iconographie et datations des blocs de gypserie :
Que les blocs soient utilisés comme frise ou comme ais d'entrevous, l'iconographie reste primordiale. Il s'agit d'une figuration d'une scène de chasse. La cynégétique est au Moyen Age un art à part entière, nécessitant des compétences reconnues, codifié et réservé à une élite. La figuration de ce thème dans une pièce d'apparat d'un édile local n'est certes pas due au hasard mais bien affirmation d'une appartenance à un certain milieu social.
Dans une vue d'ensemble, en mettant les blocs côte à côte, on obtient une frise historiée qui montre des seigneurs chassant le cerf (ou peut-être le chevreuil) mais aussi pratiquant la fauconnerieVue d'ensemble, de face..
Il peut être intéressant de comparer ces figures avec les enluminures illustrant le Livre de chasse de Gaston Phébus (ces enluminures sont tirées du manuscrit français 616 de la Bibliothèque nationale de France) datées du début du 15e siècle. Ce livre est un véritable traité de cynégétique, chaque animal y est notamment décrit ainsi que la manière de le chasser.
Le cerf semble être, pour cet auteur, la plus noble bête que l'on puisse chasser, c'est aussi l'animal figuré sur les blocs de gypseries.Le Livre de chasse de Gaston Phébus : la chasse au cerf (Ms. Fr. 616, folio 68), début 15e siècle..
Le chien a une place centrale dans le traité de Gaston Phoebus : dans la vénerie il est le compagnon indispensable du chasseur. Le comte de Foix lui accorde de grandes qualités : "c'est la plus noble bête, la plus raisonnable et la plus avisée que Dieux fit jamais". On le voit ici en pleine action : Bloc N°3 : vue générale de face, le cerf attaqué par le chien.
Sur l'enluminure précédente tiré du traité de Gaston Phoebus un autre personnage essentiel apparaît : le veneur, en général représenté avec son cor, tout comme sur le bloc suivant : Bloc N°1 : détail.
Tout comme sur les blocs de Castellane, chaque scène est séparée par un arbre. Castellane. Proposition de restitution de la frise murale, montage photographique..
Autre point commun, le chasseur armé (à l'image du chevalier ?), à Castellane Castellane. Bloc n°6 : vue générale de face.
ou à Cavaillon Bloc N°4 : détail.
Sur un des blocs est aussi figuré un fauconnier, autre art de la chasse bien distinct de la vénerie. Sous Charles VI, on sépara en effet les services de la vénerie et de la fauconnerie en créant, en 1406, la charge de grand fauconnier de France.
Sur le sujet, le traité médiéval de référence est cette fois le De arte venandi cum avibus (L'Art de chasser avec les oiseaux) écrit entre 1230 et 1245 par Frédéric II de Hohenstaufen.Bloc N°2 : vue générale de face : scène de fauconnerie, l'affaitage du faucon.La scène figurée sur ce bloc est un peu plus ardue à analyser que les précédentes notamment en raison du personnage sur la gauche. Il semble s'agir d'une forme de présentation condensée de l'affaitage (dressage de l'oiseau). L'oiseau est ici en attente, le chaperon sur la tête : dès qu'il s'est laissé couvrir la tête, le dressage a pu commencer. Le fauconnier tient le rapace sur la main droite pourvue d'un gant épais, on observe nettement les jets fixés aux pattes de l'oiseau, pendants en-dessous du gant. Dans sa main gauche il tient le "tiroir" c'est-à-dire ici une patte d'animal (mais parfois aussi une aile), peu charnue où le faucon peut mordiller, le faisant ainsi patienter. Sur de nombreuses enluminures médiévales et notamment dans le Traité de Frédéric II, le dresseur est ainsi souvent figuré. L'affaitage s'achève en habituant l'oiseau à la compagnie des chevaux et chiens. Ici un chien attend docilement au pied de son maître, le museau levé vers le rapace. Les chiens sont utilisés en fauconnerie pour repérer et lever le gibier mais aussi pour porter secours au faucon et l'aider à immobiliser sa proie lorsque celle-ci est trop importante. L'oiseau ici représenté semble un oiseau destiné à la chasse dite de bas-vol : l'oiseau est lancé du poing du fauconnier à la poursuite de sa proie et y revient. Les oiseaux utilisés pour cette chasse ont en général des ailes courtes et arrondies, et une queue importante leur permettant de brusques changements de direction.
Le personnage de gauche tient dans la main droite un objet non identifié, et dans la main gauche peut-être une couronne. Il pourrait s'agir d'un personnage féminin, la tunique est plus longue. Dans ce cas, une comparaison avec l'objet suivant peut être fertile.
Sur cette valve de miroir en ivoire, la scène en bas à droite est en effet très proche de celle du bloc de gypserie : il s'agit d'une figuration d'une scène courtoise de départ à la chasse où la figure féminine (à gauche) tient la couronne destinée à l'amant et celui-ci le faucon. La couronne, sa fabrication et l'échange dont elle fait l'objet, sont des étapes fréquemment représentées au 14e siècle dans la figuration de l'art courtois.
Le style iconographique et la manière de représenter les personnages est également particulièrement utile pour la datation : les personnages hanchés, les longs plis tubulaires de leur tuniques, les attitudes ou encore le traitement de la chevelure sont autant de points communs avec notre bloc de gypserie. Cette figuration est caractéristique du 14e siècle, de l'art sous Charles V.
Cette datation peut être confirmée par la comparaison du bloc N°4 (voir illustration plus haut) sur lequel est représenté un cavalier. Cette représentation est à rapprocher d'un certain type de sceau utilisé par les princes du 14e siècle : le sceau ayant une valeur taxonomique, le prince se représente en chevalier. Ici sur les blocs de gypserie, cette affirmation d'appartenance à une certaine classe sociale se retrouve dans ce décor somptuaire. Sur ces sceaux circulaires, un cavalier en armure est représenté tenant une épée brandie d'une main et l'écu en position défensive de l'autre, le cheval lancé au galop. Les armes sont souvent clairement lisibles. Ici on peut lire des armoiries (réelles ?) sur l'écu qui est écartelé en sautoir chargé aux 1, 2, 3 et 4 d'un besant.
Ici l'exemple du sceau de Philippe V le Long conservé aux Archives nationales à Paris.Sceau de Philippe V le Long, 1316.
Conservateur du patrimoine en poste au Service régional de l'Inventaire à la DRAC de Poitiers de 2002 à 2005, puis au Service de l'Inventaire de la DRAC d'Aix-en-Provence. En poste au Service de l'Inventaire et du patrimoine, région Provence-Alpes-Côte d'azur depuis 2008.