Opératrice de saisie Inventaire.
- inventaire topographique
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Heller MarcHeller Marc
Photographe au service régional de l'Inventaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1970 à 2006.
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Roucaute GérardRoucaute Gérard
Photographe au service régional de l'Inventaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1968 à 2005.
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Dossier non géolocalisé
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Dénominationsentrepôt commercial
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Aires d'étudesCavaillon
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Adresse
- Commune : Cavaillon
Analyse architecturale (Marie-Odile GIRAUD)
1. Introduction
Rouage essentiel de l'économie cavaillonnaise pendant près d'un siècle, l'activité des expéditeurs de produits agricoles semble avoir connu son apogée durant la période de l'entre-deux-guerres, pour s’essouffler depuis une trentaine d'années suite au regroupement des exploitants en coopératives (quoique peu nombreuses) et à la création du Marché d'Intérêt National, autour duquel se sont regroupées les cinq plus grosses entreprises d'expédition de la ville. Plusieurs centaines de maisons d'expédition auraient autrefois coexisté - le chiffre approximatif de 500 donné par les Cavaillonnais est sans doute très exagéré - dont aujourd'hui une trentaine seulement restent en activité. Dans leur grande majorité, elles étaient et sont encore spécialisées dans le conditionnement des melons, une minorité traitant l'ensemble de la production maraîchère. Débouché presque unique de l'agriculture locale (l'industrie agro-alimentaire s'est en effet très peu développée à Cavaillon) l'expédition s'est assortie pendant longtemps de productions ou activités corollaires qui ont également à peu près complètement disparu : ainsi une seule fabrique d'emballages fonctionne encore dans la ville ; sur la place du Clos, le dernier commerce spécialisé en fournitures pour expéditeurs est à la veille de cesser.
Section CK, parcelle 824. Place du Clos. Façade nord, premier niveau.
La dégradation progressive de l'activité a souvent entraîné la démolition ou plus fréquemment la transformation pour affectation nouvelle des entrepôts, ce qui constitue un handicap pour le repérage systématique des bâtiments : il ne fut ainsi dénombré qu'une soixantaine de ces maisons d'expédition. Cet inventaire comporte par ailleurs des lacunes tenant au caractère de non spécificité de certains entrepôts : en effet un grand nombre de maisons ou d'immeubles, du début du XXe siècle en particulier, comportant une vaste remise en rez-de-chaussée et un étage d'habitation, ont pu abriter autrefois une maison d'expédition dont aucune trace ne permet aujourd'hui d'affirmer l'existence à un moment donné. En conséquence cette étude s'appuie sur un nombre réduit de bâtiments présentant des caractéristiques structurelles indiscutablement liées à l'activité des expéditeurs. En illustration, un très petit nombre de dossiers a pu être ouvert, les Cavaillonnais manifestant ici encore la plus grande réticence à l'égard de notre démarche.
Avant de procéder à l'étude proprement dite des maisons d'expédition, il est important de les localiser. Le repérage cadastral met en évidence une condensation des entrepôts à la périphérie immédiate de la vieille ville :
- A l'ouest, sur le cours Sadi Carnot, où quelques-uns de ces entrepôts continuent de fonctionner au pied de la colline Saint-Jacques. Sur le même cours, il faut signaler le cas, unique semble-t-il, d'une maison d'expédition comprise dans le périmètre de la ville ancienne, sur les parcelles 1007-1008 de la section CK : un vaste hôtel du XIXe siècle avec entrée sur la place Voltaire et jardin à l'ouest (transformé en cour pour les besoins de l'entreprise) a abrité un certain temps un entrepôt, ainsi que l'atteste une inscription sur la façade ouest.
Section CK, parcelle 1008. Cours Sadi Carnot. Maisons d'expédition Chaix. Façade antérieure ouest.
- Au sud se trouve le "quartier des expéditeurs" s'étendant sur les sections cadastrales CK, CE, CI : il est compris entre le cours Bournissac et l'avenue du Cagnard au nord ; l'avenue de Verdun au sud-est, au-delà de laquelle il déborde légèrement entre l'avenue de la Durance et la route des Courses.
- Sur les autres sections (CH, CD, CL, CM, CN) qui constituent une première ceinture autour de la vieille ville, les maisons d'expédition ne sont pas complètement absentes mais se raréfient.
- La grande périphérie (sections AZ, CO, BT, BX, BY, BZ, AX) en est dépourvue à l'exception de deux entreprises ayant leur entrée sur l'avenue de la Libération : établissements récents situés l'un sur la section CO, parcelle 45, l'autre sur la section AZ, parcelles 220 et 221.
Pour procéder à l'étude de ces entrepôts commerciaux, trois éléments :
- des tableaux de recensement dans lesquels figurent toutes les données brutes qui ont aidé à élaborer,
- la cartographie permettant de situer les 58 maisons d'expédition repérées pour chacune des trois périodes déterminées : on en compte 28 pour la période 1890-1920, 16 pour les années 1920-1950, 14 pour les années 1950-1980,
- une analyse des bâtiments qui, à partir de la méthode habituelle de description des édifices, permet de tirer des conclusions propices à l'établissement d'une typologie.
2. Situation et composition d'ensemble
Disposées sur des parcelles de surface très variable mais de forme relativement régulière, et le plus souvent rectangulaire, les maisons d'expédition peuvent compter de 1 à 4 ou 5 corps de bâtiments, l'un d'eux comprenant l'habitation dans 75 % des cas. Leur implantation dans tel ou tel secteur de la ville et, de manière beaucoup moins évidente, la date de leur construction sont les deux éléments déterminants quant au nombre et à la situation des bâtiments.
D'une manière générale, on constate que les maisons d'expédition les plus anciennes, établies à la périphérie immédiate du centre ville, comportent peu de bâtiments, lesquels se trouvent presque toujours sur la rue. Au contraire, les entrepôts les plus récents, éloignés du centre bénéficient en secteur tardivement urbanisé d'un espace plus grand, sur lequel les constructions peuvent se multiplier en retrait de la voirie, généralement disposées autour d'une cour ; cour qui est un espace collectif mis à la disposition des camions pour effectuer leur chargement.
1890-1920 | 1920-1950 | 1950-1980 | |
1 bâtiment | 6 | 5 | 4 |
2 bâtiments | 16 | 8 | 4 |
3 bâtiments et plus | 6 | 3 | 6 |
Total | 28 | 16 | 14 |
Cour | 18 | 14 | 11 |
S'il y a une évolution évidente allant dans le sens d'un accroissement du nombre de corps de bâtiments, en revanche les règles semblent toujours les mêmes pour ce qui est de la distribution des éléments sur la parcelle ; à toutes les époques se retrouvent des organisations similaires :
- les maisons d'expédition constituées d'une seule construction bordent généralement la voie publique et sont mitoyennes au moins sur l'un des côtés ; une mitoyenneté logiquement plus importante à proximité du centre ancien, où il n'est pas rare de rencontrer des entrepôts n'ayant qu'une façade antérieure (ex : section CK, parcelle 428 ; section CE, parcelle 235),
- lorsque l'entreprise compte deux corps de bâtiments la disposition qui prévaut est celle comprenant un élément sur la rue et le second en retrait, soit accolé au précédent, soit indépendant sur la cour. Rarement les deux corps de bâtiments s'alignent sur la voie publique et il s'agit presque toujours dans ce cas de maisons d'expédition du début du siècle (ex : section CK, parcelle 896). Au contraire, dans les aménagements récents, la tendance est à la disposition des deux éléments en retrait de la voirie, isolés au centre de l'espace collectif (section AZ, parcelles 220-221 ; section CO, parcelle 45).
Dans les cas où les constructions sont au nombre de 3 ou plus, deux types de disposition se rencontrent. Le plus fréquemment, l'un des corps de bâtiments au moins borde la rue : il s'agit souvent de la construction "noble" (immeuble de bureaux, entrepôt supportant l'habitation ou habitation seule) derrière laquelle se groupent entrepôts et hangars (cf dossier). La disposition de tous les éléments en retrait se rencontre également, mais, plus rare, elle concerne seulement les maisons d'expédition récentes (section CI, parcelles 226-290 et 291).
3. Matériaux
Pour ce chapitre, il a paru plus simple de grouper l'ensemble des données dans un tableau dont la lecture permet de tirer quelques conclusions qu'il faut cependant nuancer : en effet, pour les maisons d'expédition comportant plusieurs corps de bâtiments, il a fallu choisir parmi eux celui qui paraît le plus représentatif ou qui s'impose comme l'élément important d'un ensemble. C'est le plus souvent il est vrai la construction comportant l'habitation ou les bureaux, mais ce peut être aussi l'entrepôt proprement dit. En conséquence, si les informations données par ce tableau ne sont pas absolument complètes, elles ne sont pas non plus systématiquement faussées par une hiérarchie de bâtiments à la tête de laquelle se placeraient toujours les éléments à vocation sociale, au détriment de ceux à vocation professionnelle, économique. Il apparaît par ailleurs qu'une utilisation de matériaux nobles ou non, liée à une hiérarchie des bâtiments, est un phénomène relativement récent : ainsi au cours de la première période, la pierre de taille est également employée pour les constructions d'habitation et d'entrepôts ; il en va de même pour les décors façonnés ou en pierre de la seconde période, même si dès lors un traitement différencié des éléments est déjà plus sensible.
EL | EL + PT | EL + F | ET | ET + PT | ET + F | Agglomérés et autres matériaux | |
1890-1920 | 6 | 22 | 1 | ||||
1920-1950 | 7 | 3 | 1 | 2 | 2 | 1 | |
1950-1980 | 9 | 2 | 1 | 1 | 1 |
Légende : EL, enduit lisse.
EL + PT, enduit lisse + reliefs en pierre de taille.
EL + F, enduit lisse + reliefs façonnés.
ET, enduit tyrolienne etc.
L'évolution qui caractérise les maisons d'expédition quant à leurs matériaux de construction n'apparaît, à la lecture de ce tableau, guère différente de celle des autres types d'édifices. Les premières années sont ainsi marquées par la nette prédominance de maçonneries revêtues d'un enduit lisse sur lequel se détachent des reliefs en pierre de taille, essentiellement cadres de baies et de façade. Dès les années 1920, on note une raréfaction du décor et un emploi réduit de la pierre ; la faible proportion d'enduits tyroliennes et de décors façonnés est un fait remarquable en regard de ce qui s'est fait à Cavaillon à la même époque, dans le domaine des maisons notamment. Les années 1950-1980 voient la disparition à peu près totale des traitements décoratifs. La formule qui prévaut est celle de maçonneries badigeonnées ; on notera la quasi absence de constructions en agglomérés de ciment, ou autres matériaux contemporains, laissées à l'état brut.
Pour ce qui est des structures, l'apparition des charpentes en béton autour des années 1925-1930, puis métalliques ces dernières années (au demeurant très peu nombreuses) n'a rien non plus de très original.
Pour la construction des quais, utilisation d'une pierre extrêmement dure, de couleur grise dite "pierre de banque".
Le décor d'applique, peu nombreux, comprend les mêmes éléments quelle que soit la période : rampes en fer forgé des balcons et terrasses d'habitation (quelquefois remplacées par des garde-corps en tuileaux) ; huisseries métalliques des entrepôts.
4. Structure
Du nombre de corps de bâtiments, de la présence ou de l'absence de l'habitation parmi eux, de l'apparition des quais de chargement, dépend la structure des maisons d'expédition.
Celles qui ne comportent qu'une seule construction et qui sont en nombre à peu près égal pour les trois périodes, sont constituées dans leur grande majorité (1 2 sur15) de deux niveaux, dont un rez-de-chaussée à fonction d'entrepôt, et un étage abritant très souvent l'habitation, rarement la seule remise d'emballage, parfois les deux. Une disposition à deux niveaux reprise pour les immeubles juxtaposant plusieurs entrepôts, tel celui construit à la fin du XIXe siècle rue du Docteur Chabert (fig. 6) (section CI, parcelle 18). Au départ adoption d'un parti simple, largement inspiré des habitations ouvrières avec remise en rez-de-chaussée, et qui ne permet pas toujours de se prononcer en faveur d'un immeuble à logements (ex : immeuble dans l'impasse Charles Gounod, section CM, parcelle 56) ou d'un immeuble à entrepôts (tel celui situé avenue de Vidau, parcelle 255, section CE) d'une simple maison ou d'une maison d'expédition.
Section CM, parcelle 56. Impasse Charles Gounod. Façade antérieure nord-ouest.
L'habitation peut se situer au nu de l'entrepôt, comme c'est le cas pour les maisons d'expédition du début du siècle ; elle est souvent alors précédée d'un balcon. Ou bien elle est en retrait au-dessus du premier niveau et donc précédée d'une terrasse, formule particulièrement appréciée dans les années 1920-1930 (cf dossiers).
Au premier niveau s'ouvre toujours le portail de l'entrepôt. Pour accéder à l'étage, deux possibilités :
- soit un escalier extérieur, généralement une volée droite latérale, conduit au balcon ou terrasse sur lesquels s'ouvre le logement,
- soit, juxtaposée au portail de l'entrepôt, une porte percée à l'une des extrémités de la façade s'ouvre sur un escalier, dont la volée suspendue est visible dans l'entrepôt.
Cet entrepôt est dans la première période un vaisseau unique de moyennes dimensions. Avec l'apparition des charpentes en béton, les volumes plus vastes sont divisés en deux ou trois nefs par des rangées de piliers (cf. dossiers). Dans l'un des angles est ménagée une sorte de guérite, vitrée à mi-hauteur, faisant office de bureau ; elle se situe le plus souvent dans un angle antérieur, de manière à bénéficier de l'éclairage d'une baie percée dans le mur de façade. Lorsque une remise d'emballage occupe le second niveau, ou du moins une partie de l'étage, des trappes sont percées dans le plancher intermédiaire ; la communication entre les deux niveaux était autrefois assurée par des échelles de meunier en bois, aujourd'hui toutes disparues, et souvent remplacées par une vis métallique logée dans l'un des angles du bâtiment. Les remises d'emballage sont généralement couvertes d'une charpente apparente et ne comportent pas d'aménagement spécifique.
