Dossier d’œuvre architecture IA83001612 | Réalisé par
  • enquête thématique régionale, architecture militaire de Provence-Alpes-Côte d'Azur
batterie dite la Grosse Tour ou Tour Royale
Œuvre étudiée
Copyright
  • (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Var
  • Commune Toulon
  • Lieu-dit Pointe de la Mître
  • Dénominations
    batterie
  • Appellations
    la Grosse Tour ou Tour Royale
  • Dossier dont ce dossier est partie constituante

Construction et armement

La genèse et les circonstances de la construction de la grosse tour de Toulon en 1513-1514 sont assez bien connues par les archives, notamment celles de l’ancienne cour des comptes de Provence, et celles de la ville de Toulon. La décision royale de faire construire à l’entrée du port de Toulon, une « fortification en forme de tour » répondait à une demande formulée par le conseil de ville en mars 1513, (transmise au roi par l’intermédiaire du nouvel évêque), dans le but de mieux contrôler l’entrée du port, c'est-à-dire de la petite rade, afin de s’opposer aux incursions de vaisseaux de combat. En juillet, le roi avait dépêché sur place un expert, le seigneur du Puy Saint-Martin, lieutenant d’un de ses obligés, René, Grand bâtard de Savoie, comte de Tende, futur grand sénéchal de Provence. Une délégation du conseil de ville de Toulon débattit avec ce représentant de la puissance publique royale de l’emplacement le plus approprié, qui fut arrêté par une délibération municipale du 16 juillet jetant son dévolu sur le cap dit alors de la Malègue 1, choisi notamment parce que la mer y était peu profonde. La délibération en latin fut formulée à l’évêque, par lettre du notaire Jean Pavès. 2

