"Dans sa montagne des Maures, Capelude est de ces premiers chantiers de forestage hâtivement installés, loin d'un village, en des endroits souvent difficiles d'accès. (C'est le cas aussi de La Pradelle dans l'Aude, de Chadenet et de Meyrueis dans la Lozère). On était justement impatients de dégager les camps de Rivesaltes, du Larzac, de Saint-Maurice-l'Ardoise. On avait guère le temps de creuser les problèmes sociologiques que pose d'un coup l'intégration de près de six-mille familles venues pour la plupart du fond du Bled : cinquante-cinq ou soixante-mille personnes - des enfants dans la proportion des deux-tiers...L'expérience aidant, nous avons fait mieux, depuis...Nous avons appris qu'il est préférable d'être loin du lieu de travail - le rendement dût-il en souffrir - que loin du village et de l'école...Ainsi s'exprimait en toute loyauté ce matin à Cucuron, l'un des collaborateurs de M. Perony, l'ancien préfet d'Oran qui dirige les service d'accueil et de reclassement des musulmans français. Nous venons de découvrir à la Roque-d'Anthéron les bâtiments d'un nouveau hameau forestier prêt à recevoir 25 familles de Harkis : sous les pins, tout près du bourg, et près de la Durance domptée, et de l'admirable abbaye cistercienne de Sylvacane. - notre conseiller général se met en quatre pour les Harkis, nous avait dit un cultivateur du voisinage...A Cucuron où les habitant ont la gentillesse provençale la plus ouverte, le maire M. Brieugne, est tout acquis à la cause de ces Français musulmans, souvent endeuillés parfois meurtris dans leur chair, qui ont tout perdu par fidélité à la France, bref, à l'égard de qui nous avons contracté de si lourdes dettes.

Un instituteur pied-noir : le hameau forestier de Cucuron est posé sur une éminence - parmi les oliviers mutilés par les terribles hivers de 1956 et de l'an dernier - à la frange même de cette belle cité de vieille pierre et de tuile romaine, toute chargée d'histoire. (Pour le moment, les habitations neuves des Harkis rompent l'harmonie du paysage toscan au pied du noble Luberon. Une teinte neutre, bien choisie, assourdira bientôt, souhaitons-le, l'offense de l'aggloméré gris et des toitures de fibro-ciment). "Nous avons fait mieux depuis"...Il est réconfortant que les Harkis et leurs familles chargées d'enfants en bas âge, sont bien logés dans les hameaux plus récents que celui de Collobrières - à quelques centaines de pas d'un village charmant, de son école, de ses magasins, de son marché, de son cinéma-salle des fêtes...Et que ces logis clairs sont tenus avec un soin méticuleux. Dans une pièce en bout de bâtiment, la télévision. C'est là, dans la journée, qu'une jeune monitrice (elle fut assistante sociale en Algérie) enseigne à la petite population féminine l'art d'être bonne ménagère et mère vigilante. A l'autre extrémité une salle de classe : une vingtaine d'élèves, garçons et filles de 5 à 14 ans. Leur maître me dit : -Seuls l'aîné et les touts-petits n'avaient jamais fréquenté une école, ils y prennent goût, mais il me faut leur parler en arabe parfois pour leur traduire mon enseignement. Six garçons seraient déjà mêlés aux petits Provençaux du cours complémentaire, si l'école de Cucuron n'était archicomble, ils y seront à la rentrée d'octobre : une subvention va permettre de doter le village d'une classe préfabriquée...en attendant l'extension depuis longtemps espérée du groupe scolaire...

Une heure plus tard nous pénétrions dans la cité de Jouques : un millier de musulmans qui ont opté pour la France, vivent là, à l'orée des bois de pins, dans les habitations qu'avaient construites l'EDF pour son personnel lors des travaux d'aménagement de la Durance. Grande école, dispensaire, bâtiment d'administration, épicerie, coiffeur, rien n'y manque. Les chefs de famille travaillent dans les conserveries de fruits et de légumes des environs et dans les fermes ou à l'usine de Cadarache..."

