HISTORIQUE
Menton, Riviera et Winter Palace.Le maître d'hôtel suisse Joseph-Arthème Widmer arrive à Menton dans le 4e quart du 19e siècle où il prend la direction de l'Hôtel de Paris situé au 4 de l'actuelle rue Saint-Michel. Après avoir épousé l'une des filles des propriétaires, il prend en gérance, vers 1882, l'hôtel Cosmopolitain, qui deviendra l'Hôtel Mont Fleuri, sur la colline des Vignasses. Les époux achètent peu à peu la quasi totalité des terrains disponibles du lotissement Jeansoulin sur la colline avec le projet de construire leur propre hôtel qui serait un véritable palace. Le domaine constitué atteint les 15 hectares. La construction est réalisée de 1897 à 1899 sur les plans de l'architecte Abel Glena, ami proche de la famille. Les décors peints intérieurs et extérieurs, dont certains sont datés de janvier 1901, sont l’œuvre du peintre-décorateur Guillaume Cerutti-Maori. Le bâtiment s'élève alors sur trois étages au-dessus d'un rez-de-chaussée surélevé, surmontés de deux étages de combles. Il est situé au milieu d'un vaste parc où se trouvent des courts de tennis. L'hôtel apparait sur la liste des hôtels de Menton en1900.
En 1901, Maurice Rosnoblet propriétaire du Grand Hôtel des Iles britanniques entreprend la construction d'un nouveau palace dans la proximité immédiate du Riviera, le Winter-Palace. Pour faire face à la concurrence, Joseph Widmer agrandit l'hôtel qui est surélevé de deux étages sur toute la surface du bâtiment, surmontés d'un autre étage encadré de deux tours belvédères dans la partie centrale. Le corps de bâtiment est également agrandi par une autre aile à l'ouest. Les travaux sont achevés en 1910. C'est Abel Glena et son collaborateur Alfred Auguste Marsang qui réalisent les travaux. Les motifs du décor peint de la façade existante sont repris pour les constructions nouvelles. Le palace retrouve alors sa place d'établissement le plus moderne et luxueux de la station. Un guide de l'hivernant de 1913 nous dit qu'il a a été "reconstruit" en 1909 avec tout le perfectionnement moderne : électricité, ascenseur et chauffage central, salons de danse, de bridge, orchestre. Il compte 250 chambres avec salon. La disposition des différentes salles à manger suit la position du soleil. Le trajet de l'hôtel au casino est éclairé à l'électricité. Le garage, à l'arrière, avait été construit en 1904. La saison s'étend d'octobre à juin. En été, les Widmer gèrent l'Hôtel du Sonnenberg près de Lucerne en Suisse.
Après le décès de Joseph Widmer en 1915 sa veuve prend la succession. De nouvelles dépendances sont ajoutées dont une salle de spectacle de 300 places à toit ouvrant (à la place de la buanderie actuelle), la maison des employés à l'extrémité est du corps principal, la maison des cuisiniers à l'arrière de l'hôtel, près des cuisines et des buanderies près des citernes d'eau. L'hôtel a abrité l'état major italien lors de la dernière guerre. Il subit des dégâts en particulier de son mobilier. L'établissement ferme ses portes en 1954 et il est vendu sous forme d'appartements. Le parc a été loti et l'ensemble occupe actuellement un espace de 14 680 mètres carrés.
DESCRIPTION
1.2. Situation et composition d'ensemble
Le Riviera Palace est situé au pied de la colline des Vignasses où il occupe une position dominant la ville balnéaire et la mer dont il est éloigné d'environ 875 mètres. Il était à l'origine au centre d'un parc de 15 hectares s'étendant sur la colline et sur les pentes retombant sur le vallon du Borrigo (actuel cours René-Coty). Maintenant l'édifice occupe la partie centrale d'une parcelle allongée, bornée à l'ouest et au sud par l'avenue Riviera, parcelle qui connait une différence de niveau notable entre le nord et le sud, rachetée par des escaliers ou des rampes d'accès. Au centre, des travaux de mise à niveau ont permis le création d'une terrasse en terre-plein sur laquelle est édifié l'hôtel proprement dit. Sur un terrain accidenté à l'arrière, accessible par un escalier, se trouve une maison sur trois niveaux, à gauche (logement du directeur ?), des aménagements hydrauliques, au centre, et un jardin potager, à droite. Sur une parcelle qui n'appartient à présent plus à la copropriété se trouve un pavillon en bois qui proviendrait de l'exposition universelle de 1900. Le jardin d'agrément est au sud. On y descend par un escalier à partir de la terrasse en terre-plein.
Mur de soutènement entre la partie haute du jardin et l'hôtel.
Escalier entre l'entrée piétonne et le jardin.
Passage sous la rotonde, à l'ouest.
L'entrée piétonne est au sud du jardin. Un portail donne accès à un escalier tournant à retours, à deux volées droites. Face à l'entrée, le mur de soutènement est orné d'un nymphée en rocaille. L'entrée des voitures, sur l'avenue Riviera, à l'ouest, est une voie privée carrossable ouest-est. Après un virage à 360°, elle se sépare en deux. Une allée contourne tout l'alignement du bâtiment pour rejoindre l'arrière, une autre allée revient en logeant la façade antérieure de l'hôtel et traverse un passage couvert aménagé au rez-de-chaussée de la rotonde occidentale pour desservir l'arrière.
3. Matériaux
Les matériaux de construction ne sont pas visibles. Ils sont masqués par l'enduit blanc qui revêt les élévations. La toiture est couverte de tuiles plates mécaniques. La couverture en béton de la rotonde ouest est recouverte de tuiles en écailles bleues. Le garage construit en 1904 a une structure en bétons armés Hennebique.
