La campagne de prospection en vue d’implanter des hameaux de forestage dans les Alpes-Maritimes débute dès mars 1963. Entre les mois de mai et d’août 1963, l’Administration réunit des représentants du Ministère des Rapatriés, de la Préfecture, du Génie Rural et des Eaux et Forêts afin d’organiser la conduite de l’opération. Sur 11 communes explorées, 7 sont retenues dont Roquesteron. Le projet est validé en mai 1963 par le Conseil Municipal et l’Administration centrale bien que les travaux d’installation (VRD) soient élevés (annexe 1). En juillet 1963 le Ministère des Rapatriés signe le marché de construction avec l’entreprise Dassé.
Arrivés le 4 septembre 1963, certains en provenance des camps de transit de Saint-Maurice-l’Ardoise et de Rivesaltes, d’abord abrités sous tentes, les Harkis participent à la préparation du terrassement du terrain avant l’édification du hameau. Le chantier de construction des 36 à 38 préfabriqués qui devait être conduit par l'entreprise Schroth (1963) revient finalement à la société Dassé basée à Dax dans les Landes. Un plan d'implantation est réalisé par un bureau d'études techniques de Nice. En décembre 1963, les familles s'y installent sans attendre que les maisons soient totalement terminées. Un document de janvier 1964 indique que les baraquements devant accueillir les familles sont "pratiquement achevés, seuls les appareils de chauffage restent à installer". Un autre rapport intitulé "vue d'ensemble sur la construction des villages de Harkis des Alpes-Maritimes" rédigé par l'ingénieur en chef du service du Génie Rural, mentionne qu'à la date du 13 février 1964, les travaux du village de Harkis composé de 35 bâtiments de type C et 1 de type Cbis soit 36 logements sont complétement terminés. Le Génie Rural projette de mettre à disposition des familles des terres à cultiver durant une période de 5 ans.
Origine du terrain
Le hameau est implanté sur un terrain appartenant à 3 propriétaires privés, M. Noirel, Mesdames Prestine et De Rochefort, qui le louent au Ministère des Rapatriés pour un loyer annuel de 1F symbolique. Le bail est signé le 15 juin 1963, pour une durée de 3, 6 ou 9 ans. A terme, les installations et constructions reviennent aux propriétaires. A l’expiration du bail en juin 1969, les propriétaires imposent un avenant : que le loyer tienne compte de la valeur locative des terrains ou que le Ministère des Rapatriés en fasse l’acquisition. L’inspecteur interdépartemental des Hameaux forestiers, le commandant Le Rol, inquiet de la situation juridique du hameau de Roquesteron écrit au Préfet des Alpes-Maritimes « qu’il serait regrettable que disparaisse un chantier de 45 ouvriers dont l’action dans l’aménagement de la forêt et la lutte contre les incendies a été jusqu’ici très positive. » Il poursuit qu’étant donné que « les anciens Harkis, résidant dans nos hameaux sont abstreints depuis le 1er janvier 1968 à payer à l’Administration des Domaines une redevance calculée sur la base de 6 francs par mois et par pièce habitable (y compris la cuisine), il suggère que « cette recette soit réservée aux propriétaires. La somme dégagée serait 11664F. » Les litiges avec les propriétaires du terrain font renoncer le projet d’agrandissement du hameau par la construction d’autres préfabriqués en fibralyth prévu pour 1969.
Description du hameau
Situé à un kilomètre du village, au lieu-dit Les Adrets, le hameau est implanté sur un terrain de 23140m2 accessible par un chemin carrossable. Il est composé de 30 pavillons individuels de type F3 d’une superficie de 37m2 et de 6 pavillons collectifs de 150m2 comprenant 4 logements. Au total, on compte 8 logements préfabriqués légers sur dalle béton de type F4, 8 de type F3 et 8 de type F2. Dans un document daté de janvier 1964, il est fait état de « 32 bâtiments qui comprennent chacun 1 logement avec salle de séjour, 2 chambres, WC et salle d'eau et 2 bâtiments comprenant chacun 2 logements avec salle de séjour, 3 chambres, WC et salle d'eau et 2 logements comprenant salle de séjour, 4 chambres, WC et salle d'eau. Un des logements (salle de séjour, 2 chambres, WC et salle d'eau) dont les cloisons intérieures ont été abattues, sert de salle de réunion. Le mobilier est en place. La salle de séjour est meublée d’un buffet 2 corps, d’une table en formica, d’un réchaud avec four sur support renfermant une bouteille de Butane, d’un poste brûle-tout, de sièges suivant la composition de la famille, d’une batterie de cuisine complète, d’une poubelle, d’un balais, etc...Les chambres sont pourvues de lits de 1 ou 2 places suivant la composition de la famille, de matelas lainette, de deux couvertures et de trois 3 draps par lit. Chaque logement est équipé d’une armoire penderie et la salle de réunion dotée de table et chaises.
Les logements sont destinés à accueillir 48 familles de Harkis et les membres chargés de l'encadrement : un chef de hameau et une monitrice d'aide sociale et leur famille respective. 4 locaux sont affectés aux services (total 6 logements) : bureau, magasin, salle de consultations médicales et foyer d'activités sociales. Dans un rapport postérieur à 1967, la capacité des logements est reconnue insuffisante et "le peuplement réel de 253 personnes" au lieu de 197 atteste d'un "net surpeuplement". Les bâtiments sont des préfabriqués légers posés sur dalles de béton. L'état des structures est décrit comme "correct, cependant le vieillissement des bâtiments impose un entretien vigilant, surtout quant à l'étanchéité (assemblage des éléments, toitures, peintures, etc..". La situation des logements est décrite comme "correcte, cependant les sols en chape talochée de qualité médiocre subissent des infiltrations d'humidité par capillarité dans la masse du béton de dalle. Quelques améliorations doivent être apportées au réseau d'évacuation des eaux usées ainsi qu'à la voirie". Des travaux de réfection des murettes de soutènement ainsi que certaines peintures intérieures et extérieures sont à prévoir.
En 1967 40 familles soit 218 personnes (45 hommes, 35 femmes, 140 enfants) logent au hameau ; en fin d'année 1971 celui-ci compte une population composée de 27 familles soit 187 personnes (29 hommes, 22 femmes et près de 140 enfants). En 1969 45 ouvriers forestiers y vivent avec leur famille.
Des travaux de plomberie et d'électricité sont réalisés en fin d'année 1976. A cette date 108 personnes vivent sur place dont 67 enfants scolarisés et 14 ouvriers forestiers (bilan d'activité des hameaux des Alpes Maritimes).
Afin de reloger les Harkis, la commune acquiert un terrain au lieu-dit le Champon dans le centre du village où sont édifiés, par la Société Anonyme d’H.L.M. « Le Logis Familial » des Alpes-Maritimes, 25 logements de type pavillon. Les travaux débutent en octobre 1976 et se terminent en 1978. Les logements du hameau sont toujours en place aujourd’hui, rachetés par des particuliers qui ont entrepris des travaux de réhabilitation.
Une plaque commémorative de l'ONAC-VG est apposée sur un mur à l'entrée de l'ancien hameau.
Chercheur pour le patrimoine industriel à l'Inventaire Nord-Pas-Calais de 1991 à 2018 (DRAC puis Région Nord-Pas-Calais dès 2007 et Hauts-de-France suite à la réforme des collectivités en 2016). Puis chercheur à l'Inventaire Provence-Alpes-Côte d'Azur à partir de 2018.