Village ? Disons pour rester dans le vrai, "village-satellite" de Collobrières. Il s'élèvera dans quelques semaines, au coeur des Maures, en contre-bas de la belle et pittoresque route, reliant Collobrières à Grimaud. Là est comme une vaste cuvette. Donnant sur le Midi, ensoleillée d'un bout de l'an à l'autre, elle est plantée de fleurs aux coloris divers la décorant harmonieusement. Tout autour, des pins, des chênes-lièges, des chênes-verts et des chataigners. C'est le lieu-dit Capelude. Et c'est qu'est actuellement bâti le "village-satellite". Pour qui cette petite cité ? Pour les Harkis récemment rapatriés d'Afrique du Nord.

Un village qui n'est encore qu'un chantier

Nous avons hier voulu visiter ce village qui n'est encore qu'un chantier où s'activent 15 ouvriers algériens. Et nous l'avons fait en suivant Victor Mathieu, le sympathique maire de Collobrières et le délégué du Ministère de l'Intérieur. Notre cicerone fut, en la circonstance le sous-officier chargé des affaires algériennes. Cicerone éclairé et pour qui, déjà, la cité ou, plus exactement ce que dans quelques semaines elle sera, n'a plus de secret. Les travaux sont fort avancés. déjà le gros-oeuvre est terminé. C'est une succession de plates-formes, faites au bulldozer, bétonnées et cimentées. Leur rôle futur les exige robustes et solides. Elles sot en effet les bases des futures constructions qui seront hautes de trois étages. Deux de ces bâtiments sont déjà construits. En préfabriqué, ils comptent des appartements d'une surface de 40 mètres carrés. Le nombre de pièces varie avec celui des futurs occupants. L'assemblage des divers éléments est activement mené. Il est vrai qu'il est l'oeuvre de spécialistes. Aussi l'administration espère pouvoir livrer - clefs en main, pour employer la formule consacrée - les premiers logements pour la mi-décembre.

L'école au village

Une trentaine de Harkis est sous peu attendue. Ce qui représente approximativement 115 personnes, à qui s'ajoutent 7 à 8 fonctionnaires appartenant aux administrations appelées à les aider. Dans ce nombre sont environ 30 enfants. Leur instruction ne sera pas abandonnée. Au contraire ! Chaque matin ils prendront le chemin de l'école qui se trouve au village. Un établissement moderne et coquet, entièrement terminé, les accueillera. Deux institutrices veilleront à leur instruction. Et les repas ? La municipalité y a, heureusement songé. Dans la salle des fêtes, une cantine a été installée. Mais ceci n'empêchera nullement bals, soirées et autres fêtes de la jeunesse, de se dérouler comme par le passé dans cette salle. Elle sera, en effet, libre dès 17H. Ce qui combine l'utile (pour les écoliers) à l'agréable (pour les jeunes gens). Matin et soir, un car assurera le transport des petits algériens.

Les Harkis

Les "harkis" tirent leur nom d'un groupe de tribut. Du temps de la guerre d'Algérie, alors qu'il combattaient aux côtés de l'armée française, on les appelait des" supplétifs". Ce qui littéralement signifiait : employés en supplément par l'armée française. Ces "harkis" appelés à peupler ce petit village sont libérés du service militaire, donc des civils. Ils sont employés à des travaux forestiers.

L'eau

Il y a encore beaucoup à faire. Un problème, cependant, de première urgence, a été heureusement résolu : celui de l'eau. A la Capelude est une source coulant d'abondance toute l'année. On l'a capté et réalisé un système d'adduction qui la conduit dans un bassin circulaire, actuellement en construction, d'une contenance de 30 mètres-cubes. Il formera une réserve alimentant les divers logements et leur dépendance. Pour ce qui de la nourriture et des vêtements, les commerçants de Collobrières y pourvoiront. Avant de quitter le village, le délégué du ministère de l'Intérieur s'est longuement entretenu avec M. Victor Mathieu de l'organisation de la future cité algérienne.

