Sous l'Ancien Régime, les prébendes ou revenus ecclésiastiques de la paroisse de Saint-Julien étaient partagées entre les chanoines des chapitres collégiaux de Riez et de Barjols. Le territoire, caractérisé par un habitat dispersé composé d'une vingtaine de hameaux, était desservi par plusieurs lieux de culte. Les hameaux des Rouvières (dont faisaient partie en 1735 le Pigeonnier, Gilly, Peyrès, le Jardin, Solaye, la Chapelle, [bas] Puis-Neuf, [haut] Puis-Neuf, les Joncquières et la Bastide dite des Courcousias) étaient ainsi affiliés aux chapelles (disparues) Saint-Pierre et Notre-Dame-du-Plan situées dans la plaine, elles-mêmes placées sous la tutelle du chapitre collégial de Barjols. Les trop rares services religieux effectués à ces chapelles ainsi que l'éloignement et les difficultés d'accès à l'église paroissiale, conduirent les habitants des Rouvières à réclamer aux chanoines prébendés du chapitre collégial de Barjols et à la communauté de Saint-Julien, la construction d'une église succursale dans l'un de leurs hameaux. Il s'en suivit un procès devant l'officialité du diocèse de Riez, qui dura 10 années.
Le procès des habitants des Rouvières pour l'érection d'une église succursale
Le 23 février 1735, les habitants et propriétaires des hameaux des Rouvières (dits aussi de la Rouvière) chargèrent deux procureurs, Joseph Berne et Louis Burle, de demander à la communauté de Saint-Julien ainsi qu'aux chanoines percevant la dîme sur leur territoire, l'érection d'une église succursale desservant leurs hameaux. Une lettre à l'évêque datée du 9 mars 1735 signale le commencement d'un procès devant l'officialité du diocèse de Riez (dont dépendait la paroisse de Saint-Julien). Ce procès fut mené par les habitants des Rouvières contre les chanoines décimateurs de l'église collégiale de Barjols Pierre Dille et Jean-Baptiste-François d'Estienne du Bourguet1, le vicaire de la paroisse, Jean-Baptiste-Constance Dille, et les consuls et la communauté de Saint-Julien.
Les archives paroissiales (disparues) et les actes qu'a laissés ce procès, transcrits dans la revue Le nouveau glaneur du Var en 1913-1914, permettent de préciser la chronologie du projet de reconstruction et les arguments des parties. Les habitants des hameaux des Rouvières invoquent en faveur de leur requête l'éloignement de l'église paroissiale, sa situation topographique demandant de gravir une colline, ainsi que l'impraticabilité des chemins y conduisant. Ils estiment que tous ces facteurs empêchent la population "considérable" de leurs hameaux (plus de 260 âmes de communion) de recevoir les sacrements de baptême, d'eucharistie et d'extrême onction, et de pouvoir faire enterrer leurs morts dans un délai convenable. Sont évoqués les cas des habitants décédés sans avoir bénéficié de l'assistance d'un prêtre, des enfants disparus sans avoir pu être baptisés ou qui meurent au cours du trajet effectué à la paroisse pour y être baptisés, ainsi que le coût de 12 livres, hors dépense d'enterrement, que ne peuvent assumer la plupart des habitants pour faire transporter leurs morts jusqu'à la paroisse. Les fidèles disent se cotiser régulièrement pour payer cette somme en venant en aide aux familles les plus pauvres. Le difficile accès de l'église paroissiale empêche également les habitants d'assister à la messe. En conséquence, ils émettent le souhait que la nouvelle église soit bâtie "dans l'un des hameaux le plus commode pour les habitants", et qu'un prêtre y soit affecté.
Les chanoines rétorquent qu'ils paient un prêtre pour dire la messe aux chapelles de Saint-Pierre et de Notre-Dame-du-Plan, que la population est moins élevée, l'éloignement moins considérable, les chemins moins mauvais et les principaux hameaux moins impliqués dans la requête que ne le laissaient entendre les habitants des Rouvières. Ce à quoi les habitants répondent que les 36 personnes portant la requête constituent deux tiers de la population, que les chapelles mentionnées sont aussi éloignées des hameaux que ne l'est la paroisse, et que la messe n'y est dite que quelques fois durant l'été. Ils demandent à l'évêque d'envoyer un maître arpenteur pour vérifier la réalité de leurs dires (1735, 1736). Sa visite est consignée dans un extrait des registres du greffe de l'officialité de Riez daté du 13 septembre 1736. S'en suit un rapport sur l'éloignement de l'église paroissiale et l'état des chemins "pour débouter les habitants des Rouvières", cité dans une délibération de la communauté datée de 1740. Le 10 avril 1741 a lieu le dénombrement des habitants dans le but de vérifier l'importance de la population des hameaux.
