Dossier d’œuvre architecture IA05000155 | Réalisé par
Truttmann Philippe
Truttmann Philippe

Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.

Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.

Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)

Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)

La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)

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  • enquête thématique régionale, architecture militaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur
fort de la Croix de Bretagne
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Hautes-Alpes - Briançon
  • Commune Villar-Saint-Pancrace
  • Lieu-dit la Croix de Bretagne
  • Dénominations
    fort
  • Appellations
    fort de la Croix de Bretagne, de l'ensemble fortifié du Briançonnais
  • Dossier dont ce dossier est partie constituante
  • Parties constituantes non étudiées
    enceinte, édifice logistique, citerne, batterie, casemate

Intérêt stratégique, chronologie des travaux

Du sommet du Grand Peygn (8 km sud-est de Briançon), dont le versant est domine la montée au col de l'Izoard, se détache une longue arête rocheuse, sensiblement rectiligne, la Crête des Granges, qui d'une altitude de 2800 m au sud-est, s'abaisse, au Nord-ouest, à 2400 rn à la Grande Maye, avant de retomber sur la vallée de la Durance. Le versant nord de cette crête à son pied bordé par le cours de la Cerveyrette, dont la vallée le sépare de la crête, ouest-est, Infernet-Gondran.

Aucun cheminement praticable ne suivant cette crête, aucune organisation militaire n'a l'air d'y avoir été établie avant 1870. C'est en 1873 que, dans le cadre des études de réorganisation générale de la défense des frontières, rendue indispensable par le traité de Francfort et la crise de l'artillerie rayée, le Comité de Défense préconise la construction d'un fort à la Croix de Bretagne, prolongé en avant par des batteries à la Grande Maye.

L'ordre d'étudier l'ouvrage a été donné le 23 décembre 1873 et le décret déclaratif d'utilité publique le 2 mai 1874, tandis que le projet, approuvé par le ministre le 20 avril 1875, était mis en adjudication le 4 novembre (sur crédits de la loi de finance du 17 juillet 1874).

Précédés par la construction de la route d'accès - indispensable au chantier - les travaux, commencés en mai 1876 sont considérés comme achevés en octobre 1879 pour un montant de 1.416.642 F. or dont 1.142 d'achats de terrain.

Les projeteurs et chefs de chantier en furent les capitaines du génie Azibert (sous-lieutenant à la bataille de Champigny, en 1870, siège de Paris F. Azibert s'y distingue par une action héroïque). On le retrouve, donc, chef de chantier du fort en 1876, puis professeur de fortification à l'école d'application d'artillerie et du génie à Fontainebleau en 1897 où son cours «Les Sièges Célèbres » connaîtra une édition publique à succès. Il termine sa carrière en 1913 comme général de division et gouverneur de Belfort. Le général Joffre devait le rappeler au service en 1914. Spécialiste réputé des questions de fortification c'est une des grandes figures de l'histoire du génie avec Rabanis (dont les noms sont gravés sur le côté du chaperon d'un des piliers de la porte d'entrée).

Selon la «Feuille de renseignements sur les nouveaux forts » (6 novembre 1881), l'ouvrage est armé de 12 pièces de canon (7 de 155 mm long - 5 de 138 mm) (le matériel de 138 mm, en bronze, sera retiré vers 1900 et remplacé généralement par le canon de 120 long modèle 1878), 4 mortiers (2 de 22 cm, 2 de 15 cm) plus 12 pièces de 95 mm dans les batteries annexes. En 1899 : 3 pièces de 155 L, 4 de 138 et 4 mortiers. Une garnison de guerre de 24 officiers, 28 sous-officiers, 444 soldats et 40 chevaux trouve place dans les casemates, avec des abris pour 6 mois d'approvisionnement en vivres, munitions (75.500 kg de poudre et 3.150.000 cartouches) et eau (citerne de 600 m3 alimentée par une source extérieure puis, après coupure de la conduite, par les eaux des chapes).

