I. Commentaire historique
Ce moulin existe peut-être depuis le Moyen Age. Dans les archives disponibles, il est régulièrement cité à compter du 17e siècle à l’occasion d’inspections des équipements banaux appartenant à la communauté des habitants de la ville de Coursegoules (fours, moulins et paroir). Dans une inspection du 30 septembre 1689, qui indique l’existence de deux moulins et d'un paroir (foulon) à Coursegoules, le moulin étudié apparaît sous l’appellation de « mollin de Saint-Pons », l’autre étant le « mollin de la rivière du Loup » attenant à un paroir à draps (moulin de Bramafan dépendant actuellement de la commune de Courmes). Un paroir accompagnant le moulin de Saint-Pons est alors mentionné, en revanche il ne l'est plus dans les visites suivantes (dans son ouvrage, Alex Benvenuto évoque un texte relatant de cette fonction de "fouler les étoffes" associée au moulin, mais aucun document connu n'a pu le confirmer1). L'inspection de 1690 affirme que les moulins de Coursegoules sont à blé. En 1719, les installations hydrauliques sont mentionnées : le canal prenant naissance dans la rivière de la Cagne, le réservoir situé au nord, désigné comme un « étang », enfin la "tine" (cuve de charge). Après cette visite, le moulin dit de "Saint-Pons" est également dénommé "de l'étang" et cela jusqu'à la fin de l'Ancien Régime (1720, 1723, 1726, 1729, 1731, 1735, 1745, 1772 et 1786). Sur la carte des frontières Est de la France levée par les ingénieurs militaires entre 1764 et 1778, le « pilon de St Pons » est indiqué à proximité du moulin. Sur la carte de Cassini, levée en 1780, une roue est figurée avec la mention « le Moulin » à l’emplacement de l’actuel bâtiment. Ainsi, il semble que la fonction de foulon associée à ce moulin à farine n'ai été que ponctuelle, réduite au seules années 1680.
Cartes des frontières Est de la France, de Colmars à Marseille. [Détail de la feuille 192_57 : village de Coursegoules au sud-ouest].Carte de France dite carte de Cassini [n° 168, feuille 147, 1780 : Coursegoules].
En 1739, les deux moulins, le paroir et le four à pain de Coursegoules sont mis aux enchères pour payer les dettes de la commune. Tous ces bâtiments ainsi que les droits de banalité afférents sont rachetés par Pierre Bérenger, bourgeois de la Gaude. Il faut ensuite attendre la levée du cadastre napoléonien en 1841 pour apprendre que ce moulin appartient à Rhodes Jacques, meunier. La mention « moulin à farine » est indiquée dans l’état des sections (1841 B4 900). Il est accompagné d’un réservoir (1841 B4 899) et d’un canal.
Plan de masse et de situation d'après le cadastre de 1841 (section B, parcelle 900).
Les encadrements des baies en arc segmentaire, ceux en arc en plein cintre avec une alternance de brique, ainsi que la toiture en tuiles plates mécaniques semblent indiquer une phase de reprise du moulin entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, au plus tard à la veille de la Première Guerre Mondiale puisqu’il cessa de fonctionner juste après. Aucun meunier n’a pu reprendre l’activité ensuite et il tomba en ruine. En 1966 il est racheté par la famille Arziari qui le réhabilite en maison en conservant l’essentiel des éléments en bon état (structure de la bâtisse, ferme de charpente, réservoir et cuve de charge, meules). Des photos prises à cette époque attestent de l’état antérieur du moulin.
Vue d'ensemble prise du sud (1966).Vue d'ensemble prise du nord (1966).Cuve de charge. Vue d'ensemble prise de l'est (1966).
II. Analyse architecturale
II.1. Implantation, composition d’ensemble et mise en œuvre
Le moulin se situe sous le village de Coursegoules, au lieu-dit « Le Restanq » qui signifie « barrage » ou « réservoir » en provençal. Le quartier a donc pris ce toponyme en raison de la présence du moulin.
Plan de masse et de situation d'après le cadastre de 2022 (section B, parcelles 671).
Il a été installé dans un bâtiment perpendiculaire au sens de la pente, de plan rectangulaire avec une superficie de 45 mètres carrés au sol. Le bâtiment s’élève sur trois niveaux à l’ouest et un seul à l’est avec deux étages de soubassements et un rez-de-chaussée surélevé.
Vue d'ensemble, depuis le sud-ouest.Vue d'ensemble, depuis le sud-est (au centre le réservoir vertical, à droite la conduite forcée).
Il est construit en maçonnerie de moellons calcaire, sauf les chaînes d’angle qui sont en pierres de taille. Les encadrements des portes sont en pierres de taille calcaires en arc segmentaire ou en arc en plein cintre. Quelques arc en plein cintre présentent une alternance de matériaux avec de la pierre de taille calcaire et de la brique pleine. Seul l’encadrement de la chambre de la roue, au premier niveau de la façade ouest, est en moellons calcaires. Les avant-toits et saillies de rives sont bordés de deux rangs de génoises. La toiture, à longs pans, était couverte de tuiles plates mécaniques avant les restaurations entreprises en 1966.