La formule de maisons d'expédition à un seul corps de bâtiment dans lequel les fonctions se superposent a été souvent adoptée dans les années 1925-1930 (voir CK928 et CK 455) et a donné naissance à un type particulier d'entrepôts, à trois étages, dont le premier situé en sous-sol ou en soubassement. Seulement deux exemples de ce type d'aménagement ont pu être repérés : entrepôts situés rue Ampère, section CK, parcelle 1009 ; avenue de Verdun (cf. dossier), section CE, parcelle 231. Disposition qui permet une spécialisation plus affirmée des différents espaces : conditionnement des produits au rez-de-chaussée ; réserves en sous-sol avec dispositif de réfrigérateurs ; remise d'emballage à l'étage. Cette solution ne fut pourtant pas retenue par la suite, sans doute pour des raisons d'ordre pratique, on lui préféra la juxtaposition des fonctions, avec souvent un entrepôt en rez-de-chaussée spécialement affecté aux réserves (ou "magasins") et permettant un accès plus facile à la marchandise.
Parmi les entrepôts à corps de bâtiment unique, trois seulement, appartenant tous à la période des années 1925-1930, sont, ou ont été, pourvus de quais de chargement. Ceci selon deux formules :
- les deux maisons d'expédition (déjà citées) situées rue Ampère et avenue de Verdun, dépourvues de cour et s'ouvrant directement sur la rue, n'avaient d'autre solution que celle d'un quai frontal faisant partie intégrante de l'entrepôt ; il s'agit en fait de la partie antérieure d'un rez-de-chaussée légèrement surélevé, disposition autorisée par l'existence d'un étage en sous-sol,
- l'entrepôt du boulevard Edmon Henry (voir dossier) comprenait, dans le bâtiment même, deux quais longitudinaux, construits au niveau de la chaussée, entre lesquels une ruelle destinée au passage des camions était creusée. Solution sans lendemain, et d'autant plus originale ici, que la présence d'une cour bordant l'entrepôt sur l'un de ses côtés avait permis la construction d'un quai latéral traditionnel.
La présence d'un second corps de bâtiment ne modifie pas fondamentalement la structure des entrepôts : sur les 28 maisons d'expédition comportant 2 constructions distinctes, 19 sont en effet un entrepôt de type précédemment décrit, avec un premier niveau à usage professionnel et un second abritant l'habitation. Il s'assortit d'un second bâtiment, lequel est :
- dans la majorité des cas un édifice en rez-de-chaussée, entrepôt ou hangar, souvent à usage de remise d'emballage,
- dans quatre cas seulement, et qui tous appartiennent à la période des années 1890-1920, un second édifice à deux niveaux, superposant une remise au rez-de-chaussée, et pour lequel le modèle des bâtiments agricoles semble encore s'imposer.
D'autres combinaisons sont évidemment possibles mais, peu représentées, elles ne paraissent pas relever de types bien établis : par exemple un bâtiment à deux niveaux accompagné d'une construction à trois niveaux, ou encore deux bâtiments à trois niveaux, etc. Il est au contraire courant de rencontrer pour les établissements les plus récents la formule juxtaposant deux éléments en rez-de-chaussée, qui peuvent être deux entrepôts ou un entrepôt et une habitation (section AZ, parcelle 220-221) laquelle n'est alors pas différente des villas ou pavillons contemporains.
En fait la principale différence entre maisons d'expédition à un ou deux corps de bâtiment réside dans la présence des cours : 23 des 28 entrepôts qui se composent de deux éléments disposent d'un espace collectif, contre 7 seulement sur 18 pour ceux à corps de bâtiment unique. Cette cour, de dimension variable, peut se situer de différentes manières :
- elle peut constituer une aire antérieure relativement importante autour de laquelle sont disposés les bâtiments (section CD, parcelle 266 ; section CI, parcelle 479),
- parfois située derrière les entrepôts, elle est accessible par un chemin ou passage privé latéral (section CE, parcelle 61),
- elle peut encore entourer les bâtiments isolés en son centre (section AZ, parcelle220),
- la formule la plus courante est cependant celle des bâtiments enserrant cette cour, qu'ils soient disposés en L autour d'elle (sectionCE, parcelle 17) ou qu'ils la bordent latéralement (section CK, parcelle 996).
Dans quelques rares cas enfin, un jardin ou espace privatif au-devant de l'habitation, se soustrait à cet espace collectif (section CE, parcelle 500).
Rares aussi, les quais, dont l'aménagement est fonction de la disposition des bâtiments autour de la cour : simple quai longitudinal bordant un entrepôt isolé ; quai en L lorsque deux entrepôts sont ainsi groupés autour de l'espace collectif. Une disposition originale se trouve dans la maison d'expédition de l'avenue Yvon Dariès (section CK, parcelle 437) : les bâtiments disposés en façade aux deux extrémités d'une parcelle traversante y sont reliés par un quai en U bordant la cour intérieure.
Une quinzaine d'entreprises se composent d'un minimum de trois corps de bâtiments. Parmi elles, six appartiennent à la période des années 1890-1920. Encore faut-il préciser que pour deux de ces ensembles au moins, il s'agit d'un aménagement progressif : à un entrepôt du début du siècle, comportant généralement l'habitation, vinrent se greffer d'autres constructions, entrepôts ou hangars, affectés aux chambres frigorifiques, à une remise d'emballage ; tel est le cas de la maison d'expédition située avenue Berthelot (section CK, parcelle 851). La seconde période ne compte que trois ensembles de ce type : l'élément nouveau est à cette époque une tendance à la spécialisation des bâtiments qui s'affirme d'ailleurs par un traitement architectural spécifique pour chacun d'eux - bureau, logement, entrepôts et hangars - qu'ils soient groupés (section CE, parcelle 257 (fig. 12)) ou dispersés (section CN, parcelle 51 (cf dossier)). Enfin près de la moitié des maisons d'expédition créées ces dernières années (6 sur 14 exactement) sont constituées par trois éléments ou plus.
Quelle que soit la période à laquelle ils appartiennent, on remarque que presque tous ces ensembles se situent à une certaine distance du centre ville, établis le long des voies sud et est de la proche périphérie : avenues de Stalingrad, de Provence, Kennedy, etc. Tous également s'organisent autour d'une cour de bonnes dimensions, à l'exception de l'établissement Bouscarle (section CE, parcelle 257), aujourd'hui une conserverie, situé à l'angle des avenues Vidau et de Provence qui ne dispose pas d'espace collectif proprement dit, mais seulement d'un large trottoir bordant l'avenue. Son schéma groupé est aussi très peu représenté. On lui préfère une disposition des éléments étalée autour de la cour, soit en L (section CE, parcelle 63) soit plus souvent en U (section CE, parcelle 173 ; section CN, parcelle 51 (voir dossier)).
En dépit de la multiplication des bâtiments on ne trouve qu'un unique exemple constitué seulement d'éléments à un étage (section CI, parcelle 89 (fig. t3)). Le dispositif qui prévaut est celui comprenant au moins une construction à deux étages, toujours selon la même formule d'un entrepôt supportant l'habitation. Lorsque le logement est isolé, il comprend alors rez-de-chaussée et premier étage, ce sont deux corps de bâtiment au moins qui ont deux étages. La structure des entrepôts est toujours la même pour ces maisons d'expédition composées de plusieurs corps de bâtiments :
- au rez-de-chaussée, ils sont largement ouverts sur la cour et éventuellement bordés d'un quai,
- lorsqu'ils supportent un étage d'habitation, c'est le plus souvent un escalier extérieur, généralement une volée droite ou tournante latéralement disposée, qui donne accès à ce logement,
- dans les entrepôts les plus récents, formule fréquente d'un volume unique dans lequel est aménagé un étage mezzanine par le biais d'une structure métallique légère.
5. Élévations
Il existe quasiment autant de types d'élévations extérieures que de maisons d'expédition. En conséquence nous nous bornerons ici à un renvoi au chapitre des matériaux et au rappel de deux éléments :
- d'une part la grande simplicité de ces élévations
- d'autre part une évolution vers la raréfaction de leur décor.
On peut néanmoins souligner pour la période des années 1925-1930 un plus grand soin apporté au dessin et au traitement de ces façades, période qui correspond également à la mise au point de formules originales pour l'architecture des entrepôts.
6. Couverture
Les charpentes traditionnelles en bois revêtues de tuiles mécaniques (toits à longs pans ou à croupes) cèdent peu à peu la place aux charpentes métalliques couvertes de tôle ondulée pour ce qui est des bâtiments à seule vocation d'entrepôt.
7. Distribution intérieure
Un certain nombre d'éléments de distribution liés au travail d'expédition se retrouvent dans tous les entrepôts :
- guérites vitrées à mi-hauteur qui, généralement situées dans un angle de bâtiment, font office de bureau,
- des poids au niveau du sol pour le pesage des marchandises ; ils peuvent être au nombre d'un ou plusieurs par entrepôt, situés à l'entrée,
- dispositif de chambres froides, parfois situé à l'étage de soubassement, le plus fréquemment au fond de l'entrepôt, quelquefois dans un bâtiment spécifique,
- banques (acception provençale de comptoir) de calibrage pour les entrepôts de melons,
- lavoirs pour les maisons d'expédition de légumes.
8. Conclusion
De cette étude ressort la difficulté d'établir une typologie très précise des maisons d'expédition, pour lesquelles les solutions architecturales sont nombreuses. Il apparaît néanmoins que le nombre de corps de bâtiments par entrepôt soit le facteur déterminant de leur structure : de ce nombre, variable pour chaque époque, dépendent en effet la situation des entrepôts dans la ville, la présence d'une cour de plus ou moins grandes dimensions, l'existence éventuelle et la disposition de quais de chargement.
Si la chronologie n'interfère pas avec cette typologie, en revanche, une évolution très nette se perçoit dans l'histoire formelle des entrepôts cavaillonnais. Ce sont au départ des édifices assez peu caractérisés et largement inspirés de l'habitat modeste. Au cours de la seconde période qui correspond à l'âge d'or de l'activité des expéditeurs et aussi à l'urbanisation des quartiers de la proche périphérie de Cavaillon, se déterminent des programmes architecturaux très spécifiques pour les entrepôts, qu'ils comprennent un ou plusieurs corps de bâtiment (voir dossiers). Depuis une trentaine d'années au contraire, les maisons d'expédition ont tendance à se fondre dans la masse anonyme des entrepôts.
Approche ethnologique (Jean-Marc MARIOTTINI)
1. Présentation
a) Cavaillon, le jardin potager de la France
Au tout début, comme le laissent penser les textes, il dut n'y avoir qu'une ceinture potagère autour de Cavaillon, dans l'environnement immédiat des remparts qui entouraient la cité ... D'ailleurs, un quartier de la ville s'appelle encore aujourd'hui les "Grands Jardins". Au fil des siècles, ce terroir maraîcher s'agrandit, principalement par l'est, le sud et l'ouest, laissant au nord de la commune - au-delà du Coulon - sa vocation de terres à vignes (puis à arbres fruitiers) ; ce seront tour à tour des parties plus ou moins importantes des communes environnantes comme celle de Cheval Blanc (au sud), des Taillades et de Robion (à l'est), mais aussi d'Orgon, de Plan d'Orgon et de Saint-Andiol (à l'ouest, et au-delà de la Durance) qui vont ainsi être englobées dans ce que l'on pour ait appeler le Cavaillonnais : une aire économique homogène dont le centre est Cavaillon.
Dès la fin du XIXe siècle, ce territoire passe pour être le véritable "jardin potager de la France". Certes ce potager a quelques dépendances, des annexes ; les paysans de toute la Provence non alpine, comme ceux du Languedoc et du grand Sud-Ouest sont aussi habiles au travail des fruits et des légumes, aidés en cela par le climat favorisant de la France méridionale ; mais c'est dans le Cavaillonnais que se cristallise ce phénomène, que la production est la plus intense, la plus précoce grâce à un savoir faire sans pareil, et que le négoce, surtout, c'est-à-dire l'expédition, se trouve être la mieux organisée.
Il n'est pas utile ici de revenir et d'insister sur les raisons de ce succès, tant elles ont été, par ailleurs, largement développées. Citons pêle-mêle, outre l'environnement climatique grandement favorable :
- des sols rendus prospères, limoneux, par la proximité de la Durance et du Coulon,
- des moyens, un réseau et une technique d'irrigation extraordinairement développés (les canaux Saint-Julien, du Cabedan-Vieux, du Plan oriental, des Fugueyrolles et des Vergers, et leur système très serré de ramifications),
- un savoir-faire, une pratique, une "culture" très ancienne de l'activité maraîchère héritée de l'immigration italienne et juive du XIVe siècle, à la suite de la papauté.
Voilà pour les conditions à une production riche, que ce soit en qualité ou en quantité. Mais nul doute que le facteur le plus déterminant fut l'accrochage de Cavaillon sur un axe ferroviaire ô combien célèbre et central, celui du P.L.M. : dès 1868, en effet, la voie ferrée Avignon-Salon passe par Cavaillon... De quoi permettre que tout le produit condensé là s'exporte tous azimuts.
De fait, selon cet axe sud-nord, et durant toute la première moitié du XXe siècle, le marché cavaillonnais a très largement fourni en légumes et en fruits les agglomérations urbaines de la France septentrionale : principalement la place de Paris, mais aussi de nombreuses villes de l'est (Nancy, Strasbourg, Dijon, Lyon...), du nord (Lille, Valenciennes, Reims...), ou de l'ouest (Rouen, Caen, Rennes, Angers...). D'après les chiffres de R. Pélissier, portant sur la période 1955-59, la répartition entre ces différentes aires destinatrices s'effectue comme suit : 31,02 % du volume pour la région parisienne, 26,60 pour le nord, 20,47 pour l'est, 16,37 pour l'ouest et la Bretagne (et 7,35 pour le sud-ouest). C'est un flot ininterrompu de produits maraîchers qui monte vers le nord, au rythme de six à sept trains complets qui, quotidiennement, partent de Cavaillon durant la saison haute (de la mi-mai à la mi-novembre), un trafic ferroviaire intense : la "petite" gare de Cavaillon comptait déjà 180 employés au début de ce siècle et il fallut construire un pont ferroviaire au dessus de la route de Robion car le passage à niveau, qui auparavant la traversait, restait fermé neuf heures par jour !