Poussée jusqu'à la batterie de la tour, la route militaire dessert, au passage, 6 autres batteries avancées, ponctuant la crête de la Grande Maye et orientées pour tirer sur le pied du col de l'Izoard, le défilé de la Cerveyrette, et les pentes sud du Gondran.

L'évolution ultérieure de l'ensemble, grevée par la modicité des crédits accordés aux fortifications, n'accuse, jusqu'en 1914, aucun remaniement profond, malgré la crise de l'obus torpille (1885) venue réduire brusquement la capacité de protection des abris et rendre très vulnérables les groupements de pièces d'artillerie concentrées dans les ouvrages.

Dans le cadre de l'évolution politique et tactique (développement d'unités spéciales de montagne, création de l'armée des Alpes, tension avec l'Italie), on construit de 1886 à 1888 un blockhaus défensif pour 50 hommes au sommet de la Grande Maye pour la surveillance de la position, 2 baraques a et b , chacune pour 25 hommes pour loger le personnel des batteries, et des abris à munitions (abris 1 et 2 : 1885-86 1bis, 2 bis (en béton) : 1892-93).

Le cavalier du fort est également remanié : la batterie unique de 5 pièces orientée vers le Gondran est ramenée à 3 pièces, séparées par des traverses, tandis qu'une nouvelle batterie de 2 pièces est établie pour prendre d'enfilade la crête de la Grande Maye. Le fort est d'ailleurs, un temps, considéré comme la véritable citadelle de Briançon et sa boulangerie augmentée en conséquence.

Mais les batteries-cavernes proposées en 1888 ne seront pas faites, pas plus qu'un téléphérique envisagé en 1894 entre le fort du Randouillet et la Croix de Bretagne. Par contre, l'ancien tracé de la route d'accès par Pont-de-Cervieres et Villard-Saint-Pancrace est doublé, à partir de 1888, par un nouveau tracé, plus court, par Fontchristiane, avec pour le franchissement des gorges de la Cerveyrette, la construction d'un pont métallique dit «pont Baldy » (du nom de l'officier chef du Génie de Briançon), pont détruit en septembre 1944 par les troupes allemandes en retraite, et dont les vestiges sont encore visibles aujourd'hui.

Aucune autre modification ne devait survenir jusqu'en 1914, ni même jusqu'en 1940, où le site n'ayant pas été retenu pour l'implantation d'ouvrages modernes, les organisations furent maintenues et utilisées en l'état.

Analyse architecturale

Composition d'ensemble

Vue aérienne, côté de l'accès.Vue aérienne, côté de l'accès. Le fort proprement dit est installé sur un replat intermédiaire de la croupe d'extrémité nord-ouest de la crête de la Grande Maye, à 400 m en contrebas du sommet, distant de 1500 m, Si la crête avait été abordable et praticable, une situation exposée à un tel commandement eût été indéfendable, mais non seulement ce n'était pas le cas, et, en plus, on a pris le soin d'occuper la crête, d'abord avec des batteries, puis en 1888, avec un blockhaus de surveillance.

Complété, faute de place, par 4 batteries annexes, et compte tenu de son site, le fort possède d'excellentes vues du nord à l'ouest sur le confluent de la Guisane, le cours de la Durance, au nord-est, sur le versant sud de l'Infernet et du Gondran, le cours inférieur de la Cerveyrette et au sud, sur le vallon des Ayes , où ses obus peuvent frapper, avec l'avantage de l'accroissement de portée résultant de la différence d'altitude.

Accessible par une route militaire de 11 km, le fort s'inscrit dans un plan approximativement elliptique, à grand axe, de 300 m de long, orienté ouest-est, et 130 m de largeur maximale. Construit selon les critères techniques de l’instruction du 9 mai 1874, il échappe, par contre, en raison de l'adaptation au site montagneux, aux grands schémas stéréotypés auxquels se rattachent les forts établis en terrain moyennement accidenté.

