Reconstruction du pont métallique sur la Vésubie (PK 25+169)
- Avant-projet -
- Mémoire justificatif -
Dressé par l’Ingénieur des TPE, Chef du service Voie et Bâtiments, M. Vincentelli
Nice, le 11 avril 1945
1 Historique de la destruction du pont sur la Vésubie et de la situation qui en est résultée pour le Réseau - Rappel des Faits
Les 3 et 4 août 1944, l’aviation alliée a détruit le pont métallique par lequel la voie ferrée de Nice à Digne franchit la Vésubie au PK 25+169.
La ligne s’étant trouvée paralysée depuis cette date, il en est résulté de graves perturbations dans l’exploitation du chemin de fer. La rupture de la relation directe Nice-Digne entrainait notamment, malgré le transbordement, un manque à gagner mensuel de 500 000 Frs.
Aussi par rapport du 31 octobre 1944 accompagnant un avant-projet sommaire, nous avons proposé de demander à l’Administration Supérieure :
1. d’approuver la reconstruction sur place du pont détruit, suivant les caractéristiques actuelles ;
2. d’autoriser le passage provisoire de la voie ferrée sur le Pont Durandy, situé immédiatement à l’amont du chemin de fer, ouvrage par lequel la RN 202 enjambe la rivière.
M. le Ministre des Travaux Publics et des Transports a adopté ces conclusions, par décision du 19 janvier 1945 adressé à M. l’Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, Administrateur du Séquestre, décision dont nous détachons les derniers alinéas :
«1. Je décide la reconstruction immédiate du pont du chemin de fer avec ses caractéristiques actuelles ; la dépense correspondante étant évaluée à 4 300 000 frs un crédit de même somme sera inscrit au budget de l’exercice 1945. Je vous invite à m’adresser le projet définitif de cet ouvrage en vue de son approbation par mes soins.
2. Je décide l’établissement immédiat du passage provisoire avec utilisation du pont-route actuel dit "pont Durandy" et j’approuve le projet présenté à cet effet, dont la dépense évaluée à 600 000 francs sera couverte par un crédit d’égale somme dont l’ouverture est demandée au budget de 1945. Je vous délègue pour approuver les marchés à passer en vue de l’exécution des travaux correspondants.»
Aujourd’hui la déviation provisoire de la ligne Nice-Digne sur le Pont Durandy est terminée.
D’autre part, pour nous conformer à la décision ministérielle du 19 janvier 1945 sus-visée, nous avons l’honneur de présenter le projet définitif de la reconstruction du pont métallique de la Vésubie suivant les caractéristiques actuelles.
2 Historique de la construction du Pont - Caractéristiques actuelles
Le pont métallique de la Vésubie dont le projet initial fut approuvé par décision ministérielle du 12 juin 1891, a été exécuté immédiatement après et terminé dans le courant de l’année 1892.
Les caractéristiques de l’ouvrage sont détaillées sur les dessins annexés au projet. Nous les résumons brièvement ci-dessous :
– Longueur totale du tablier : 100m50 en deux travées solidaires de 50m de portée d’axe en axe des
appuis.
– Hauteur des poutres H.C. : 6m200.
– Espacement des poutres : 4m800 d’axe en axe.
– Espacement des pièces de pont : 3m125 d’axe en axe.
– Espacement des montants verticaux : 6m250.
– Treillis quadruple avec barres inclinées à 45o.
Les métaux employés sont le fer pour la charpente et la fonte et l’acier moulé pour les appareils d’appui.
3 État actuel de l’ouvrage
Le plan de situation ([pièce no] 2) du dossier montre clairement l’état de l’ouvrage que l’on peut résumer comme suit en partant de la rive gauche :
1. Culée rive gauche en bon état.
2. Dans la travée rive gauche : cinq panneaux contigus de 31m25 de longueur totale en bon état suivis de 3 panneaux entièrement détruits.
3. Pile lézardée à démolir et à reconstruire.
4. Dans la travée rive droite, en partant de la pile : deux panneaux détruits, suivis de trois panneaux contigus en partie endommagés, deux autres panneaux détruits, et enfin le panneau de rive en partie endommagé.
5. Culée rive droite en bon état, sauf quelques angles de maçonnerie épaufrés à reprendre.
Les cinq panneaux rive gauche sont indemnes mis à part quelques légers gauchissements de barres de treillis. Ils forment un tout que l’on peut remettre en place par simple ripage et relevage.