"...[]...A la suite des grands incendies de forêts de juillet dernier, l'Administration à jugé utile l'implantation de détachements de Harkis dans la région des Maures. Ces hommes seront appelés en cours d'années à des travaux dans les forêts domaniales, communales, et même si besoin est, dans les forêts particulières. En période estivale, ils répondront au premier appel en liaison avec les pompiers pour combattre les sinistres. Un camp est en création au hameau de Capelude à 13km de Collobrières, sur la route de Grimaud. Les constructions s'élèvent rapidement. une trentaine de logements sont prévus. Pour les enfants des classes préfabriqués ont été édifiées et le transport des élèves sera effectué matin et soir. Je ne peux vous donner de grandes précisions sur le recrutement à titre civil des Harkis. En effet plusieurs administrations sont appelées à donner leur concours : Génie Rural, Construction, Education nationale et Eaux et Forêts. En fait je crois que c'est cette administration qui coordonne tout sous la direction d'un Délégué du Ministre de l'Intérieur. Il doit y avoir, sauf , des Harkis à Collobrières, Bormes, Gonfaron, Pignans, Carnoules, Puget-Ville et Pierrefeu. Je vous conseille vivement, pour obtenir un résultat rapide, d'écrire ou vous mettre en rapport avec Monsieur l'Ingénieur Principal, 11 rue Berthelot à Toulon."

"J'ai le devoir de vous signaler les faits suivants. Le 2 janvier dans la soirée, une personne est venue avertir le Docteur de Collobrières, qu'une femme harkie était sur le point d'accoucher au hameau de Capelude, où est situé le village de Harkis, distant de 14km, en pleine forêt. Le docteur est parti immédiatement et dans la nuit les opérations étaient terminées. Je tiens pourtant à vous signaler qu'il n'y avait aucun des responsables désignés pour aider dans des cas semblables ces braves gens éloignés de tout centre et encore incapables de se débrouiller seuls. Le chef de camp était parait-il en vacances et l'assistante sociale permanente n'était pas à son poste. De plus la salle contenant toute la pharmacie était bouclée. Il est particulièrement regrettable, au moment où certaine presse s'empare des moindres incidents pour dresser l'opinion publique contre les Pouvoirs Publics, que de tels faits se produisent."

24 octobre 1962 : hameau de Capelude

- création d'un service de ramassage en raison de l'installation des familles de Harkis au hameau de Capelude situé sur le territoire de la commune mais à 14 km des groupes scolaires du village. Et qu'il y a lieu de prévoir un transport scolaire d'enfants qui fréquenterons l'Ecole publique obligatoire. Demande de subvention.

- agencement et équipement d'une cantine scolaire dans les bâtiments communaux mis à leur disposition pour les 40 enfants de Harkis. Création. Demande de subvention. Allocation de la loi Barangé.

- création d’une cantine scolaire pour 40 enfants de Harkis, frais de fonctionnement, demande de subvention.

27 septembre 1963 : hameau de Capelude

- transport des enfants de Harkis ; contrat de service de ramassage d'écoliers pour l'itinéraire Camp de Capelude vers les écoles primaires du chef-lieu, 14km aller, 14km retour.

2 octobre 1965 ou 1966 : projet de création d'un deuxième camp de Harkis

" Le Maire fait part au Conseil qu'il est saisi d'une demande du préfet, délégué près Monsieur le Ministre de l'Intérieur en vue de créer un deuxième camp qui serait destiné à des familles harkies. Actuellement celui occupé situé au hameau de Capelude, serait réservé à des Harkis célibataires, ainsi le 2ème créé recevrait plus spécialement des familles et pour ce faire il devrait se situer à proximité du village et peut-être au quartier de Marianne sur propriété municipale. Ce rapprochement au village faciliterait la réintégration et réduirait les dépenses scolaires, notamment la suppression du service de transport des écoliers. Le Maire met cet important projet à la discussion générale. Les Membres du Conseil, après s'être exprimés pour et contre avec beaucoup de chaleur, font ressortir que la vocation touristique de notre Cité où toutes les réalisations locales sont axées dans cette branche d'avenir susceptibles de procurer de nouvelles ressources en remplacement de celles anéanties par suite de la maladie de la forêt des pins, que l'implantation d'un camp de Harkis ne devrait pas choquer l'optique des admirateurs de notre Village provençal et de ses alentours.

Mais, par contre, épris des plus nobles sentiments humanitaires et sociaux, une majorité s'est dégagée par répondre favorablement à la demande ministérielle. En conséquence le Conseil à la majorité décide de mettre à la disposition du Ministère de l'Intérieur :

1) un terrain communal lieu-dit La Chapelle situé à 1500m, section cadastrale G 419, d'une contenance de 11 hectares 57, permettant aux enfants d'âge scolaire de fréquenter les écoles communales de Collobrières en s'y rendant à pieds.