Loin de se cantonner au territoire national, la marchandise franchissait les frontières, mais toujours vers le nord. Ainsi la Sarre et l'Allemagne réceptionnaient 9,2% de la production cavaillonnaise ; la Suisse 8,4 % ; l'Angleterre et le Bénélux, respectivement, 0,50 et 0,36 %. Par ce biais, le Cavaillonnais ne nous apparaît donc pas seulement comme le jardin potager de la France, mais bien comme celui de l'Europe anglo-saxonne.
Avant qu'elle ne s'oriente vers une monoculture fruitière, on y reviendra, cette production maraîchère est essentiellement variée ; c'est là son caractère dominant, et c'est ce qui fait sa force, principalement dans la mesure où cette variété permet aux différentes productions de s'étaler tout au long de l'année. S'il y a bien quelques produits-phares, tels l'asperge, le melon, l'ail ou le raisin de table, le paysan cavaillonnais sait en effet "fabriquer" de tout ; il le fait bien et souvent avant les autres grâce à sa connaissance et à son inventivité en matière de techniques de maturation. L'image d'une économie cavaillonnaise recroquevillée autour du seul melon est donc parfaitement erronée... Outre qu'elle donne au producteur du travail pour l'année, on l'a dit, cette grande variété élargit beaucoup le marché, vient s'adapter aux nouvelles demandes...Qualité, quantité et variété des produits, donc, à quoi on ajoutera un moyen particulièrement efficace de les transporter, et il n'en fallait pas plus pour faire de Cavaillon une capitale de l'économie maraîchère.
b) Élargissement de l'aire d'attraction cavaillonnaise
La "ceinture" maraîchère de Cavaillon se sera donc élargie par étapes successives.
Avec le développement des voies de communication, mais surtout avec l'apparition et la généralisation des véhicules à moteur, l'aire d'attraction cavaillonnaise s'étend encore durant l'immédiat après-guerre (années 1945-60), pour prendre cette fois son visage définitif. En effet, devant le succès de cette "industrie", on hésitera de moins en moins à venir de loin, ou à y aller ; c'est ainsi que des producteurs viendront de Forcalquier ou de Manosque vendre leurs produits sur le carreau de Cavaillon ; c'est ainsi encore que les acheteurs des maisons d'expédition iront jusque dans le Verdon ou dans le pays d'Aix s'approvisionner en raisin de cuve (pour le vin) ou en aulx ...
Il faut dire que cet élargissement de la zone productive est aussi contenu en germes dans le fonctionnement même de cette agriculture. Trois des produits-phares de cette production maraîchère - l'ail, l'asperge et le melon - sont en effet très usants pour le sol, de sorte qu'il faut en permanence déplacer leur culture : c'est dans ce cadre que l'on se mit à faire du melon en Crau, et que les foyers de productions d'asperges et d'aulx allèrent se fixer, respectivement, à Velleron ou dans la plaine des Milles.
A son apogée, l'activité maraîchère a donc concerné - certes plus ou moins directement - un territoire aux vastes dimensions : un Vaucluse débordant largement sur les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-de-Haute-Provence.
c) Le "Clos" à Cavaillon
Si dans la terminologie officielle l'appellation "place du Clos" résiste encore (sur les plans de la ville, quand on s'adresse à l'étranger), cela fait beau temps que les Cavaillonnais ont évacué de leur langage courant le qualificatif "place". Pour eux, le seul terme "Clos" est en effet si chargé de sens et d'histoire qu'il n'évoque que lui même : ils sont ou ils vont sur le "Clos"...
Le lieu tire son nom de ce qu'il dut y avoir autrefois, en cet emplacement, un clos privatif, peut-être celui de l'évêque de Cavaillon ; on y trouve en effet trace de bâtiments ecclésiastiques dont la place actuelle pouvait être la dépendance. Sur l'atlas géométral de la ville de 1821, bizarrement, le "Clos" est désigné comme « cours Bournissac », l'actuel cours Bournissac l'étant, lui, comme « cours de la Porte-du Clos » (écrit alors "Claux") ; cela dit, l'endroit semble déjà faire office de place.
Cet espace a la forme d'un triangle (il ressemble à un entonnoir), dont la base s'étend au pied de la colline Saint-Jacques et le sommet s'ouvre sur le cours Bournissac. Dans le Cavaillon du XVIIIe siècle, quand la cité paraît se limiter à son centre historique, le "Clos" se trouve hors les murs, mais sur le pourtour immédiat de l'enceinte - entre les futurs cours Bournissac et Carnot -, réalisant ainsi la jonction entre les voies qui ceintureront la vieille ville (cours Bournissac, Victor Hugo, Gambetta, Renand, Carnot), et une place donc centrale : on trouve en effet une Porte du Claux, une rue et un cours de la Porte-du-Claux, une avenue du Claux... Et lorsque la ville se développera au sud, surtout avec l'urbanisation du faubourg Tourneuve, ce quartier dit des expéditeurs, l'emplacement du "Clos" ne se fera que plus central (pl. 1 et 2).
C'est donc dans ce lieu autrefois planté de nombreux platanes que « depuis toujours », du moins de mémoire de Cavaillonnais, se tient le marché.
Mais le "Clos" représente plus qu'une simple place d'échange du produit maraîcher. D'abord il est un point médian entre les différents lieux de l'implantation des maisons d'expédition à l'intérieur de la cité. Les deux premiers foyers de cette implantation (les maisons les plus anciennes) sont en effet à situer, d'une part le long du cours Carnot (Accarie, Bouscarle, Chaix) et d'autre part dans le faubourg Tourneuve (Fabre, Vasse, Ravautte) ; quant à l'extension de cette urbanisation particulière (installation de nouvelles maisons, ou réinstallation d'anciennes), elle s'effectue - entre les deux guerres mondiales - au-delà du "Clos" vers le sud, jusqu'à la route du Pont, de sorte que se forme là un triangle de l'expédition dont le centre serait la place du marché.
Le "Clos" symbolise encore cet espace à mi-chemin entre une campagne, lieu naturel du travail, de la production maraîchère, et une ville-lieu de l'expédition, mais aussi du loisir. Si on trouve en effet au milieu de la place de quoi nous rappeler le terroir, on trouve tout autour une grande quantité de cafés, qui se réfèrent à une activité récréative, très riche on le verra, concentrée dans la partie orientale de la vieille cité (cours Victor Hugo et Gambetta, avenue de la Gare). L'espace des "grands cafés" et celui des bars du "Clos" sont bien les deux foyers de la récréation cavaillonnaise ; ils se distinguent par la qualité du loisir que l'on y trouve, les loisirs du "Clos" étant principalement liés à l'activité du marché.
Nous trouvons enfin, inscrite dans l'organisation et l'agencement mêmes de cette place de marché, une représentation de la géographie cavaillonnaise. Ainsi le côté sud de l'entonnoir du "Clos" se composait d'une enfilade de bistrots où se cantonnaient presque exclusivement les "Bédéères" - comprenons : les maraîchers venus des B-d-R (Bouches-du-Rhône), à savoir de l'au-delà de la Durance -, tandis que les bars de l'autre côté, celui adossé à la vieille ville, se trouvaient fréquentés par les maraîchers comtadins. On aura compris que la Durance, qui traverse le terroir maraîcher et le coupe en deux, fait office de frontière ; si le marché de Cavaillon a bien évidemment besoin de tous les produits de son terroir, qu'ils soient de l'en-deça ou de l'au-delà de la Durance, il n'existe pas moins, au niveau des représentations et de l'identité, une conscience forte d'appartenir à un côté de la rivière (Bouches-du-Rhône, Provence) ou à l'autre (Vaucluse, Comtat Venaissin). Et, fait significatif, lors du réagencement de la place du Clos ces dernières années - période durant laquelle le marché maraîcher allait aussi se déplacer de Cavaillon à Châteaurenard (dans les Bouches-du-Rhône) -, le côté sud de la place allait faire totalement peau neuve, sans plus laisser aucune trace des bistrots "bédéères".
En somme, sur le Clos, se niche l'âme de Cavaillon.
2. Le système de l 'économie maraîchère
Si, comme toute réalité, le fonctionnement de l'économie maraîchère cavaillonnaise repose sur la combinaison extrêmement complexe de plusieurs éléments, il nous faut cependant dégager trois de ces caractéristiques, qui nous semblent principales, parce qu'elles font la force et la spécificité de cette économie, et constituent ainsi un peu de son fondement : une activité de maraîchage largement étalée sur l'année, le principe des "apports directs", et ce que j'appellerais le clientélisme.
a) Rythme de l'année maraîchère
R. S., nous rapportant l'exemple de son père maraîcher, en témoigne bien volontiers : "ici, on ne s'arrêtait pas..."
Sans reprendre par le détail ni la liste des différents produits, ni celle des moments de leurs récoltes (voir pour cela les tableaux de R. Pélissier, doc. 1,2), disons qu'une très grande variété de produits permettait au producteur et à l'expéditeur d'étaler leur travail tout au long de l'année.
Considérons d'abord le côté producteur. Si en terme d'activité maraîchère la période d'hiver (de mi-novembre à février) est incomparablement plus calme que celle de l'été, le producteur n'a néanmoins guère le temps de flâner. D'abord sa terre est en travail, même par ces froids : elle produit de l'épinard, du poireau et du chou, fleur ou pointu, et il doit s'en occuper. Cela fait, il préparera encore son terrain pour les récoltes du printemps. Mais il profite surtout de cette période relativement creuse pour effectuer de l'entretien, un travail nécessaire qu'il n'aura plus l'occasion de conduire par la suite compte tenu du surcroît d'activité : il répare ainsi tous ses contenants (banastes, mannes, cageots), qui lui servent à transporter ses produits, de même que ses châssis - une vitre enchâssée dans un cadre de bois qui, posée sur le sillon, faisait effet de serre -, de véritables moyens de production pour lui, qui se détérioraient bien sûr au fur et à mesure de leur utilisation. Compte tenu d'un volume réduit de produits, et de conditions climatiques qui favorisent une plus longue conservation de ceux-ci, il pouvait se permettre durant ces mois d'hiver de ne se rendre qu'une fois tous les deux, trois, voire quatre jours sur le marché.
Avec mars, c'est-à-dire très vite, et l'arrivée des salades, des carottes nouvelles et des asperges, commence une période d'activité véritablement intense qui trouve son point d'orgue au début de l'été, avec les primeurs, et qui se prolonge tard dans l'automne avec les derniers melons, raisins ou tomates. Durant huit mois de l'année, le producteur se trouve donc sur la brèche ; si l'on excepte le dimanche, il doit donc se rendre quotidiennement sur le marché, ce qui n'a pas manqué - on va le voir - de poser quelques problèmes au niveau de l'organisation familiale du travail.
Le rythme de l'activité d'expédition se calque évidemment sur celui de la production à ceci près que, du fait d'activités annexes, l'expéditeur était davantage en mesure - par rapport au producteur - de combler cette période de moindre activité de l'hiver.
Selon A.B., l'un des derniers expéditeurs en place, ce petit "creux" de l'hiver fut, à toutes les époques, le "grand" problème de l'expédition. "Ici, l'hiver, on n'a jamais gagné d'argent..." nous affirme-t-il volontiers en nous laissant entendre que, par contre, il se rattrapait l'été... "Il suffisait seulement de ne pas en perdre... On avait là du personnel embauché à l'année, qu'il fallait bien sûr faire travailler..." C'est ainsi que les maisons d'expédition se sont lancées dans des activités, certes toujours en rapport avec le produit agricole, mais quelque peu annexes dans la mesure où elles ne concernent pas l'emballage et l'expédition du produit, mais sa transformation : on travaille par exemple les aulx - les tresser, les faire sécher -, on fait du coulis, ou encore la campagne du raisin de "cuve" (pour la vinification), des tâches qui permettent effectivement d'attendre les premiers légumes d'hiver.
Mais l'activité principale de cette période reste le travail des "tourteaux", à savoir ces engrais que l'expéditeur - on va le voir - se chargeait de fournir aux producteurs : la marchandise arrivait à la maison d'expédition sous une forme peu dégrossie, et il fallait donc la concasser, pour la revendre aux paysans.
Si on s'est attardé sur ce petit creux de l'hiver, c'est précisément parce qu'il contraste fortement avec une année de travail plein, au rythme presque échevelé.
b) Le système des apports directs
Si le volume des produits présents sur le carreau du "Clos" est déjà fort important, à la mesure de l'envergure maraîchère de Cavaillon, il ne représente pourtant qu'une partie de la marchandise qui transite effectivement entre le producteur et l'expéditeur. C'est la plus faible partie même, dit-on, variant selon la nature du produit : entre 20 % de la production (pour les melons) et 50% (pour les raisins).
Le gros des échanges s'effectue donc en "apport direct" : le paysan apporte directement son produit à la remise d'expédition, sans passer par le marché. Il aura bien sûr convenu la veille avec l'expéditeur de la quantité souhaitée, et il ne tirera de cette marchandise qu'un prix moyen, fondé sur les mercuriales, c'est-à-dire sur la moyenne des prix enregistrés (pour un même produit, bien sûr) le jour même sur le carreau de Cavaillon.
On le devine, la mise en place de ce dispositif particulier avait pour fonction principale la régulation du marché ; livrer en effet toute la production maraîchère aux fluctuations du marché, aux caprices de la transaction directe, aurait constitué un risque majeur pour les uns et les autres - ne point vendre ou, au contraire, ne rien trouver à acheter - et chacun trouvait donc avantage à cet arrangement. Ainsi le producteur, de son côté, était assuré d'écouler une bonne part de sa marchandise ; libre à lui ensuite de "jouer" le reste de sa production sur le marché, où il pourrait gagner comme perdre, l'astuce consistant à évaluer justement quel volume il devait échanger en apport direct et quelle quantité il vendrait au plus - ou au moins - offrant. Pour sa part l'expéditeur, grâce à ce système, pouvait toujours compter sur un certain volume de produits, capable de satisfaire la demande - de base - de sa clientèle, qu'il connaissait à l'avance ; parallèlement il confiait à ses acheteurs la tâche de faire le complément, lorsqu'il y avait besoin - et en ces temps la demande était toujours, et de loin, supérieure à l'offre -, ce qu'ils faisaient sur le marché.