L’œuvre de la Renaissance, 1514-1524

La maîtrise d’ouvrage appartenait au roi Louis XII, qui fit attendre les toulonnais jusqu’au premier mars 1514 pour programmer le financement. Alors, Henri Bohier, conseiller du roi et son général des finances de Provence, enjoignit maitre Pierre Alberti, archivaire à la chambre des Comptes, d’attribuer par ordonnance la somme de 2000 livres tournois aux consuls de Toulon, pour icelle convertir et employer à l'édiffice d'une tour que le Roy, nostre dict seigneur, veult et entend fère construire à l'entrée du port dudict Tholon, pour la desfense et sécurité dudict port 3 ». Le 29 mars, le conseil de ville délibérait pour nommer un trésorier receveur commis aux comptes de l'édification de la tour, lequel fut choisi le 2 avril, en la personne d’Antoine Thomas, assisté du syndic Pierre Mottet, qui s'engagèrent solennellement à assurer une gestion rigoureuse 4. Le premier paiement fut effectué le 14 mai, ce qui date l’ouverture du chantier. Le maître d’œuvre, recruté par le roi, que mentionnent les comptes, à la fois concepteur, entrepreneur et mandataire, est un certain Jean Antoine de La Porte, ou, sous une forme non francisée, Giovanni Antonio della Porta (ou Gian-Antonio), qualifié d’ingenior ou ingenier du roy. Arrivé à Toulon au début de mai 1514, il y mourut le 7 décembre 1524 peu après la clôture du chantier. Il appartenait très probablement à une importante famille homonyme d’artistes milanais, sculpteurs pour la plupart, attestée à cette époque à Pavie et à Gênes, dont le membre le plus connu, Antonio della Porta, fils du maître maçon Giacomo della Porta, avait travaillé en France comme sculpteur de 1506 à 1508 à l’invitation du cardinal Georges d’Amboise. On doit observer que si le terme d’ingénieur est inusité en France à cette époque et ne qualifie pas encore un corps d’architectes experts en fortification au service du roi, il est employé couramment dans une acception plus large en Italie. Ce maître d’œuvre « commissarius regius super fabricam turris », sans doute parti du milanais avec d’autres artistes et praticiens à la suite du roi Louis XII n’avait peut-être pas la compétence spécialisée en fortification qu’on aimerait lui prêter. Le 20 mai, la ville de Toulon, qui logeait le maître d’œuvre, lui procurait les bois nécessaires à la construction des caisses devant servir à former les fondations de la tour. La gestion première de l’œuvre paraît avoir été déséquilibrée ou en tout cas peu performante : le 27 septembre 1517 la tour était seulement « eslevée des fondemens à fleur d’eau », selon les termes d’une lettre du général des finances de Provence Henri Bohier, adressée au trésorier de l’œuvre nommé par la ville, alors Antoine de Cuers, qui avait succédé à Antoine Thomas.5 Le chantier avait souffert auparavant d’au moins deux périodes d’interruption. En 1518, pour améliorer la marche des travaux, une ordonnance du trésorier-receveur du roi en Provence, Ottobone Spinola, allouait en principe 20000 florins pour les deux ans à venir, avec un nouveau mode de financement ajusté. Les fonds étaient tirés des revenus de la gabelle greniers à sel de Toulon, Hyères, Fréjus, mais aussi de mises à contribution, tant en argent qu’en fourniture d’artillerie, d’autres villes comme Salon et Marseille ; curieusement, aucune contribution de la principale ville intéressée, Toulon, n’est révélée par les sources. Dans les faits, la dépense annuelle fut multipliée par trois, le chantier employant jusqu’à 200 hommes durant l’année 1518. En deux ans, Pierre Mottet, devenu trésorier principal de l’œuvre, y imputa 20226 florins, alors que ses prédécesseurs n’en avaient employé que 6533 en trois ans d’exercice. Les matériaux de construction, pris à Six-Fours, étaient acheminés à dos de mule puis amenés à pied d’œuvre avec les ouvriers sur des barques à fond plat. La série conservée des comptes s’interrompt en 1520, alors que les travaux sont en pleine activité, et l’on sait qu’ils étaient clos en mai 1524, ce qui ne signifie pas que le dessein de la tour ait été achevé. La partie documentée de la dépense globale depuis 1514 s’élève à 28628 florins 3 gros 614 deniers, ce qui équivaut à 2400 livres tournois environ. On peut donc estimer le coût complet de l’œuvre à 3800 livres, ce qui, compte tenu des vices de gestion évoqués, ne paraît pas exagéré par comparaison avec d’autres chantiers de fortification royale du temps de François 1er. L’œuvre architecturale réalisée n’est certes qu’un « torrione » surdimensionné, de plan ovale tendant au cercle, mais sa conception interne, complexe, et le traitement plastique et esthétique des élévations témoigne de l’ambition réelle du parti, sans équivalent en France à cette époque. C’est bien une œuvre « conceptuelle » à géométrie savante de la renaissance italienne, qui évoque les recherches sur les plans centrés appliquées tant à l’architecture religieuse qu’à l’architecture militaire par des artistes-ingénieurs complets du temps comme Francesco di Giorgio Martini et Léonard de Vinci. La conception défensive est aussi très moderne, notamment par l’intégration de deux niveaux de tir d’artillerie sous casemates en batterie, les tirs du premier, au raz de l’eau, étant capables de crever les coques des navires ennemis arrivant dans la passe, ceux du second (et probablement ceux du couronnement à ciel ouvert), permettant des tirs « à démâter » les mêmes navires.Il est très difficile d’évaluer à quel degré d’achèvement avait été poussée la réalisation, et quelle est, dans l’état actuel, la part de l’inachèvement et celle de la destruction partielle.

La Grosse Tour, fort et batterie, 1524-1672

Le capitaine de la tour, Jean de Mottet, nommé dès avant la fin des travaux, fut confronté sur-le-champ, en 1524 à une situation de siège lors de la campagne militaire conduite en Provence par le connétable Charles de Bourbon pour le compte de Charles Quint. Le premier aout, devant les progrès de l’ennemi, l’amiral de Lafayette, au service du roi de France, résolut de privilégier la défense de la rade sur celle de la ville de Toulon, et pour ce faire de s’appuyer principalement sur la Grosse Tour, en y faisant apporter les pièces d’artillerie présentes sur l’enceinte médiévale de la ville, transfert dont il demanda l’exécution aux consuls, malgré la perte de sécurité qui en résultait pour les habitants : « Pour ce que les ennemys du roi, lesquels, comme avons entendu, sont partie à Brignolles et partie à Pignans, s'en viennent tout droict par déçà, avec leur artillherie, pour assourtir vostre dicte ville de Thoulon, et que n'estes pas assez forts pour résister à eulx charroyant artillherie; à ceste cause, nous, Anthoine de Lafayette, admiralh pour le roy en son armée de mer en Provence, vous mandons et commandons par ces présentes, afin que si les ennemys du dict seigneur vous prenoient vostre artillherie, ne puysse faire ennuy à la tour du port dudict Thoulon, (…) que incontinent et sans délai, icelle vostre artillherie de bronse et de fer, délivrés ou faictes délivrer au cappitaine de ladicte tour, ou aux nobles Boniface de Pontevès, seigneur de Gien et Jehan de la Cépète, commissaires par nous à ce députez, pour icelle recepvoir et délivrer au noble Jehan de Mottet, cappitaine de ladicte tour de Thoulon. » Les canons transportées à la Grosse Tour se limitaient à trois bombardes de bronze, dont une dite couleuvrine bâtarde et deux dites couleuvrines moyennes. 6

