Construction et armement
Une batterie de côte fut établie sur la pointe du Cap Brun dès 1695, dans le cadre du premier programme de construction de nouvelles batteries de côte défini par le directeur des fortifications de Provence Antoine Niquet.
En revanche, la hauteur rocheuse aux pentes rapides qui domine le Cap n’attira pas particulièrement l’attention des ingénieurs militaires et des officiers du génie avant le XIXe siècle.
Durant la période révolutionnaire, à la fin d’aout 1793, la flotte anglo-espagnole entra dans la rade de Toulon, appelée par les toulonnais qui s’opposaient à la prise de pouvoir de la Convention Nationale. Les compagnies débarquées, grossies de troupes napolitaines et piémontaises, prirent position dans la plupart des ouvrages de défense de la rade, et s’employèrent à renforcer le dispositif par des ouvrages de campagne sur les hauteurs de Malbousquet et du Caire, cette dernière, capable de battre la grande et la petite rade surplombant au point le plus haut les forts de Balaguier et de l’Eguillette. Une partie de la flotte anglaise avait débarqué dans l’anse de Port Méjean, à proximité du Cap Brun, et la hauteur du Cap Brun fut occupée par une compagnie de 600 hommes au mois d’octobre, pour faire face à l’arrivée de l’armée Républicaine du général La Poype, venue de Nice. Une redoute de campagne fut sans aucun doute établie sur la hauteur pour accueillir cette compagnie. Un « Ouvrage du Cap Brun » figure sur une carte imprimée établie d’après le relevé des défenses de la place en 1793 par le lieutenant-colonel du génie Boullement de la Chesnaye, qui participa à la reprise de Toulon sur les Anglo-Espagnols 1. Cette fortification de campagne, qui devait comporter des batteries, disparut peu après les évènements et ne figure plus sur les cartes postérieures.
Le premier projet de fort pérenne sur la hauteur vit le jour en même temps que celui du fort du Grand Saint-Antoine, en 1841. Sa pertinence venait alors d’être renforcée par la nécessité d’améliorer la défense côtière ressortant du rapport rendu le 14 juin 1841 par la commission mixte d’armement des côtes, de la Corse et des îles, créée quatre mois plus tôt. Le projet, réalisé entre 1846 et 1851 n’en était pas moins celui d’un fort de défense terrestre, avec batteries orientées vers le nord, c'est-à-dire vers la terre, et vers l’est, soit face aux possibles approches ennemies par un itinéraire littoral. Aucune batterie n’était prévue vers le large, la position du fort étant jugée alors trop en altitude pour doubler utilement les tirs vers la rade assurés par la batterie basse du Cap Brun, 250m en avant et 85m en contrebas.
L’état de l’armement du fort évolua en fonction des progrès de l’artillerie à longue portée. On a un relevé précis de son renouvellement (douze canons) en décembre 1873 dans un Extrait de l’état des bouches à feu devant composer l’armement transitoire à placer sur les ouvrages du corps de place et des forts de la place de Toulon 2 : l’aile est de la batterie du fort, et le flanc d’un bastion du front de gorge battaient les abords littoraux vers Sainte Marguerite et vers le port Méjean, avec des canons de calibre 8 de campagne et des pièces de 30 livres.
La Commission de révision des défenses du littoral de 1873 3 proposait en outre de porter l’armement de défense côtière du fort dans une extension projetée, soit la future batterie extérieure, conçue spécifiquement comme une batterie de côte. Cette évolution faisait suite à une redéfinition de la menace sur les côtes, objet d’une instruction du 30 mai 1872 4. Les progrès parallèles de la flotte de guerre à vapeur et de l’artillerie à longue portée, désormais rayée (ce qui décuplait portée utile et précision à l’impact), ouvraient la voie à une nouvelle génération de batterie de côte, implantée désormais en altitude et armée avec de l’artillerie de marine.De nouvelles normes spécifiques aux batteries de côte furent posées par instruction du 18 mars 1876 5. Les pièces devaient être placées à barbette sur des plates-formes de maçonnerie séparées par des traverses-abris (une par pièce ou, au plus, par deux pièces). Le parapet, en terre ou en sable devait avoir 6 à 8 mètres de profondeur. Selon le type de batterie, les calibres oscillaient de 16 cm à 32 cm 6. Cette même année 1876, la commission de révision de l’armement arrêtait un nouveau plan de défense de la rade de Toulon, approuvé le 4 avril 1877, actualisant et adaptant les propositions de la commission de 1873 7. Il prévoyait l’abandon de six batteries, l’adaptation de cinq et la création ex nihilo de neuf autres. Les missions des batteries de côte programmées en 1877 se répartissaient entre des batteries de bombardement, placées en altitude, pour le tir plongeant courbe sur les ponts des navires, des batteries de rupture, pour le tir tendu bas battant l’accès des passes et des rades contre les coques des navires, ces deux catégories adaptées aux canons de gros calibre, et des batteries de moyen calibre et de mortiers (gros calibre à tir vertical parabolique), pour l’action plus rapprochée.