Une enceinte, constituée par une escarpe à tracé irrégulier, partie bastionné, partie tenaillé, partie à crémaillère, couronne, au nord, l'escarpement naturel, tandis qu'à l'est et au sud, un fossé creusé dans le roc renforce l'obstacle du côté du glacis à contrepente descendant de la Grande Maye. Il n'existe pas, comme à l'Infernet, d'organe de flanquement spécialisé: la défense rapprochée est assurée par les feux d'infanterie du parapet crénelé en maçonnerie couronnant l'escarpe.

La dénivelée d'une trentaine de mètres d'altitude entre l'avant (est) et l'arrière de l'ouvrage (ouest) a conduit le projeteur à grouper à l'avant les batteries d'artillerie, avec, au centre, le cavalier 23 et, à l'arrière, donc mieux défilés, les différents corps de casemates-abris, disposés sans ordre apparent, en gradins, le long des rampes de circulation intérieure.

Ces corps de casemates, non reliés entre eux par communications enterrées, seront évoqués dans l'ordre où on les rencontre en pénétrant dans l'ouvrage.

Porte principale du fort vue de la place d'armes d'entrée. A droite, façade nord-ouest du bâtiment D.Porte principale du fort vue de la place d'armes d'entrée. A droite, façade nord-ouest du bâtiment D. Entrée : l'extrémité nord-ouest de l'enceinte dessine un rentrant à 90°, couvert par une sorte de place d'armes ou d'avant-cour, elle-même fermée au nord et à l'ouest d'un mur d'enceinte crénelé.

Dans la face ouest, s'ouvre l'avant-porte du fort, constituée d'un portail en ferronnerie à deux vantaux, dont l'un (droit) muni d'un portillon piétonnier, encore muni d'une partie de son doublage en tôle, s'ouvre entre deux piliers carrés en pierre de taille couronnés d'une tablette surmontée d'une pointe de diamant. Sur la face nord (donc opposée au passage) de la tablette du pilier de gauche est gravée l'inscription « F. AZIBERT - G. RABANIS Capitaines du Génie» (noms des officiers chefs de chantier de la construction de l'ouvrage), placée très discrètement, compte tenu de l'extrême réticence de la direction centrale du génie à autoriser ses officiers il signer leur œuvre, et ceci de tout temps.

Près de l'entrée, on remarque le terre-plein d'une batterie d'artillerie légère tirant vers le nord.

La route d'accès traverse en ligne droite la place d'armes d'entrée, en longeant l'escarpe de l'enceinte du fort, qui en ce point porte la façade nord du bâtiment D, et par une rampe et un pont fixe franchissant un haha, aboutit à la porte de l'ouvrage identique à l'avant-porte (sauf pour les piliers qui ne portent pas de pointes de diamant, et le passage surmonté d'une herse fixe en ferronnerie).

Bâtiment D (pavillon des officiers)

Cour centrale. A gauche pavillon D, à droite façade de la caserne A et, en premier plan, abri du poste de puisage de la citerne L.Cour centrale. A gauche pavillon D, à droite façade de la caserne A et, en premier plan, abri du poste de puisage de la citerne L.Orienté sensiblement ouest-est, il s'agit d'un bâtiment rectangulaire dégagé sur trois faces: seul le pignon est, plus exposé aux coups dangereux, est prolongé par une sorte d'abside terrassée (disposition assez rare dans la fortification de cette époque) autour de laquelle tourne la route intérieure. Implanté sur le premier gradin de l'emprise de l'ouvrage, il est à deux niveaux non communiquant. Sa façade nord, faisant corps avec l'escarpe rocheuse que longe la route d'entrée, comporte en rez-de-chaussée une casemate voûtée formant corps de garde et située aussitôt après la porte principale. Au-dessus, deux refends transversaux divisent le bâtiment en trois travées casematées accolées ouvrant au sud de plain-pied avec la cour du fort, et au nord, dominant la route d'entrée. Couvertes en voûtes surbaissées protégées d'une couche de terre d' 1,80 m à la clef; ces casemates sont contrebutées, en pignon, par des massifs intérieurs de maçonnerie d'angle de 3 x 3 m formant cu1ée, séparés (en pignon ouest) par un mur percé d'une porte et deux fenêtres. Le pignon est, masqué par « l’abside », est aveugle. Les travées prennent jour, à chaque extrémité, par trois ouvertures (trois fenêtres au nord, une porte centrale et deux fenêtres au sud) sauf la travée sud éclairée par une porte et deux fenêtres supplémentaires (cf ci-dessus). Des cloisons légères s'arrêtant à la naissance des voûtes, subdivisent les travées en 21 locaux, dont le poste du télégraphe, la cuisine et la « pension» des officiers, les locaux du gardien de batterie et 15 chambres d'officiers, totalisant 17 places. Murs extérieurs en maçonnerie de moellons, surmontés d'une corniche sur modillons portant un mur d'acrotère, à tablette, qui masque le terrassement de couverture. Côté nord, une chaine horizontale à bandeau sépare les deux niveaux et prolonge le cordon de magistrale de l'escarpe adjacente. Encadrements des baies (à linteaux en arc segmentaire), chailles d'angle, corniches et tablettes de couronnement en pierres de taille dressées.