Par contre les panneaux encore utilisable de la rive droite peuvent difficilement être remontés en blocs, en raison de leur position (voir profils CD et EF annexés au plan de situation, pièce no 2). Aussi, comme certaines tôles qui sont en partie détruites devront être enlevées, nous croyons préférable de démonter les fers pour les remonter ensuite à la place "ad hoc".
En résumé l’ouvrage entier pesant 200 tonnes, voici la quantité de fer récupérable :
1. Cinq panneaux rive gauche en bon état, à remettre ne place par ripage et relevage : 62 tonnes
2. Fers à démonter et à remettre en place après réparation : 43 tonnes
3. Fers à démonter et à remettre en place après réparation : 5 tonnes
Total : 110 tonnes.
4 Opportunité de reconstruire l’ouvrage suivant les caractéristiques actuelles
Il est établi clairement dans le paragraphe précédent que la reconstruction de l’ouvrage suivant les caractéristiques actuelles permet de récupérer plus de la moitié des fers. C’est cet avantage essentiel qui a déterminé notre choix, à une époque où indépendamment de l’incidence pécuniaire la rareté du métal gêne considérablement la construction.
Seule en effet, une autre considération aurait pu déconseiller cette décision, en octobre 1944.
À l’heure où la presse locale et l’opinion se demandaient s’il n’était pas opportun de remplacer la voie métrique par la voie normale, ne valait-il pas mieux reconstruire un viaduc capable de supporter le convoi type (voie normale) prévu par la circulaire du 14 octobre 1944 ?
Assurément oui, si cet ouvrage eût été le seul de la ligne. Or les tableaux ci-dessous montrent qu’il n’en est rien. La voie ferrée de Nice à Digne comporte en effet 102 ponts métalliques, dont 16 de portée supérieure à 15m00.
La disposition des longerons permet pour tous ces ouvrages la pose de la voie de 1m44 de largeur. Les tabliers ont été calculés au demeurant pour supporter les surcharges de la voie normale prévus par les règlements en vigueur au moment de la construction (Règlement du 9 juillet 1877 et du 29 août 1891).
Les ponts établis sous l’empire du règlement du 9 juillet 1877 sont en fer, les autres en acier (88 sont en fers 14 en aciers).
Or il résulte d’une étude détaillée qui ne peut trouver place dans le cadre de ce mémoire que :
1. Les ponts en aciers peuvent supporter le convoi type pour voie normale, prévu par la circulaire du 14 octobre 1944.
2. Les ponts en fer ne peuvent supporter qu’un convoi dont le poids des essieux, lesquels sont écartés comme ceux du convoi type prévu par le règlement du 10 mai 1927, est ramené de 20 tonnes à 14 tonnes, ce qui donne des locomotives de 70 tonnes suivies de tenders de 42 tonnes et de wagons à deux bogies de 56 tonnes.
Il apparait donc que seuls 74 ouvrages sur 102 peuvent supporter les surcharges actuelles relatives à la voie de 1m44. La normalisation de la voie ferrée entrainerait donc le remplacement ou la reconstruction des ponts insuffisants.
En conséquence, le cas échéant, le viaduc de la Vésubie pourrait être traité dans le cadre des 88 ponts à modifier. Il ne semble donc pas opportun de le remplacer d’ores et déjà, cette opération restant par la suite toujours possible, d’autant plus que la dépense correspondante qui s’élèverait à 1 600 000 Frs environ, risquerait d’être engagée en pure perte, si l’Administration Supérieure maintenait la voie métrique.
Ajoutons pour terminer que les panneaux en fer voisins de la pile qui ont été détruits, devant être remplacés par des panneaux en acier, le viaduc sera considérablement renforcé dans la zone de l’appui central où se produisent les efforts maxima (moments fléchissants et efforts tranchants).
On peut donc affirmer à priori, qu’après reconstruction, le pont de la Vésubie sera plus robuste que les
87 autres ouvrages en fer existants sur la ligne de Nice à Digne.
5 Pile
Le socle de fondation des piles établi dans une enceinte métallique étant intact, la reconstruction de la pile se borne à celles des maçonneries en élévation lesquelles sont fissurées.