2) que les constructions d'habitation devront présenter un caractère quelque peu provençal, respecter le plus possible les espaces verts et que l'ensemble ne sera pas en contradiction avec les inspirations touristiques dont Collobrières en fait vocation.

3) la dépense comportant les travaux de viabilité devra être supporté en totalité par le Réalisateur.

12 juillet 1968 : implantation d'un nouveau camp de Harkis du Village de Collobrières

"Monsieur le Maire fait part d'une lettre de Monsieur le préfet du Var par laquelle il signale que cinq nouveau hameaux dont 2 dans le Var sont prévus dans le cadre de défense des forêts contre l'incendie ainsi que le regroupement des familles de harkis dans la région Provence Côte d'Azur Corse. Il demande au Conseil de bien vouloir envisager les possibilités sur les propositions concernant l'implantation éventuelle de hameaux sur le territoire de la commune, particulièrement concernée par les feux de forêt. Il reste entendu que l'édification des logements qu'il convient d'offrir aux familles de ces travailleurs tels que chalets préfabriqués groupés en hameau, sera prise en charge par le Ministère de l'Agriculture sur des terrains fournis comme précédemment par les communes intéressées. [...] Le conseil unanime se déclare pour l'implantation d'un nouveau camp de Harkis sur le territoire de la commune qui serait édifié dans la mesure du possible à proximité de l'agglomération et plus exactement sur parcelle communale au lieu-dit "La Chapelle".

Ce regroupement de chantiers d'anciens harkis permettra d'affecter le plus grand nombre d'ouvriers aux travaux de protection et de reconstitution prévu par l'article 2 de la loi n° 66.505 du 12/07/1967. D'autre part ces travailleurs apporteront le complément de main-d'oeuvre nécessaire à l'équipement et à l'entretien des périmètres de protection forestière ainsi qu'à la lutte contre les incendies. Enfin la proximité de ce hameau (1km) permettra une intégration quasi-totale de ces familles, compte-tenu des inconvénients par l'expérience du hameau forestier de "Capelude". Il serait souhaitable dès maintenant, et c'est le voeu unanime du Conseil municipal, de pouvoir disposer de travailleurs harkis pour l'entretien des abords immédiats des pistes et plus précisément de C.V.O. 4 et 5, et piste de Valescure. Il serait donc utile d'intervenir en ce sens auprès des services de la Direction Départementale de l'Agriculture, et le cas échéant de prendre une délibération adéquate".

3 décembre 1968

- avenant au contrat pour le transport scolaire entre Collobrières et le hameau de Capelude

 29 octobre 1971

- participation communale à la création d’un nouveau puits destiné à l’alimentation en eau potable du camp de Harkis

14 janvier 1972

- problèmes que pose la scolarité des enfants de Harkis ; création d’une classe enfantine de 2 à 4 ans au hameau de La Chapelle, non réalisée

- ramassage scolaire des jeunes enfants du hameau

- marchands ambulants au hameau de Harkis, réglementation, sauvegarde du commerce local, intégration des habitants du hameau

17 mars 1972

- transport scolaire hameau de Harkis à moins de 3 kilomètres

"Ces jeunes élèves fréquentant l'école communale et malgré une intelligence constatée, ils ne peuvent rattraper le niveau de leurs camarades français. Néanmoins, lors de l'organisation de l'année scolaire 1965-1966, 6 écoliers harkis seraient affectés au cours complémentaire de La Crau. Or, nous devons reconnaître qu'ils ne pourront suivre positivement et avec succès les cours du Centre de La Crau. Ainsi le but recherché serait voué à l'échec. Il semblerait plus sage et dans l'intérêt de ses enfants de continuer leurs études primaire à l'école communale de Collobrières en vue d'obtenir le certificat d'études."

Capelude :

Enregistrement 1

Quand on est arrivé par le bateau (on devait aller en Corse) on a été à Rivesaltes ; y’avait que des ronces, il fallait qu’ils (les hommes) déblayent pour se faire une petite place propre, dans des tentes, c'est ma mère qui m'a raconté. Elle me portait sur le dos parce que j’avais mal aux pieds on n’avait pas de chaussures. Puis mes parents sont venus directement à Capelude. Je l’ai dit à ma cousine que j’aimerais bien retourner à Capelude. Je me rappelle que je jouais dans les vignes et je faisais du couscous. C'est à 15km, on dirait que ça fait presque le double à cause des virages.