4. Structure
Vue de volume prise du sud-ouest.L'hôtel se compose d'une aile sud et d'une aile ouest perpendiculaires, formant un plan en L irrégulier. L'aile ouest se recourbe vers l'extérieur dans sa partie nord.
Les volumes se caractérisent par une grande irrégularité donnée par un jeu d'arrondis, d'avancées et de décrochements notamment dans l'angle sud-ouest. Le registre inférieur, animé par les deux rotondes à l'ouest, est constitué d'un soubassement, formant portique permettant le passage des voitures sous la rotonde ouest, du rez-de-chaussée surélevé et d'un étage en entresol. Les quatre niveaux intermédiaires sont plus réguliers. Le mouvement se retrouve dans les niveaux supérieurs rythmés par les tours dans-œuvre en façade. De plan rectangulaire, les tours sont couvertes en terrasse accessible chacune par un escalier hélicoïdal en métal.
5. Élévations extérieures
Façade sud prise du jardin. Détail.
Les élévations principales sont orientées au sud et à l'ouest. L'élévation sud est symétrique, rythmée jusqu'au sixième niveau par 17 travées de portes-fenêtres ouvrant sur des balconnets, encadrées de part et d'autre par deux tourelles demi-hors-œuvre. Au-dessus, un rang de consoles formant corniche supporte le balcon filant à balustres du septième niveau qui se poursuit sur l'élévation ouest. Ce niveau est couronné d'une corniche à denticules et modillons abritée par l'avant-toit à chevrons. Il est orné d'une frise sculptée surmontée de cabochons en céramique bleue au dessus desquels est peinte l'inscription J. A. WIDMER RIVIERA PALACE 1898 1910. Les deux niveaux supérieurs des tours centrales sont percés de serliennes formant loggia. Une balustrade de couronnement masque la toiture et le comble.
Le sixième niveau se distingue par un décor peint, vraisemblablement à fresque, remplissant l'espace entre chaque porte-fenêtre, où sont représentés les blasons - fantaisistes - des pays et des capitales d'origine de la clientèle de l'hôtel. On peut y reconnaitre entre autre Paris et Rome, la France, l'Espagne, la Pologne, le Danemark, la Belgique... Les blasons sont cernés d'une couronne de feuilles de chêne en grisaille trompe-l’œil. Les écoinçons des différents panneaux sont ornés de feuilles d'olivier sur fond bleu en haut et de feuilles de vigne jaune en bas. Le décor bleu se retrouve sous le balcon de l'étage au dessus. Ce décor de blasons se poursuit, légèrement différent, sur l'élévation ouest.
L'entrée principale est surélevée par une volée d'escalier et est abritée par une marquise.
Elévation sud. Sixième niveau. Décor peint : blason de l'Espagne.
6. Distributions intérieures
L'entrée principale est en position centrale. Elle introduit à un premier vestibule suivi d'un grand hall d'où part l'escalier d'honneur en marbre, théâtralement mis en valeur par une clôture percée d'un triplet de trois arcades surbaissées. L'escalier tournant se compose de trois volées droites : une première volée centrale, une deuxième double à montées divergentes et une troisième à montées parallèles. Au niveau du troisième repos, on accède au passage aménagé sur le mur de clôture qui, en surplomb sur le grand salon, dessert l'étage en entresol. Après le palier du premier étage, l'escalier change de structure, devient tournant à quatre volées droites autour d'un jour et dessert les autres étages. Il est constitué d'une armature métallique masquée par un revêtement de plâtre et décoré de gypserie et de peinture.
Dans le couloir est du rez-de-chaussée, une galerie part en direction du nord. Elle desservait le théâtre (détruit) qui était à l'extérieur de l'hôtel, sur l'arrière. La galerie garde des décors sculptés représentant les masques de la comédie et de la tragédie. Elle prend jour par une verrière à motifs floraux.
Le grand salon est équipé d'une cheminée à faux-manteau. Le chambranle et le contre-cœur sont en brique. Le rétrécissement est en cuivre repoussé et gravé. La hotte est peinte d'un décor de motifs floraux.
Le vestibule, la cage d'escalier, le grand salon, le salon de musique et la salle à manger présentent un important décor peint.
Départ de l'escalier. Vue de face.
Première volée de l'escalier. Détail de la rampe d'appui.
Grand salon. Cheminée.
NOTE DE SYNTHÈSE
Le Riviera Palace fait partie de la deuxième génération des hôtels construits à Menton, celle des années 1880-1911. C'est la génération des palaces qui proposent un nombre important de suites, le confort moderne, le luxe et le divertissement que le villégiateur est en droit d'attendre. Contrairement à la période précédente où les hôtels sont alors situés en ville où sur la promenade, ces palaces sont majoritairement situés à l'extérieur, en retrait, ce qui leur permet de jouir de parcs de vastes proportions.
En ce qui concerne le Riviera, on peut noter la différence entre l'hôtel construit en 1898, édifice sage et mesuré, convenu, où domine la symétrie et où le luxe se cantonne à l'intérieur (les aménagements et décors intérieurs sont ceux que l'on observe encore actuellement) et l'édifice après sa transformation en 1910 qui fait dans la démesure par ses proportions, par le mouvement baroque des courbes, des excroissances, les différences de niveaux, les tours ... Il est vrai que Widmer devait relever le défi du Winter Palace construit en 1901 à proximité. On peut comparer cette évolution à celle du Grand Hôtel d'Orient où là aussi un premier établissement sans grand caractère est transformé en 1925 en folie mauresque.
Architecte du patrimoine. Prestataire extérieur pour l'opération de repérage du patrimoine de la villégiature de Menton en 2013-2014, de Beausoleil (06) et de Roquebrune-Cap Martin (06) en 2016 et 2017, de Nice en 2017.