Cette pile sera rétablie suivant les dimensions actuelles. Nous avons prévu le corps des maçonneries en béton de ciment et les parements en moellons tétués par assises réglées. A noter que les parements de la pile restent utilisables dans la proportion des 65%.
D’autre part, dans l’ouvrage démoli les sommiers d’appui et les chaperons étaient en pierre de taille. A l’heure actuelle, devant l’impossibilité de trouver celle-ci dans notre région et compte tenu du prix de revient des pierres provenant de l’extérieur, prix augmenté encore en raison des grandes dimensions de chaque élément, nous avons préféré établir les sommiers en béton armé et les chaperons en béton de ciment coffré.
Les parements de béton coffré seront particulièrement soignés et passés à la fine boucharde.
6 Charpente métallique
La mise en place de la charpente métallique comprend deux parties bien distinctes :
1. Mise en place des cinq panneaux contigus (côté rive gauche).
2. Mise en place du reste du tablier.
6.1 Mise en place des cinq panneaux contigus (côté rive gauche)
Comme il est dit au §3 ci-dessus, les cinq panneaux côté rive gauche seront mis en place par simple ripage et relevage au moyen de vérins.
Avant cette opération, le tablier sera replacé correctement sur les appareils d’appui, les balanciers supérieurs ayant glissé latéralement par rapport aux pivots et aux balanciers inférieurs.
L’arrière de la charpente métallique sera de plus, haubannée solidement, afin d’éviter tout mouvement vers la rivière. Reste à fixer la position d’un support capable de recevoir l’about des panneaux. Il ne s’agit pas non plus à proprement parler d’une palée mais de trois grils de travers de portée nécessairement variable au cours de l’opération du ripage. Les vérins et les grils de traverses reposeront sur une semelle de fondations en béton de ciment.
Quant à la position de cet appui, nous avons cru préférable de la prévoir sous la pièce de pont marquant l’extrémité du 3ème panneau, afin de réserver largement la place nécessaire à la jonction des cinq panneaux avec le reste du tablier, et de loger le cas échéant, les abouts des échafaudages de montage des parties reconstruites (actuellement détruites).
Sans préjuger de ce que l’entrepreneur pourrait faire en l’occurrence, le dessin de relevage et de ripage (pièce no7) montre que les dispositions prévues sont amplement suffisantes, la longueur de l’about de l’échafaudage éventuel de montage qui y figure, étant certainement maximum.
Nous avons prévu comme suit les dépenses de relevage et de ripage des panneaux (R.G.) : semelle à l’entreprise, traverses fournies par le Réseau ; le reste (engins de manœuvre et manœuvre elle-même) difficilement évaluable, sera réglé en régie.
6.2 Montage du reste du tablier
Le tablier détruit avait été mis en place par lançage, mais avant la construction des murettes garde grève et l’achèvement de la plateforme en remblai de part et d’autre de l’ouvrage.
A l’heure actuelle nous croyons plus souple de ne pas imposer un mode de montage déterminé. En effet, en raison des progrès de la technique et de la puissance des engins de levage, une maison spécialisée pourrait être à même de remonter le pont en dehors des procédés classiques (construction sur place par échafaudage, construction par encorbellement, lançage).
Nous laissons donc le plus large choix à l’entrepreneur qui devra néanmoins en tout état de cause, justifier et soumettre à l’agrément du Réseau, le procédé de mise en place qui lui paraîtra préférable.
En ce qui concerne les fers utilisés voici comment il sera procédé. Avant tout commencement d’exécution l’ingénieur désignera à l’entrepreneur les trois catégories de fer définis au tableau ci-dessous :
Comme on le voit ci-dessus, le gros du tablier est payé à l’entreprise, sauf toutefois les petites déchirures des fers de remploi de 1ère catégorie.
Ces nombreuses et menues dégradations étant difficilement évaluables à l’unité, force nous est donc d’en prévoir en régie, la réparation qui sera exécutée par soudure à l’arc électrique.
Il en va de même pour les réparations identiques des cinq panneaux rive gauche faisant l’objet du §6.1.
Enfin, lorsque dans une même barre de treillis se trouvent un tronçon ancien et un tronçon neuf, la soudure bout à bout sera effectuée à l’arc électrique. Il serait difficile en effet de procéder à un raccord correct par un rivetage ordinaire. Signalons pour terminer, que seules 26 barres de treillis se trouvent dans ce cas.