Le bon fonctionnement de ce système s'appuyait évidemment sur l'existence de réseaux - on va le voir -, où devait prévaloir un certain code de l'honneur, la parole donnée : il était d'aussi mauvais goût de promettre un apport et de ne pas l'apporter - pour vendre ailleurs la marchandise, à meilleur prix - que, pour l'expéditeur, de refuser cet apport - quitte ensuite à jeter la marchandise, comme ce fut le cas lorsque le client se fit rare.
c) Réseaux de clientèle
Si le terme de "clientélisme" est peut-être trop fort ici pour décrire précisément la réalité, on parlera du moins de réseaux de relations fortement privilégiées, qui ont permis - ou facilité - la circulation de la marchandise depuis le lieu où elle naît jusqu'à celui de sa consommation.
Le cas de figure général nous présente, au centre du système, la maison d'expédition.
En amont de celle-ci, se tient le groupe de ses fournisseurs habituels, ces paysans qui par exemple vont l'alimenter en apports directs, ou qui vont lui accorder une priorité lors de la vente sur le carreau, et la question se posait de savoir sur quelle base, à ce niveau, reposait la relation préférentielle. Si je n'ai pu établir jusqu'ici de corrélation avec d'éventuels liens de parenté ou de voisinage, avec les localisations géographiques particulières, il est certain en revanche que d'une part l'existence de ces réseaux est ancienne et durable - c'est de père en fils que l'on fournira la même maison -, et que d'autre part ils se sont probablement constitués à cette époque où les expéditeurs fournissaient eux-mêmes les producteurs en "tourteaux", c'est-à-dire en engrais, mais aussi en semences, créant ainsi un lien de dépendance étroit, dont la juste contrepartie consistait précisément en ce que le paysan "retourne" le produit à celui dont il avait obtenu les moyens de sa production. A cette période - le premier quart du XXe siècle -, l'usage voulait d'ailleurs que le producteur ne soit pas tout de suite payé, à la livraison de la marchandise, mais que s'instaure une sorte de compte entre ce qu'il prenait et ce qu'il donnait, compte que l'on soldait à la fin de la saison. Dans ce contexte, il semble normal qu'aient pu se constituer, effectivement, des espaces de relations privilégiées.
En aval de la maison d'expédition, se tient le groupe des clients, ces négociants, ou courtiers ou grossistes de la grande ville, qui se montrent, en général, eux aussi fidèles à la marque - c'est-à-dire à la maison -, et réguliers dans leurs demandes. Si le contact direct et physique entre l'expéditeur et ses clients est pour le moins épisodique, la relation est néanmoins entretenue, assez en tous les cas pour qu'elle soit préférentielle.
Enfin, au centre, c'est-à-dire au sein même de la maison d'expédition, on trouve une troisième branche du réseau, celle que constitue le personnel employé là, un groupe qui - comme les producteurs ou les clients - semble "attaché" à une maison : ici l'expression "personnel maison" n'est pas vaine... L'embauche ne s'effectue que par connaissances, et on emploie souvent un parent, un voisin ou un ami de celui qui travaille déjà. Les maisons d'expédition semblent s'être réparti la main-d’œuvre cavaillonnaise, et s'être fortement attaché chacun de ces groupes : pour un travailleur de l'expédition, il est par exemple très difficile de changer de maison...Les travailleurs liés au maraîchage, tout comme le produit maraîcher lui-même, s'inscrivent donc dans un réseau ; dans la mesure où il existe plusieurs (grandes) maisons d'expédition, coexisteront plusieurs réseaux. Comme la relation n'est ici que prioritaire, et non pas exclusive, il arrive parfois que ces réseaux s'interpénètrent. Ainsi le producteur pourra vendre à un tiers, bien sûr, mais après qu'il se soit assuré que son client habituel n'ait pas besoin de cette marchandise... De la même manière, l'expéditeur qui reçoit une commande d'un client inhabituel - qu'il sait être celui d'un autre expéditeur - ne l'honorera qu'après en avoir averti son concurrent.
3. Le phénomène de l'expédition
Entre le grossiste qui réceptionnait la marchandise sur la place de Paris, Berne, Sarrebruck, Bruxelles ou Londres - pour la diriger ensuite vers le consommateur -, et le paysan de Robion, des Taillades ou de Cheval-Blanc, il fallait un intermédiaire : ce sera l'expéditeur... Il achetait la marchandise aux producteurs, il l'emballait (la conditionnait), et l'expédiait à son client-grossiste (ou courtier) de la ville.
a) Mouvement d'ensemble
Le recensement de 1911 comptabilise déjà 48 individus sous la rubrique expéditeurs ou négociants. C'est dire combien, en ce XXe siècle naissant, l'activité du négoce en produits maraîchers repose sur de solides fondations.
Au vrai, quelques-uns de ces expéditeurs de 1911 sont déjà en place en 1896, d'autres en 1891, recensés comme tels à ces dates, et l'on constate là que la notion même d'expédition - d'expéditeur - est bien vivante déjà à la fin du XIXe siècle. D'autres indices laissent entrevoir la vocation internationale du négoce cavaillonnais, comme du caractère massif de ce négoce : en 1900, un certain G. Rispoli, de Foggia (Italie), se trouve déjà en relation de commerce avec A. Bonnet ; en 1904, une forte demande émane de commerçants de Tours pour de la "vendange", par "wagons complets".
L'activité d'expédition va se développant, grossissant, sur le modèle d'une consommation alimentaire sans cesse plus exigeante quant à la primeur, la fraîcheur et la variété des produits. Les expéditeurs se multiplient. On dit que ce négoce est alors d'un si bon rapport qu'il suffit à certains de ne faire "qu'une campagne dans l'année", c'est-à-dire de se "faire" expéditeur seulement trois mois par an, par exemple au moment du melon, pour réaliser déjà de confortables gains. Durant cette période d'expansion, dans le faubourg Tourneuve- ce "quartier des expéditeurs" -, les rues ne paraissent être qu'une succession de remises ; la moindre cour, le plus petit renfoncement sont ainsi utilisés. Certes nombre de ces expéditeurs ne sont - on l'a vu - que "d'occasion" ; ils ne travaillent en fait que sur un volume résiduel de produits, celui que les "gros" expéditeurs en place, déjà surchargés, ne peuvent traiter. Mais les faits sont là : c'est une effervescence, surtout l'été.
Ainsi à la veille de la seconde guerre mondiale, mais peut-être plus encore dans son lendemain immédiat, avec ce second élan de surenchère en matière de consommation qui le caractérise - c'est le début des "30 glorieuses"-, nous frisons la barre des 200 expéditeurs sur la place de Cavaillon.
Dans les années 1960, 137 maisons d'expédition s'occupaient encore de pourvoir les marchés nationaux et européens en légumes et en fruits.
Puis c'est le basculement. Le passage au Marché d'Intérêt National - ouvert le 5 juillet 1965 -, loin de provoquer le déclin de l'expédition, est en fait, objectivement, une tentative pour récupérer une activité en phase désormais dégénérescente. Aux changements des structures d'un marché devenu international (élargissement des zones de production maraîchère en France, importations massives des pays en voie de développement, renforcement de la grande distribution, etc.) se sont en effet ajoutées des difficultés internes à l'économie cavaillonnaise, dont la plus incontournable reste peut-être l'usure, le vieillissement des sols du terroir. Concrètement, la transition s'est manifestée dans le remplacement d'une polyculture maraîchère par une monoculture fruitière, celle de la pomme (et secondairement de la poire), une transformation désormais si bien accomplie que le terroir cavaillonnais ne ressemble plus aujourd'hui qu'à un vaste verger, où le pommier règne en maître sur 90 % de la surface cultivée!... Dans cette tempête seules quelques maisons d'expédition sont parvenues, si ce n'est à maintenir le cap, du moins à ne pas sombrer.
Il ne reste plus aujourd'hui à Cavaillon que 11 entreprises à avoir comme enseigne "expédition de fruits et de légumes."
b) Les "grandes" maisons
On ne pénètre l'univers de l'expédition cavaillonnaise qu'à travers quelques noms, ceux qui reviennent invariablement et inlassablement dans le discours de nos informateurs quand ils entendent planter le décor du phénomène, des noms qui semblent avoir marqué leur mémoire au point que l'on croirait que toute l'expédition se résume à eux seuls. Ces patronymes sont ceux des "grandes" maisons, celles qui constituent, en lui servant de référence, l'histoire de l'expédition cavaillonnaise : FABRE, ACCARIE, BOUSCARLE, RAVAUTTE, FLAVIEN... Avec une mention toute particulière à la maison Pierre FABRE, la première apparue et à s'être distinguée comme "grande" maison, la référence des références (doc. 3). Le signe principalement révélateur de ces "gros" expéditeurs reste qu'ils constituent tous une "MARQUE" que caractérise un emblème particulier ; ainsi "l'homme à la pipe" représente BOUSCARLE (doc. 4), "la jeune fille" FABRE, "le bateau" FLAVIEN (doc. 5), "le cygne" RAVAUTTE (doc. 6), "la pierrette" BOUFFARD (doc. 7), "le coq " VASSE (doc. 8), etc. Symboles distinctifs qui marquent les fournitures de chacune de ces maisons (emballages, papier à lettre, bons d'achat, etc.).
Ces entreprises émergent véritablement de la multitude.
Entre elles et celles désormais oubliées, parce que d'une existence trop éphémère, créées et conduites par des gens qui ne "s'improvisaient" expéditeurs que le temps de profiter des largesses du marché, se déroule toute une gamme d'autres maisons qui jouèrent, chacune en leur place et en leur temps, un rôle plus ou moins important dans le petit monde de l'expédition. S'il est délicat d'établir entre elles une hiérarchie - tant les critères de classement seraient multiples (ancienneté, durée, surface économique), et tant leur parcours est fluctuant, avec ses hauts et ses bas -, on peut néanmoins citer la maison CHAIX, à une époque très proche des cinq grands par l'envergure de ses affaires, mais aussi les VASSE, BAUD, MITIFIOT, BOUFFARD, voire les SARNETTE, DELAYE, GREGOIRE ou PEGUE, des noms et des maisons qui ont contribué, incontestablement, à forger l'histoire de l'expédition cavaillonnaise.
A quoi tiennent le prestige et la renommée d'une "grande" maison?... D'abord, pourrait-on dire, à l'ancienneté : les FABRE, ACCARIE ou BOUSCARLE sont présents au tout début du XXe siècle, déjà installés comme expéditeurs. Si l'essor de la maison RAVAUTTE est un peu plus tardif (immédiatement après la première guerre mondiale), comme celui de la maison FLAVIEN (fin des années 1930), nous avons toujours affaire là à des entreprises pour le moins cinquantenaires.
C'est ensuite la durée. Les premières maisons citées ont traversé allègrement le demi-siècle, voire même au-delà puisque "l'institution" Pierre FABRE n'a fermé ses portes qu'à l'orée des années 1980, quasiment centenaire ; quant à A. BOUSCARLE, petit-fils du fondateur, il était encore en activité - certes sous une autre enseigne - en 1993. Les maisons RAVAUTTE et FLAVIEN, les dernières créées, comptent encore aujourd'hui parmi les quelques expéditeurs installés sur le M.I.N. (Marché d'Intérêt National).
C'est donc au souffle, sur le fil des années et la longue période que se forge le prestige d'une grande maison.Une renommée qui, bien entendu, se doit d'être entretenue par du sérieux et de la rigueur dans les affaires. Pour le producteur, fournir l'une de ces grandes maisons constituait une sorte de garantie : celle d'être payé, correctement payé... A la différence des occasions où ces paysans commerçaient avec des expéditeurs moins connus et moins soucieux d'asseoir une réputation ou de respecter un certain code de l'honneur. Nous avons vu en effet avec les réseaux de clientèle combien, en matière de négoce maraîcher, l'équilibre de la transaction reposait largement sur la confiance mutuelle, la parole donnée.
De fait - ceci expliquant cela -, les grands expéditeurs furent également ceux dont le volume d'activité fut le plus important ; c'est principalement ce qui a "fait" une grande maison : sa surface financière ou, de façon plus générale, sa surface économique... L'envergure de ces entreprises se reconnaît au nombre de ses fournisseurs et de ses clients, qui composent son réseau, mais aussi au niveau du personnel qu'elles font travailler : aucune de ces maisons n'a, en effet, employé moins de vingt ou trente personnes à l'année - comprenons : régulièrement -, et quatre, cinq ou six fois plus durant les périodes de pointe de l'été.
On s'aperçoit finalement que ce qui vient différencier les grandes maisons des autres tient à ce que celles-ci ne réunissent jamais, en même temps, toutes les caractéristiques que l'on vient d'évoquer : certaines - comme les CHAIX, MITIFIOT, VASSE - eurent bien leur heure de gloire, mais cela dura peu ; d'autres, des maisons pourtant fort anciennes - PEGUE, DELAYE, SARNETTE, BAUD, BOUFFARD - n'eurent, faute de descendance ou d'envergure, qu'un développement bridé. L'approche monographique des familles d'expéditeurs nous révèle que le fondateur d'une grande maison n'est que rarement cavaillonnais... On se trouve ici dans le cas de "l'étranger" qui arrive sur la place, y entreprend, et y réussit.
Il ne vient certes pas de loin : FABRE de Cheval-Blanc, BOUSCARLE de L'Isle sur-la-Sorgue, CHAIX de Châteaurenard, VASSE de Robion, RAVAUTTE de Carpentras, MITIFIOT d'Orgon, FLAVIEN de Lamanon ; ces communes font partie de l'aire économique cavaillonnaise, bref d'un environnement très proche, mais ces initiateurs ne sont pas à proprement parler des autochtones, et surtout la plupart ne sont pas des citadins. Seule exception à la règle, E. ACCARIE, déjà installé dans le Cavaillon de 1891, un patronyme dont on trouve les premières traces au XVIIe siècle et qui semble donc être - au même titre que les DELAYE, SARNETTE ou PEGUE - de souche cavaillonnaise, et de longue tradition citadine.