Ce programme fut mis en œuvre à partir de l’année 1878, en phase avec la construction de forts détachés distants assurant, selon les principes de Séré de Rivières, la défense terrestre de la place forte de Toulon 8. En ce qui concerne le Cap Brun, le plan de 1876 préconisait de remplacer les obusiers de 22 cm prévus dans la nouvelle batterie haute côtière projetée depuis 1873, par des canons de 16 cm ou 19 cm, en supprimant la batterie basse. Il était alors question, en alternative au maintien des batteries de côte classiques, de bâtir des îlots factices devant l’entrée de la grande rade, armés de pièces sous tourelle blindée, ou de créer une grande jetée barrant l’entrée de la rade. Ce dernier choix fut retenu, et la grande jetée sera réalisée en 1881. La nouvelle batterie haute côtière fut construite en 1878 immédiatement à l’extérieur du fort du Cap Brun, devant le front d’entrée et à droite de la rampe d’accès (ce qui facilitait sa desserte) en principe pour recevoir deux canons de 19 cm et trois obusiers de 22 cm, répartis sur trois plates-formes séparées par deux traverses-abri. Cet armement était en place en 1881, comme l’atteste la planche n°10 de l’atlas des batteries de côte établi à cette date.
La commission de l’armement préconisait d’augmenter encore cette artillerie de défense côtière de trois canons de 19, établis soit hors du fort, dans la nouvelle batterie adaptée, soit dans l’enceinte du fort.Un nouveau remaniement de la batterie haute du Cap Brun n’intervint qu’en 1892. Alors furent ajoutées une plate-forme supplémentaire et une nouvelle traverse-abri, ainsi qu’un magasin à projectiles (à l’extrémité droite). Plus épaisse que les autres et plus proche du fort, la nouvelle traverse-abri desservait un monte charge communicant à un souterrain en caverne qui débouchait dans la contrescarpe du fossé du bastion nord-ouest du fort en passant sous la rampe d’accès au fort. Ce souterrain desservait un magasin à poudres en caverne, de petite capacité, un atelier de chargement et un atelier d’amorçage. On descendait dans le fossé depuis le tournant de la rampe d’accès du fort, pour accéder à la poterne du souterrain, par un escalier réservé dans la contrescarpe du fossé. Cet escalier desservait au passage un magasin aux projectiles niché au revers de cette contrescarpe.
Ce dispositif, qui contribuait à donner à la batterie haute de défense côtière un statut ambigu, à la fois ouvrage indépendant doté de nouveau magasins, et annexe du fort, devait être mis en relation avec un autre équipement projeté aussi en 1892, dans le fort, soit un grand magasin à poudres en caverne, niché sous le cavalier. Le projet de ce magasin comportait une communication souterraine vers le fossé nord du fort par une poterne 9 qui aurait dû permettre une communication à la batterie extérieure par le fossé et par le souterrain, pour le réapprovisionnement des poudres de son petit magasin, le grand magasin en caverne du fort étant en partie au service de la batterie extérieure. Seul le magasin à poudres en caverne fut réalisé, sans poterne, probablement en 1893. Le réapprovisionnement du petit magasin en caverne de la batterie extérieure ne put donc se faire qu’en sortant du fort par la porte principale.
