D'après l'analyse formelle des blocs mais aussi le traitement de leur iconographie, deux hypothèses d'utilisation peuvent être formulées.
Leur forme est trapézoïdale avec des épaisseurs variables, entre les blocs mais aussi, sur un même bloc, entre le bas et le haut du bloc. On observe parfois la marque en creux dans le plâtre du bois de support. Leur iconographie, sans entrer dans le détail, est historiée : pas de formes géométriques ou purement ornementales qui peuvent être vues d'en-dessous, perpendiculairement (comme pour les entrevous), mais un récit qui nécessite une lecture linéaire, continue éventuellement.
Deux hypothèses d'utilisation peuvent être formulées. La première est celle de leur utilisation comme ais d'entrevous ou closoirs, c'est-à-dire placés entre les solives apparentes d'un plafond dit "à la française", mais perpendiculairement à celui-ci ou légèrement incliné ; la seconde est celle de l'insertion en frise murale continue, au sommet du mur, à la manière d'une "sablière" sans fonction structurelle cependant.
1. L'emploi comme ais d'entrevous (closoirs)
Précisons simplement le vocabulaire : l'ais d'entrevous est ici entendu au sens de closoir, et non comme synonyme d'entrevous. Les closoirs désignent les petits panneaux placés de façon légèrement oblique entre les solives des charpentes.
L'hypothèse selon laquelle les blocs de gypserie étaient utilisés comme ais entrevous, entres les solives apparentes du plancher, peut être confirmée par la comparaison avec la disposition de décors peints de la fin du Moyen Age : celui du cloître de Fréjus ou encore ceux, bien étudiés, des plafonds peints de Languedoc-Roussillon.
Le décor du cloître de Fréjus a été réalisé (datation par dendrochronologie) au 2e quart du 14e siècle ; cependant la disposition choisie et l'emplacement du décor peint semblent pouvoir être transposés avec pertinence à celui de Castellane, sous une forme simplifiée.
Les galeries du cloître de Fréjus sont exceptionnelles par leur double encorbellement : espacées de vingt-cinq centimètres, les solives transversales prennent appui sur deux corbeaux en bois superposés créant trois registres de décor.
Ensemble canonial de Fréjus (83) : plafond du cloître, galerie nord.
Le principe de décorations des entrevous reste cependant similaire à celui de Castellane : l'espace compris entre deux solives (ou ici entre deux corbeaux pour les deux premiers registres) est fermé par une plaque de bois peinte polychrome.
Ensemble canonial de Fréjus (83) : plafond du cloître, galerie est, frise est.
En simplifiant ce schéma on peut avoir une idée de ce que pouvait donner le décor d'une pièce d'apparat de la maison de Castellane : les solives sont placées perpendiculairement aux murs et reposent sur des poutres de rives, placées longitudinalement contre le mur, éventuellement en débord, portées par des corbelets. L'espace compris entre les deux solives à leur extrémité, l'entrevous, est fermé par un bloc de gypserie. Schéma de proposition d'emplacement pour les entrevous simples (une seule face ornée)
Schéma de proposition d'emplacement pour les entrevous bifaces (deux faces ornées)
2. L'emploi en frise murale
L'emploi en frise murale est une autre hypothèse de placement des blocs de gypseries : à l'emplacement d'une "sablière" (sans fonction porteuse ici), les blocs pourraient être insérés dans la maçonnerie, en haut du mur des pièces d'apparat, et placés toujours de manière oblique, peut-être reposant sur une poutre de rive.
Cette hypothèse dont aucun exemple n'a, à notre connaissance, été retrouvé in situ pourrait trouver une illustration dans le décor d'une livrée cardinalice en Avignon (84) Détail du décor peint de l'ancienne livrée de Viviers, Avignon (84). : la livrée de Viviers. Dans une vaste pièce du premier étage, se trouve un plafond à solives apparentes avec décor peint mais aussi, et surtout pour notre propos, juste en dessous de ce plafond, une frise historiée figurant une scène de chasse avec lévriers. Ce décor présente le double intérêt d’être assez bien daté par les armoiries peintes du cardinal d’Aigrefeuille (mort en 1369) et de figurer une scène dont le thème iconographique rejoint celui de nos ensembles de gypseries. Le dossier et les photographies ont été réalisés par la Conservation régionale des Monuments historiques pour parties en 1980 et en 1990, il était alors déjà en assez mauvais état de conservation.
Les blocs de gypseries pourraient ainsi avoir été placés au même endroit, contre le plafond, non plus entre les solives mais entre les poutres, non plus divisés en closoirs mais présentés en frise continue (la notion de bloc devient alors conjoncturelle liée à la démolition du mur portant la frise) et la face sans doute légèrement inclinée vers le sol pour une meilleure visibilité. Le photomontage suivant propose une restitution de ce qu’aurait pu être la frise de Castellane.Proposition de restitution de la frise murale, montage photographique.
Cette utilisation en frise continue explique, nous semble-t-il, l’état des blocs aujourd’hui : ils ont été conçus en un seul morceau, moulé sur un seul pan de mur, d’où la taille aujourd’hui si hétérogène des différentes parties, la frise ayant été détruite au moment où le mur qui la portait est tombé.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 2004 à 2017.