7 Note de calculs et dessins
Le projet se bornant à reconstruire le pont suivant ses caractéristiques antérieures, il est inutile d’établir une note de calcul détaillée de l’ouvrage.
Au demeurant, nous avons vu au §4 que le viaduc peut supporter un convoi type composé de locomotives de 70 tonnes suivis de tenders de 42 tonnes et de wagons de 56 tonnes. Ce convoi est plus défavorable que celui prévu par le règlement du 10 mai 1927 en ce qui concerne la voie métrique (locomotives de 50 tonnes suivis de wagon de 20 tonnes).
D’autre part bien que les dessins d’ensembles figurant au dossier reproduisent les dispositions de l’ouvrage existant, l’entrepreneur restera néanmoins soumis à toutes les prescriptions de l’article 96 du cahier des charges général pour les travaux dépendant de l’Administration des Ponts et Chaussées.
8 Prix unitaires
Les prix de maçonnerie et de béton sont inférieurs à ceux couramment appliqués dans la région. En effet, l’entrepreneur trouvera les pierrailles pour béton sur place dans le lit du Var et de la Vésubie. Le sable non plus n’est pas éloigné, qu’il provienne d’une installation de broyage située à 100 mètres du chantier, ou qu’il soit extrait du lit de la Vésubie et utilisé après criblage et lavage. D’autre part, les moellons tétués proviennent de la pile lézardée dans la proportion des 65%, ce qui donne un prix de maçonnerie relativement bas et un prix de parement réduit à un simple prix de rejointoiement. Les prix d’acier neuf et de fers de réemploi sont les prix normaux qui tiennent compte de toutes les sujétions prévues à l’article 145 du cahier des charges général.
9 Dépenses
La dépense s’élève à 4 300 000 Frs se décomposant comme suit :
1. Travaux à l’entreprise : (Maçonnerie : 177390 Frs ; Tablier métallique : 2918500 Frs ; Total : 3095890 Frs
2. Somme à valoir : 1 204 110 Frs
3. Total général : 4 300 000 Frs
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la somme à valoir comprend toutes les dépenses des travaux difficilement évaluables à l’unité, tels que le relevage et le ripage des cinq panneaux rive gauche, la réparation et la soudure des petites déchirures sur les fers réputés utilisables, la reprise de certaines parties de la culée rive droite.
Elle comprend en outre les travaux qui n’ont aucun lien avec l’entreprise principale tel que la pose de la voie sur l’ouvrage et aux abords.
Enfin, en raison de l’instabilité des prix et des hausses probables, il nous a paru opportun de compter pour imprévision le cinquième des travaux à l’entreprise, au lieu du dixième.
10 Opportunité de ne faire qu’un lot unique de tous les travaux.
La dépense pour maçonnerie étant à peine égale à 177 390 Frs, il nous paraît préférable de ne faire qu’un lot unique de tous les travaux de reconstruction. Dans le cas où l’Entreprise de Construction
Métallique adjudicataire ne serait pas à même de procéder par ses propres moyens au rétablissement de la pile, elle pourrait être autorisée à céder l’exécution des maçonneries à des sous-traitants, conformément à l’article 9 des Clauses et Conditions Générales imposés aux entrepreneurs des Ponts et Chaussées.
Le marché sera passé sur appel d’offres de rabais, limité aux entreprises spécialisées, susceptibles de conduire rapidement et correctement les travaux.
11 Suppression de la déviation de la voie ferrée sur le Pont Durandy
La dépense pour le rétablissement de la plateforme normale du chemin de fer après achèvement du viaduc métallique est couverte par le crédit de 660 000 Frs, couvert par la Décision Ministérielle du 19 janvier 1945 en ce qui concerne la déviation provisoire de la voie ferrée sur le Pont Durandy.
12 Conclusions
En définitive pour nous conformer à la Décision Ministérielle du 11 janvier 1945 nous proposons de demander à l’Administration Supérieure de bien vouloir approuver le présent projet de reconstruction du pont métallique situé sur la Vésubie, au PK 25+169 de la ligne de Nice à Digne, étant toutefois entendu par application de ladite décision (in fine), que M. l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Administrateur du Séquestre, reste compétent pour approuver le marché à passer, en vue de l’exécution des travaux correspondants.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 2004 à 2017.