Le magasin en caverne fut bientôt mis à profit par la création d’une nouvelle batterie de côte de quatre pièces de 95mm, beaucoup plus proche et cette fois à l’intérieur de l’enceinte du fort, établie sur la face gauche du bastion 5, près de la caserne, sur un projet du 15 novembre 1895. L’armement de cette batterie était de quatre canons de 240 mm et d’autant de 95 mm installés.
Par la suite, seule la batterie de côte extérieure subit des perfectionnements, en 1905, par la construction de deux magasins de combat en béton armé, conformes aux dispositions types arrêtées en juin 1904 10. Largement reproduits dans les batteries du littoral français, ces magasins comportent une soute à gargousses encadrée par deux soutes à projectiles.
Au début de la première guerre mondiale, la batterie était armée de quatre canons de 240mm modèle 1884 ; elle fut vraisemblablement désarmée pour déplacer l’artillerie lourde à grande puissance disponible sur le front du nord-est de la France. Au début de la seconde guerre mondiale, elle ne semble pas avoir été armée 11. A l’abandon depuis l’après guerre, la batterie est en médiocre état de conservation. Les accès aux souterrains ont été condamnés.
Analyse architecturale
Site et implantation générale
La hauteur du Cap Brun, couronnée par le fort et par la batterie haute connexe, culmine, au niveau de la batterie, à une altitude de 100m au-dessus de la mer. La position est distante à vol d’oiseau de 140m au plus court (sud-ouest), 175m (est) à 280m (sud/sud-est), cette dernière distance étant celle qui sépare le fort de la batterie basse, sur le cap. Les versants sont donc pour la plupart particulièrement abrupts, ce qui ne permettait pas l’établissement de glacis, excepté vers le nord et le nord-ouest soit côté terre, où le versant de l’éminence est plus modéré.
Si la batterie basse était surtout abordable par la mer, la hauteur n’avait pas d’autre accès avant la construction du fort que des sentiers sommaires desservant des hameaux ou mas isolés qui, au mieux, se branchaient à une distance de 350m au nord à un chemin carrossable, le chemin de Toulon à Sainte-Marguerite (« château » sur une avancée rocheuse utilisé comme batterie de côte). Un projet de route spécifique reliant Toulon au fort du Cap Brun en passant par le fort Lamalgue ayant été abandonné, le chemin d’accès actuel en lacets abordant le fort par le nord/nord-est et desservant au passage la batterie haute du Cap Brun, qui est à l’ouest du fort, a été établi à partir du chemin de Sainte-Catherine devenu chemin de grande communication n° 43.
Plan, distribution spatiale, circulations et issues, structure et mise en œuvre
La batterie haute du Cap Brun a été conçue lors de la campagne de 1878, et maintenue lors de son accroissement en 1892, comme une batterie ouverte, c'est-à-dire non enveloppée d’une enceinte propre et dépourvue de logements de troupe. Cette particularité tient évidemment à la proximité immédiate du fort, dans lequel était logé le personnel de la batterie, dont la présence sécurisait suffisamment les approches. On a vu également que la batterie n’eut un magasin à poudres spécifique qu’en 1892, de petite capacité, en sorte qu’elle était peu ou prou tributaire de l’un ou l’autre des deux magasins situés dans l’enceinte du fort, dont un (1850) tout proche de la porte, seul existant en 1878, l’autre étant le magasin en caverne de 1892.
Un petit épaulement ou traverse, aujourd’hui méconnaissable, avait été établi à droite de la rampe d’accès au fort, au point ou s’embranche l’accès à la batterie ; il formait parados, défilant cette communication et la gorge de la batterie des agressions rapprochées. Si l’on fait abstraction des questions connexes de la fermeture et de l’autonomie logistique, la batterie proprement dite, soit l’épaulement, les emplacements de tir et les souterrains, présentent exactement les mêmes caractéristiques que celles de batteries fermées de la même génération, par exemple celle du fortin de la Gavaresse à Carqueiranne, également construite en 1878 en application du même plan de défense de la rade de Toulon, et elle aussi remaniée en 1893 par agrandissement et adjonction de souterrains desservant des magasins en caverne.
