HISTORIQUE
C'est au retour d'un long voyage, qui le mène, au début du 20e siècle, dans toute l'Europe, que Ferdinand Bac commence à mettre en pratique sa vocation de paysagiste. A partir de 1918, il travaille pour ses amis, le couple de mécènes Émile et Caroline Ladan-Bockairy pour qui il réalise les jardins de leur demeure de Compiègne et de leur villa de Menton, Les Colombières. L'aménagement du jardin des Colombières a globalement lieu de 1920 à 1924 mais se poursuit en fait dans les années 1930. Certains décors de céramique signés de Ferdinand Bac sont datés de 1932 et 1934.
Dégradé par l'occupation italienne lors de la dernière guerre et une longue période de négligence jusqu'aux années 1990, le jardin des Colombières est restauré à l'identique de 1995 à 2000 par le paysagiste Arnaud Maurières qui reconstruit les fabriques et aménagements disparus à partir des illustrations de Ferdinand Bac. Pour remplacer les statues disparues, il est fait appel à un sculpteur contemporain, Ivan Theimer qui réalise une œuvre personnelle.
DESCRIPTION
Plan d'ensemble
Le jardin des Colombières occupe un espace de plus de 30 000 m2 (il en faisait le double à l'origine) fortement accidenté situé sur les hauteurs qui dominent le rivage de Garavan d'environ 130 mètres. Il est traversé dans sa partie nord par la route de Garavan encaissée dans les flancs de la colline. Les deux parties du jardin sont reliées par deux ponts : le pont du caroubier et le pont de la carrière sur lequel une petite niche abrite une statue de saint Christophe. A l'origine occupé par une oliveraie, l'espace est aujourd'hui encore exclusivement planté d'une flore naturelle locale : oliviers, pins, cyprès, caroubiers... Il s'agit d'un jardin d'arbres et non de fleurs, très architecturé par le biais d'allées, d'escaliers, de fabriques, de belvédères, offrant des ouvertures multiples sur la Méditerranée. La partie occidentale est la plus régularisée. Elle propose une série d'espaces différenciés qui se révèlent au moyen de grandes perspectives, comme par exemple l'allée des cyprès qui ouvre une perspective sur le nymphée de Jean Goujon au nord et sur la mer au sud, ou par surprise au détour d'un bosquet. La partie centrale et orientale est laissée naturelle avec l'oliveraie où subsistent encore 200 oliviers tricentenaires de l'exploitation d'origine, une réserve naturelle, des restanques et même une falaise.
Bien que les axes et les perspectives jouent un rôle majeur dans le jardin, celui-ci, à la différence des jardins d'inspiration classique comme par exemple le jardin à la française de la villa Ephrussi de Rothschild (Saint-Jean-Cap-Ferrat) par exemple, n'est pas du tout axé sur la villa qui lui tourne le dos.
Description détaillée
Le jardin du trompe-l’œil.La fontaine de Nausicaa.La partie sud-ouest (entrée de la propriété) est occupée par la villa prolongée par le jardin d'Homère (l'atrium), espace intime ceint de murs qui le dérobent à la vue depuis l'allée d'entrée, et le garage. Entre la villa et le garage, un jardin de buis clos, géométrique voit sa perspective nord-est donnée par un trompe-l’œil où, derrière un garde-corps réel, un décor en céramique représente un bassin prolongé par une allée finissant sur un arc monumental. Ce décor sert à masquer la façade aveugle du garage qui préexistait aux aménagements de Ferdinand Bac. Il réutilise le pignon de la façade dans la composition générale. La céramique est datée 1934 et porte la signature de Ferdinand bac. Sur deux socles, se trouvent les bustes en bronze de Émile et Caroline Ladan-Bockairy, datés 1927, signés L. Bernstamm et portant le cachet Marque déposée Leblanc-Barbedienne à Paris. Un autre buste représentant Ferdinand Bac est vraisemblablement aussi de Léopold Bernstamm. Fermant le jardin au nord-ouest se trouve la fontaine de Nausicaa. Au fond d'une niche cantonnée par deux assises, un décor de céramique représente Nausicaa donnant ses vêtements à Ulysse qu'elle a découvert échoué au bord de la mer. le sujet fait le lien avec le jardin d'Homère à proximité.