Bâtiments C - H - A - Citerne L

Une fois franchie la porte de l'ouvrage et en contournant l'abside du bâtiment D, on débouche dans la cour principale de l'ouvrage, fermée au nord-est et au sud-est par un ensemble de bâtiments casematés formant un L.

La branche gauche (bâtiment C), à un seul niveau, est constituée de deux casemates (de 6 x 4 m) accolées, séparées par un piédroit central, et prises entre un massif de soutènement, à gauche, et, à droite, un passage voûté menant à une batterie d'artillerie à deux pièces à air libre (batterie 20). Voûtes surbaissées et mur de fond (nord) sont recouverts d'un massif de terre de protection. Chaque casemate comporte une cheminée à souche émergente.

La casemate de gauche abrite les latrines (6 sièges à la turque pour la troupe, 2 sièges isolés pour les gradés), avec fosse fixe en maçonnerie en sous-sol. La casemate de droite abrite la cuisine de la troupe : cette disposition est sans doute due aux contraintes du terrain, mais reste pour le moins critiquable.

Caserne A. Casemate du premier étage. Vue intérieure. En haut, doublage en tôle de la voûte. Au mur, vestiges de lits de forteresse modèle 1874.Caserne A. Casemate du premier étage. Vue intérieure. En haut, doublage en tôle de la voûte. Au mur, vestiges de lits de forteresse modèle 1874.

L'aile droite est constituée par le bâtiment A, vaste rectangle de 46 m x 20 m, à deux niveaux, enterrés de deux côtés (pignon nord-est, long pan sud-est) partiellement enterré sur un troisième (rez-de-chaussée du pignon sud-ouest) et dégagé sur le quatrième (façade sud-ouest, sur cour).

En plan, trois refends transversaux divisent le bâtiment en quatre travées de casemates voûtées contrebutées à chaque extrémité par trois travées perpendiculaires aux précédents et formant culées.

Dans la partie enterrée (pignon nord-est et long pan sud-est) les casemates sont entourées d'un couloir d'isolement, devenant cour anglaise en pignon sud-ouest. Le plan se répète à chaque niveau. Le rez-de-chaussée est couvert de voûtes surbaissées assez légères (0,40 m), le premier étage de voûtes en maçonnerie de 0, 80 m protégées d'une couche d' l, 50 m de terre. Le couloir enveloppe est simplement muni d'un plancher au premier étage.

Les casemates ne communiquent pas entre elles au rez-de-chaussée, tandis qu'au premier étage, une enfilade de baies en plein-cintre percées dans les piédroits suivant l'axe longitudinal du bâtiment, constitue une circulation générale. On remarque là que les massifs d'extrémités, aveugles (sauf en pignon sud-est) font légèrement saillie de part et d'autre de la façade sud-ouest. De ce côté, chaque casemate prend jour sur la cour par trois baies, une porte centrale et deux fenêtres. La porte donne, au premier étage, sur une coursive en balcon. Chaque porte est surmontée d'une lucarne de même largeur, ouvrant au ras de la voûte de la casemate. Sur le pignon sud-ouest, dont le premier étage est de plain-pied avec la route intérieure et le rez-de-chaussée en fond de cour anglaise, on trouve la grande porte en plein-cintre de circulation longitudinale, et, de chaque côté une porte et une fenêtre, le tout surmonté de trois œils-de-bœuf.