Peu enclin à résister malgré la force et la modernité de l’ouvrage dont il avait la charge, le capitaine préféra monnayer sa reddition à Adrien de Croÿ, chambellan de Charles Quint, commandant d’un des corps de troupes du connétable de Bourbon, moyennant 500 écus d’or. L’artillerie de la tour emportée alors par les troupes du connétable comportait douze pièces qui servirent au siège de Marseille, dont trois grosses couleuvrines ; l’une d’elles, dite la Lézarde, qui avait été fournie par la ville d’Hyères, est réputée pour l’usage qui en fut fait à Pavie contre les français. Après le départ des impériaux, le nouveau capitaine de la Grosse Tour, Pierre de Mondragon, n’eut d’autre ressource à court terme pour la réarmer que d’emprunter un « canon vénitien » et un canon pierrier à l’évêque de Sisteron Claude d’Assonville. 7 En octobre 1531, un capitaine milanais qui avait participé à la défense de Marseille assiégée par les troupes de Charles de Bourbon, Renzo da Ceri, dit le capitaine Ransse ou seignor de Ransé, fut missionné à Toulon au nom du roi François Ier pour étudier la possibilité d’une extension et d’une modernisation de l’enceinte de la ville, ce que le conseil de ville rejeta en raison des destructions de faubourgs et d’arbres qu’il tel projet aurait entraîné. Les délibérations municipales de novembre 1531 renseignent sur un contre-projet proposé par « lo seignor de Ransé, commissarius ad hoc », irréaliste et tout aussi inacceptable pour les toulonnais, qui consistait à créer une ville neuve fortifiée sur la presqu’île du Mourillon, dont la Grosse Tour aurait été le réduit, avec obligation aux habitants de participer au lotissement, en acceptant d’abandonner leur maison dans la ville de Toulon en cas de péril pour s’installer dans celle bâtie dans la nouvelle forteresse. 8

La tour ne joua aucun rôle lors de la nouvelle campagne militaire des impériaux en Provence l’été 1536 la flotte conduite par Andrea Doria au service de Charles Quint n’ayant manifestement pas tenté d’approcher la rade de Toulon. Tel ne fut pas le cas, quelques années plus tard, de la flotte turque de Kair Ed Din, alias Barberousse, qui choisit d’hiverner dans la rade le 29 septembre 1543, en vertu de l’alliance conclue entre François Ier et Soliman le Magnifique ; dans cette conjoncture, bien que l’occupant temporaire ne vînt pas en ennemi, les habitants durent, sur ordre du roi, lui abandonner peu ou prou leurs maisons pendant les six mois que dura cette occupation. Les consuls firent déplacer à nouveau les pièces d’artillerie de la ville, quatre de bronze et six de fer, « dans la tour dudict Thoulon pour le salvement d’ycelles »9. Les épisodes historiques postérieurs n’indiquent pas plus que ceux qui précèdent une quelconque agression, navale ou terrestre, explosion ou démolition partielle, qui eût pu mettre à mal la Grosse Tour et en ruiner les superstructures. L’hypothèse serait pourtant à étudier de près, car l’état postérieur de la tour semble bien plus résulter d’un tel traumatisme que d’une construction inachevée. Une représentation de la flotte ottomane de Barberousse hivernant dans le port de Toulon en 1543, dans un manuscrit peint ottoman 10, est la plus ancienne représentation connue à la fois du port de Toulon et de la Grosse Tour. Si l’on fait la part de la schématisation irréaliste du dessin, on note cependant que la grosse tour est représentée avec un couronnement continu crénelé (merlons à deux pointes).