On était par bâtiment si je me rappelle bien 4 familles par bâtiments en ciment ensuite de l’autre côté aussi 4 familles

A la chapelle c’était les mêmes bâtiments sauf que à Capelude c’était en ciment et à la Chapelle c’était des préfabriqués ; il y avait une école pour femmes à Capelude (où il y avait un bus). Elle se trouvait en bas chez Gautier le premier maire qu’on a connu là-bas. C’était son terrain. J’ai connu Capelude et le hameau de la Chapelle, je suis arrivée à l’âge de 5 ans et demi. Quand j’étais petite à Capelude, on me courrait après pour m’attraper faire les vaccins ; il y avait un chef de camp (M. Dumerac ?) il était très gentil c’était un couple très gentil ; on avait un foyer où on allait écouter de la musique nous à l’époque on ne savait pas ce que c’était on se demandait d’où ça sort nos parents ils n’avaient rien, rien connu de tout cela ; après j’avais la pochette de Sylvie Vartan et je me revois assise avec cette pochette et du coup on m’a appelé Sylvie et c’est resté depuis des années…Chez mes cousins dans ma famille il y a beaucoup d’enfants qui portent des prénoms comme Aline, Jeannette, Annette, Fabienne…J’ai de bons souvenirs pour nous petits mais c’était quand même de la souffrance de la misère…les logements, le froid, le chaud, l’humidité moi je m’en rappelle, j’ai 64ans, mes pieds je ne peux les poser par terre parce que quand on était à Capelude, je me rappelle le ciment par terre c’était rugueux, c’était pas carrelé et je saignais toujours des pieds, je me revois encore en train de pleurer et ma mère déchirer ces robes pour me faire un pansement pour pouvoir marcher j’ai gardé toutes ces séquelles ; on avait le bus jusqu’à Collobrières pour se rendre à l’école, on avait un bon chauffeur Nistre ?

Enregistrement 2

Après Capelude on a déménagé en 1970 au hameau, des camions nous ont rapatrié…Je me rappelle après il y a eu de bons souvenirs mais ce qui était c’était cette souffrance, cette misère, qu’on avait rien…Ma mère achetait des conserves, quand elles étaient vides je faisais la sauce dans une et l’autre je faisais des trous avec des clous et des pierres pour faire le couscous, je voyais ma mère le faire…je lui prenais un peu de graine et pour la viande étant donné que c’était la misère, on avait pas beaucoup à manger je regardais les jeunes garçons qui faisait les pièges et je faisais la même chose je prenais une pierre avec un petit bout de bois et un peu de pain pour attraper des oiseaux, oh peuchère qu’il me pardonne maintenant je les nourris ; après je le plumais. Mon père travaillait pour l’ONF, 72 francs par mois on pleure ; c’est pour ça qu’on était obligé de se débrouiller avec les moyens du bord…on était 3 filles les allocations nous donnait 10 francs…Et ma mère une sainte femme chaque fois que le facteur nous portait les sous elle lui donnait le petit pourboire…mes parents étaient originaires de Tizi Ouzou, le village Ouaghenoum…Ils ont soufferts, ils ont été déracinés et n’ont jamais pu repartir sauf une fois ma mère…Mon papa a fait toute sa carrière à l’ONF…il avait une toute petite retraite, quand il est décédé ma mère recevait 308 euros…

De Capelude j’ai gardé des images de là où on était : le bâtiment, le petit jardin, un figuier on était toujours en dessous et toutes les femmes étaient assises entre elles, elles prenaient le café ma mère leur préparait un genre de gâteau avec des œufs, de la semoule, de l’huile…on avait des poules, des lapins…pas les débuts mais après car mes parents n’avaient pas de voiture mais mon oncle et M. Bouzid qui nous emmenaient à Cogolin faire les courses…M. Dumeral m’a emmené chez le dentiste…On Savait rien , on était vraiment ignorant, nos parents qu’est ce que vous voulez qu’ils nous apprennent ? A part nous donner à manger…on n’avait pas de vie, on était dehors pour gambader… des fois quand j’y repense je pleure même toute seule…il y avait les Noël le père-Noël était descendu en hélicoptère si j’ai pas rêvé à Capelude et j’avais eu une guitare en plastique et les garçons la voulaient tous

