Commentaire historique
L'origine de cette maison remonte peut-être à l’Epoque moderne (16e siècle ou 17e siècle) ; il s'agit alors très probablement d'un bâtiment agricole. Dans le cadastre de 1570, son emplacement se trouve à la limite des quartiers de « Tutelle » et de « las Chauchières », cette dernière appellation renvoyant à la présence de tanneries qui ne semblent déjà plus en activité à cette date.
Le collage de maçonnerie bien visible sur la façade ouest montre que cette maison a été adossée contre le pignon de la maison mitoyenne au nord. La partie orientale a été accolée ultérieurement, sans communication intérieure entre les étages de soubassement.
C'est avec cette forme qu'elle apparaît sur le plan cadastral de 1839, où la parcelle possède un plan identique à l'actuel. Elle est mentionnée comme une « maison » de 70 m² d'emprise au sol, comptant 5 ouvertures et imposée dans la 5e catégorie fiscale (sur 8). Elle appartient alors à Louis Deydier, gendre Tatin, qui possède aussi, juste en face de la maison, un petit « four » accompagné d'un jardin, formant un îlot au carrefour des rues et aujourd'hui disparus (respectivement parcelles 1839 F1 70, 13 m² et 71, 55 m²). Il est également propriétaire de divers terrains aux quartiers de Pavie, Coularive, le Villard, Peyre Grosse, Baudon, Rafondet, la Longeagne, etc.
Plan de masse d'après le plan cadastral de 1839, section F1. Echelle d'origine 1/1000e.
Propriétés de Louis Deydier, gendre Tatin, en 1839, d'après le plan cadastral de 1839, section F1. Echelle d'origine 1/1000e.
En 1843, Louis Deydier récupère la maison voisine au nord (parcelle 1839 F1 68, 33 m²) qui appartenait auparavant à François Tatin et ses héritiers ; elle possède 2 ouvertures, elle est classée dans la 7e catégorie fiscale.
A partir de 1871, son fils Jean-Louis Deydier, « marchand d'épicerie en détail », devient propriétaire de la première maison (F1 67) et du jardin situé en face (F1 71). Quant à l'autre maison (F1 68) et au four à pain (F1 70), ils passent à Aristide Tirail, gendre Deydier, demeurant à Montjay.
Ce partage ne dure guère, puisqu'en 1875, l'épicier Jean-Louis Deydier réuni de nouveau sous son nom les deux maisons, le four et le jardin. Toutefois, la maison F1 68 avait été déclarée agrandie en 1873, comptant désormais 6 ouvertures (au lieu de 2) et montant d'une classe fiscale (6e catégorie d'imposition). En 1877, Jean-Louis Deydier acquiert 1 m² (!) de la cour voisine (1839 F1 66), au pied du pignon sud de la maison. Il s'agit très probablement d'un petit passage pour desservir la porte, aujourd'hui murée, que l'on observe sur ce pignon.
En 1879, c'est au tour de la maison F1 67 d'être agrandie : elle possède désormais 8 ouvertures (au lieu de 5) et est imposée en 3e catégorie fiscale (au lieu de la 5e). Cette même année, Jean-Louis Deydier, déclare également la construction d'un « pavillon » au quartier des Coings (voir dossier IA05001601).
En 1901, les deux maisons, le four et le jardin passent à Alban-Fernand Montlahuc, époux Arnaud qui, en 1902, déclare la construction d'une « remise » à l'emplacement du jardin.
Le suivi de l'évolution foncière de ces bâtiments montre que, à la suite de plusieurs travaux réalisés dans les années 1870, le bâtiment accueille désormais un magasin d'épicerie. En même temps, sa façade ouest est complètement réorganisée. A l'intérieur, la présence de portes de communication au rez-de-chaussée surélevé et à l'étage témoigne d'une harmonisation des niveaux entre les deux maisons originelles (F1 67 et 68). Ces transformations témoignent des mutations qui, d'une manière générale, concernent ce quartier de Rosans situé entre le bourg intra muros et la nouvelle Route Nationale 94, percée à la fin des années 1840. Attirés par ce nouvel axe routier, l'habitat, les ateliers et les commerces investissent les anciens bâtiments du faubourg agricole extra muros, en leur ajoutant un ou deux niveaux et en les réaménageant profondément, tant au niveau des façades que des intérieurs.
Elévation ouest : porte murée et collage de la maçonnerie sur le bâtiment mitoyen.
Cette dynamique perdure jusqu'au milieu du 20e siècle. Sur cette maison, une nouvelle phase de modification paraît être faite dans le courant du premier quart du 20e siècle, caractérisée par les encadrements en brique des fenêtres du logis avec leurs appuis en ciment, la très grande baie fenière de la façade orientale avec son linteau en poutrelle métallique, les couvrements en voûtains des deux étages de soubassement, etc. En outre la présence d'une baie boutiquière sur chacune des maisons (F1 67 et 68) pourrait être un indice de leur re-séparation à cette même époque. Les encadrements en pierre de taille de ces baies commerciales dateraient alors du premier quart du 20e siècle, ce qui paraît cohérent.
La tradition orale rappelle que l'épicerie installée dans cette maison a cessé ses activités vers le milieu des années 1960.