En 1631, Richelieu Grand maître, chef et surintendant de la navigation et commerce de France, prit la charge d’Amiral de Provence (ou des mers du Levant). Il chargea alors Henri de Séguiran, sieur de Bouc, ancien capitaine de galères, son lieutenant général des mers du levant, d’une tournée d’inspection des côtes de Provence pour déterminer un programme général de défense. Réalisée principalement du 11 janvier au 17 mars 1633 11, en compagnie du mathématicien Aixois Jacques de Maretz, chargé du relevé topographique des côtes, la mission de Séguiran fit l’objet d’un rapport proposant entre autres l’amélioration de la défense de la rade de Toulon. Cette défense n’était alors assurée que par la Grosse Tour contrôlant à l’est l’entrée de la petite rade, à laquelle il parut indispensable de donner un pendant de l’autre côté de cette entrée, à un point fixé par Séguiran sur la pointe de Balaguier, qui s’avance en vis-à-vis de la Grosse tour à 1300m de distance, marquant au sud-ouest la transition en faible étranglement entre la grande et la petite rade. Dès 1634, fut construite en ce point une « petite tour » en pendant, croisant ses tirs d’artillerie avec la Grosse Tour, contre les navires susceptibles de forcer la passe. A l’occasion de sa tournée, Séguiran avait relevé l’arsenal en place dans la tour, qui se composait « d’une couleuvrine hors de calibre, de 12 pieds de long, de deux moyennes, hors de calibre, de huit pieds, une autre moyenne de huit pieds et demi, douze boîtes de fern deux arquebuses à croc, vingt deux arquebuses à mèche, cinq cuirasses à preuve, quatre halebardes, dix piques, deux cents livres de grosse poudre, cent de menue, huit cents livres de mèche, deux milliers de balles de mousquets de plomb, vingt boulets à fauconneau. »

L’une des plus anciennes représentations connues de la Grosse Tour n’est qu’un motif d’arrière-plan d’un dessin de Puget daté de 1654 12. On constate malgré la distorsion des proportions (la tour parait plus haute et moins large qu’en réalité), que son élévation est déjà, comme sur les premiers relevés du génie un peu postérieurs, étagée, équivalente à l’actuelle, la partie du mur circulaire au-dessus du cordon plus haute d’un étage côté terre, formant parados, que celle côté mer. Un bâtiment couvert d’un toit est représenté à l’intérieur, et doit correspondre à celui qui resta en place en travers de la cour actuelle, jusqu’en 1948. En 1654 ce bâtiment devait être de construction récente, mais cette construction n’est pas plus documentée en l’état actuel des recherches, que les circonstances destructrices qui ont occasionné la forme tronquée de la tour. François Gombert, ingénieur toulonnais en charge des travaux d’aménagement de l’arsenal de Toulon, par délégation du chevalier de Clerville, commissaire général des fortifications, donna, au printemps 1672, les plans de deux batteries basses destinées à assurer des tirs au raz de l’eau, l’une au pied de la Grosse Tour, l’autre au pied de la tour de Balaguier 13. Il conçut aussi ex nihilo une autre batterie à tour à proximité de Balaguier, mais plus à l’intérieur de l’embouchure : le futur fort de l’Eguillette. Un parent direct de l’ingénieur, Jacques Gombert, entrepreneur, passait, cette même année 1672, un marché pour des « réparations à faire à la Grande tour et à la petite tour »14. La construction de ces batteries était achevée l’été 1673. Les adjonctions à la grosse tour consistèrent en deux ailes latérales de batteries (banquette avec revêtement à parapet maçonné) à deux pans, partant du revêtement à la limite de l’inondation et enveloppant la tour jusqu’à la contrescarpe du fossé. Cette contrescarpe fut dotée dans sa plus longue partie, entre l’aile gauche de la batterie et le pont d’accès à la tour, d’une galerie de contrescarpe casematée abondamment crénelée, terminée dans l’angle par un moineau ou caponnière et desservie depuis une poterne percée dans la tour par une communication en caponnière.