Le modèle par lequel l'expéditeur entre dans la carrière et fonde "sa" maison est lui aussi relativement homogène. On remarque ainsi beaucoup d'associations, ou de reprises de fonds de commerce : le nouvel arrivant, très souvent d'origine rurale - fils de producteur, ou producteur lui-même -, s'allie à un expéditeur déjà installé. Les BOUSCARLE, FLAVIEN, MITIFIOT ou SOULIER opèrent de la sorte en succédant, après une phase d'association, respectivement aux DELAYE, GREGOIRE, PEGUE ou SARNETTE.
Dans plusieurs cas, cette alliance d'affaire se trouve complétée, et par conséquent facilitée, renforcée, par une alliance d'ordre familial, comme par exemple un mariage. On retrouve en effet souvent, dans les familles d'expéditeurs, d'autres patronymes traditionnellement liés à l'exportation cavaillonnaise : ainsi une PEGUE chez les ACCARIE, un ACCARIE chez les FABRE, une DELAYE chez les BOUSCARLE, une GREGOIRE chez les FLAVIEN... Si l'on ne peut pas affirmer dans tous les cas que ces alliés proviennent effectivement de familles d'expéditeurs - la vérification systématique reste à faire -, le fait est néanmoins troublant, et on reconnaîtra une certaine interpénétration entre les familles composant cette société de l'expédition.
D'ailleurs le mariage de Marius ACCARIE et Marie FABRE, qui sans aucun doute défraya la chronique cavaillonnaise du début du XXe siècle, n'est-il pas un cas exemplaire de ce type d'alliance?... Nous avons d'un côté une famille ACCARIE forte de quatre fils (Marius, Maurice, Etienne, Pierre), dont le chef est Etienne, le père, "gros" charretier converti à l'expédition, et déjà installé comme tel en 1891 ; en face, un Pierre FABRE qui conduit la destinée de "sa" maison d'expédition, une entreprise de très belle envergure, déjà la première sur la place, mais qui pour son "malheur" n'a qu'une fille, Marie. On devine la suite : Marius, l'aîné des ACCARIE, épousera Marie FABRE, assurant ainsi la pérennité de la maison "Pierre FABRE". Celle-ci a conservé cette enseigne, bien que, pour désigner cette branche particulière des ACCARIE, on parle habituellement des "FABRE-ACCARIE", la développant même, au point que l'entreprise continua d'être la première de toutes sur la place de Cavaillon. Nous touchons là du doigt, d'une part l'importance que revêtait à cette époque et pour cette activité le capital humain familial - il fallait un fils capable de prendre la succession -, et d'autre part - c'est une conséquence - la réalité du jeu des alliances, des relations entre expéditeurs.
c) Le métier d'expéditeur
"Il faut quinze ans pour faire un bon expéditeur...". L'aveu émane d'A. B., continuateur à la troisième génération de l'affaire Bouscarle, et il pense là principalement au temps qu'il faut pour parvenir à une bonne connaissance du produit, véritable clef de voûte du métier. On est en effet surpris de constater combien l'expéditeur est spécialiste, connaisseur du produit dont sa maison - et lui-même don- se sont fait une spécialité ; et lorsque l'appréciation vient du producteur lui-même, du paysan, elle n'en a que plus de force. Ainsi E.J., producteur, nous rapporte "qu'il ne fallait pas "la"faire à Ravautte en ce qui concerne le raisin... Il connaissait tout : les variétés, évidemment, la période précise de leur maturation, mais encore la qualité de chacune des parcelles chez chaque vigneron, de sorte qu'il pouvait s'entendre avec lui pour attendre les meilleurs raisins!..." . Dans une maison d'expédition, le patron reste le premier des acheteurs, et il n'a donc guère droit à l'erreur.
Bien sûr, il n'y a pas d'école de l'expédition... Si les expéditeurs des deuxième et troisième générations ont souvent un bon niveau d'études générales (secondaire, voire supérieur), le métier proprement dit, ils ne l'apprennent que sur le tas, par l'observation, au contact des aînés. Lorsqu'ils sont encore en âge scolaire, le temps des vacances se passe en général dans la remise où ils participent aux différentes tâches du travail d'expédition ; les études terminées, ils entreront dans la profession, à temps plein, pour parfaire leur formation. C'est ainsi qu'A. B., à force d'accompagner son père dans ses tournées pour acheter l'ail, deviendra un bon spécialiste du produit... Un apprentissage long donc, en général commencé jeune, pour ce qui est du fondement du métier : l'expérience du produit, et de la chaîne opératoire de sa transformation.
Il y a encore tout l'aspect relationnel, celui du négoce proprement dit, inhérent aussi à cette profession, une expérience qui là encore s'acquiert bien souvent sur le tas : par exemple, A. M. enverra son fils à peine âgé de 18 ans jusqu'en Bretagne se ''faire les dents" au contact de la clientèle...A ce niveau, l'expéditeur est tout à fait à l'image de la place qu'il occupe au sein du circuit de la marchandise : un personnage du milieu, intermédiaire, avec tout ce que cela suppose comme multiplicité de visages.
Homme de terrain et de terroir profondément enraciné dans la réalité locale, il doit l'être forcément, pour connaître personnellement les producteurs et leurs produits, entretenir quotidiennement avec eux les liens serrés qui les unissent, une relation qui, lorsqu'elle est verbale, doit par exemple toujours s'effectuer en provençal... Là, incontestablement, il est un homme "du pays", avec des origines qui d'ailleurs - on l'a vu - le rattachent à la terre.
Mais il se doit aussi d'être ouvert au monde, rompu à cette culture citadine plus attentive aux raffinements, aux connaissances générales, à laquelle l'essentiel de ses propres clients - des négociants maraîchers des grandes villes septentrionales - se réfèrent. S'il est vrai que la relation commerciale avec eux se réalise principalement par le biais du téléphone ou du courrier, s'il n'a donc que très peu l'occasion de les rencontrer, cela arrive parfois : ce pourra être lors de la tournée de fin d'année qu'il a coutume d'organiser auprès de sa clientèle ; ou lorsqu'il reçoit à Cavaillon certains de ses clients sur le chemin de la Côte-d'Azur, l'été, pour les amener manger à "Baumanière" (une hôtellerie de grande réputation), aux Baux-de-Provence, comme c'est l'habitude. Certes là, il doit faire bonne figure et savoir parler autrement que patois...
Ne négligeons pas enfin une troisième dimension de ce métier d'expéditeur qui reste la présence constante - au point d'être obsédante - du patron partout où circule le produit. On le trouve tôt le matin sur le marché pour acheter, superviser ses acheteurs, ou simplement se montrer, sur le carreau-même ou à proximité, comme au café "Fin de siècle" par exemple où il peut être joint au téléphone par ses clients. II regagne ensuite la remise, où il poursuit une activité de contact - téléphonique, épistolaire - avec la clientèle dont il se réserve en principe l'exclusivité : lui seul prend les commandes... Et là, dans sa "maison", du fait d'un espace en général très peu compartimenté, il se tient proche de tous les postes de travail, au milieu de ses employés, dont il surveille l'activité. A.P., employé chez FABRE, nous rapporte ainsi que la vieille Marie FABRE - la mère de ses patrons, et fille du fondateur - restait jusque fort tard le soir, assise sur une chaise, au beau milieu de la remise, à surveiller le travail des emballeuses...
d) La société des expéditeurs
Au sein de la société cavaillonnaise, quelle sorte de place occupaient les expéditeurs? Constituaient-ils un véritable groupe, homogène, une "société" aux limites marquées et au fonctionnement propre? ... La question s'imposait.
Le jeu des alliances (matrimoniales ou autres) nous a montré qu'il existait une certaine interpénétration entre les familles d'expéditeurs, de quoi donc former un système d'éléments unis par de nombreux liens. Mais dans ce domaine, aussi longtemps que l'étude ne sera pas davantage poussée, on ne pourra prendre la mesure exacte de cette imbrication, et ce qu'elle implique au niveau du lien social.
D'une part, c'est vrai, les expéditeurs - du moins les plus "gros" - constituaient ce qu'on pourrait appeler la bourgeoisie de Cavaillon : ils étaient les principaux donneurs de travail, et tous financièrement très à l'aise... De plus un certain code de l'honneur, qui consistait principalement à ne pas empiéter sur leurs réseaux respectifs de clientèle, de fournisseurs et de main-d’œuvre, créait d'abord le contact entre les membres de ce groupe, et faisait reposer celui-ci sur une communauté d'intérêts. Mais de là à dire que cette petite société se trouvait véritablement soudée, il y a un bon pas.
D'autre part on nous rapporte en effet que ces "grands" expéditeurs, tous fort individualistes, préoccupés par le renom de "leur" maison, évoluaient dans un climat de défiance permanente, de concurrence acerbe, au point que par exemple il ne leur fut jamais possible de s'entendre de manière durable ; on fit bien quelques tentatives, des "unions" furent créées (comme l'E.V.D. : l'Exportateur de la Vallée de la Durance), mais elles firent long feu... La cause, selon A. B., reste ce tempérament profondément "maison" de l'expéditeur cavaillonnais, son attirance pour le jeu des apparences, une propension au "bluff'' sans doute acquise dans la pratique du marché : "il nous fallait être toujours les meilleurs sur la place...". Mais on retrouve là aussi la trop fameuse méfiance paysanne, souche dont la plupart des expéditeurs sont issus. On cerne donc les limites de l'homogénéité du groupe.
Le syndicat des expéditeurs paraît avoir été le ciment unique de cette société ; cette institution rassemble effectivement toutes les plus grandes maisons de l'expédition cavaillonnaise. Mais il semble n'être qu'un outil de travail, principalement orienté vers la discussion des prix de transport - une question certes capitale - avec les responsables du trafic ferroviaire. Si on excepte en effet le repas de fin d'année - organisé dans un grand hôtel de Cavaillon, repas auquel ne semblent participer que les hommes -, ce n'est ni le lieu ni le moyen d'autres formes de sociabilité ludique pouvant réunir les familles de l'expédition.
Cette relation à l'autre, entre expéditeurs, paraît ne se réaliser que dans le cadre intime - de famille à famille, chez l'un ou chez l'autre -, suivant le jeu des affinités ; elle peut être plus diffuse encore, et permanente à la fois, liée à l'activité de travail comme à la récréation, avec une forme alors éclatée dans le temps et l'espace : c'est ainsi que tous les matins, les expéditeurs se côtoient sur le carreau du marché et dans les cafés environnants (en particulier au "Fin de siècle"), et qu'ils pourront ensuite se retrouver à la terrasse du "Grand café d'Orient", ou à son cercle de jeu, à la "Cigale" pour un spectacle, à l'hippodrome ou encore pour un match de rugby...
e) La remise et le logis
Nous évoquions plus avant cette présence quasi permanente de l'expéditeur sur le lieu du travail. Il faut savoir que si l'expression "maison d'expédition" nous renvoie, par le terme "maison", à l'idée d'entreprise - une maison professionnelle -, elle se fonde également sur le fait qu'un même bâtiment d'expédition, qu'il se compose d'un ou de plusieurs corps, abritait tout à la fois la remise d'expédition, espace du travail, et un espace d'habitation où résidait une "maisonnée", celle composée par l'expéditeur et sa famille. Adresses domiciliaire et professionnelle se confondaient donc, et c'est bien cela qui donnait tout son sens à la formule "maison d'expédition".
Le cas le plus fréquent, celui qui concerne les expéditeurs de petite ou de moyenne importance, nous présente une construction à deux niveaux dans un seul corps de bâtiment : le premier, qui s'ouvre sur la rue par une large porte (battante ou coulissante), est le lieu de la remise, tandis que le second va regrouper les pièces d'habitation. Ici le style est dépouillé, l'allure du bâtiment simple, pour ne pas dire pauvre, et l'osmose paraît totale entre l'espace du travail et celui de l'habitation : le second se superpose précisément au premier - même surface - selon un même alignement vertical. Seules en définitive les ouvertures de façade viennent différencier le logis de la remise : en bas une seule grande porte, et en haut des fenêtres, et souvent un balcon.
D'autres fois, plus rarement, on trouve la remise à côté de l'habitation. Le cas le plus exemplaire est celui de la maison CHAIX, sur le cours Carnot : on voit là une maison bourgeoise, massive et richement ornée, et à côté, attenante, la remise d'expédition (fig. 5). Cette configuration particulière met en valeur le logis - qui, dans ce cas précis, souligne l'opulence de l'expéditeur - et rejette au contraire la remise au rang de dépendance, bien que le lien entre ces deux corps de bâtiments soit manifeste.
Si la contiguïté des espaces instaure un peu plus de distance que n'a semblé le faire leur superposition, entre travail et habitation, on se trouve toujours néanmoins dans le cas d'un expéditeur qui "habite" le lieu de son activité professionnelle.
Ces dispositions architecturales ont évolué avec le marché lui-même et l'organisation de l'économie maraîchère qui elle aussi se transforme. Globalement, on note un éloignement progressif des deux espaces autrefois conjoints ; la "maison d'expédition" prend de plus en plus l'allure d'une simple "entreprise d'expédition".
Les établissements qui s'édifient à partir de la deuxième guerre mondiale marquent déjà une séparation nette entre le corps du bâtiment d'habitation et celui de la remise. Certes la distance n'est pas grande - on est sur la même parcelle -, mais il n'y a plus contiguïté (fig. 11). Et lorsque réapparaît, avec ces nouvelles constructions, le principe du logis au-dessus de la remise, celui-ci va néanmoins très nettement s'en distinguer par le simple fait de n'être pas sur un même alignement vertical (cf. ENTREPOT COMMERCIAL, 8 avenue Général Leclerc et avenue Germain Chauvin).
Avec la disparition du marché sur le "Clos" et l'installation du Marché d'Intérêt National dans la périphérie de la cité, le mouvement de distanciation touche à son point d'arrivée. Sur le carreau du M.I.N. en effet, l'espace bâti est désormais unifonctionnel, exclusivement consacré au travail ; ce ne sont plus que de vastes hangars jouant le rôle de remises ou d'espaces à bureaux ; et les patrons de ces entreprises résident maintenant hors de lieu, en ville ou dans la campagne cavaillonnaise.
