La Réserve compte parmi les édifices emblématiques de la corniche de Nice, autant pour son service de restaurant que pour sa situation privilégiée. Située sur le domaine maritime, La Réserve a connu de nombreuses étapes de constructions.
À l’origine un vivier et une baraque en bois
Jean Goisco, ancien marin, obtient en janvier 1862 du ministère de la Marine la concession temporaire d’un dépôt de coquillages près de l’ancienne poudrière du Lazaret. À proximité, il construit un cabanon-restaurant en bois qu'il dénomme La Réserve - sur le modèle d’établissements marseillais - afin d’y servir les fruits de mer frais issus des viviers construits en contrebas. La même année, il est autorisé à édifier un pavillon en bois sur le rocher d’Aubray, relié au restaurant par une passerelle.
Le Restaurant de La Réserve
L'affaire est reprise par le restaurateur Antoine Balestre. Le restaurant est reconstruit et arbore l'enseigne "Restaurant de la Réserve". Le Journal de Nice du 8 octobre 1868 informe qu' "Un chalet nouvellement construit sur un rocher en pleine mer lui est adjoint". Le 10 mars 1869, Antoine Balestre rachète à l’État les 220 m2 de terrains sur lesquels est bâti le restaurant et reprend la concession du grand rocher d’Aubray. Il dépense plus de 3000 francs pour édifier un grand mur de soutènement supportant une terrasse et obtient la concession de terrains contigus afin d’étendre le restaurant.
Le pavillon sur le grand rocher d'Aubray
Le chalet, de plan hexagonale pour une surface d’environ 40 m2 est distribuée sur deux niveaux. Elle adopte le caractère éclectique propre aux buvettes et kiosques du Second Empire : un toit en zinc décoré de lambrequins, un bulbe sommital orientalisant, des ferronneries ouvragées, des baies fermées par des persiennes. Un radier maçonné est établi sur le rocher, la structure intègre un plancher et un escalier extérieur en béton. Le plateau central se prolonge de balcons circulaires sur deux niveaux, des piliers de fonte portent le toit en zinc. Les garde-corps ouvragés des balcons, de l’escalier et des passerelles sont en fonte. L’implantation de cette gloriette, annexe du restaurant, sur un récif à l’entrée du port, devient l’une des curiosités architecturales de Nice.
Les aménagements de la décennie 1870
Le 1er septembre 1875, le petit rocher d’Aubray est concédé à Antoine Balestre par les Domaines afin qu’un autre pavillon soit créé et relié aux autres constructions. Construit en ciment, il présente la forme et les gréements très originaux d'un voilier. Nommé « L’Inflexible », il sert de petite terrasse au restaurant, le pavillon proposant des salons fermés. Ces deux gloriettes donnent un nouvel attrait à l’établissement qui devient une adresse réputée.
Le 29 mars 1876 Antoine Balestre soumet à la ville de Nice le projet de l'architecte niçois Vincent Levrot d'un restaurant en maçonnerie qui occupe l'intégralité de la parcelle avec 19 m de façade alignée sur le boulevard de l'Impératrice (Franck Pilatte actuel). La physionomie générale du bâtiment s'inspire des palais néo baroques italiens à colonnades, rotonde, toit terrasse et belvédères.
Le second pavillon
Vers 1900, le pavillon en bois sur le grand rocher d'Aubray est remplacé par un nouveau kiosque, plus imposant. L'ancienne maçonnerie est modifiée afin qu'une fausse grotte en rocailles soit aménagée sur le récif avec un balcon donnant sur le port. La passerelle d'accès au rivage est également traitée en faux rochers et garde-corps en rocailles. La passerelle permettant l'accès depuis le restaurant est en métal riveté. La ferronnerie de ses équerres de soutien est d'inspiration art nouveau. La gloriette reprend la distribution sur deux niveaux de la précédente, mais sur un plan octogonal. Son ossature est entièrement faite de bois ainsi que le plancher et la charpente du toit. De hauts vitrages sont posés entre les fines colonnettes et piliers d'angles qui supportent les niveaux afin d'offrir une vue à 360° aux convives. Les quatre oriels installés sur les grands côtés de l'étage toit extrême orient, Guimet, expos universelle, jetée prom
Un Roc Beach à l’Américaine
Après plusieurs changements de propriétaires et faillites durant l’entre-deux-guerres, la Réserve est acquise dans les années1930 par une SARL formée par plusieurs actionnaires niçois et intitulée Roc Beach. Elle charge l’architecte niçois René Livieri de transformer l’établissement afin d’attirer une clientèle plus sportive et festive, notamment celle qui fréquente les casinos de la Côte d'Azur. L’Amérique est à la mode, aussi la Réserve est-elle équipée d’un water chute – un toboggan donnant sur la mer – d’une grande terrasse côté mer et surtout d’un diving board, le plongeoir installé à la place du voilier en ciment, qui connaîtra un grand succès. Une terrasse inférieure est également ouverte dans le soubassement en pierres sur la façade sud. Le pavillon et le bateau en ciment ont été supprimés, les modénatures en façade du restaurant sont supprimées au profit de corniches et encadrements simples. Les anciennes consoles en fer forgé art nouveau, les garde-corps et la grotte en rocaille du grand rocher d'Aubray sont conservés. Pour compléter cette offre, la direction tente en vain d’obtenir l’autorisation d’ouvrir un casino.
L'établissement Roc Beach fait faillite, il est saisi en juin 1952. Le bâtiment est alors transformé afin que ses deux étages soient vendus en appartements. Une surélévation est ajoutée offrant un troisième niveau. Un restaurant, de nouveau nommé "La Réserve", se situe aujourd'hui au sud-est du bâtiment. Les deux rochers d'Aubray restent la propriété du Domaine maritime qui concède l'exploitation commerciale du site nommé "Le plongeoir", redevenu un bar et restaurant en 2017.
Architecte niçois. Vincent Levrot est né le 25 février 1837 à Nice, fils de Laurent Levrot cordonnier. Il obtient un diplôme à l'Université de Gênes, en 1856, et il s'installe d'abord comme géomètre à Nice avant l'annexion. Il travaille un temps pour l'architecte Victor Sabatier. Il devient professeur de dessin, succédant dans cet emploi au peintre Garracci dans la Nice française. Il est membre fondateur de la Société des Architectes des Alpes-Maritimes constituée en 1875. En 1878, il fait partie, avec Sébastien Marcel Biasini, François Brun et Albert Bérenger, du jury qui doit désigner les élèves architectes envoyés par la ville à l'exposition universelle. En 1881, il est nommé membre du conseil d'administration de l'Ecole Nationale d'Art Décoratif. En 1884, assistant au congrès international d'architecture, il fait adopter une motion qui demande la création de syndicats mixtes comprenant ouvriers, entrepreneurs, architectes et ingénieurs. Il se préoccupe de la condition des travailleurs du bâtiment. Il entre à la Société Centrale des architectes en 1889. Il habite 7 rue Gioffredo puis 19 rue Alberti en 1881 puis 60 rue Gioffredo dans l'immeuble qu'il a construit pour lui. Il meurt à Nice le 10 décembre 1911. Il a reçu les palmes académiques (1881). Il a formé l'architecte Louis Castel. Il est l'oncle de l'architecte Jules Febvre. (Véronique Thuin)