Escalier de l'Enfant au papillon.Le triangle délimité par la route de Garavan et l'allée longeant l'arrière du jardin du trompe-l’œil et du garage est structuré par des lignes brisées et des angles aigus, ceux des deux volées d'escaliers qui se rejoignent au carrefour de l'Enfant au papillon où une sculpture en bronze d'Ivan Theimer remplace la sculpture d'origine, ceux aussi de haies de buis en zigzag. Il est jalonné de points de vues aménagés. Le Jardin de l’obélisque est une esplanade dominant le port et la ville. Un obélisque est au centre d’un bassin orné de lotus. Le tour du bassin porte une citation latine que Ferdinand Bac attribue à Lucrèce : "MVLTA RENASCENTVR QVAE JAM CECIDERE CADENTQVE" (Bien des choses renaîtront qui sont déjà tombées). Situé sur le même axe, le casino de Palladio surplombe l'obélisque au nord-est, la perspective se prolongeant par une percée vers la mer au sud-ouest. Le casino est un petit kiosque de style palladien au toit de tuiles creuses porté par des colonnes toscanes. Le sol est dallé d'éclats de marbre. A l'entrée du pont qui enjambe la route de Garavan, la bella vista est un autre belvédère agrémenté de sculptures : deux statues en pied, Aphrodite et une autre déesse grecque tenant un glaive et une tête d'homme barbu, et une tête d'Artémis. Ces sculptures portent la marque EUTOT fondeur. A ce point de vue répond, après le passage du pont couvert d'une pergola, un autre belvédère (ancienne citerne reconvertie en belvédère). Quant au pont, abrité d'une pergola, il débouche devant un caroubier donné pour millénaire.
Le jardin de l'obélisque. Le "casino" de Palladio et la "bella vista". L'allée des jarres. La "bella vista". Tête d'Artémis. Fondeur : Eutot.
Au nord de la route, se trouve l'une des trois grandes perspectives, l'allée des jarres. C’est un large escalier droit rythmé par des repos, bordé de dix jarres. Ferdinand Bac a joué avec l’illusion d'optique en utilisant des jarres et des socles dont la taille décroit au fur et mesure de la montée créant un effet de perspective. L'allée finit sur un repos orné d'un banc dit le banc romain, où a été apposé un haut-relief d'Ivan Theimer (remplaçant un décor disparu) souligné d'une inscription latine CAVE NE CADAS ANGVIS IN HERBA (Prends garde à la chute Le serpent est dans l'herbe) et de la date XIV NOV MDCCCCXXIV. A angle droit avec l'allée des jarres une autre perspective formée de terrasses soutenues par des murs de pierres sèches monte jusqu'au mur de clôture de la propriété. Elle est dominée par un visage de Gorgone œuvre d'un autre artiste contemporain Nick Allen.
Le bassin espagnol et l'allée des cyprès. Le nymphée de jean Goujon.La partie centrale du jardin est traversée par un axe sud-ouest / nord-est, l'allée des cyprès. L'axe commence au bassin espagnol où Ferdinand Bac s'inspire des bassins de l'Alhambra, puis s'élève par un escalier à pas d'âne bordé de cyprès dont la perspective finit sur le nymphée de Jean Goujon. Cette fabrique, qui n'est d'ailleurs pas un nymphée car il n'y a pas d'eau, est ornée sur ses piliers de copies en plâtre de deux nymphes de la fontaine des Innocents (Paris) de Jean Goujon (16e siècle). Dans une niche se trouve une reproduction en bronze de l'Aurige de Delphes. Ces reproductions ont été réalisés pour Ferdinand Bac par l'atelier du Louvre. Les plâtres ont été restaurés. Accessible par un escalier à l'arrière du nymphée, le pont de la carrière est l'un des deux ponts franchissant la route de Garavan. Il est surmonté d'une petite niche qui abrite une statue de saint Christophe.
La dernière perspective se situe à la limite sud-est de la propriété. Laissant de côté la maison du jardinier une allée dallée de marbre amène à l'autel de Niké présentant une copie en plâtre de la Niké à la sandale du temple de l'Acropole.
A côté de ces perspectives, certains cheminements sont plus sinueux, ménageant des découvertes inattendues, comme par exemple le chemin d'Orphée qui passe sous la falaise et sous le rocher d'Orphée avec son petit autel où un haut-relief en bronze d'Ivan Theimer remplace le motif d'origine. Il représente Orphée recevant le nectar de la déesse Hébé sur le chemin des Enfers. Le chemin est aussi une promenade en balcon sur le paysage, la mer, la ville de Menton et l'Italie. Un peu à l'écart se trouve un colombier.
Le mausolée.Dominant le rocher d'Orphée, le mausolée a été construit en 1932 pour accueillir les tombes des époux Ladan-Bockairy et de Ferdinand Bac. Seule Caroline Ladan-Bockairy y est inhumée, avec une autre défunte Jeannette Ranghoch. Un décor en céramique est signé de Ferdinand Bac et daté de 1932. Il représente un vase de fleurs, la croix latine et deux étoiles de David ainsi que l'inscription PER ASPERA AD ASTRA (Par des sentiers ardus jusqu'aux étoiles).
