars 1913 (BERTHONNET, p. 74-75) selon les sources, par les entreprises Chagnaud, Soletanche, Bachy, Cofex, Sogea, EMCC, Trivella, sous la maîtrise d'ouvrage du Port Autonome de Marseille (l'actuel Grand Port Maritime de Marseille), et la maîtrise d'oeuvre de son directeur technique (KLEFSTAD-SILLONVILLE, F., RAYBAUT, p. 23).
La livraison du canal est retardée par la Première Guerre mondiale mais bénéficie ensuite des financements du plan Dawes : l'emploi d'explosifs et de marteaux piqueurs permet d'avancer considérablement les premiers creusements, à l'aide de ballons à air comprimé. Toutefois, pendant le conflit, le financement du projet n'est pas gelé, mais c'est la main d'oeuvre qui manque. Plus de 3.000 ouvriers participent au chantier (KLEFSTAD-SILLONVILLE, F., RAYBAUT, p. 22 et Site internet Structurae ; le chiffre de 3.500 est donné sur le site internet de la ville du Rove), dont un bon nombre d'immigrés espagnols et portugais (MASSON, p. 228 ; Site internet de la ville du Rove). L'inauguration du souterrain proprement dit a lieu en 1916 ; la mise en eau dans le canal est effectuée dix années plus tard, en mai 1926 (BERTHONNET, p. 77 ; le site internet Structurae donne la date de 1925). La première traversée date du 23 octobre suivant, avec les membres de la Chambre de Commerce de Marseille (Site internet de la ville du Rove). Le président de la République Gaston Doumergue vient inaugurer l'ouvrage en grande pompe le 26 avril 1927, tel que le relate la plaque d'inauguration scellée pour l'occasion (Annexe n° 1 ; Fig. 12). Le tunnel du Rove embouque à l'aval du passage de l'écluse de Marignane, après la traversée de l'étang de Bolmon sur 2,5 km, au nord. Il débouque dans le bassin de Lave, au nord du port de Marseille, à 5,84 km des premiers bassins (MASSON, p. 226).
Avec ses 7.290 m de longueur, ses 22 m de large et ses 11 m de haut à la clé, c'est l'ouvrage hydraulique souterrain le plus long de France, et le plus grand tunnel fluvial du monde (KLEFSTAD-SILLONVILLE, F., RAYBAUT, p. 21 ; Site internet de la ville du Rove). La voûte intérieure en moyen appareil régulier avec un profil en plein-cintre est constituée d'anneaux de 6 m de large qui forment des sections (AD Bouches-du-Rhône. 1937W 432 ; Site internet Structurae). Il offre un mouillage de 4 m qui autorisait le croisement de deux péniches de 1500 tonnes (Site internet Structurae). Les représentations de l'époque glorifient l'innovation technique : la Chambre de Commerce de Marseille édite une carte postale de l'intérieur du tunnel, dont la perspective, soulignée par la voûte et les arcades, conduit le regard vers le point lumineux de la sortie, 7 km plus loin (DURRENMATT, p. 45). En juin 1963, un effondrement, sur 200 m de longueur, se produit dans la voûte créant en surface un cratère de 15 m de profondeur (KLEFSTAD-SILLONVILLE, F., RAYBAUT, p. 22 ; Site internet de la ville du Rove). Le tunnel, toujours propriété du Grand Port Maritime de Marseille (base CNR-Oasis), est depuis fermé à la navigation, et interdit au public (Site internet Structurae et Site internet de la ville du Rove). Depuis l'effondrement, certaines voûtes ont été renforcées par des contre-voûtes en béton d'1 m d'épaisseur (Site internet Structurae). Remarquable par ses dimensions : son gabarit permettait le croisement de deux péniches de 1500 tonnes. Il était lors de sa construction l'un des tunnels sinon le tunnel le plus long du monde. Il est emblématique du secteur de l'Estaque et marque la fin du territoire communal.
Longtemps la silhouette du ponton-bigue Samsonne (Référence IM13000241) s'éleva près de son entrée. Il a reçu le label patrimoine XXe siècle en 2000. Une baraque de chantier qui aurait servi pour le tunnel du Rove était encore visible dans la courée dite cours Arnaud en 1998 (Référence IA13001327).
Ingénieur d'étude-chercheur au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1974 à 2015.