Historique
Le perchement sur le site castral de Rougon remonte sans doute au début du Moyen Âge. Une partie des vestiges actuellement visibles datent vraisemblablement du 12e siècle et du 13e siècle. À noter que plusieurs maisons du villages possèdent des pierres d'angle avec des bossages ronds, matériaux qui pourraient provenir du château. Voici la description qu'en fait l'abbé Féraud en 1831 : « L'ancien château seigneurial situé sur un rocher formant un cône tronqué, après avoir appartenu à la maison Brun de Castellane, qui réunissait les seigneurie de Caille et de Rougon, était passé en la possession de l'abbaye de Lérins, qui en jouit jusqu'à la révolution française. Il fut alors vendu comme bien national ».
Sans doute contemporain de l'installation du château, un village s'est créé au pied de l'éperon rocheux, regardant vers l'est. Le nom de La Ville est toujours donné à cette partie du village de Rougon (dans la région, ce toponyme correspond systématiquement à un village castral perché : Ville de Demandolx, Ville de Peyroules, etc.). La partie médiévale de ce quartier est aujourd'hui presque entièrement ruiné, mais quelques encadrements en arc plein-cintre sont encore notables. En outre, une partie d'un bâtiment médiéval, avec un parement en moyen appareil et l'arrachement d'une voûte, existe encore, intégrée à une villa récente. Sur des cartes postales du début du 20e siècle, ce bâtiment semble être utilisé comme colombier.
Au cours des siècles, ce village se développa. En 1301, il regroupe déjà 350 habitants. Sans doute au 15e ou au 16e siècle, une maison seigneuriale fut construite à l'emplacement de l'actuelle Place de la Mairie. Appelé Le Château, ce bâtiment apparaît loti sur le plan cadastral de 1835. Abandonné, pillée puis progressivement ruinée, cette maison fut rasée dans les années 1950. À noter que certaines surélévation de maisons du village, datant sans doute du 19e siècle, montrent une maçonnerie où sont remployés de nombreux gravats de mortier de gypse, qui semblent être des fragments de moulures en gypserie.
Le village de Rougon ne semble pas avoir été fermé par un rempart. Le plan cadastral de 1835 mentionne certes un bâtiment semi-circulaire à l'entrée ouest du village (actuel café-épicerie), mais des photographies anciennes montrent qu'il s'agit en fait d'une montée d'escalier hors-œuvre d'une maison.
Le toponyme Detras-les-Mourtiers pourrait témoigner de l'existence d'un ancien cimetière au nord du village. Cependant, l'ancienne église paroissiale est la chapelle Saint-Christophe, ainsi mentionnée en 1697. Au début du 17e siècle, des testaments localisent d'ailleurs le cimetière à Saint-Roman. En 1713, des réparations sont faites à la Chapelle Saint-Sébastien (Notre-Dame du Rouchasson). En 1715, il est fait mention d'une chapelle Notre-Dame du Bon Repos, sur le chemin allant à Suech, qui doit être rebatie en un lieu « plus commode pour la prière ». Ce qui amènera sans doute à la construction de la chapelle Notre-Dame (disparue), sur le chemin d'Enc. En 1788, Achard précise que le Patron de Rougon est Saint-Christophe, et que le second titulaire est Saint-Romain ; « L'Eglise paroissiale est sous le titre de N. D. de la Roche ou du Roc ».
En 1831, l'abbé Féraud indique qu'une école primaire existe au village. Dans les années 1850, on trouvait deux cercles pour les hommes du village, un « rouge » et un « blanc ». À la fin du 19e siècle, il y avait un bistrot à l'entrée ouest du village. Jusqu'aux années 1950, on trouvait au village de Rougon deux forges, l'une à l'entrée ouest du village, l'autre dans le Château sur la place de la Mairie. Cette dernière a servi à la construction du premier escalier métallique installé dans la Brèche Imbert du Sentier Martel. La présence d'un menuisier-ébéniste, d'un boulanger, de deux épicerie, de deux tisserands et d'une agence postale à également été signalée pour le début du 20e siècle.
Les premiers lampadaires étaient à acétylène et à pétrole, avec des potence en fonte moulée. L'électrification du village eu lieu au début des années 1950, l'adduction d'un réseau d'eau potable dans les années 1960.