La cour anglaise est franchie par des passerelles en profilés métalliques et bordée d'une rambarde en ferronnerie à croisillons. Murs extérieurs en maçonnerie de moellons, surmontés d'une corniche à chanfrein droit sur modillons, portant elle-même un muret d'acrotère à tablette, masquant le massif de terre de couverture.

On remarque, à l'intérieur (premier étage) des doublages de voûte (tôle ondulée galvanisée, voiles de briques) sans doute pour arrêter des venues d'eau. Présence également d'éléments de lits à 4 places de forteresse, modèle 1874 (sans les sommiers).

Enfin il y a lieu de noter que compte tenu de sa hauteur, le bâtiment assure le défilement, face à l'est, de la cour centrale et de la façade sud-est du bâtiment D.

Capacité normale: 18 sous-officiers et 152 soldats (par chambrées de 24 ou 28) pouvant être portée à 306 en cas de nécessité.

Bâtiment H

Simple groupe de deux petites casemates aveugles accolées, établies dans le prolongement nord de la façade du bâtiment A, le long du passage voûté menant à la batterie 20.

Citerne L

Réservoir voûté en maçonnerie, type mi-caverne, établi sous la cour centrale, elle comporte à l'extrémité nord-est le bassin filtrant (à sable et gravier) et au sud-ouest le poste de puisage, surmonté d'une guérite en maçonnerie surélevée en briques rouges et couverte d'un toit, qui abritait la pompe (disparue) et un réservoir relais.

Alimentée par une conduite enterrée, amenant l'eau d'une source extérieure, elle a une capacité de 600 m3, correspondant aux besoins de 495 hommes et 40 chevaux pendant 6 mois et on estimait que l'alimentation ne pouvait être interceptée que pendant la dernière phase du siège.

Magasin G

En quittant la cour centrale, et suivant les rampes de la route, on contourne le bâtiment A et derrière celui-ci, on longe le magasin G, simple groupe de quatre casemates voûtées et enterrées (sauf la façade ouest) affectées au service de l'artillerie. Les locaux 1 et 2 constituent l'atelier de chargement des projectiles, 3 et 4 les magasins à projectiles vides et munitions (3.150.000 cartouches mle 1874). Les locaux contiennent encore (1986) des éléments de cingolis (ceintures à patins adaptables aux roues des canons système de Bange) du bâti de plateforme, encore peints en gris et provenant des rechanges des pièces de position en place dans le secteur en 1940.

Magasin F

Au bout de la rampe, la route effectue une épingle à cheveu devant la façade du magasin à poudre F, du type mi-caverne à berceau unique et cloisons intérieures (dispositions générales des circulaires ministérielles de 1874 à 77). La chambre à poudre de 12,8 m x 6,2 m est donnée pour une capacité normale de 47.200 kg de poudre en charges confectionnées.

Couverture: 3 m de terre.

Casemate B

Pignon ouest du bâtiment B.Pignon ouest du bâtiment B.Grand bâtiment rectangulaire de 57 x 15 m hors œuvre, à un seul niveau de casemates, enterré sur deux côtés (long pan nord et pignon est), établi en retrait et le long d'un alignement droit du front sud de l'enceinte. Pignon ouest et façade sud dégagés. Sept refends transversaux le compartimentent en 8 travées casematées à voûtes surbaissées, équilibrées à l'ouest par un massif de maçonnerie comportant une pièce voûtée perpendiculairement aux précédentes, et à l'est par la poussée des terres transmise par le couloir enveloppe, à mur extérieur sur épaissi.