Rectiligne, et non brisé, l’épaulement en terre, long d’environ 70m, est implanté dans un axe sensiblement différent du grand axe est-ouest du fort, pour procurer une orientation des tirs vers le sud-ouest (alors que dans le fort, les batteries littorales regardaient vers l’est, et la batterie de 1895 était orientée plein sud). Chemin de ronde avec passerelle à rambarde, traverse-abri. Chemin de ronde avec passerelle à rambarde, traverse-abri et cuve rebouchée.
Classiquement nichés derrière le talus de l’épaulement, les quatre emplacements de tir, larges de 9,20m, ont la forme en cuve de plan en fer à cheval caractéristiques des grosses pièces d’artillerie sur pivot. Ces quatre sections d’artillerie sont séparées et bordées (à droite) par des traverses-abri en maçonnerie. L’ensemble, très perturbé, notamment par l’encombrement et comblement de trois des cuves par des locaux ou blocs erratiques de béton, est desservi par un étroit chemin de ronde revêtu discontinu surplombant de plus de 2m le sol de l’aire qui s’étend à la gorge de la batterie, dans le prolongement de l’accès. Le chemin de ronde était divisé en deux segments par une coupure au droit de la première des trois traverses-abri, entre les deux premières cuves, plus large et volumineuse que les autres, qui, elles, n’abritent qu’une niche à munition de plain-pied avec le chemin de ronde.
Le local interne de cette première grosse traverse-abri, ouvrant de plain-pied sur l’aire basse à la gorge de la batterie, est relié verticalement par une large cage carrée de monte-charge, au départ du souterrain créé en 1892. La porte de ce local est aujourd’hui condamnée, et la continuité du chemin de ronde a été rétablie, sans doute en 1905, par une dalle de béton armé passant au-dessus de cette porte et de la coupure. Avant 1905, les deux rampes opposées montant au chemin de ronde partaient de cette coupure. Aujourd’hui, une rampe adossée plus à droite monte vers l’extrémité droite (ouest) du chemin de ronde, tandis que l’extrémité gauche (est), au ras de la rampe d’accès au fort, est desservie par un escalier. Ces éléments font partie des remaniements de 1905, comme les deux gros magasins de combat en forme de blockhaus en béton armé (condamnés) ajoutés l’un à l’extrémité est (droite) de la batterie, derrière l’escalier du chemin de ronde et au ras de la rampe d’accès au fort, l’autre à l’extrémité opposée, installé dans l’épaulement immédiatement après la quatrième cuve. Au devant de ce magasin de combat, un petit bâtiment en maçonnerie traditionnelle couvert d’un toit cimenté à versant unique correspond au magasin aux projectiles de rupture de la batterie de 1892.Extrémité ouest de la batterie, abri de combat 1905 et local annexe.
La traverse-abri la plus voisine est flanquée et surmonté de locaux en ciment armé pouvant remonter aussi à 1905.
Les locaux internes des magasins de combat et le souterrain desservant trois magasins en caverne (magasin à poudres de faible capacité à droite en partant du monte-charge, atelier de chargement et atelier d’amorçage à gauche) sont inaccessibles. Ils ne peuvent être décrits plus avant.
Les parties de la batterie maçonnées en pierres apparentes datent peut-être en partie de 1878 (les petites traverses-abri), de 1892 (la grosse traverse-abri à monte-charge) et de 1905 (revêtement, rampe et escaliers du chemin de ronde.) Les parements ne diffèrent pas sur l’ensemble des traverses : ils sont en petits moellons de pierre dure, bien équarris et assisés, taillés à la rustique, sans finition. Les versants des façades des traverses ont des tablettes taillées de même. Les murs du magasin aux projectiles de l’extrémité ouest présentent des caractéristiques analogues. En revanche, les murs de soutènement du chemin de ronde et de ses rampes montrent un appareil polygonal caractéristique du début du XXe siècle.Gorge de la batterie : mur d'appui du chemin de ronde, traverses. Les constructions en béton armé, lourdes (magasins de combat) ou légères (petits bâtiments annexes) datant de 1905, certaines postérieures, ont des parements lissés, sans traces de coffrage apparentes. On doit noter la présence de restes encore en place de la rampe en fer rond du chemin de ronde, sans doute de 1905, et de la porte métallique blindée du magasin de combat-blokhaus de l’est, qui semble plus tardive.
Traverse-abri de 1878 avec locaux en ciment de 1905.
historien de l'architecture et de la fortification