On avait rien, on avait les toilettes à la turque et il n’y avait pas de salle de bains, un lavabo avec des bassines en ferraille, un poêle à bois, l’électricité était coupée avant 22 heures (quelques heures par jour), il y avait un groupe électrogène, livrés en eau, pas de frigo pas de télé ; pour conserver le mouton on utilisait le sel et le faisait sécher ; ma mère roulait la graine de couscous, elle au moins 100kg, on faisait la graine nous-même à partir du blé, avec de l’eau, 3 tamis, puis séché au soleil ; on avait une chambre avec des lits superposés, on avait pas de table, on dormait dans la salle principale ; tous les logements étaient identiques sauf certains avec 2 chambres…Capelude c’était le pire hameau, on était dans un trou, on se demande comment on a pu supporter cela. On se demande comment ils faisaient les parents les pauvres…J’ai toujours dit qu’on était des indigènes, on venait nous livrer à manger en camion tube, boulangerie, boucherie à Capelude (Gamtelme) 

Pas de bus scolaire à la Chapelle, tous les déplacements se faisaient à pieds

Enregistrement 4

« on allait chercher le bois pour les parents » « petit poêle fourni, récupéré , pas neuf » je n’ai jamais vu quelque chose de neuf pas de table on mangeait par terre ; on nous donnait des vêtements…On cultivait pois chiches, haricots verts, oignons, poivrons, on faisait notre pain nous même

Enregistrement 5

A Capelude à la recherche du figuier : les bâtiments se trouvaient côté route ; le garde forestier habitait la maison en dur (maison du maire), le foyer et un bâtiment étaient en hauteur ; il y avait des vignes.

Enregistrement 7 :

Hameau de la Chapelle : il y avait une cabine téléphonique ; M. Chabert (garde) habitait un baraquement ; il y avait des potagers ; Mouloud vit avec sa fille ; il y avait en bas le garage ONF (machin vert) pour le camion et tout le matériel : 4 logements transformé en 1 (y vivent à 4) ; cuillères en arbousier, bruyère, chêne vert et bois d’olivier ; 84 ans en retraite depuis 21 ans ; Mouloud ici depuis 61 ans ; arrivée depuis 1970 ; travail (débroussailleuse) La Verne, Cogolin, Lambert ?, la Garde Freinet, Gonfaron, juillet aout on faisait la patrouille pour surveiller les feux incendie surtout ; 11 (le plus jeune à 43 ans) enfants toujours à Collobrières ; le logement est un peu chaud l’été ; encore 3 ou 4 en vie parmi les personnes du hameau, beaucoup sont partis vers Hyères ; ses enfants et sa femme ont participé au tournage du film « Harkis » ; il me plait de vivre ici ; arrivé à 23 ans avec son père qui travaillait à l’ONF, mère, frère, soeur…toute la famille a vécu 8 ans à Capelude et puis on est descendu à Collobrières ; pas retourné en Algérie ; « faut pas y aller là-bas » ; je ne pourrai rester ici ; appartient à la commune ; 2 autres maisons sont encore habitées sur le site dont la cousine de Aldjia ; petit potager ; murier, abricot, figuier

"En forêt les Harkis se sont toujours signalés, et se signalent encore par leur bonne volonté et leur dévouement. Au fil des ans ils ont réalisés un travail considérable : aménagement de pistes, plantations d'arbres, débroussaillement des forêts communales et domaniales.

A la saison des feux, ils sont mobilisés. Pas question de prendre des congés quand l'incendie menace. Le chantier de forestage de Collobrières comme les autres d'ailleurs scinde ses effectifs en 2 groupes. Les uns patrouillent en forêt à titre de prévention avec des "Danger" véhicule doté d'une citerne et d'une moto-pompe de premier secours, les autres poursuivent leurs travaux dans les bois. Quand l'incendie éclate ils le combattent. ils aident les pompiers à déployer les manches, dégagent les points d'accès à la serpe et à la tronçonneuse.

Cet été on a vu les Harkis de Collobrières sur les feux de La Rayol Canadel, de Cabasson, de Cavalière et sur leur propre commune où ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes.

M. Joseph Rubis, employé de l'ONF participe à leur encadrement depuis 1972 et constate simplement que chaque année le chantier de Collobrières débroussaille quelques 120 hectares. Parfaitement intégrés, ils entretiennent aussi les pistes et les aires d'atterissage pour les hélicoptères. Mais qui les remplaceront à l'âge de la retraite ?"