Condamnation par l'archevêque
Un accord est obtenu étant donné que le 12 juin 1745, les habitants protestent à nouveau contre le chanoine Capus (successeur de Bourguet), qui a consenti à l'érection de l'église succursale, mais souhaite la faire placer "au quartier de la dixinerie" (dîmerie ?), aussi éloigné des Rouvières que ne l'est l'église paroissiale. Les habitants demandent que le lieu où sera bâtie l'église soit choisi par l'évêque.
Le 10 novembre 1745, ce dernier rend une sentence ordonnant l'érection de l'église succursale dans l'un des hameaux de la Rouvière. Avec l'édifice devront être bâtis un cimetière clos de murs et un presbytère. Les dimensions de l'édifice et ses fonctions sont précisées : pour pouvoir contenir l'ensemble des habitants, l'église sera de huit cannes de longueur par quatre de large hors d'œuvre, d'une hauteur proportionnée et dotée de fonts baptismaux. Un prêtre nommé par l'évêque y assurera le service religieux, à l'exception des sacrements de la communion pascale et du mariage qui demeureront à l'église paroissiale. Les prébendés devront payer 150 livres annuelles à ce prêtre, et fournir les ornements nécessaires à l'église. Enfin, par cette sentence, les chanoines Dille et Capus, le vicaire Dille et la communauté de Saint-Julien sont condamnés aux dépenses les concernant. Le vice-gérant de l'officialité du diocèse se rend sur place le 9 mai 1746 pour désigner l'endroit où faire construire l'église succursale, qui est marqué d'une croix. Ce lieu est finalement situé dans l'un des hameaux (il n'est pas précisé lequel), et non "au centre des dîmeries".
Mise en œuvre du projet architectural
Le 22 mai 1747, les habitants voulant faire accélérer la procédure, demandent l'expertise d'un géomètre pour fournir un devis. Ce devis est confié à Pierre Granet le 10 juin 1747, par ordonnance de l'intendant. Ce dernier révoque un plan "irrégulier et défectueux" dessiné par le vice-gérant de l'officialité, qu'il convainc les habitants de faire réduire.
Granet dresse un devis daté du 6 juillet 1747, pour un coût de 5 700 livres, détaillant le projet de construction. Il propose une église de 7 pans de largeur, l'intérieur avec 4 pilastres en saillie de 3/4 de pans avec corniche à la naissance de la voûte, qui porteront deux arcs, outre celui du choeur. L'édifice sera voûté d'ogives en plâtre et éclairé de trois fenêtres, plus une quatrième fenêtre au-dessus de la porte d'entrée. Le sol sera pavé de carreaux de terre cuite carrés. Le chœur sera séparé de la nef par un degré, qui sera placé où les habitants le décideront. La sacristie sera voûtée et aura une fenêtre à l'est. Les élévations nord et sud auront un avant-toit constitué d'une génoise à trois rangs de tuile. L'église sera couverte d'une charpente en peuplier soutenant la toiture. Le clocher sera fait au-dessus de la porte de l'église, il aura 3 pans de largeur par 7 de hauteur. La communauté est tenue de fournir l'emplacement pour un four à chaux à l'entrepreneur, qui est sommé d'avoir achevé l'édifice dans les 3 années suivant l'acte.
De nouveaux conflits s'en suivent (1747, 1748) à propos d'un "capage" (imposition) de chaque habitant demandé par la communauté afin d'exécuter la construction (finalement abandonné pour une mise aux enchères des travaux), de l'attribution des travaux du presbytère (finalement, les habitants des Rouvières seront simplement chargés de loger le prêtre), mais aussi du devis de l'église et de son projet architectural (nouveau devis payé à Granet le 6 février 1748, proposition des consuls du 16 février 1648 de faire bâtir l'église conformément à la chapelle des pénitents située sur les aires à l'est du village). Des acomptes sont finalement versés par les chanoines prébendés (160 livres) et la communauté (1 200 livres) pour la construction entre 1750 et 1752.
Par acte du 14 janvier 1751, les habitants, voyant que la communauté n'exécute pas le devis assez rapidement, prennent entièrement la charge de construire et d'entretenir à perpétuité l'église et de construire un presbytère, en fixant la somme de 3 600 livres "par abonnement proportionnel" (subvention) avec celle-ci. Ils la déchargent également de l'obligation de payer pour tout futur agrandissement de l'édifice. Ils obtiennent en échange l'autorisation de faire bâtir deux fours à chaux dans le défens de la communauté. Etant désormais maîtres de la conception de leur église "selon leur choix et arbitrage", ils réussissent par le jeux des enchères, et en "faisant bien de changements au devis", à faire baisser le prix des travaux.