Les projets inaboutis de Vauban

Achevée depuis à peine six ans, la batterie basse de la Grosse Tour fit l’objet de commentaires sévères de la part de Vauban nouveau commissaire général des fortifications, mais déjà doué d’une plume acerbe à l’égard des réalisations de certains de ses confrères. Sollicitée par Colbert, secrétaire d’État à la Marine, la première tournée de Vauban à Toulon en février et mars 1679, avait pour objet principal de conduire à bonne fin le projet de l’arsenal. Le mémoire rédigé à la suite est cependant consacré aux fortifications de Toulon, y compris aux forts et batteries d’alentour de sa rade 15 qui sont passés en revue méthodiquement, en jugeant leurs qualités, leurs défauts et leur capacité de perfectionnement : s’agissant de la « Grande Tour », appellation propre à Vauban, les adjonctions récentes sont loin de valoir l’œuvre du début du XVIe siècle : « La Grande Tour et Léguillette sont deux petits forts ou batteries qui croisent sur l’entrée de la petite rade de flanc l’un de l’autre de quelques 600 toises qui est une belle portée pour faire un grand effet sur des vaisseaux qui sont obligés de suivre un canal dont ils ne sauroient s’écarter sous peine d’échouer aussitôt à l’un et à l’autre bord.Le premier de ces deux forts qui est la Grande Tour est une très belle pièce commancée du reigne de Louis douze à ce qu’on dit, à plusieurs étages et batteries. Mais elle n’a pas été achevée et l’on s’est amusé à faire des méchantes petites batteries au pied dont la moitié des embrazures ne voient pas ce qu’elles doivent voir. Son fossé qui estoit profond et ou il y avoit de l’eau autrefois est présentement sec et son emplacement en mauvais estat. Mon advis est d’achever totalement cette pièce suivant l’ordre qu’elle a été commancée de l’eslever à peu près de la hauteur du commandement prochain, d’achever le revettement de son fossé et de continuer pareillement ses batteries basses tout à l’entour du costé de la mer par des jettées sur lesquelles on bastira après leur revestement de 8 à 9 pieds au-dessus de l’eau, leur faisant un parapet à preuve derrière lequel on mettra toutes les pièces en barbe, fermant toutes les embrazures parce qu’elles ne peuvent veoir que de certains endroits au lieu que les batteries en barbe peuvent tourner toutes leurs pièces d’un même costé. Remarquez qu’il faudra épauler les batteries et en oster la veüe du costé de terre dont il leur faudroit aussy séparer pour en oster tout accez. Je suis mesme d’advis qu’on oste la gallerie (en caponnière) qui traverse le fossé comme ne servant à rien et pouvant nuire et en un mot que cette fortiffication soit entièrement isolée par la mer comme elle a esté cy-devant.. »

Il n’a pas été conservé de dessin correspondant à cet article du projet. Il faut noter d’ores et déjà l’admiration que Vauban portait à cette « très belle pièce » qui correspondait à un type architectural combinant un plan centré compact et géométrie rigoureuse, revenu au goût du jour pour les redoutes et batteries à réduit. A cet égard, la Grosse Tour est l’archétype d’ouvrages comme le Fort Pâté de Blaye, sur la Gironde, œuvre conjointe de Vauban et de François Ferry, réalisée entre 1690 et 1694, et, plus tard, des tours d’artillerie théorisées par le marquis de Montalembert à partir de 1776, modèle théorique mis ponctuellement en application sous l’Empire, en particulier dans le fort des îles Saint-Marcouf en Cotentin (1802-1812). Dans un mémoire consacré au projet du fort des Vignettes, daté de Paris, le 6 mars 1692 16, et annoté le 27 mars par Antoine Niquet, directeur des fortifications de Provence et relais local, Vauban évoquait en conclusion de façon liminaire le cas de la Grosse Tour : « Si, depuis mon dernier voyage on n’a pas eslevé la grande tour qui est sur l’entrée de la rade conformément au projet que j’en fis pour lors, il faudra achever de luy donner l’élévation requise et toutes les veües que l’on pourra sur le port des Vignettes et sur la petite elévation qui est près d’elle afin qu’elle puisse servir au soutien des batteries découvertes qu’on pourra faire entre lad. tour et la proposée au-delà de l’Egoutier " (Vauban fait ici allusion à son autre projet de 1679 consistant à établir à la racine de la presqu’île du Mourillon une pièce en forme d’ouvrage à cornes avec un corps de garde fait en redoute à mâchicoulis ).