Sur la Carte des frontières est de la France de Colmars à Marseille (1748-1778), au 1/14 000e environ, le village apparaît avec son plan actuel. Les ruines du château sont figurées, ainsi que trois chapelles : Saint-Christophe, Notre-Dame du Rouchasson et une autre située à l'entrée est du village.
Sur la Carte de Cassini (années 1770-1780 pour cette région), la mention Château ruiné accompagne le dessin du village de Rougon.
Sur le Plan cadastral et état des sections (1835-1836), le village apparaît avec une physionomie proche de l'actuelle, à quelques nuances près : le bâtiment du Château (aujourd'hui détruit) en face de la Mairie ; quelques constructions (aujourd'hui ruinées) aux quartiers de La Ville et des Taulettes ; quelques construction du 19e siècle aux entrées est et ouest. Sur l'état des sections de 1836, 112 parcelles sont mentionnées comme « maison », 22 comme « bâtiment rural » et 4 comme « bâtiment ». On note la présence d'une Mairie, du Presbytère et de l'Eglise. Un Collombier est noté à l'étage d'une maison (1835 B 1371), ainsi que des « greniers à foin » et des « écuries » comme partie de maisons. Pour plus d'un tiers des parcelles, le bâtiment appartient à plusieurs propriétaires, et ce phénomène est distribué assez équitablement dans tout le village.
Le Village est nommé en plusieurs quartiers, toponymes d'origines souvent historiques. Ainsi, le quartier de La Ville (1835 B 1163-1212 et 1314-1320) rappelle son origine de bourg castral médiéval. Celui des Taoulettes (ou Toulettes, 1835 B 1295-1302 et 1329-1358) indique la présence de très nombreux fragments de tuiles (teguale ?). Le Château (1835 B 1291-1294) désigne l'ancienne maison seigneuriale (détruite au 20e siècle), alors lotie en multipropriété. La Chapelle et La Ferraye, ou Ferraï de la Chapelle, est située à l'entrée est, mais il n'est pas mentionné de chapelle à proximité. Grand-Jas (1835 B 1272-1274) fait possiblement référence à une ferme seigneuriale. A l'entrée nord du village, Les Fourches (1835 B 1232-1263) rappellent probablement le lieu où était dressé le gibet seigneurial. Depuis l'ouest, l'accès se faisait par la Grande Rue, qui débouchait devant la mairie, sur la place de Ville. L'îlot de l'actuelle épicerie-restaurant est alors nommé Le Cabanon. On note également un îlot nommé le Baux, ainsi que le quartier de Riganel. Les quartiers des Jardins de la Fouent des Anes et celui de la Gorgette sont mitoyens de l'abreuvoir placé à l'arrivée du chemin du Tusset.
Aucun four à pain (collectif ou communal) n'est mentionné au village.
Les aires à battre sont majoritairement installées le long du chemin de Suech, au quartier dit Les Fourches, implantées en terrasses ; on y dénombre 23 aires. Des jardins sont aménagés sur les versants est et ouest.
Le bâti
Le village est installé de part et d'autre d'un petit col, situé au pied nord de l'éperon rocheux sur lequel se trouve le site castral. Il est organisé en îlots de bâtiments mitoyens, distribués par des ruelles étroites, plus ou moins parallèles aux courbes de niveaux, et reliées entre elles par des passages étroits éventuellement en escalier. Deux axes de communication principaux structurent l'implantation de ces îlots : la Grande Rue et la rue de La Ville.
Les bâtiments sont généralement traversants et possèdent souvent un étage de soubassement, parfois plus. On note également un passage couvert, l'"androne", aménagé sous une maison.
La grande majorité des parcelles bâties sont des maisons, même si l'on note également quelques bâtiments agricoles installés en périphérie. Ces maisons possèdent souvent une étable et un fenil, quelques-unes un pigeonnier. Les jardins, situés en contrebas des entrées est et ouest en 1835, sont en partie abandonnés, surtout côté est.
