Hypothèses historiques
Cartes des frontières Est de la France, de Colmars à Marseille, 1764-1778. Le lieu-dit du Piégut apparaît, pour la première mention connue, dans une charte du cartulaire de Saint-Victor de 1056 : le lieu de Poio dans le diocèse de Senez. Comme l'explique Mgr Soanen en 1712, le toponyme de Puyaigu vient de "podio acuto à cause de la colline qui est en pointe" (podium, lieu perché et acutus, aigu, pointu). Dans cette charte, il est déjà question de trois églises dédiées Sainte-Marie, Saint-Etienne et Saint-Jean, donnée par Rostan de Castellane à l'abbaye Saint-Victor de Marseille. Par la suite, il est plusieurs fois question, dans ce même cartulaire, de Sainte-Marie de Thorame, sans qu'il soit possible de déterminer avec certitude s'il s'agit de Notre-Dame de Piégut de Thorame-Basse ou de Notre-Dame-du-Serret de Thorame-Haute.
Concernant le 17e siècle, les archives livrent un prix-fait de 1620 concernant la reprise de la voûte de la chapelle (source non vérifiée), puis en 1641, un autre prix-fait commandant la réalisation de deux contreforts ainsi que la réfection de la toiture, alors en lauzes (voir transcription en annexe), à Jean Giraud maître-maçon de Clumanc. Le décor peint, très lacunaire, dans les tons ocres et rouges, que l'on observe encore sur les murs de la nef, datent sans doute également de la 2e moitié du 17e siècle.Vue intérieure : détail du mur sud.
La chapelle était contiguë à un ermitage et faisait l'objet d'une dévotion particulière donnant lieu à une procession. Pour le 18e siècle, les visites pastorales sont conservées, notamment celles de Mgr Soanen. Ainsi, en 1712, "la chapelle est bien couverte de planches" (il est ici question de la couverture qui est alors en bardeaux de mélèze). Le messe y est dite, à cette époque, deux fois par mois, elle est "l'objet de la dévotion de toute la paroisse". En 1788, Achard écrit que "l'Hermitage de N.D. est fort joli ; la chapelle est bien décorée". Un peu plus tard, en 1795, lors de l'estimation des biens du clergé saisis à la Révolution, on estime à 1400 livres : le "batiment cy devant chapelle rurale et hermitage sur le mont de Piegu contant cinquantes cannes environ dont les murs, voûte et toit se trouvent en assez bon état".
En 1840, un questionnaire est envoyé par l'évêché aux curés desservant. Au sujet de Piégut, le curé écrit qu'il existe une "confrérie en l'honneur de Notre Dame de Piégut sous le titre de sainte Anne". La confrérie "est érigée depuis 1648 en vertu d'un bref de sa Sainteté Innocent X qui a esté renouvelé le 22 août 1827 par un autre de Léon XII [...]. Le privilège est l'indulgence plénière qu'on peut gagner le dimanche avant la fête de sainte Anne et à l'article de la mort". Avant la Révolution, la fête de Notre Dame de Piégut attirait un grand concours mais maintenant, non seulement il n'y a pas d'étrangers mais un petit nombre de la paroisse se met en mesure pour gagner les indulgences". Le chemin de croix, avec quatorze stations sous forme d'oratoires, doit dater du 19e siècle et du regain de religiosité inhérent à la période.
Cependant, en 1842, d'après les écrits de Gras-Bourguet, si la chapelle est encore en état, l'ermitage est ruiné "jusqu'en 1790 l'ermitage avait été habité par un vénérable et pieux ermite. On n'aperçoit plus que des décombres de cette maison ; mais l'église n'a essuyé qu'une faible dégradation. [...] L'ermitage communiquait à la chapelle ; une citerne profonde y avait été creusée". En 1861, il n'y a déjà plus que la chapelle, Féraud écrit en effet que "l'ermitage de Piégut [...] avait autrefois une grande célébrité. On y accourait de toutes parts le jour de la fête nommée le Pardon de sainte Anne. L'ermitage n'existe plus mais la chapelle n'a essuyé qu'une faible dégradation. [...] Ses murs sont en tuf et d'une grande solidité". Dans la visite pastorale de 1869, les toitures et voûte semblent en bon état mais la "porte [est] à refaire et [il faut] recrépir à l'intérieur".
En 1906, le vocable de la chapelle a changé : "la fabrique possède non loin du hameau de Thorame-Basse une petite chapelle dédiée à St Jean [...] section A du plan n°271, construite sur le terrain communal avant l'époque révolutionnaire".
La chapelle est finalement désaffectée le 27 juillet 1960, date à laquelle l'acte est signé par l'évêque, à la demande du maire qui voit un danger pour les fidèles. Dans les archives communales, on trouve un état de la chapelle, avant travaux, au début des années 1990 : la chapelle est quasiment en ruine, laissée à l'abandon. La toiture n'est plus étanche, la voûte est effondrée en partie, les murs s'écartent malgré les contreforts. Aussi, en 1991, le conseil municipal en décide la restauration. En 1994, le sauvetage de l’édifice est assuré par la réfection de la voûte et de la toiture et la création d'un nouveau clocheton à l'identique, par la pose de trois clés et d’un chaînage de béton armé. Les travaux sont réalisés par René Blanc, entrepreneur à Colmars. En 1998, a lieu la réfection des façades de la chapelle et la restauration des quatorze stations du mont calvaire.
Description
Plan de situation sur fond d'orthophotographie.La chapelle se trouve à mi-pente de la colline de Piégut, à l'ouest du village du Thorame-Basse, sur le chemin menant à la tour ruinée éponyme. On accède par un chemin non carrossable, bordé de quatorze stations d'un mont calvaire, figurées par de petits oratoires maçonnés abritant une niche où est placée un moulage de terre cuite.
Orienté, l'édifice, de dimensions modestes, présente un plan simple à nef unique, de trois travées prolongée par une abside semi-circulaire. La nef est voûtée en berceau brisé (voûte en pierre de taille), scandé de deux arcs doubleaux de section rectangulaire, retombant sur les piles engagées de même profil, contrebutés à l'extérieur par des contreforts. L'abside est couverte d'une voûte en cul-de-four. A la naissance de la voûte, court un cordon mouluré, prolongé par un cordon en demi-rond dans l'abside.
La chapelle est éclairée par des ouvertures en arcs segmentaires, datant sans doute du 18e siècle : l'une se trouve au-dessus de la porte d'entrée, assez haute, l'autre sur le pan sud de l'abside. On observe, dans la troisième travée, sur les murs nord et sud, deux grands arcs en plein cintre, aujourd'hui murés, qui posent la question de l'existence d'un éventuel petit transept ou, plus probablement, de chapelles latérales ou d'enfeux. Sur l'arc méridional, l'encadrement de pierre de taille est visible sous l'enduit. Sous l'arc méridional, une ouverture, postérieure, sans doute du 18e siècle, est également murée.
La toiture, moderne, est en zinc et est surmonté d'un petit clocheton au-dessus de l'abside.
Conservateur du patrimoine en poste au Service régional de l'Inventaire à la DRAC de Poitiers de 2002 à 2005, puis au Service de l'Inventaire de la DRAC d'Aix-en-Provence. En poste au Service de l'Inventaire et du patrimoine, région Provence-Alpes-Côte d'azur depuis 2008.