L'affectation règlementaire de ces locaux est - comme pour le bâtiment C - assez surprenante en ce sens qu'elle amène à faire cohabiter des fonctions très différentes:

- A l'extrémité est, deux casemates (6 et 7) sont affectées à la boulangerie ; local 6 : paneterie pour 2400 rations, magasin au bois et bascule; local 7 : fours, dont le principal pour 300 rations (temps de guerre) et un de 22 rations (temps de paix) (+ un four portatif additionnel de 180 rations, sans doute en cas d'érection du fort en dernier réduit de la défense).

- Les cinq casemates centrales (1 à 5) sont aménagées en écuries pour 8 chevaux, le nombre élevé de 40 chevaux s'expliquant par le rôle du fort en tant que noyau central du groupe de batteries de la Grande Maye et des transports correspondants à effectuer, en pièces et munitions.

On remarque l'emplacement des mangeoires sur le côté gauche, le long du piédroit, et également les restes de fixations des bat-flancs.

- Enfin, à l'extrémité ouest, la casemate 8 et son annexe 9, aux murs lambrissés pour une meilleure habitabilité, étaient destinées, en temps de paix, au logement du détachement permanent et, en temps de guerre, au rôle d'infirmerie-hôpital théoriquement pour 10 malades ou blessés.

Chaque casemate prend jour, au sud par deux demi-lunes, au-dessus d'une large porte pour les écuries, d'une porte piétonne et d'une fenêtre pour l'infirmerie. Pas d'entrée directe à la chambre à four, desservie par la paneterie.

Côté couloir enveloppe, les casemates sont fermées par une cloison avec porte et demi-lune supérieure.

Murs extérieurs en moellons irréguliers. Encadrement des baies en briques rouges sur embase en pierre de taille dressée, comme les tablettes de fenêtre. Corniche sur voûtains de briques à corbeaux de pierre dressée, portant elle-même un muret d'acrotère à tablette masquant la couverture protectrice de terre.

En façade, font saillie les gargouilles en pierre de taille d'évacuation des eaux des noues des voûtes des casemates; entre les baies on remarque, scellés dans le mur, des anneaux pour attacher les chevaux.

Enfin, à l'extrémité est du bâtiment B, se trouve, disposé obliquement, le bâtiment N simple petit bâtiment de temps de paix construit comme magasin au combustible.

Bâtiment E

Deuxième magasin à poudre du fort, implanté derrière le bâtiment B et à contrepente du cavalier 23. Du type mi- caverne et analogue au magasin F, il est complètement enterré, sauf à l'entrée du vestibule, ménagée dans l'encoignure de deux murs en aile. Capacité (chambre de 16 x 6 m).

Bâtiments K et M

- Abris des batteries du fort, construits en système mi- caverne, façade arrière seule dégagée.

- Bâtiment K : deux casemates accolées de part et d'autre d'un refend longitudinal, une casemate à usage d'abri et magasin du cavalier 23, la seconde à usage de magasin à munitions.

- Bâtiment M : une seule casemate, abri et magasin de la batterie dite de l'avancée.

État général: bon, sauf brèche dans l'escarpe du front sud, et disparition (vandalisme) des menuiseries.

Emplacements de combat (intérieur du fort)

S'agissant d'un fort de montagne, à emprise en gradins et très étirée en longueur, l'artillerie ayant en outre à faire face à des directions à battre différentes, se trouve fractionnée en petits groupes de pièces dispersés à l'avant et à la périphérie de l'enceinte.

On trouve ainsi :

- dans la place d'armes d'entrée, une batterie (à deux pièces) face au nord (Briançon, Randouillet)

- dans le saillant nord de l'arrière de l'enceinte, une batterie à deux pièces de 138 orientée vers l'est-nord-est (versant sud de l'Infernet, du Gondran et Cerveyrette)

- au centre, le cavalier 23, à 3 pièces de 155 séparées par traverses (protégeant des coups du sud-est) et orientée à l'est-nord-est (Gondran-Cerveyrette)

- en avant et au pied du cavalier 23, 2 pièces de 138 orientées au sud-sud-est (enfilade du torrent des Ayes) selon un remaniement postérieur (entre 1881 et 92)

- en arrière et à droite du cavalier 23, 2 pièces orientées à l’est-nord-est (Gondran-Cerveyrette)

- à l'extrême avant, 2 pièces séparées par traverse centrale et masquées, à gauche, par un masque en terre, orientées à l'est-nord-est.