4. Les travailleurs de l'expédition
En abordant le phénomène, poussé par quelques stéréotypes, je pensais que la richesse de l'expédition s'était toute édifiée, et exclusivement, sur le labeur des paysans. Or le recul et l'analyse nous montrent que si le producteur cavaillonnais a certes moins profité de ce "gâteau" du maraîchage que n'a pu le faire l'expéditeur, il en a tout de même largement tiré parti. Dans cette affaire, la catégorie de population qui semble le plus s'être tenue à la marge du bénéfice est incontestablement celle des employés de l'expédition, une "classe" que l'on pourrait considérer comme l'équivalent citadin des journaliers agricoles, main-d’œuvre parfois employée par le producteur.
Comprenons que dans le Cavaillon de ces années, celui qui n'est pas expéditeur ou qui n'a pas de terres pour être maraîcher n'avait pas d'autres choix que d'en venir, tôt ou tard, à se placer dans une maison d'expédition. Puisqu'en effet, nous dit-on, "il n'y avait que ça..." . On devine combien cette absence d'autres issues constituait ce petit peuple cavaillonnais - celui de la cité, ces paysans sans terre - en un réservoir inépuisable de main-d’œuvre, quasiment corvéable à merci, sur lequel l'expéditeur pouvait donc aisément asseoir l'activité de son entreprise. Les rares cas où ce contexte s'avérait profitable étaient ceux de couples où, le mari travaillant "hors expédition" (souvent comme fonctionnaire), la femme trouvait avec l'expédition un appoint facile à l'économie domestique, le travail ne manquant pas.
Le fait de parler d'une "classe" des employés de l'expédition ne doit néanmoins pas cacher qu'en son sein se trouvent des individus aux statuts forts différents.
a) Le noyau dur de l'entreprise
L'expéditeur s'est d'abord entouré d'un personnel d'encadrement auquel il confie les postes-clefs de son entreprise, que ce soit des tâches de confiance et de responsabilité (le comptable, le caissier, l'acheteur, le peseur) ou le travail de surveillance (contremaîtres), voire une activité de manutention, mais alors très spécialisée, celle qui concerne par exemple certains produits "sensibles" comme le melon. A ce niveau, la pratique du métier repose donc, soit sur l'expérience - souvent acquise à l'école - des comptes (caissier, comptable), soit sur une grande connaissance - souvent acquise sur le tas - du produit agricole (déballeur de melons, trieuse, acheteur) et du rapport humain (acheteur, contremaître...). Des "talents" qui sont en général reconnus, puisque ces gens-là sont d'une part embauchés à l'année et qu'ils gagnent - pour certains d'entre eux au moins - plus que les autres.
Ces employés, auxquels il nous faut ajouter quelques manutentionnaires particulièrement experts (emballeuses, hommes de peine), ceux que le patron estime les plus sûrs, c'est-à-dire tout à la fois les plus performants et les plus fidèles à ce qui serait "l'esprit de la maison", vont constituer le noyau de l'entreprise, un petit groupe de personnes (20-30 pour les grandes maisons) embauchées à l'année, sur lesquelles s'appuie donc le patron pour expédier le courant des affaires : nous avons vu en effet combien la maison d'expédition était soumise au rythme annuel de la production maraîchère, avec une bonne opposition entre le "creux" de l'hiver et la "pointe" de l'été... Ce sont des gens de Cavaillon, fortement insérés dans le réseau de relations contrôlé par la maison, ce qui rend cette main-d’œuvre d'une souplesse extrême : ils resteront chez eux quand le travail manque et, au contraire, se tiennent prêts à faire la nuit lorsqu'il y en a beaucoup... Des arrangements qui se révèlent en effet opportuns dans la mesure où ces emballeuses et hommes de peine, par exemple, s'ils sont bien employés à l'année, ne sont rétribués que sur la base des heures effectuées (pour les femmes) ou des journées (pour les hommes).
Dans ce schéma, l'acheteur occupe une position toute particulière ; on devine quel rôle-clef il joue ; une tâche véritablement spécifique au travail de l'expédition, qui repose finalement plus sur le négoce que sur la transformation du produit : à sa place, il seconde le patron dans le domaine des achats. Chacune des grandes maisons d'expédition possédait ses deux ou trois acheteurs ce qui, avec le patron, constituait une "équipe d'achat" de trois ou quatre personnes spécialisées dans un produit ou une catégorie de produits bien déterminés : c'est ainsi que l'on trouvait en général un acheteur pour le melon, un autre pour le raisin, un troisième pour les petits légumes, et peut-être un quatrième pour l'ail ou les asperges. L'acheteur avait en principe carte blanche, son patron ne lui fixant qu'une limite de quantité, celle dont il avait besoin pour compléter les apports directs et correspondre donc à la demande des clients : à lui de se débrouiller pour négocier le prix avec le producteur... S'il s'en sortait bien, tant mieux - mais son salaire ne s'en trouverait pas augmenté pour autant -, et s'il payait trop cher, c'était la remontrance... L'acheteur devait donc besogner : présent sur le "Clos" et ses environs durant une bonne partie de la nuit, il devait parfois faire la tournée des marchés alentour (L'Isle-sur-la-Sorgue, Sénas, Saint-Andiol...) pour acquérir la marchandise qu'il n'avait pu trouver à Cavaillon. Et il devait rentrer, encore, s'occuper à la remise... Comme nous l'explique en effet A. F., acheteur chez FABRE, le métier a subi une forte déqualification, avec pour conséquences immédiates et pratiques une augmentation du temps de travail et une banalisation de l'activité d'achat : on passe des acheteurs du début du siècle, hommes consacrés à cette seule activité et qui profitent largement des à-côtés inhérents au métier - souvent de caractère ludique : repas au café avec les producteurs... - aux acheteurs des années 1950 (lorsque A.F. entre dans la carrière) qui font presque figure "d'hommes à tout faire" de la maison d'expédition : rentrer à la hâte du marché, contrôler les arrivages à la remise, préparer l'expédition, aller en gare... quand on ne les appelait pas le dimanche pour ranger la remise, et préparer ainsi la semaine à venir.
Et cela, nous dit A.F., "seulement pour le double du S.M.I.G." Soit pour à peine le double du salaire de base, équivalent au S.M.I.G. d'alors, celui que gagnait le simple travailleur, un manutentionnaire. La grille des salaires de l'expédition se résumait en fait à sa plus simple expression : un salaire de base, et un salaire du double de celui-ci. Mais, bien entendu, ces cadres étaient rétribués tout au long de l'année.
b) Les "petites mains" et les "gros bras"
C'est sur ce petit volant de main-d’œuvre stable que s'agrégeait, l'été, la multitude des autres travailleurs : les saisonniers de l'expédition... S'il pouvait s'agir aussi d'employés de bureau, utiles aux tâches d'écriture et de petit contrôle - des étiquettes par exemple -, il s'agissait surtout de travailleurs de l'emballage et de la manutention dans la mesure où, durant ces périodes de pointe, ce sont essentiellement ces deux activités qui créent une surcharge de travail. Alors, le volume du personnel de l'expédition pouvait aisément quintupler, voire sextupler (150 à 200 personnes pour une grande maison).
L'activité d'emballage est exclusivement féminine : on nous parle ainsi d'emballeuses, et jamais d'emballeurs. C'est la manutention légère, un travail de "petites mains".
Le geste de travail, qui de prime abord peut paraître simple - il s'agit de ranger un à un les produits dans leurs emballages, en les triant un peu -, suppose tout d'abord une bonne connaissance de la marchandise, et mérite des mains plus ou moins expertes qui s'associent au traitement de produits plus ou moins délicats, fragiles. Nous avons vu que la production maraîchère comptait quelques produits-phares (melon, ail, asperges), porteurs de l'image de marque, d'autres sont, par nature, très fragiles (les fruits juteux : fraise, raisin, pêche...), une marchandise qui sera prise en charge prioritairement par les employées les plus habiles. Il existe donc une hiérarchie des qualifications au sein du corps des emballeuses, le sommet de celle-ci étant le plus souvent occupé par des femmes embauchées à l'année, des "fidèles" de la maison, qui jouent le rôle de contremaîtresses.
En période de pointe, les besoins en emballeuses sont tels que l'expéditeur ne trouve en général pas sur place la main-d’œuvre nécessaire : il la cherche donc ailleurs, dans le Cavaillonnais et son pourtour immédiat, surtout dans les petites villes, parmi ces "citadins" qui sont a priori libres de tout travail. C'est dans ce cadre que nous verrons par exemple de forts contingents d'emballeuses venir quotidiennement de Miramas, par le train, faire leur journée à Cavaillon, et repartir le soir.
Les hommes de peine, comme on les appelle souvent dans le milieu de l'expédition, constituent le pendant masculin du corps des emballeuses ; ils reçoivent d'ailleurs un salaire équivalent... Ils se consacrent à la manutention lourde : débarrasser les emballeuses de leurs cagettes quant elles sont pleines, les ranger en un lieu pour le ficelage et l'étiquetage, préparer les charrettes ou les camions qui partiront en gare et, plus tard, participer à l'opération de mise à quai et de chargement des wagons.
Dans la mesure où il est besoin de bien moins d'hommes de peine que d'emballeuses, l'expéditeur trouve en général sur place la main-d’œuvre qu'il lui faut : ce sont des Cavaillonnais de la cité.
Les conditions de travail sont difficiles. Les « petits » travailleurs de l'expédition durent par exemple revendiquer le droit à une pause pour le casse-croûte du matin ; le temps consacré au repas de midi est généralement bref, lui aussi (une demi-heure), et d'ailleurs les emballeuses qui viennent de loin mangent sur place, "presque d'une main". Mais ce sont les horaires de travail qui paraissent particulièrement démentiels. On l'a dit "il n'y avait pas d'heure..." . Et dans ces conditions mieux valait finalement habiter loin de Cavaillon, car on avait au moins l'excuse du train à prendre pour ne pas prolonger jusque fort tard sa journée de travail, voire même empiéter sur la nuit. A partir du matin tôt, si l'on tient compte des apports directs et de la part achetée sur le marché, les produits arrivaient quasiment en continu, une marchandise - périssable - qu'il fallait traiter au fur et à mesure, d'autant que l'on était tenu, en aval, par les horaires de départ des trains.
Mais il serait faux de dire que le rythme effréné de cette "industrie" maraîchère ne concernait que les simples employés de l'expédition ; tout Cavaillon en fait, avec toutes ses catégories de population, baignait dans cette effervescence laborieuse, particulièrement l'été, période de pointe. Nous verrons comment l'activité de marché sur le "Clos" occupait déjà, à elle seule, la plus grosse partie de la nuit ; dans la journée, le rythme du travail n'était pas moins intense, que ce soit dans les remises - l'emballage -, dans les rues et sur les routes - les livraisons de marchandises -, ou à la gare avec le départ des trains ; sans compter les pratiques d'une récréation nécessaire que l'on voit s'effectuer selon un rythme aussi vif. Devant un tel manège, la question ne peut que jaillir : quand dormait-on à Cavaillon ? ... C'est la réponse attendue que l'on me retourna de fait le plus souvent : "ici, l'été, on dormait pas, ou presque, à la sauvette... ".
c) Évolution de l'espace-travail
Si l'on a pu voir évoluer la forme générale de la maison d'expédition, notamment le rapport entre ses espaces du travail et de l'habitation, la modernisation de l'activité d'expédition, dont l'attribut principal reste la mécanisation des tâches, a tout particulièrement induit une transformation architecturale de la remise.
L'exemple le plus net est celui de l'apparition du quai de chargement : il fallut s'adapter en effet à ce nouveau moyen de transporter la marchandise qu'était le camion, et en faciliter le chargement. Ainsi tous les établissements construits ou réaménagés à partir des années 1940 furent équipés d'un quai, ce qui modifia effectivement le décor traditionnel de l'expédition cavaillonnaise.
Le changement concerne encore l'intérieur de la remise. L'arrivée de la trieuse automatique (1954) entraîna la disparition des "banques" qui jusqu'ici étaient en fait des comptoirs, larges étals de bois, fixés aux murs, à hauteur d'appui, sur tout le pourtour de la remise. C'est devant ces comptoirs que se tenaient les emballeuses, debout. L'activité d'emballage tend donc à se déplacer des bords vers le centre du vaste espace, où se dispose en général la chaîne du tri.
Cela dit, et en définitive, il ne nous faut voir dans ces transformations que des ajustements ; la mécanisation des techniques du transport et du tri ne bouleversent pas en effet de manière très significative l'organisation générale du travail au sein de la remise.
Celle-ci reste ce vaste espace, très peu cloisonné, ouvert à tous les travailleurs de l'expédition. Les emballeuses, au lieu de se tenir le long des plans de travail se postent debout autour de la trieuse ; et les hommes de peine troquent le chargement des charrettes contre celui des camions.
Certes, de l'avis même de ces travailleurs de l'expédition, cela marque un progrès, d'autant que cette facilitation du geste de travail a eu pour corollaire - c'est le temps du progrès social - une règlementation plus stricte du travail lui-même et de la protection des travailleurs : moins d'efforts physiques donc, horaires réguliers, surtravail récompensé, droit à l'absence... Mais ces mêmes informateurs se plaisent aussi à établir le parallèle avec ce qui, au contraire, peut apparaître comme une conséquence négative de la modernisation. Ils évoquent alors la disqualification du métier et de la connaissance du produit, l'accent étant mis aujourd'hui sur le calibre du produit, et c'est la calibreuse qui fait toute la besogne, les cadences mécaniques et, finalement, l'absence de travail... De sorte que ces gens nous l'avouent volontiers : " on ne saurait pas dire si avant c'était mieux ou moins bien qu'aujourd'hui".
5. Le circuit du produit
Après avoir noté quelques-unes des caractéristiques principales de l'organisation du négoce maraîcher et quels espaces de relations constituaient un cadre à la circulation du produit, voyons dans le détail quel est son cheminement particulier, au travers de l'espace et du temps.
a) Le lieu où naissent les produits
Si on veut la précision, on distinguera parmi les producteurs cavaillonnais les "sudistes" des "nordistes, deux "ethnies" dont les territoires respectifs auraient pour limite le Coulon.