Gardiens de la mémoire des harkis de la forêt

Environ 10 000 harkis et membres de leurs familles ont vécu en France dans des hameaux de forestage, où ils furent logés à leur retour d’Algérie. Un passé dont certains veulent maintenir la trace.

Gonfaron et Collobrières (Var), Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), Ongles (Alpes-de-Haute-Provence)

Le chemin caillouteux a été rendu boueux par les violents orages de la veille. Il grimpe au milieu d’une pinède méditerranéenne sur les hauteurs de Collobrières, un village du Var niché au cœur du massif des Maures. Au sortir d’un virage, de la fumée s’échappe du toit d’une modeste bâtisse isolée, faite de panneaux préfabriqués.

Le décor semble sorti d’un autre temps. Quand il s’est agi de tourner un téléfilm se déroulant au début des années 1970, Harkis, sorti en 2009, il a d’ailleurs servi de cadre parfait. « Des gens montent jusqu’ici parce qu’ils ont vu le film », raconte Amar Raïah. Pour lui, ce n’est pas un paysage de cinéma. Âgé de 52 ans, ce fils d’un supplétif de l’armée française durant la guerre d’Algérie y a grandi, entre pins et eucalyptus. De temps en temps, le Varois à l’allure sportive dort encore dans la baraque de son enfance pour soutenir ses parents, Mouloud et Dhjoër.

Le couple de personnes âgées n’a pas voulu quitter les lieux pour une habitation plus confortable, contrairement à ses voisins. « Ce sont eux qui ont monté ces murs, plaide leur fils. Ici, c’est chez nous, c’est notre histoire, on est parfaitement intégrés. Moi, je peux parler provençal, je chasse le sanglier, je le mange. Je ne vais pas lâcher ce terrain. »

Le logement des Raïah est l’un des rares à être restés debout tels quels. Il est aussi l’un des tout derniers à être encore habités par leurs occupants d’origine parmi les centaines qui ont été bâtis sur le même modèle pour héberger des harkis subitement reconvertis en forestiers. À partir de 1962, une partie de ces « Français musulmans rapatriés », comme ils étaient dénommés, ont en effet été employés et logés par l’Office national des forêts (ONF). « De supplétifs de l’armée, ils sont devenus supplétifs de l’ONF », résume l’historien Abderahmen Moumen, chargé de mission à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

Les autorités françaises pensaient avoir trouvé la bonne solution pour offrir à la fois un toit et un emploi à des hommes peu qualifiés, qui étaient hébergés avec femmes et enfants dans des hameaux de forestage comme celui de Collobrières. Éparpillées essentiellement dans le sud de la France, ces structures d’accueil – au nombre de 69 ou 75, selon les décomptes – se trouvaient plus ou moins éloignées de villages. Parfois, elles hébergeaient plus d’une centaine de personnes à la fois.

Pour l’État, la formule avait aussi l’avantage de maintenir cette population à l’écart des immigrés et des pieds-noirs dans un contexte de crainte de reprise de la guerre d’Algérie en métropole. Au fil du temps, 10 000 membres de la communauté harkie sont ainsi passés par ces sites, qui relevaient de « la ségrégation au long cours », selon Abderahmen Moumen. Parfois, cela n’a représenté qu’une parenthèse, des baraquements étant désaffectés dès les années 1960. Mais certains ont été déplacés d’un lieu à l’autre avec leurs familles ou sont restés au même endroit pendant plus de trente ans.

La quasi-totalité de ces hébergements précaires ont aujourd’hui disparu, comme c’est le cas à Gonfaron, où ils ont été rasés pour être remplacés par un lotissement. Dans cet autre bourg varois, seules quelques dalles en béton, les fondations, ont subsisté. Mais quand Rabah Mekaref s’extrait de l’arrière de la voiture pour poser le pied au milieu de villas au bout d’une route, il n’hésite pas. « J’habitais là, derrière le poteau, dit le septuagénaire. Et encore avant, là où il y a une piscine. »

