HISTORIQUE ET TYPOLOGIE GENERALE
Le contexte stratégique fin XIXe siècle
La position du Mont-Caume, avait été choisie 1873 dans le programme de défense terrestre de la place forte de Toulon par le colonel Le Masson, et confirmée en 1877. Elle était la plus septentrionale et la plus haute du dispositif général composé de forts, ouvrages et batteries formant une ceinture de plus de 30km d'amplitude d'est en ouest. Ces ouvrages furent alors conçus selon les normes du « système Séré de Rivières », du nom du général Raymond-Adolphe Séré de Rivières, commandant et grand ingénieur du génie, directeur de la réorganisation défensive des frontières terrestres et maritimes de la France.
La mise en œuvre des travaux de construction des fortifications du Mont-Caume fut différée jusqu’en 1887, commençant toutefois deux ans avant celle des ouvrages du Cerveau (ouvrage du Cerveau, ouvrage de la pointe ouest du Cerveau), avec lesquels le programme du Mont Caume présente des analogies. Il s’agissait dans les deux cas d’équiper un site de hauteur à la topographie contraignante d'arête rocheuse de deux ouvrages d’artillerie distincts, en principe d’importance égale, échelonnés d’est en ouest sur l'arête, à une distance d'un peu plus de 1km dans le cas du Mont Caume. Comme au Cerveau, les deux ouvrages sont conçus comme des batteries fermées adaptées à des canons de 120mm (modèle 1878), mais l'ouvrage ouest, qui abritait un moins grand nombre de plates-formes d'artillerie, est associé à une batterie annexe ouverte, que la route stratégique reliant les deux ouvrages dessert au passage. Sur cette même route, entre les deux ouvrages étaient aménagées deux petites batteries intermédiaires de 2 plates-formes chacune, et, plus près de l’ouvrage Est, deux plates-formes isolées.
L'ouvrage Ouest fut équipé d'une batterie de 6 plates-formes, tirant vers le nord/nord-ouest tandis que 6 autres, analogues et tirant dans la même direction, équipaient la batterie annexe ouverte contiguë. La répartition de l'armement sur ces différentes batteries comptant au total 22 sections d'artillerie de même type, dont 16 dans les batteries fermées (26 à 28 en comptant les petites batteries intermédiaires) et peut-être 3 à 4 autres, doit être déduite de la confrontation avec les données des sources contemporaines, qui donnent un armement global de 14 canons de 120mm, de 8 canons de 95mm et de 2 mortiers de 15cm. Une source indirecte place l'ensemble des 8 pièces de 95mm et les deux mortiers dans les batteries ouvertes (6 + 2x2 plates-formes), ce qui invite à répartir les 14 pièces de 120mm entre les deux batteries fermées, induisant que deux de leurs plates-formes n'étaient pas armées. 1 Les 6 plates-formes de chacune des deux batteries de l’ouest, tant la batterie fermée de l’ouvrage ouest que la batterie ouverte voisine, sont exactement du même type, avec plates-formes reliées entre elles sous les traverses par une étroite galerie casematée, ce perfectionnement n’existant dans l’ouvrage Est que pour la plus haute des deux batterie de 5 plates-formes.
D'après la légende d'une copie de plan d'atlas postérieure à 1900, la construction des deux ouvrages Est et Ouest, y compris les batteries ouvertes intermédiaires, conduite entre 1887 et 1890, coûta 164.168 francs, et les améliorations (non précisées) apportées entre 1891 et 1896, 12.000 francs.
La chronologie du chantier porte à attribuer la direction des travaux au capitaine du génie Honoré Pierrugues, chef du génie de Toulon de 1887 à 1891, responsable des plans des ouvrages Est et Ouest du Cerveau.
A la différence des deux ouvrages du Cerveau, ceux du Mont Caume n'intègrent pas de casernement important, mais seulement, pour chacun des deux, un baraquement d'une capacité réduite (39 hommes de troupe en temps de paix 47 en temps de guerre + 8 sous-officiers) complété en temps de guerre par les abris des souterrains en caverne, pouvant accueillir jusque 60 hommes. Dans l'ouvrage Ouest, le baraquement est implanté à l'entrée de l'ouvrage, au bout du chemin d'accès, mais en saillie à l'extérieur du périmètre clos et en contrebas du chemin, ce qui explique qu'il ait un caractère défensif (crénelage); il dispose d'une citerne de 100m3 creusé sous le chemin. Cette position semble indiquer qu'il était autant au service de la batterie fermée incluse dans l'enceinte de l'ouvrage ouest proprement dit, que de la batterie annexe ouverte voisine.