Le quartier de la Ville, exposé à l'est, constitue le noyau d'origine du village. La présence d'un éventuel mur d'enceinte n'a pas été repérée. Un glissement vers l'ouest a peu à peu étendu la bourgade, alors que le côté est était progressivement abandonné. À la fin du 18e siècle et au 19e siècle, quelques bâtiments ont été construits aux entrées est et ouest ; de nombreuses maisons on été surélevées dans les années 1870. Une comparaison entre l'implantation des parcelles bâties en 1835 et en 2010 permet de constater la disparition d'une quarantaine de bâtiments. Ceux-ci sont répartis dans presque tous les îlots, avec cependant une plus forte fréquence dans les quartiers les plus anciens de la Ville et des Taulettes. Les bâtiments détruits ont parfois été remplacés par une construction plus récente. Vers la fin des années 1930, l'ancienne maison seigneuriale (appelé le Château, voir annexe) située en face de la Mairie s'effondre ; elle est arasée dans les années 1950 et son emplacement est aménagé en place. À la fin des années 1990, l'entrée ouest du village est réaménagée, avec la destruction d'un bâtiment qui comprenait un escalier hors-œuvre et son remplacement par l'actuelle épicerie-restaurant-bar.
Le sommet de l'éperon rocheux est occupé par les ruines de l'ancien château médiéval (voire annexe), qui s'organise sur deux plate-formes séparées par une faille naturelle. La plate-forme nord accueillait vraisemblablement le donjon ; la plate-forme sud était occupée par trois bâtiments aménagés à l'emplacement de l'ancienne carrière. Le cadastre de 1835 ne fait aucune mention d'un four à pain communal. En 1904, une délibération du conseil municipal fait mention d'un four privé qui était loué par la commune. L'actuel four à pain situéé à la mairie a été construit en 1908-1909, quelques mois après la installation d'un four similaire chez un particulier.
Dans la maçonnerie de certaines surélévations de la fin du 19e siècle, sont visibles, parfois en grand nombre, ce qui semble être des fragments de moulures en gypserie de l'habitat seigneurial. Dans le quartier de la Ville, on note encore les vestiges d'une construction à parement en petit appareil médiéval (intégrés dans une maison des années 1970) et on trouve également quelques restes d'encadrements en arc plein-cintre.
À l'entrée ouest du village, l'aménagement de la source captée de la Fontaine est déjà mentionnée au 17e siècle, son origine remonte probablement à l'époque médiévale voire antique. L'aménagement de l'abreuvoir de la Gourgette semble lui aussi très ancien, même si son bassin paraît dater du 19e siècle. Le lavoir et son réservoir couvert datent de 1886 ; jusqu'à cette date, les lessives étaient faites au lavoir des Sences. Deux ruchers ont été repérés aux entrées du village : un « abri à abeilles » avec un mur maçonné en L ; un « mur d'abeilles », constitué d'une quinzaine de niches aménagées dans un mur de soutènement et destinées à recevoir chacune une ruche.
Un chapelet d'oratoires et de chapelles entoure le village. À l'est, l'oratoire Saint-Joseph sur le chemin d'Enc ainsi qu'une chapelle Notre-Dame (disparue) à l'entrée du village. Au nord, l'oratoire Saint-Antoine. À l'ouest, la chapelle Notre-Dame du Rouchasson, la chapelle Saint-Christophe et les oratoires Saint-Lucien, Sainte-Anne, Sainte-Hélène et Sainte-Rose.
Isidore Blanc, issu d'une famille de Rougon, fut l'instituteur du village de la fin du 19e siècle aux années 1930. Passionné par les gorges du Verdon, et par sa région en général, il en fut un fervent défenseur et contribua largement à les faire connaître au public. Avec trois autres habitants de Rougon, il accompagna et guida Edouard-Alfred Martel lors de l'exploration par le fond des 21 km du canyon, effectuée du 11 au 14 août 1905, et lors de celle d'août 1906.
Egalement poète et photographe, il fit éditer de nombreuses cartes postales de Rougon et des alentours. Dans les années 1910-1920, il organisait les excursions pour les alpinistes désireux de parcourir le fond du canyon. Il est décédé en 1933, à la suite d'un accident de motocyclette, à l'âge de 60 ans.
Isidore Blanc a été le pionnier du développement touristique dans les gorges du Verdon.