Dans le sud de la commune, la propriété est extrêmement morcelée : c'est une succession de petites parcelles (entre un et trois hectares), séparées par des haies d'arbres ou de joncs ; un paysage typique de l'agriculture maraîchère, où la terre est légère, peu profonde, mais riche ; il correspond à une population de petits agriculteurs qui s'adonnent au maraîchage le plus souvent "en famille".
Au-delà du Coulon, vers le nord, les propriétés sont en revanche plus vastes (entre dix et quinze hectares) ; la terre y est profonde mais moins "active", ce qui oriente davantage ces sols vers la monoculture : sur cette surface domine d'abord la vigne (jusqu'après la deuxième guerre mondiale), puis le pommier. On trouve là une population agricole en général plus cossue, celle des exploitants, qu'il s'agisse de propriétaires ou de métayers ; et comme les parcelles sont vastes et les récoltes plus massives (par exemple les vendanges), il est fréquent que soit embauchée là une main-d’œuvre saisonnière importante.
Outre le statut économique et social, les paysans "sudistes" et "nordistes" du Cavaillonnais vont se différencier sur le style et le rythme de leur travail : à l'activité plutôt saisonnière des vignerons ou des arboriculteurs s'oppose le labeur de tous les jours du maraîcher.
Si quelques légumes ont aussi pu être plantés au nord du Coulon, l'essentiel du maraîchage se concentre donc dans la partie sud du Cavaillonnais. Là, sur une parcelle de taille pourtant réduite, l'agriculteur a pour habitude de subdiviser encore la surface de son terrain afin de consacrer chaque petit lopin à des espèces différentes : ici trois raies de salades, là cinq de haricots, ailleurs encore du melon... Il en sortira une étonnante variété de produits qui, on l'a souligné, a été l'un des appuis principaux de l'économie maraîchère.
b) Une journée à la ferme
Le travail maraîcher, plus que les autres spécialités agricoles, occasionne une forte dépense d'énergie. Selon les chiffres donnés par R. Pélissier, on constate que s'il faut quinze jours de travail annuel pour produire un hectare de blé, il en faut 180 pour un hectare de pêches, et 250 pour un hectare de melons ou de tomates. En outre, ici, la journée de travail agricole se trouve largement encombrée et alourdie par un impératif de taille : être sur le "Clos" tous les jours...Le chef de famille - puisque c'est bien souvent lui seul qui se rend au marché - ne se tenant pas sur son exploitation du soir au lendemain, tard dans la matinée, c"est donc la femme qui prend le plus souvent en charge l'exploitation, du moins en ce qui concerne les tâches matinales, et les moins pénibles (arrosage et petites cueillettes). On comprend, dans ce cadre, tout l'avantage qu'avait une famille à disposer d'un capital humain riche, notamment bien pourvu en garçons : alors qu'un jeune fils pouvait accompagner le père sur le marché, les plus grands enfants travaillaient sur la terre.
Jusque vers les années 1930, l'activité du maraîchage se réalise surtout au rythme du pas de l'animal, sa mécanisation ne se généralisant qu'après. La mule prévaut sur ces exploitations de taille réduite, où le travail est délicat : son pied sûr et fin convient par exemple à merveille pour passer entre les châssis sans les endommager ; pour les tâches plus lourdes (labours, charrois), sur des espaces voués à la monoculture, ou chez les plus riches des exploitants, on préfère le cheval.
L'après-midi toute la famille se retrouve sur l'exploitation ; le père est rentré du marché, et peut donc participer, prenant en charge les besognes les plus pénibles ; et ce n'est pas de trop car il faut désormais penser au voyage du soir : préparer les corbeilles, les charger sur la charrette... La diversité des contenants utiles au transport et à la manutention de la marchandise est à la mesure de la variété des produits pour lesquels ils sont prévus. Le producteur dispose en effet de plusieurs corbeilles ou sacs, un ensemble où chaque élément correspond à une catégorie déterminée de produits. Ainsi :
- la "mâne", une grande corbeille rectangulaire, au maillage large, en bois de châtaignier, est le contenant privilégié des légumes verts à longues feuilles : choux, salades, épinards...
- la "banaste" est plus petite, de forme évasée (une base plus petite que l'ouverture), faite de planchettes de bois tenues par deux ceintures de châtaignier ; d'abord de forme ovale, on en a construit par la suite des rectangulaires lorsque l'on s'aperçut que les melons y « présentaient » mieux ; c'est en effet le contenant prioritaire du melon, même si on peut y ranger aussi des légumes de taille moyenne, fermes et lourds (carottes, aubergines, courgettes)
- le "mussi", qui devint surtout un emballage d'expédition consacré aux raisins, était aussi utilisé par le paysan pour ses fruits ou ses légumes les plus fragiles ; c'était une corbeille ovale, en lattes de bois debout, évasée vers le haut
- le sac pour les pommes de terre, sac de grosse toile et de grande contenance : 50 kg ; on transportait aussi les légumes à gousse, en particulier les haricots, dans des "bourras" (simple pièce d'étoffe repliée en quatre).
c) Le "voyage" à Cavaillon
Si le terme "voyage" nous renvoie à l'idée d'un déplacement, il sert aussi d'unité de mesure en ce qui concerne l'activité de transport : c'est la quantité de marchandise portée par une charrette, en une seule fois (lors un même déplacement).
Il paraît certain que, pour le paysan, se rendre au marché représente bien plus qu'un simple acte économique : c'est aussi aller "à la ville" et profiter des plaisirs que celle-ci lui offre ; le meilleur d'entre eux étant peut-être justement le marché, avec son jeu et son effervescence... Il se trouve alors seul,loin de sa terre et des siens, pour passer là - on l'aura remarqué - une bonne partie de sa nuit et quasiment toute la matinée, c'est-à-dire pas moins d'une dizaine d'heures.
Dans la mesure où le marché commence tôt (entre 4 et 6 heures selon la période de l'année et le type de produit), où les routes vont être encombrées et où surtout, pour avoir une bonne place, il est nécessaire d'être parmi les premiers, il convient de s'y prendre à l'avance. Les producteurs prennent donc la route entre 22 et 24 heures, leur charrette ou leur Jardinière chargée de marchandises, et tirée par la bête. Plus tard, l'utilisation généralisée des véhicules à moteur (après 1945) permettra de réduire quelque peu - mais jamais de façon notable - ce temps consacré au marché.
Le fait que Je paysan habite à proximité ou non de Cavaillon joue peu. En effet ceux dont l'exploitation est proche de la ville profitent de cet avantage pour effectuer deux "voyages" ; lors du premier, ils viennent "marquer" leur place sur le carreau avec de la marchandise qu'ils laissent là ; Ils retournent ensuite chez eux pour dormir quelques heures, et rechargent enfin, tôt le matin, pour un second voyage. II ne faut pas plus d'une bonne demi-heure pour joindre, en charrette, la ceinture maraîchère de Cavaillon à la place du marché. Ceux de Robion, de Mériindol, du Thor ou de Saint Andiol, bref ceux dont la venue nécessite plus d'une heure, devront se contenter d'un seul voyage ; en faire plus grèverait trop lourdement soit leur temps de sommeil, soit celui du travail agricole.
Quant aux exploitants situés en des lieux plus éloignés encore (pays d'Apt, de Pertuis...), mais qui tenaient néanmoins à ce que leurs produits figurent sur la place de Cavaillon, ils confiaient leurs marchandises à des "groupeurs", sorte de courtiers, qui se chargeaient précisément de regrouper les produits - en faisant le tour des fermes avant de les conduire sur le carreau.
C'est ainsi que de nuit s'organisaient, se dessinaient de longs flux de marchandises convergeant vers la place du Clos, circulation, qui, en outre, s'effectuait selon des axes préférentiels. Les paysans en effet ne se mélangeaient pas ; ils manifestaient leurs différences jusque dans leur façon d'arriver sur le "Clos'' ; ces différences tenaient à leur localisation sur le terroir cavaillonnais et - on l'a vu - pouvaient en cacher d'autres.
Les vignerons du nord - à l'époque du raisin, donc - s'engouffraient dans Cavaillon par la route d'Avignon ; parvenus cours Gambetta, ils bifurquaient cours Renan, puis cours Carnot, avant d'arriver sur le Clos. Là, nous dit-on, à la pleine période du raisin, une longue file de charrettes (jusqu'au cours Gambetta!) attendait le moment d'entrer sur le marché.
Les maraîchers du sud, eux, étaient plus centraux ; il est vrai que leur terroir, cette ceinture maraîchère de la cité, occupait une place de choix dans le contexte économique local. Venant du sud et du sud-est de la commune, mais aussi de Cheval Blanc, des Taillades ou de Robion, ils abordaient Cavaillon par la place Gambetta, suivaient par le cours Victor Hugo, puis le cours Bournissac qui les amenait sur le Clos : un parcours de cortège, au cœur de la cité.
Quand aux producteurs de Sénas, Orgon ou Saint-Andiol, ces "Bédéères" qui au-delà de la Durance font figure d'étrangers, ils semblaient entrer dans la ville presque en catimini, par la route du Pont, puis l'avenue de Stalingrad (anciennement du "Clos"), une zone autrefois très peu urbanisée, périphérique, un chemin par lequel ils ne faisaient qu'effleurer Cavaillon.
Après avoir déballé, marquant ainsi leur place, et avoir remisé bête et charreton dans des "estables" proches de la place, ces producteurs prenaient quelques heures de repos, sommeillant à même le carreau, ou sur leur charrette, ou allaient rejoindre le café, en attendant l'ouverture du marché.
d) Le marché sur le "Clos"
Si le marché est règlementé - les délibérations municipales fixent les heures d'ouverture du marché, les conditions du transit sur le carreau, etc. -, si un lever de drapeau ou une sonnerie doit bien annoncer l'ouverture des transactions, et une autre sonnerie leur fin, et s'il est bien spécifié que vendre ou acheter hors ces délais est illicite, personne n'est dupe : rien n'empêche en effet un acheteur de s'entendre avec un producteur pour le lendemain, comme rien n'empêche cet acheteur d'intercepter la nuit le paysan avant même qu'il ne pénètre dans Cavaillon - sur la route du Pont, ou celle de Robion, pour convenir avec lui, selon la qualité de son "voyage", du prix et de la quantité sur lesquels, ils pourraient transiger... comme ce fut souvent le cas, une pratique presque érigée ici en sport national.
C'est dire que le marché, dans son allure la plus officielle, n'est que de pure forme ; il sert en fait à ce que les affaires qui n'ont pu s'effectuer avant puissent s'accomplir : c'est le cas d'un acheteur qui, n'ayant pas sa quantité, cherche à l'obtenir auprès des derniers arrivants, sur le carreau-même ; ou encore le cas de ces mêmes acheteurs qui, ayant acheté trop cher durant la nuit et voyant les prix chuter du fait d'une surproduction, cherchent à rétablir l'équilibre au dernier moment en "sabrant", c'est-à dire en rachetant à bas prix le surplus des marchandises...
Mais revenons aux formes. Le marché se tient sur le "Clos" tous les jours de la semaine, sauf le dimanche. L'heure d'ouverture des transactions est toujours très matinale mais variable en fonction de la saison (entre 4 et 7 heures) et de la nature du produit car, dans une même matinée, il y a en fait plusieurs marchés qui se succèdent : on passe ainsi des salades à l'asperge, aux pommes de terre, etc. Pour chacun des produits, le marché dure peu, cela va très vite : généralement une demi-heure, voire un quart d'heure.
Pour vanter sa marchandise, le maraîcher a à sa disposition une "montre", c'est-à-dire une corbeille pleine d'un échantillonnage des produits représentatifs de sa production. C'est un usage qui vise à faciliter le travail du producteur, qui ne doit pas ainsi déballer toute sa marchandise lorsqu'il arrive sur le carreau, pour la remballer ensuite et la livrer à la clôture du marché. II y a évidemment différentes manières, plus ou moins honnêtes, de composer sa "montre"...
La discussion du prix entre l'acheteur le vendeur est estimée close - après les détours que l'on peut supposer - lorsque le paysan va accepter le papier que lui tend l'acheteur - un papier à l'en-tête de la maison que représente l'acheteur -, un papier sur lequel cet acheteur aura inscrit le prix auquel il désire acheter ; c'est en effet le signe convenu, et il ne pourra y av0ir aucune contestati0n après, d'un côté ou de l'autre... Le vendeur conservera précieusement, cette trace de la transaction, qu'il présentera par la suite au caissier de la maison d'expédiiton.
Un deuxième son de cloche vient signifier que les marchandises vendues peuvent être enlevées. Les invendus, quant à eux, devront l'être à 10 heures au plus tard. Commence alors une longue procession entre le "Clos" et les remises d'expéditeurs.
e) Du "Clos" à la remise
Il y a deux manières d'apporter la marchandise vendue à la remise d'expédition : la charrier soi-même, ou louer le service d'un portefaix... Le choix entre l'une ou l'autre en fonction de plusieurs paramètres, étant très lié au moment et à l'occasion, par conséquent variable. Mais retenons que réaliser soi-même le travail constitue toujours une perte de temps considérable, non pas qu'il y ait à se déplacer beaucoup - la plus lointaine des remises n'est qu'à 700 ou 800 m du "Clos" (pl. 1 et 2) - mais surtout parce qu'il faudra beaucoup attendre : imaginons en effet tous ces producteurs que l'on a vu présents sur le marché et qui vont, tous en même temps, converger vers les remises d'expédition... D'où un trafic intense, de longues files de charrettes aux portes des remises, où il conviendra de prendre rang, et d'attendre... Aussi, ceux qui le peuvent s'y soustrairont bien volontiers.
Y échapperont de fait ceux qui n'ont à apporter qu'une petite quantité de marchandises : attendre pour si peu "ne vaudrait pas le coup..." Ceux encore qui, mal secondés à la ferme - pas ou peu d'enfants - ne peuvent se permettre de passer la matinée à Cavaillon alors que le travail attend... Ceux enfin, plus chanceux, qui, étant proches de la ville, ont pu durant la nuit effectuer un ou deux "voyages" sur le Clos, décharger, et ramener ensuite charrette et animaux chez eux pour avoir les mains plus libres : évidemment, à la clôture du marché, ils n'ont plus de moyens de transport disponibles... Ceux-là vont donc s'en remettre aux portefaix.