Description architecturale
Cette maison est située dans la partie orientale du bourg intra muros. Installée dans l'îlot séparant la Grande Rue de la rue des Jardins, traversante et adossée parallèlement au sens de la pente, elle est mitoyenne sur ses pignons sud et nord. Elle est constituée de deux parties accolées, est et ouest, chacune orientée nord-sud et comptant un niveau de différence. Ainsi, la partie orientale comporte deux étages de soubassement et un rez-de-chaussée surélevé. La partie occidentale ne possède qu'un étage de soubassement, un rez-de-chaussée surélevé mais dispose d'un étage carré.
Plan de masse d'après le cadastre de 2021, section 000F. Echelle d'origine 1/500e.
Vue d'ensemble prise du sud-ouest.
Elévation est.
Coupe schématique du bâtiment, est-ouest.
Fonctions et aménagements intérieurs
Premier étage de soubassement
Le premier étage de soubassement est occupé par une étable accessible de plain-pied par une porte piétonne ouverte côté est. Une mangeoire en planches est suspendue par des crochets contre le mur nord, surmontée d'un râtelier à barreaux en bois. Cette pièce est couverte par des voûtains en briques pleines croisées, reposant sur des solives en bois. Au-dessus du râtelier, ce couvrement est percé par une trappe d'abat-foin. A l'angle sud-est une trappe permet d'accéder au second étage de soubassement.
Premier étage de soubassement, étable. Mur nord, crochet de la mangeoire.
Premier étage de soubassement, étable. Mur nord, râtelier.
Premier étage de soubassement, étable. Couvrement en voûtains sur solives.
Second étage de soubassement
La partie orientale du second étage de soubassement est entièrement occupée par un fenil disposant d'une grande baie fenière côté est. La pièce est couverte par des voûtains coffrés sur poutrelles métalliques.
La partie occidentale de cet étage de soubassement est réservée à un cellier-cuvage servant également de resserre, accessible depuis le rez-de-chaussée par un escalier installé dans l'angle sud-ouest. Celui-ci, tournant, est bâti sur un relief maçonné et possède des marches en pierre de taille de grès. La pièce est couverte par une voûte en berceau plein-cintre coffrée, avec une trappe vinaire percée côté sud – témoignant de la présence passée d'une cuve vinaire à cet emplacement. Une haute embrasure en pénétration est aménagée dans le mur ouest, qui correspond vraisemblablement à un soupirail, ou jour haut, aujourd'hui condamné par des dalles de grès ; une petite niche est aménagée à cet endroit. Le mur ouest est directement appuyé sur la roche en place qui affleure.
Second étage de soubassement, cellier. Vue de volume prise du sud.
Second étage de soubassement, cellier. Mur sud, escalier.
Second étage de soubassement, cellier. Mur ouest, pénétration.
Rez-de-chaussée surélevé
La partie occidentale du rez-de-chaussée surélevé était anciennement occupée par une épicerie, accessible de plain-pied depuis la Grande Rue grâce à une large baie boutiquière. L'espace de ce magasin est ponctué par la présence d'un poteau en fonte qui soutient le plafond.
La partie orientale du rez-de-chaussée était réservée au logis, accessible depuis la boutique. Un escalier tournant en menuiserie permet d'accéder à l'étage qui se développe uniquement sur la partie ouest de la maison et qui est occupé par les chambres.
Rez-de-chaussée surélevé, logis. Escalier menant à l'étage.
Matériaux et mise en œuvre
L'ensemble du bâtiment est construit en maçonnerie de moellons calcaires et de grès, avec des chaînes d'angle en moellons équarris. Si le rejointoiement de l'élévation occidentale est récent, la façade orientale conserve un enduit rustique balayé.
Au premier niveau de l'élévation orientale, l'encadrement de la porte de l'étable est en pierre de taille de grès, avec un linteau droit en bois. Il est accosté de deux jours dont l'un possède également un encadrement en pierre de taille. Au premier niveau de la façade ouest, l'encadrement de la baie boutiquière est également en pierre de taille de grès, bouchardée et à arêtes ciselées, avec un linteau droit monolithe. Les encadrements des fenêtres sont en briques pleines, avec piédroits non harpés et couvrement en plate-bande de briques clavées ; la forme est droite sur la façade ouest, en arc segmentaire côté est. Ces fenêtres, qui disposent d'un appui saillant mouluré en béton, sont équipées de contrevents à persiennes hautes. Au deuxième niveau de la façade orientale, les piédroits de l'encadrement de la baie fenière sont façonnés au mortier et le linteau est constitué d'une poutrelle métallique.
Elévation ouest.
Elévation ouest, premier niveau. Baie boutiquière.
Elévation ouest, second niveau. Fenêtre avec encadrement en brique à plate-bande et appui saillant mouluré en ciment.
Elévation est, premier niveau. Jour de l'étable.
Elévation est, deuxième niveau. Jour du fenil.
Elévation est, troisième niveau. Fenêtre avec encadrement en arc segmentaire et appui saillant mouluré en ciment.
Sur la partie ouest, le toit à est longs pans alors que sur la partie est, il s'agit d'un pan unique adossé. La couverture en plaques ondulées de fibro-ciment supporte des tuiles creuses. Les avant-toits et la saillie de rive du pignon sont constitués de deux rangs de génoise.