Salah Alouani, lui non plus, n’a rien oublié. « Chaque fois que je monte là-haut, je me revois à l’époque », assure-t-il. Alors adolescent, il a découvert Gonfaron en décembre 1963. « On était montés à pied, poursuit-il. Il n’y avait pas de chemin. Le chemin, c’est nous qui l’avons fait. » Ces forestiers ne se contentaient pas de replanter des arbres ou d’en couper. Ils contribuaient aussi à lutter contre les incendies, en treillis, armés de pelles et de pioches. « Parfois, on partait une semaine entière pour tailler des coupe-feu, reprend-il fièrement. Un jour, un pompier m’a dit : “Les harkis, on n’aurait pas pu les remplacer.” »

Dans les rangs des ex-supplétifs, la discipline demeurait militaire. Les chefs de hameau, souvent d’anciens soldats, y veillaient et des « monitrices de promotion sociale » se chargeaient de l’éducation des femmes. « Ces chefs avaient tout pouvoir et ils ne se gênaient pas pour en faire usage, se souvient Ali Amrane. Les gens avaient peur. Dès qu’une famille posait problème, on l’expédiait vers un autre hameau. »

À 54 ans, cet éducateur sportif appartient à la deuxième génération de harkis, celle qui s’est révoltée dans les années 1970. Né dans le camp de transit de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, il a habité jusqu’à ses 20 ans dans les baraquements de Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes. Soixante-cinq familles y ont vécu entre 1964 et 1986, à 3 kilomètres de l’école. « On était isolés de tout et on restait entre nous, se rappelle-t-il. Les enfants de ”Français de souche” ne venaient jamais nous voir et on avait honte de les inviter. »

Les contacts en cours de récréation et les parties de foot ont fini par favoriser l’intégration des plus jeunes. Aujourd’hui, Ali Amrane est conseiller municipal à Grasse et président du collectif des associations harkies des Alpes-Maritimes. Il a milité pour que soit conservée au moins une partie du cadre de sa jeunesse. À ses yeux, ces vestiges ont tout autant de valeur que les plaques commémoratives, comme l’État est en train d’en apposer actuellement (lire les repères ci-contre). « C’est important d’avoir un lieu de mémoire et de rencontre », insiste-t-il.

Trois bâtiments d’époque, alignés, ont échappé aux pelleteuses quand une école a été construite sur place, en 1986. Repeint de frais et rénové, l’un d’entre eux sert de salle pour les mariages et les enterrements. Hamoud Séby et André Séby ont l’habitude de la fréquenter. Âgés respectivement de 72 et 76 ans, les deux hommes ont connu l’un des premiers hameaux de forestage, à Ongles, dans les Alpes-de-Haute-Provence, avant de se retrouver sur la Côte-d’Azur.

Un lieutenant de l’armée française, Yvan Durand, avait évacué toute leur « harka » de Kabylie. « La plupart étaient illettrés, souligne André Séby. C’étaient des montagnards et des paysans. Quand on est arrivés à Ongles, les gens nous ont pris pour des sauvages. Cinq autres villages nous avaient refusés. Après, ils ont compris qui on était et d’autres communes se sont mises à réclamer des harkis pour les repeupler et remplir les écoles. Quand on est repartis, les commerçants et les villageois ne voulaient plus qu’on s’en aille. »

Aujourd’hui, quelques ruines rappellent leur séjour. Le village bas-alpin abrite aussi dans son château une exposition consacrée à cet épisode, au sein de la Maison d’histoire et de mémoire d’Ongles (MHeMO) présidée par Belkacem Gueroui. « C’est la seule vitrine que nous ayons en France et qui parle de nous sans polémique, commente ce dernier. Un petit village a eu ce courage, alors que plein de villes ne l’ont pas fait. Ici, notre mémoire est à sa place. Elle est apaisée. Il n’y a pas d’enjeu politique, pas de récupération. »

Lui aussi a grandi dans un de ces hameaux, à Saint-Maximin (Var). Féru d’histoire, il œuvre à la conservation de la trace de cet habitat. Il prend des photos, organise des cérémonies, écrit des articles, confectionne des plaques et en parle avec passion et sans rancœur. « Beaucoup de harkis sont encore dans la revendication et certains ne comprennent pas ce que je fais, relève Belkacem Gueroui. Mais la richesse de notre histoire, c’est aussi de la partager. » Il veut maintenant doter la MHeMO d’un site Internet. Pour que ce passé singulier soit connu par le plus grand nombre.