Les mortiers-bouche de 15 et 22 cm pouvaient se mettre en batterie n'importe où, sans position préétablie.

Batteries annexes extérieures de la Croix de Bretagne

Dès l'origine, il était prévu de doter le fort de 4 batteries annexes extérieures disposées le long de la route d'accès, en fait, simples plateformes pour canons de 95 mm système Lahitolle, avec parapet en terre, niches à munitions et éventuellement magasin.

Ce sont, de bas en haut :

Batterie n° 1, de Gafouille - altitude 1400 m - 4 pièces de 95 orientées sur I'Infernet et le versant sud du Gondran. Magasin à munitions.

Batterie n° 2, de la Roche Noire - altitude 1650 m - 6 pièces, dont 4 prenant d'enfilade le torrent des Ayes, et 2 tirant à revers sm la vallée de la Guisane.

Batterie n°3, des Ayes - altitude 1910 m - 3 pièces enfilant la vallée des Ayes.

Batterie n°4, de la Cerveyrette, à plusieurs positions dispersées, armée (en 1899) d'une seule pièce de 95 orientée vers le Randouillet et la basse Cerveyrette mais susceptible d'être renforcée en armement - altitude: 1907,50 m

Comme on a pu le constater pour les batteries intérieures du fort, le nombre de positions de pièces est supérieur au nombre de pièces effectivement mises en place, ceci pour permettre le déplacement éventuel des bouches à feu en fonction de la situation tactique réelle du moment.

Par ailleurs, après 1900, on a établi, à 50 m à droite du fort et légèrement à contrepente de la crête, une batterie pour 4 pièces de 155 L mle 1877 et 2 pièces de 120 L mle 1878, orientées face à l'est-nord-est, pour effectuer du tir indirect sur l'Infernet etc le versant sud du Gondran.

Conclusion

Desservi par une route de 15 km, les composants de l'ensemble Croix de Bretagne - Ligne de la Grande Maye sont particulièrement représentatifs de l'architecture militaire des années 1870-90, dernière période de la pierre avant le béton. Ils illustrent bien tous les problèmes d'implantation, de défilement, de matériaux, de transport et de vie des occupants à l'abri non seulement des coups, mais encore des rigueurs du climat, problèmes dont chaque solution constitue un tour de force technique, même si elle est parfois discutable.

Loin de détoner dans son contexte, le fort, avec son implantation en balcon, ses vues, son enceinte et ses bâtiments à l'architecture sobre mais non dénuée d'élégance, le contraste de la couleur claire des maçonneries avec la verdure alentour constitue un apport culturel et humain très important au cadre naturel grandiose. Il tend même à vivifier une zone d'accès normalement difficile.

Plus encore, alors que ces réalisations ont perdu depuis longtemps leur raison d'être première, elles constituent désormais un capital d'infrastructure en assez bon état et disponible, qu'il conviendrait non seulement de sauvegarder, mais mieux encore de réactiver au profit de la mise en valeur économique de la région.

En 1873, dans le cadre de réorganisation générale des frontières, le Comité de Défense préconise la construction d'un fort à la Croix de Bretagne. Les travaux sont commencés en mai 1876 et sont terminés en octobre 1879. Les chefs de chantier furent les capitaines du génie Azibert et Rabanis. Sur la face nord du pilier gauche de l'avant-porte du fort est gravée l'inscription F. AZIBERT - G. RABANIS Capitaines du Génie. Aucune modification ne sera apportée, les organisations maintenues et utilisées en l'état.

  • Période(s)
    • Principale : 4e quart 19e siècle
  • Auteur(s)
    • Auteur :
      Azibert F.
      Azibert F.