La feuille du petit atlas des bâtiments militaires du début du XXe siècle concernant l'ouvrage Ouest du Mont Caume compte au nombre des bâtiments au service de cet ouvrage un baraquement affecté au logement du gardien de batterie, construit en contrebas au bord du dernier lacet de la route militaire, distant d'environ 500m de l'ouvrage, 350m de la batterie annexe. Deux autres citernes font partie des annexes distantes, une sous le logement du gardien de batterie, une autre sous le croisement de la route stratégique.
Les deux ouvrages et la batterie annexe ouest semblent avoir été laissés à l’abandon dès l’entre-deux guerres, et non réoccupés durant la seconde guerre mondiale. Leur réutilisation stratégique est un peu postérieure.
La batterie de DCA de 1955
En décembre 1951, pendant la "Guerre froide", l'Etat major général du secrétaire d'Etat à la Marine avisait le préfet Maritime de Toulon (IIIe région maritime) d'une décision ministérielle arrêtant la répartition des ouvrages du Mont Caume entre l'armée de l'air et la Marine, répartition qui attribuait à cette dernière l'ouvrage Ouest afin d'y implanter une batterie anti-aérienne mobile, avec la servitude de recevoir à l'extrémité ouest de l'ouvrage le centre hertzien de l'Armée de l'air. L'ouvrage Est du Mont Caume était attribué parallèlement à l'armée de l'Air pour l'installation de « maîtres radars ». Sous l'autorité du préfet maritime et du capitaine de frégate Barois, commandant la D.C.A. de la IIIe région maritime, la direction des travaux maritimes de Toulon planifia la construction d'une batterie semi-mobile de D.C.A. de 90mm ou de 94mm à l'emplacement de l'ancienne batterie annexe ouverte contiguë à l'ouvrage ouest.2 Il s'agissait probablement in fine d'une batterie de 90mm DCA M1 A, ces batteries étant à l'époque armées de 4 pièces de fabrication américaine, modèle que les USA avaient cédé à la France à partir de 1943; ce matériel était servi, pour chaque batterie, d'un appareil de préparation de tir M7, d'un radar SCR 584 et d'un altitélémètre M1.3 Le projet, daté de novembre 1954, comporte la construction de quatre alvéoles circulaires en béton en avant des anciennes plates-formes de 1887-1890, desservies par une piste d'accès et de distribution. De nouveaux plans sont rendus en mars 1955 pour six abris en surface pour personnel, couverts de toits en tôle ondulée sur murs en béton, à construire dans les anciennes plates-formes d'artillerie de 1887-1890, la profondeur de ces plates-formes existante conditionnant la capacité d'accueil des abris, de 8, 12 ou 16 hamacs. Un autre abri destiné à la remorque-radar est également prévu dans l'enceinte de la batterie fermée de l'ouvrage Ouest. Les travaux de construction des alvéoles et des abris, réalisés par l'entreprise Pellegrino, et ceux des pistes d'accès, par l'entreprise STPI, étaient achevés en août 1955. Il était alors question de restaurer l'ancien baraquement en ruines de l'ouvrage de 1887-1890, mais ce projet n'a pas eu de suite.
Ouvrage du Mont Caume. Alvéoles et pistes. Implantation et orientation. [Plan du projet de la batterie de DCA semi-mobile sur le site de l'ancienne batterie annexe ouest], novembre 1954.
Ouvrage du Caume. Etat des lieux. Implantation de sept abris. [Plan du projet des abris de la batterie de DCA sur le site de l'ancienne batterie annexe ouest], mars 1955.
Dès les années 1960, la batterie de D.C.A. n’est plus armée et l’ouvrage ouest laissé à l’abandon.