L'acte du 8 mars 1751 indique que les travaux sont attribués aux maîtres maçons Denis Gonbert de Valensole, Jacques Arnaud de La Verdière, Louis Buerle de Saint-Julien et Antoine Nègre d'Esparron-de-Verdon, qui s'engagent à les réaliser dans un délai de deux ans pour le prix de 1 500 livres. Le prix-fait prévoit une église de trois cannes en largeur pour huit en longueur dans œuvre, sa porte en pierre de taille avec au-dessus une fenêtre "en ovale" et un clocher, l'intérieur comportant quatre fenêtres, la voûte soulignée d'une corniche, le sol pavé de "carreaux de brique". Du côté droit de l'autel doit être bâtie une porte permettant d'accéder à la sacristie de "douze pans de diamètre en carré" avec une petite fenêtre. L'intérieur devra être enduit d'une couche de plâtre "crépi" et blanchi de plâtre blanc. L'extérieur sera enduit et "grané par-dessus avec du bon mortier". La couverture avec génoise à deux rangs de tuile portera des tuiles "bâties selon l'ordre de Marseille".
L'acte du 19 mars 1751 signale que le prix-fait est finalement attribué à Denis Gonbert, Antoine Negré et Louis Buerle, qui baissent leur offre au prix de 1 388 livres en conséquence d'une nouvelle proposition des maçons Pierre et Joseph Negré d'Esparron-de-Verdon pour 1 400 livres. Le prix-fait est légèrement modifié : les quatre fenêtres mentionnées dans l'acte précédent seront réalisées pareillement à celles de la chapelle des frères pénitents blancs de Saint-Julien. Ces quatre baies, aujourd'hui bouchées, sont toujours visibles sur les élévations nord et sud de l'église.
L'acte du 26 juin 1751 consigne une quittance de 270 livres reçues par les maçons Louis Buerle et Antoine Negré pour "une augmentation de travail de six pans à l'entour de l'église" et "l'augmentation des murailles de la sacristie de la même hauteur que celles de l'église". Une autre quittance aux mêmes maçons est enregistrée par l'acte du 27 janvier 1752, puis une dernière à Antoine Negré par un acte établi le dernier jour du mois de mars 1753. L'église a donc été bâtie entre le 19 mars 1751 et le mois de mars 1753. Le 15 mai 1753, les habitants font l'acquisition d'une bastide appartenant à Pierre Berne pour y loger le prêtre desservant la nouvelle église. Le 22 avril 1755 sont payées 12 livres au peintre François Sénès pour la peinture "de la chapelle". Achard cite la succursale de la Rouvière, desservie par un curé et trois vicaires, à la fin du 18e siècle.
Malgré l'achèvement des travaux, les procès continuent : les prieurs décimateurs ou prébendés sont mis à contribution par la communauté pour le paiement du chœur de l'église, dont le coût avait été estimé à 1 200 livres, soit un tiers des 3 600 livres initialement prévues. Mais en 1757, le chanoine Joseph Marcel Clermond (remplaçant Capus), étant donné que le coût final avait été réduit par les habitants des Rouvières, exigea que la différence de la part qu'il avait payée lui soit remboursée (720 livres ou 3/5e de la somme). Plusieurs sentences du tribunal de la ville d'Aix s'ensuivirent, jusqu'à un accord établi le 25 février 1764 chez le notaire Pourcelly de Saint-Julien.
Reprise du vocable de la chapelle des hameaux de la Rouvière et hypothèses de développement urbain autour de l'église succursale
L'église reprend le vocable d'une chapelle, localisée dans le hameau éponyme, dont l'emplacement n'a pu être déterminé. On en trouve mention dans les archives tout au long du 18e siècle. D'après Malausse, la chapelle du Saint-Nom-de-Jésus apparaît dès 1693. Les transcriptions d'archives de la revue Le nouveau glaneur du Var citent régulièrement une chapelle située dans un hameau dit de la Chapelle, parmi ceux des Rouvières. Au cours du procès des habitants des Rouvières devant l'officialité de Riez, le chanoine Nicolas Gaudemar établit un procès-verbal d'enquête le 17 avril 1741 "dans la chapelle du Nom de Jésus, au hameau de La Chapelle, terroir de Saint-Julien". Le 31 octobre 1743, l'évêque condamne les chanoines prébendés à payer annuellement 150 livres pour "le service de la chapelle des hameaux", les habitants étant tenus de réparer la nef et le logement du prêtre, et la communauté de payer les frais du procès. "L'ancienne chapelle" est réparée par Gasagne en 1746 pour le prix de 54 livres. Le 10 mai 1749 est mentionné un prêtre desservant "la chapelle des hameaux" de la Rouvière, où se réunissent encore les habitants le 1er février 1750. La chapelle a-t-elle précédé l'église succursale à son actuel emplacement ? R. Jardin situe l'édifice sur "le col de la plus haute Rouvière". Le cadastre de 1823, s'il figure tous les lieux-dits cités en 1735, omet celui de la chapelle.