Ces hommes de peine, que l'on nous dépeint volontiers comme de rustres gaillards "capables de tirer eux-mêmes les charrettes", gravitent autour du marché et figurent comme l'un de ses rouages essentiels ; ils constituent une véritable corporation - bien que, semble-t-il, peu structurée ici -, et on devine encore à ce niveau l'existence de réseau de relations : faire travailler un portefaix un jour, c'est la garantie de pouvoir s'attacher son service le lendemain, si l'on en a besoin... D'autant que faire appel à l'un de ces transporteurs suppose une relation de grande confiance, d'une part entre le producteur et le portefaix à qui il confie là sa marchandise, mais encore entre le producteur et l'expéditeur chez qui le produit va être apporté, car alors aucun contrôle de poids ne peut être effectué sur le moment : si le paysan sait quelle quantité il cède, il ne peut qu'espérer que l'expéditeur la lui comptabilise exactement...Si pendant longtemps les producteurs ne furent pas payés tout de suite pour la marchandise qu'ils apportaient - on l'a vu, leur compte était soldé à la fin des campagnes -, l'usage de ce mode de paiement se répandit dès lors que le négoce maraîcher cavaillonnais se révéla trop foisonnant - décalé surtout par rapport aux réseaux traditionnels de la relation - pour que quelques excès ne s'y commettent pas. Une fois établi le poids de la marchandise, son prix l'ayant été par l'acheteur - sur le fameux "petit papier" -, le caissier de la maison donnait son dû au paysan, qui pouvait alors rentrer chez lui.
f) Dans la maison d'expédition
Le pesage des produits, première opération à s'effectuer lorsque la marchandise pénètre dans la remise, est un moment très délicat. On aura compris qu'avec sa qualité et son prix, le poids de la marchandise est un facteur tout à fait décisif pour déterminer si l'on a fait - ou pas - une bonne affaire. Des témoignages nous rapportent d'ailleurs comment certains expéditeurs indélicats ne parvenaient à payer leur main-d’œuvre qu'avec ce qu'ils "volaient" sur le poids : "un kilo par ci, et deux par la...cela finit parfaire des quantités!", nous fait-on remarquer. De sorte que si les producteurs confiaient en général volontiers leur marchandise au peseur de la maison avec qui ils avaient l'habitude de travailler, ils s'assuraient en revanche de la garantie du poids public - le poids est alors contrôlé par un agent assermenté, sur la bascule publique - avant de se rendre chez un négociant qu'ils ne connaissaient pas ou peu.
Une fois pesé, le produit est versé sur les "banques", en vrac, devant lesquelles se tenaient les emballeuses ; elles avaient près d'elles un petit escabeau de bois sur lequel était posée une caisse, "l'emballage", qu'elles devaient remplir, leur geste principal consistant à puiser sur le comptoir le produit qu'elles mettraient dans la caisse, effectuant au passage un vague tri, écartant par exemple les produits les plus marginaux, de par leurs dimensions (trop gros, trop petits) ou leur état de fraîcheur (les abîmés). On ne passa que plus tard, avec la normalisation du produit et la calibreuse automatique, à un tri plus fin.
Les emballages, au niveau de l'expédition, sont d'une variété moins riche qu'on ne l'a vu au niveau de la production. Jusque vers les années 1930, l'emballage n'était pas perdu - le destinataire devait en effet les retourner tous -, de sorte que l'on privilégiait alors des contenants tout à la fois légers et parfaitement emboîtables les uns dans les autres une fois vides ; le "mussi" convenait si bien qu'il devint l'instrument préféré de l'emballage : seuls les produits trop lourds ou trop gros (comme les melons) et ceux au contraire trop petits et délicats (les fraises) y échappèrent... Dans tous les cas, on utilisa plus ou moins la frisure - très fins copeaux de papier servant de protection - selon la valeur et la fragilité du produit. Plus tard, avec l'avènement de l'emballage perdu, s'imposa le principe de la cagette rectangulaire, de tailles diverses.
Une fois plein, le cageot échappe à la manutention féminine pour être pris en charge par les hommes de peine. Il est alors recouvert d'un papier - le "complexe" à l'en-tête de la maison - et ficelé. Les employés du bureau y apposent une étiquette, contrôlent une dernière fois ce produit désormais fini, prêt à partir pour la gare.
g) Le départ en gare
La dernière étape reste la mise à quai de la marchandise.
Les caisses de produits sont donc conduites dans l'enceinte-même de la gare, où les maisons d'expédition disposent d'ailleurs d'une seconde remise, très utile et adaptée pour ces derniers préparatifs. Le transport s'effectue en charrette (plus tard en camion) et, outre le chauffeur, plusieurs hommes de peine participent à l'opération - le chargement des wagons est en effet pénible -, ainsi que l'acheteur (ou un contremaître) qui supervise le bon déroulement des tâches.
Chaque colis a donc été étiqueté. Mais là, outre le nom et la marque de l'expéditeur, ne figure qu'un numéro - et, éventuellement la nature du produit - ; si, sur le registre de l'expéditeur, ce numéro correspond à un nom-destinataire (le client), celui-ci ne pouvait être à la vue de tous et il était donc caché, grâce à un système de pliage particulier de l'étiquette. Comme l'explique un préposé aux étiquettes, il devait, dans ce cadre de concurrence acharnée entre les expéditeurs, régner un mystère profond autour de la destination du produit : d'une part l'expéditeur tâchait de ne confier à personne d'autre qu'à lui-même la relation à la clientèle, et d'autre part, si le client venait à être connu, il demandait bien sûr à ses employés la plus grande discrétion.
Il faut dire que la mise à quai et le chargement à la gare, ce moment du départ de la marchandise, sont un espace et un temps particulièrement transparents où s'évalue le volume réel des affaires d'une maison. Si jusque là en effet l'expéditeur a pu "bluffer", se livrer vis-à-vis de ses concurrents au petit jeu de l'intimidation - la marchandise est à l'abri des regards, personne ne connaît le détail du marché qu'il a conclu avec le producteur -, en gare il ne peut plus tricher ; il aura retenu - la veille, après des responsables de la gare - un certain nombre de wagons sur les différents trains du lendemain, et ces wagons sont là, à quai, exposés aux regards de tous ; au mieux, constatant qu'un confrère charge beaucoup, l'expéditeur pourra, à la dernière minute, rajouter un wagon pour faire bonne figure - quitte à ne pas le remplir -
.On s'épie donc, on cherche à "s'esbrouffer", à connaître les clients du voisin, et c'est ce qui explique l'usage de ces longues promenades solitaires d'expéditeurs ou d'acheteurs, à bicyclette, le soir le long des quais...
On l'imagine, le trafic ferroviaire est ici à la mesure du rythme de la production maraîchère et de l'activité d'expédition : intense... Durant la période creuse, de novembre à mai, il part pour le moins trois ou quatre trains chaque jour de Cavaillon, dont le "Provence-Express" (vers midi) tout entier consacré à l'approvisionnement des halles de Paris ; deux autres desservent l'étranger (la Suisse à 12 h, l'Europe du Nord en fin d'après-midi) et un dernier enfin, le soir... De mai à novembre, au plus fort de la saison, le flux ferroviaire passe à six ou sept trains quotidiens (dont deux "Provence Express"), des convois composés de plusieurs dizaines de wagons chacun... Pour donner une idée du trafic qui s'organise là, de l’effervescence de cette activité de chargement et de va-et-vient permanent entre gare et remises d'expédition, avançons l'image, maintes fois rapportée par nos informateurs, de ces wagons que l'on finit de charger alors que le train roule déjà...
Le transport ferroviaire reste un moyen étonnamment souple, ce qui contribua aussi sans aucun doute au succès de l'économie maraîchère. Un petit expéditeur, qui n'a que quelques colis à envoyer, peut le faire ; il passe alors par un groupeur qui - comme son nom l'indique - rassemble toutes ces petites expéditions, et qui lui loue un wagon. C'était de la messagerie au sens plein du terme ou, comme le dit A. S., "comme la Poste... j'arrivais à envoyer de petites quantités à Dijon, Valenciennes ou Rouen".
On note parfois une corrélation entre les destinations de ces trains maraîchers, qui parcourent l'Europe du Nord, et la nature du produit qu'ils transportent : on pourrait en tirer une sorte d'éventail des goûts et des habitudes alimentaires européens. C'est ainsi que les asperges cavaillonnaises prenaient le plus souvent la direction de Londres, pour alimenter le marché de Covent Garden, les raisins "encore verts" celui de l'Allemagne, et les épinards celui de la Suisse. Il ne s'agissait là que d'orientations préférentielles de la marchandise, et en aucune manière d'exclusives : on retiendra en effet que l'essentiel de l'expédition maraîchère se composait d'une grande variété de produits.
Rouage essentiel de l'économie cavaillonnaise pendant près d'un siècle, l'activité des expéditeurs de produits agricoles semble avoir connu son apogée pendant la période de l'entre-deux-guerres, pour s'essoufler depuis une trentaine d'années suite au regroupement des exploitants en coopératives et à la création du Marché d'Intérêt National, autour duquel se sont regroupées les cinq plus grosses entreprises d'expédition de la ville. Plusieurs centaines de maisons d'expédition auraient autrefois coexisté, dont une trentaine seulement restent actives aujourd'hui. Dans leur grande majorité, elles sont encore spécialisées dans le conditionnement des melons, une minorité traitant l'ensemble de la production maraîchère. L'expédition s'est assortie longtemps de productions ou d'activités corollaires qui ont également à peu près disparu : seule une fabrique d'emballages fonctionne encore et le dernier commerce spécialisé en fournitures pour expédition est à la veille de cesser. La dégradation progressive de l'activité a souvent entraîné la démolition ou plus fréquemment la transformation des entrepôts, ce qui n'a permis le repérage que de 58 d'entre eux : 28 pour la période 1890-1920, 16 pour les années 1920-1950, 14 pour les années 1950-1980.
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Période(s)
- Principale : limite 19e siècle 20e siècle
- Principale : 20e siècle
Le repérage met en évidence une condensation des entrepôts à la périphérie immédiate de la vieille ville. Ils sont disposés sur des parcelles de surface très variable mais de forme relativement régulière et le plus souvent rectangulaire et peuvent compter de 1 à 5 corps de bâtiment, l'un deux comprenant un logement dans 75% des cas. Les maisons les plus anciennes comportent peu de bâtiments, lesquels se trouvent presque toujours sur la rue ; au contraire, les entrepôts les plus récents, éloignés du centre, bénéficient d'un espace plus grand et en retrait de la voirie : les constructions se multiplient autour d'une cour. On retrouve à toutes les époques une organisation similaire : un seul bâtiment, sur la rue ; deux bâtiments avec un sur la rue et l'autre en retrait, accolé ou indépendant, sur la cour (plus l'entrepôt est récent, plus les bâtiments sont isolés au centre de l'espace collectif). Le plus souvent, le bâtiment sur rue est la construction noble : bureau, habitation derrière laquelle se trouvent les entrepôts et hangars proprement dits. L'évolution qui caractérise les matériaux de construction n'est guère différente de celle des autres constructions : les premières années sont marquées par la nette prédominance des maçonneries revêtues d'un enduit lisse qur lequel se détachent des reliefs en pierre de taille. Dans les années 1920 on note une raréfaction du décor et un emploi réduit de la pierre. Les années 1950-1980 voient la disparition à peu près totale du décor ; la formule qui prévaut est celle de mçonneries badigeonnées. On notera la quasi-absence de constructions en agglomérés de ciment, ou autres matériaux contemporains. Les structures de charpentes en béton autour des années 1925-30 puis métalliques ces dernières années n'a rien de très original. Pour la construction des quais, utilisation d'une pierre extrêmement dure, dite pierre de banque, mais ils sont plutôt rares. Les entrepôts à un seul corps de bâtiment sont constitués en majorité de deux niveaux dont celui du haut abrite très souvent l'habitation. Dans le cas où il y a plusieurs bâtiments, le second est un hangar et le premier garde la double fonction. La différence essentielle de structure quand il y a plusieurs bâtiments est la présence d'espaces collectifs sous forme de cours situées de diverses façons. L'entrepôt, dans la première période, est un vaisseau unique de moyennes dimensions. Avec l'apparition de charpentes en béton, les volumes plus vastes sont divisés en nefs par des rangées de piliers. Il existe presque autant d'élévations extérieures que de maisons d'expédition ; elles sont simples et vont vers une raréfaction du décor. La période des années 1925-30 montre un plus grand soin apporté au dessin et au traitement des façades, période qui correspond à la mise au point de formules originales pour l'architecture des entrepôts.
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Toits
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Décompte des œuvres
- repérés 58
- étudiés 9
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
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- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
- (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Bibliographie
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GROSSO, René. L'évolution récente du Bas-Comtat. Dans : Provence Historique, tome XXVI, fascicule 106, octobre-décembre 1976.
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LIVET, Roger. Habitat rural et structures agraires en Basse-Provence. Aix-en-Provence : Annales de la faculté des Lettres, 1962.
-
MESLIAND, Claude. Un modèle de croissance : l'agriculture cavaillonnaise (XIX-XXème siècles). Dans : Provence Historique, tome XXVI, fascicule n° 106, octobre-décembre 1976.
-
PELISSIER, R. La production maraîchère et le marché de Cavaillon. Dans : Méditerranée, n°4, octobre-décembre 1964.
-
PERRETTI, Henri. Cavaillon au début du XVIème siècle. Étude économique et sociale. Dans : Provence Historique, tome XXVI, fascicule n° 106, octobre-décembre 1976.
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JAU, G. Cavaillon, pages d'Histoire. Aix-en-Provence : Edisud, 1990, 335 p.
-
VOVELLE, Michel. Société et économie dans le Bas-Comtat et la Moyenne Durance à la fin de l'Ancien Régime. Dans : Provence Historique, tome XXVI, fascicule 106, octobre-décembre 1976.
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Campagnes méditerranéennes, permanences et mutations, dir. (?) Marie-Claire Amouretti, Aix-en-Provence : U.E.R. d'Histoire, Université de Provence, 1977.
Chargée d'études documentaires DRAC/CRMH. 1er quart 21e siècle.
Opératrice de saisie Inventaire.
Chargée d'études documentaires DRAC/CRMH. 1er quart 21e siècle.