DESCRIPTION
Site et implantation générale
La batterie annexe ouest du Mont Caume est implantée immédiatement à l'est/nord-est de l'ouvrage ouest, à une altitude moyenne de 716m à 718m, en bordure nord de l'ancien chemin stratégique qui relie les deux ouvrages. Cette batterie annexe est donc surplombé, à environ 800 m de distance, par l'ouvrage Est, qui occupe le point culminant du massif rocheux (alt. 778m). On accède aux deux ouvrages Ouest et Est et aux batteries intermédiaires par une ancienne route militaire actuellement chemin départemental n° 662 montant en lacets du sud/sud-ouest depuis le col du corps de garde (alt. 391m), sur la route départementale n° 62 venant de Toulon depuis le sud-est par la vallée du Las. L'ancien chemin se divise en deux branches divergentes à la cote 670m, ces deux branches formant un chemin stratégique parallèle à la ligne de crête nord, aboutissant à chaque extrémité à l'un des deux ouvrages, et desservant la batterie annexe au passage, avant d'aboutir à l'ouvrage ouest. Ce chemin est encore bordé du côté nord par les vestiges des plates-formes d'artillerie des positions de batteries ouvertes isolées, dont deux jumelées à l'embranchement de la route d’accès sur le chemin stratégique est-ouest.Restes d'une double plate-forme d'artillerie isolée à l'est de la batterie annexe ouest; au fond, l'antenne-relai de l'ouvrage Est du Mont Caume.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
Les 6 plates-formes d'artillerie de cette batterie ouverte étaient semblables à celles, au même nombre de 6, de la batterie fermée de l'ouvrage ouest voisin, ou à celles isolées par groupe de deux sur le chemin stratégique en direction de l'ouvrage Est, à savoir taillées en réserve dans le socle rocheux en laissant les traverses intermédiaires en grande partie brutes de déroctage. La principale particularité de ces plates-formes de plan rectangulaire tient aux galeries casematées rectilignes et étroites, qui les relient entre elles, maçonnées en pierre et voûtées en berceau surbaissé, débouchant dans les flancs de chaque plate-forme par une porte couverte d'un arc extradossé en pierre de taille de même dessin. Ces galeries existent encore à la batterie annexe Ouest, quelque peu dégradées mais assez bien conservées avec les petites niches à munitions peu profondes ménagées dans leurs parois latérales. Dans le cas de cette batterie ouverte et des plates-formes jumelles disposés sur le chemin stratégique, la desserte des plates-formes est directement assurée par ce chemin bordant leur gorge.Batterie annexe ouest de 1890, détail de l'entrée d'un segment de galerie casematée reliant deux plates-formes.
Dans l'état actuel, ces anciennes plates-formes aménagées en 1887-1891, d'inégale profondeur, sont surplombées 2 à 20m en avant (nord/nord-ouest) par les quatre alvéoles des canons de 90mm bâties en 1955, et elles sont occupées par les six abris en surface pour personnel construits simultanément sur leur emprise. Ces abris, de largeur constante mais de profondeur variable déterminée par celle des plates-formes d’origine, sont composés d'une épaisse dalle de sol en béton armé surhaussé du sol extérieur de deux à quatre marches, et de deux murs latéraux aussi en béton, avec arase de faible hauteur creusée d'une gouttière et surmontée d'un surcroit d'élévation maigre, au nu du parement extérieur. La gouttière était prévue pour l'écoulement des eaux pluviales ruisselant sur le toit en tôle métro ondulée qui couvrait l'abri et n’est plus en place, et le surcroit du mur protégeait ce toit, permettant éventuellement de le charger. Batterie de 1890 remaniée en 1955 pour la DCA, vue du chemin stratégique : abris et alvéoles en béton.
Détail d'un abri de personnel en béton de la batterie de DCA de 1955.
Les quatre alvéoles ou cuves en ciment armé, d’un modèle unique, arasées à environ 1,50m de hauteur, ont un diamètre interne de 5m et des parois intégrant dans leur épaisseur (2m), vers l’intérieur, des niches à munitions. Elles forment un anneau recoupé de deux ouvertures opposées larges de 3m, les deux segments d’anneau était raidis au dehors par un contrefort médian. Les ouvertures permettaient le passage des segments secondaires des pistes de distribution, afin de disposer en batterie dans les alvéoles les canons anti-aériens de 90mm sur châssis à roues motorisés. Cette particularité est propre au principe de la batterie semi-mobile, les pièces de batteries anti-aériennes fixes de même calibre dans d’autres ouvrages (à Cépet ou à Peyras par exemple) étant installés de façon pérenne dans des alvéoles annulaires entièrement fermées.
Détail d'une alvéole de canon de 90mm en béton de la batterie de DCA de 1955.
historien de l'architecture et de la fortification