Pour visualiser sur un plan interactif la localisation de ces différents sites on peut se rendre sur le site des Colombières : http://colombieres.likierman.net/
NOTE DE SYNTHÈSE
Le jardin des Colombières est le quatrième jardin réalisé par Ferdinand Bac après ceux de la villa de Croisset (1913) à Grasse, de la villa Fiorentina (1919) à Saint-Jean-Cap-Ferrat et de la propriété des Ladan-Bockairy à Compiègne. Alors que les trois jardins précédents étaient d'inspiration classique pour Compiègne avec ses parterres de broderie de buis ou à l'italienne à Croisset et à Fiorentina, jardins régulièrement aménagés en un étagement de terrasses architecturées, les Colombières est le fruit d'une inspiration plus libre et plus personnelle où Ferdinand Bac donne forme à sa conception du jardin méditerranéen. Il définit le sens de son travail en 1925 dans un ouvrage illustré par 60 planches aquarellées de sa main.1
De la même façon que l'éclectisme et le pittoresque régnaient sur l'architecture de villégiature de la fin du 19e siècle, la Côte d'Azur connaissait dans ses jardins une prédominance des modèles importés, parcs à l'anglaise ou à l'italienne, puis au début du 20e siècle, tropicalisation des paysages. Parfois créés par des Britanniques en liens étroits avec l'Inde ce sont des jardins de collection, des lieux d'acclimatation et d'expériences botaniques. Ferdinand Bac dira toute son aversion pour le palmier, qu'il surnomme "le balai des tropiques", devenu arbre symbole de la Côte d'Azur. "Depuis le jour où Lord Brougham planta le premier palmier dans son jardin de Cannes, il y a bientôt cent ans, la villa méditerranéenne reçut une direction exotique qui rompit avec toutes les traditions naturelles du sol." 2 Il revient ici aux essences locales, l'olivier dont il conserve 200 arbres de l'exploitation d'origine, le cyprès omniprésent, bordant la grande allée centrale, délimitant des chambres vertes, le pin d'Alep ou le Caroubier dont il traite l'un de ses antiques représentant à l'égal d'une sculpture dans la perspective d'un pont à colonnade : "Un jour, au moment où je cherchais l'orientation d'une colonnade [...] mes yeux tombèrent sur l'Arbre-Dieu et m'engagèrent aussitôt à le joindre à travers l'abîme." 3 Le jardin des Colombières est un "jardin vert", un jardin d'arbres. Il y a peu de fleurs, les fleurs représentant l'éphémère face à la pérennité des arbres.
Bien que Ferdinand Bac revendique le respect de la nature qu'il ne cherche pas à forcer par des terrassements, des arasements ou des symétries contraintes et dont il utilise et intègre les éléments naturels, arbres, rochers, échappées visuelles, le paysage est ici totalement maîtrisé et recomposé, dramatisé. Il n'est pas donné d’emblée, dans sa totalité. Il n'y a pas de vue d'ensemble. Il se découvre en fonction d'un parcours voulu par son auteur où, comme en jeu de piste, chaque "station" dévoile à la vue, par une perspective, la suivante et invite à s'y rendre. Les vues sont à double sens, dans une réciprocité des espaces comme par exemple entre le jardin de l'obélisque et le casino. Le paysage, mer, ville de Menton, montagne, est intégré au jardin jalonné de "fenêtres" de verdure : "capter la vue et la mettre en cage [...] plus vaste est un horizon, plus grand est son effet, vu dans un espace réduit." Bac privilégie les vues cadrées, les vedute mais il ne renonce pas pour autant aux vastes panoramas comme sur le chemin d'Orphée.
Le travail de Ferdinand Bac aux Colombières s'inscrit dans un mouvement de recréation du jardin méditerranéen, fécond à partir des années 1920 et qui marquera l'entre-deux-guerres avec des constantes comme les pergolas, les escaliers, les terrasses, les bassins, les allées en opus incertum. Ce modèle sera par exemple celui présenté au pavillon des Alpes-Maritimes de l'exposition des Arts Décoratifs de 1925. Mais il apporte ici une part intime et personnelle. C'est une jardin de nostalgie, une rêverie sur un imaginaire méditerranéen où se mêleraient réminiscences de culture classique - l'abondance des citations latines - et souvenirs de voyages en Italie, en Espagne ou en Grèce. L'imaginaire est celui des héros de la mythologie grecque, Ulysse principalement dont les Colombières symbolisent le lieux du repos, du retour à Ithaque après l'errance dans le monde, mais aussi Orphée, Aphrodite ou Artémis. Dans son ouvrage écrit au tout début de l'aménagement des Colombières, en 1921, Jardins enchantés.Un romancero, c'est l'Espagne qu'il convie avec ce recueil de contes illustrant une quête amoureuse dont chaque épisode se situe dans un lieu que l'on peut retrouver : le "belvédère", la "Rotonda", "Sous l'arche d'un vieux pont..."
La "bella vista". Statues d'Aphrodite et d'une déesse tenant un glaive et une tête.
Photographe de l'Inventaire, région Sud-Paca.