Au 17e siècle, l'agglomération d'Annot commence à déborder de sa dernière ligne de fortification. En contrebas de l'Hôtel-Dieu établi en 1656, des bâtiments se dressent, qui vont donner naissance à la partie haute de la rue du Four. Un de ces bâtiments (parcelle 421 du cadastre 1830) possède un linteau portant la date 1590. Ce linteau, brisé, peut-être remployé, n'offre aucune certitude de datation, mais il conforte l'hypothèse selon laquelle cet alignement de constructions remonte à la fin du 16e siècle. Plusieurs d'entre elles, dissociées à l'origine, ont donné naissance à une des plus vastes maisons du vieux bourg d'Annot. Sa configuration est assez complexe.
L'entrée se fait par la rue Notre-Dame. La porte a bénéficié d'un traitement décoratif très inhabituel pour la région. Le couvrement en pierre de taille, légèrement en anse de panier, est doté d'une clé ornée d'un cœur taillé en réserve. On y lit, inscrit en grec : ɑʋθεομοʋι. Sous le cœur se trouve la date 1785.
Détail de l'inscription de la porte donnant rue Notre-Dame.
Cette inscription reste assez mystérieuse. Le premier et le second nu grecs étant graphiés de manière fort différente, on peut sans doute conclure que le graveur a recopié un terme qu'il ne comprenait pas. La traduction n'en est pour autant guère aisée. Trois hypothèses peuvent être formulées.
- Il faut lire ce qui est écrit : antheomoni. Ce terme qui ne semble pas référencé signifierait "le lieu de repos des fleurs", c'est-à-dire un jardin. L'hypothèse n'est pas dénuée de sens dans la mesure où cette maison est associée à un vaste jardin.
- On peut imaginer devoir lire anthemion, un motif ornemental en forme de fleur. Cela suppose que le iota ait été mal placé.
- En acceptant l'idée que cette inscription est le fait de quelqu'un qui ne maîtrise absolument pas le grec, on peut émettre une hypothèse qui reste toutefois assez peu crédible et lire ay theo moni, en lieu et place de Θεω μουω, ce qui indiquerait une consécration au dieu unique.
Cette porte donne accès à une étroite parcelle, qualifiée de corridor dans les états des sections du cadastre de 1830. Seul ce passage, en rez-de-chaussée de la parcelle 323, dépend de la maison. Les autres parties du bâtiment (un modeste réduit qui sert d'écurie en 1830 ainsi qu'un escalier qui dessert les étages) appartiennent à d'autres propriétaires.
Le "corridor" traverse l'ancienne ligne des fortifications et débouche sur un passage surélevé, de deux étages. Celui-ci établit la jonction avec le reste de la maison par-dessus la rue du Four. Le passage surélevé, qui est manifestement le résultat de plusieurs campagnes d'extension descendant la rue, est voûté d'arêtes. Son premier étage est occupé par une cuisine.
Côté jardin, il s'appuie sur un bâtiment assez élevé dont la construction a pu elle aussi se faire en plusieurs fois. On observe en effet une chaîne d'angle partielle qui court au niveau du premier étage et de l'étage de comble au milieu de l'élévation principale. Le fait que ce bâtiment ait été construit par étapes n'est toutefois pas suffisant pour conclure que les constructions d'origine, peu élevées, n'étaient qu'un accès aux jardins qu'ils dominent.
Les étages de soubassements, où se trouvent des caves voûtées et une cuve à vin, sont partiels, construits à même la roche, dans une zone de forte pente. Deux niveaux superposés de galeries ouvertes, voûtés d'arêtes, composent un soubassement massif.
Les combles abritent deux pigeonniers dont l'un porte la date 1786. Ils comptent 281 boulins.
En 1830, la maison a déjà quasiment son aspect actuel. Le passage couvert a la même longueur qu'aujourd'hui (mais rien ne dit qu'il a déjà ses deux étages) et il appartient, ainsi que le corridor d'accès et toute la parcelle 419 à Jean Honoré Féraudy, médecin. La parcelle 421 et l'aile de galeries qui la prolonge le long du jardin, n'en font pas encore partie. La parcelle 421 est alors une maison, propriété de Honoré Barral et ses combles, faisant office de "grenier", appartiennent à Gaspard Gibelin. L'aile en retour de trois étages abritant des galeries fermées n'existe pas (elle n'est toujours pas figurée sur un plan d'Annot de 1880) mais les terrasses sont bien visibles.
Un imposant escalier en pierre de taille relie le passage couvert et le deuxième étage de terrasse au jardin. Il peut être rapproché de la porte qui s'ouvre dans son prolongement sur la rue du Four et qui porte la date 1828.
L'état actuel du jardin et les deux portails d'entrée sont vraisemblablement le résultat du percement de la route nationale en 1867. La maison appartient alors à Alexandre Verdollin.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 2004 à 2017.