Le 29 août 1761, un état de rôle (disparu) des hameaux de la Rouvière transcrit par R. Jardin signale, outre les lieux-dits cités en 1735 (le Pigeonnier, Gilly, Peyrès, le Jardin, Solaye, la Chapelle, [bas] Puis-Neuf, [haut] Puis-Neuf, les Joncquières et la Bastide dite des Courcousias), l'existence d'un "hameau de la plus haute Rouvière". C'est à partir de 1823 que l'on peut voir sur le cadastre que le toponyme de Rouvière ne désigne plus seulement un ensemble de lieux-dits, mais un hameau à part entière. L'apparition du "hameau de la plus haute Rouvière" cité en 1761 signale-t-elle qu'un habitat s'est aggloméré autour de l'église ?
Après la Révolution
Le rapport d'estimation de 1793 indique que la "chapelle" du Saint-Nom-de-Jésus située au hameau de la Rouvière a son couvert extrêmement délabré, que sa voûte menace ruine et que les murs de façade sont très dégradés par l'humidité, "étant dominés par un terrain supérieur". Le 26 avril 1804, l'archevêque d'Aix demande au préfet que le traitement du prêtre desservant l'église soit assumé par les deux communes de La Verdière et de Saint-Julien, arguant que la paroisse des Rouvières comporte une partie du territoire de La Verdière (hameaux de Brauch et de la Mourotte). Par conséquent, il contient deux tiers d'habitants de Saint-Julien et un tiers de La Verdière payant leurs impositions dans ces deux communes. Il indique que l'église est toujours érigée légalement en succursale. D'après Malausse elle devient une paroisse en 1805, ce que semble confirmer une délibération communale du 12 mai 1825 qui indique que l'église succursale des Rouvières, qui n'était qu'une annexe de l'église paroissiale de Saint-Julien avant la Révolution, a depuis été érigée en succursale indépendante.
Le 28 janvier 1836, une délibération indique que l'église a besoin d'être réparée : la sacristie est dégradée, les murs sont endommagés et le chœur laisse pénétrer les eaux pluviales. Le presbytère est à peine habitable en hiver. Le 16 mai 1839, l'architecte Gianani produit un devis pour réparer la sacristie et les enduits. Les travaux sont réalisés par l'entrepreneur Laurent Philibert et le rapport de réception est dressé le 31 octobre 1841.
La fabrique de la paroisse des Rouvières alerte le conseil municipal le 1er janvier 1854 sur de nouvelles réparations à faire : pavé de l'église (surtout du sanctuaire), toiture de la sacristie. L'ingénieur L. Just dresse un devis le 26 avril 1854, portant sur la toiture de la sacristie à laquelle il faudra placer des tuiles neuves, la réfection des enduits des façades, le placement d'un tirant du mur nord au mur sud, le carrelage du sanctuaire, l'enduit du chœur, mais aussi la disposition générale : le déplacement des fonts baptismaux, l'établissement d'une chaire à prêcher. Le procès-verbal de réception est daté du 28 novembre 1856. La tribune et la chapelle des fonts baptismaux ont donc probablement été construits à l'occasion de la campagne de travaux de 1854-1856.
Le 11 avril 1858, le conseil signale, avec d'autres dégradations, que l'oculus "tout vermoulu" a été à moitié "emporté par le vent".
Le cadastre de 1823 indique l'existence d'un cimetière attenant à l'élévation nord de l'édifice. La pierre en saillie sur la chaîne d'angle nord-est de l'édifice servait probablement d'appui au mur d'enceinte de ce cimetière. Le 9 janvier 1856, la translation du cimetière est projetée à l'ouest du hameau. Un projet d'agrandissement est prévu en 1914.
L'avant-toit en briques visible sur la façade principale a peut-être été installé par le maçon Barthélémy en 1897, ainsi que l'indiquent les comptes de la paroisse des Rouvières. Au sommet de la façade principale, on peut lire l'inscription : REPARA ELAPSUM / AGE PROESENS / CUM GAUDIO SPERA FUTURUM / 1899, qui signe probablement l'achèvement de cette campagne de restauration.
La fausse voûte du chœur a probablement été aménagée à la fin du 19e siècle, pour accueillir le nouveau maître-autel, que l'inventaire de 1906 précise avoir été "bâti par le peuple des Rouvières".
Maître maçon et géomètre de Rians (Var). Il dresse les plans des églises d'Artigues et du hameau des Rouvières à Saint-Julien (Var) durant le 2e quart du 18e siècle. Il réalise l'église d'Artigues.