Le premier étage de soubassement accueille au centre du bâtiment la chambre de la roue, accessible depuis une porte en plein cintre sur la façade sud. Cette pièce est voûtée en berceau segmentaire. Le deuxième étage de soubassement, accessible également sur la façade sud de plain-pied par la déclivité du terrain comprend deux pièces de logis et une remise au nord, cette dernière étant également voûtée en berceau segmentaire. Une pièce unique occupe le rez-de-chaussée surélevé. Elle accueillait les mécanismes du moulin (meules, trémie). Cette pièce est accessible de plain-pied par une porte charretière à l’est. Elle était couverte d’une charpente à pannes sur chevrons avec une ferme au centre qui a pu être conservée.
II.2. Installations hydrauliques et fonctionnement du moulin
II.2.a. Canal et réservoir
Un bief de dérivation a été créé pour amener l’eau jusqu’au moulin. Le canal prend naissance à environ 2 kilomètres au nord-ouest le long de la rivière de la Cagne, puis enjambe le Foussa. Il dessert un réservoir au nord du moulin, d’une superficie de 546 mètres carrés, délimité par des murs de soutènement d’environ deux mètres de haut encore visibles au sud-ouest et à l’ouest. Sa contenance pouvait donc probablement s’élever à plus de 1000 mètres cubes, ce qui permettait de stocker l’eau pour pallier une éventuelle diminution du débit de la rivière. À l’intérieur du bassin, les murs sont construits avec des gros blocs de pierres taillées, tandis qu’à l’extérieur, il a été doublé d’un parement moins soigné, en moellons légèrement équarris et de dimensions plus modestes. Une vanne d’écoulement se situe sur sa face sud. À l’ouest, le canal de sortie du réservoir est protégé par un conduit en pierre menant à une cuve de charge en élévation, équipé de chantepleures pour drainer l’humidité.
Ancien réservoir. Vue d'ensemble prise du nord-est. Ancien réservoir. Angle sud-ouest, détail du parement intérieur en pierres de taille calcaires.Ancien réservoir. Angle sud-ouest, détail du parement extérieur avec une vanne d'écoulement en partie basse.
II.2.b. Cuve de charge et conduite forcée
Une structure tronconique en maçonnerie de moellons calcaires, accolée au nord-ouest du bâtiment du moulin, s’élève au même niveau que le réservoir d’eau situé en amont. De dimension assez monumentale, elle abrite une cuve de charge permettant la mise en pression de l’eau. Cette colonne d’eau verticale, ouverte en partie sommitale, a un diamètre de 1.60 mètre. Elle ne se rétrécie pas au niveau inférieur avant le passage vers la conduite forcée menant à la chambre de la roue, contrairement à d’autres modèles de cuve de charge en élévation. La chute d’eau, entre le sommet de la cuve et la chambre de la roue mesure neuf mètres.
Vue d'ensemble prise du nord.Cuve de charge. Vue d'ensemble prise de l'est.
II.2.c. Mécanismes dans le bâtiment du moulin
À l’intérieur, les équipements de meunerie ont disparu mais un document daté de 1947 accompagné d’un croquis explique le fonctionnement du moulin. La conduite forcée amenait l’eau jusqu’à la chambre de la roue horizontale. La roue n’existe plus, mais la propriétaire précise qu’il s’agissait d’une roue horizontale en bois d’environ 2 mètres de diamètre, du type de celle du moulin du col Saint-Barnabé à Soleilhas dans les Alpes-de-Haute-Provence (référence du dossier : IA04000158). L’ouverture zénithale dans la voûte pour le passage de l’axe de la roue a été comblé par des moellons.
[Croquis représentant le fonctionnement du moulin de Coursegoules, 1947].Premier étage de soubassement, chambre de la roue horizontale. Vue de volume prise de l'est.
L’eau de la chambre s’évacuait ensuite dans le vallon du Foussa, affluent de la Cagne, qu'il rejoint 100 mètres plus bas au sud.
La pièce qui occupe la totalité du rez-de-chaussée surélevé était équipée des mécanismes de meunerie. Ceux-ci ne sont plus en place. La meule dormante se situe dans le jardin et fait office de table. La meule tournante, retrouvée en deux parties par les propriétaires, a été intégrée dans un mur de soutènement du jardin.
Meule dormante installée à l'extérieur du moulin.
À titre de comparaison, le fonctionnement hydraulique du moulin de Coursegoules présente les mêmes mécanismes que le moulin du Grand Cheinet à la Rochette dans les Alpes-de-Haute-Provence (référence du dossier : IA04001488).
Géomètre 1ere classe, intervenu sur le cadastre napoléonien de Régusse en 1840, de Coursegoules (06) en 1841.