      Capitaine du Génie, actif dans les années 1875-1886. Auteur des projets et maître d'oeuvre des forts de la Croix de Bretagne (Villar-Saint-Pancrace) et du Barbonnet (Sospel), participe à la construction des forts de Paris.

      Polytechnicien, le capitaine Azibert s'était déjà distingué, comme sous-lieutenant, à la défense de Paris en 1870-71 et avait reçu la légion d'honneur au feu. Il devait se révéler, en plus, comme un architecte et un ingénieur remarquable. Considéré comme un de nos meilleurs spécialistes de la fortification, il en sera professeur à l'école de Fontainebleau en 1896-97. Il terminera sa carrière en 1913 général de division, avec l' «aigrette blanche» de corps d'armée, comme gouverneur de Belfort. A la guerre, Joffre le rappelle à l'activité comme directeur des étapes de la 5e armée. Il quittera le service, pour maladie, en 1916 et décèdera en 1924.

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      maître de l'oeuvre signature
    • Auteur : maître de l'oeuvre signature

L'enceinte dessine un tracé irrégulier, en partie bastionné, en partie tenaillé et couronnant au nord un escarpement naturel. A l'est de l'ouvrage, se trouvent les batteries, à l'ouest, les différents corps de casemates-abris, une trentaine de mètres de dénivelée séparant les deux pôles. Le pavillon des officiers s'élève sur deux niveaux non communiquants, chacun divisé en casemates voûtées. Les autres casemates sont semblables : bâtiments rectangulaires à un ou deux niveaux construits en moellons ; voûtes surbaissées ; toit en terrasse recouvert d'un massif de terre. La citerne se présente sous la forme d'un local voûté en maçonnerie. A l'extérieur, le fort est doté de quatre batteries annexes.

  • Murs
    • pierre moellon
  • Toits
    terre en couverture
  • Plans
    système bastionné, système tenaillé
  • Couvrements
    • voûte en berceau segmentaire
  • Couvertures
    • terrasse
  • Statut de la propriété
    propriété publique

Documents figurés

  • Plan d'ensemble du fort de la Croix de Bretagne, des batteries annexes et de la Grande Maye. / Dessin, sd [19e siècle]. Service historique de la Défense, Vincennes.

  • Atlas des bâtiments militaires. Fort de la Croix de Bretagne. Bâtiment B, magasin à poudre. / Dessin, 1880. Service historique de la Défense, Vincennes : Grand atlas, T 336, feuille 58.

  • Atlas des bâtiments militaires. Fort de la Croix de Bretagne. [Plan masse]. / Dessin, 1880. Service historique de la Défense, Vincennes : Fonds du Génie, grand atlas T 336, folio 56.

  • Atlas des bâtiments militaires. Fort de la Croix de Bretagne. Pavillon des officiers D, citerne L et magasin de l'artillerie G [plans, coupes, élévations]. / Dessin, 1880. Service historique de la Défense, Vincennes : Fonds du Génie, grand atlas T 336, folio 59.

  • Atlas des bâtiments militaires. Fort de la Croix de Bretagne. Caserne et magasin A. Latrines et Cuisines C. / Dessin, 1881. Service historique de la Défense, Vincennes: Fonds du Génie, grand atlas T 336, folio 57.

Date d'enquête 1986 ; Date(s) de rédaction 1996
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
Truttmann Philippe
Truttmann Philippe

Lieutenant-colonel du génie, docteur en histoire. Chargé de cours à l'École supérieure du génie de Versailles, Yvelines.

Expert en architecture militaire auprès de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réalise de 1986 à 1996 l’étude de l’architecture militaire (16e-20e siècles) de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur : départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, partie des Alpes-Maritimes, ensemble des îles d’Hyères dans le Var.

Principales publications : La Muraille de France ou la ligne Maginot (1988)

Les derniers châteaux-forts, les prolongements de la fortification médiévale en France, 1634-1914 (1993)

La barrière de fer, l'architecture des forts du général Séré de Rivières, 1872-1914 (2000)

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