Niquet, manifestement sceptique sur les possibilités d’améliorer la Grosse Tour, commente laconiquement en marge : « Le rehaussement de cette tour suivant le projet de M. de Vauban coûtera plus de 100 ‘’’l, peut être qu’en adjoutant encore autre 100’’’ l on pourrait faire dans la petite rade sur le banc nommé Tasse une tour imprenable et mieux située pour garder l’entrée de cette rade, auquel cas il me semble qu’il ne faudra pas entreprendre ledit rehaussement. » Vauban revint à la charge dès 1693 à propos de la grosse tour dans l’article 32 de son « addition » au projet de 1679 17 : « La hausser de 24 à 25 pieds, c'est-à-dire autant que le mast de pavillon qui est dessus, faire une nouvelle distribution de ses dedans. Accommoder avec ce qu’on pourra conserver de ses vieux bâtiments, et l’envelopper d’une batterie, comme il a esté proposé par le 1er projet (…) au surplus abattre et écrêter 4 ou 5 toises du sommet de la hauteur la plus prochaine pour lui procurer des veües dans le vallon qui est derrière, plus nettoyer sa casemate, dégager ses créneaux, et en restablir ses manquements. ». Là encore, le commentaire de Niquet, encore plus lapidaire, invite à temporiser : l’estimation des ouvrages de cet article demande du temps, c’est un projet à bien examiner. Vauban rédigea en mars 1701 une deuxième et dernière « addition » à son projet de 1679 18, dans lequel il exprime avec une vigueur renouvelée, par l’écrit et par les dessins, peut-être sans trop y croire, son ambition de faire de la « Grande Tour » un ouvrage achevé digne de la qualité architecturale du programme initial, duquel il a toujours été admiratif. En marge de ce projet qui sera un baroud d’honneur, jouant toutes ses cartouches, Vauban propose dans un « Article ajouté » au projet général, un fort que l’on peut bastir attenant de la grande Tour recyclant le principe du cornichon jadis proposé au Morillon, sinon une grande redoute.

Les plans joints, peu détaillés dans ce cas précis, montrent en effet le projet d’une véritable redoute installée devant à la gorge de la tour sur toute la largeur du cap pour le retrancher, avec front d’entrée fossoyé à deux bastions et à dehors (demi-lune d’entrée, chemin couvert). La Tour et sa batterie devenant le réduit de ce fort. 19.

Au sein de l’article 9 du projet général, consacré au Fort et batterie de la Grande Tour, Vauban réaffirme tout d’abord un désir de création architecturale à sa mesure sur l’œuvre de la Renaissance, décrivant longuement, en ingénieur, l’état des lieux et surtout son projet, sans doute le même qu’en 1679, sans en faire percevoir la monumentalité et l’ordonnancement, traduits seulement sur les dessins : « Elle a esté commencée dès le temps de François premier sur un dessein très magnifique, qui est demeuré à moitié chemin par une negligence très blâmable, le peu qu’on y a fait depuis l’ayant plus gastée qu’il ne l’a fortiffiée, il est cependant nécessaire de la perfectionner et de la mieux armer de batteries qu’elle n’est puisque la seureté de la rade de Toulon et peut-estre Toulon mesme en dépendent,c’est pourquoy achever cette pièce dont le dessein est très beau et en en élever la moitié aussi haut que le sommet de la bute prochaine qu’il faudra à cette considération rabaisser de moitié de sa hauteur mesuré à plomb afin de donner du commandement et de la découverte à la tour ; luy faire des parapets à preuve de costé avec de bonnes deffenses et conduire l’abaissement de cette partie en rampe sur celle qui fait front à la mer qu’il faudra aussy élever mais d’un estage seulement, n’avoir aucun egard au mauvais petit bastiment qu’on a fait en dedans, qui déffigurent l’intérieur de cette belle et importante pièce et les restituer (les bâtiments) où ils doivent estre (c'est-à-dire en périphérie). Découvrir la petite cour du milieu qui doit servir aux soins des bastiments qui en sont privés par ceux qu’on a fait mal à propos au-dessus, en ce faisant convertir les basses embrasures en croisées accommodées à leur figure, qu’il faudra bien griller, pour donner du jour aux voûtes ; réparer et corriger celle de la 2e platteforme qui sont trop serrées à la gorge, les ouvrir davantage et leur faire des feuillures pour recevoir des volets à preuve du mousquet. Voûter de trois pieds d’épais les contreforts de l’un à l’autre et toute la grande gallerie de même suivant la première intention du vieux dessein, après quoy cimenter au dessus et y faire des cheminées à feu qui luy serviront d’évent, condamner les vieux qui sont trop ouverts et terrasser de 3 à 4 pieds au-dessus de la clef des voûtes araser à cette hauteur et adjouter une seconde plinte ou cordon au revestement et le poser au niveau du terre-plein, disposer le parapet au-dessus et un 2e ordre d’embrasure sur et vis-à-vis le dessus des contreforts afin que le poids du canon porte sur le solide et non sur le faible des voûtes et que le feu des batteries soit mieux distribué ; le parapet sera de 8 pieds d’épais, les embrasures espacées d’un milieu des contreforts à l’autre construites à l’ordinaire, observant de les faire plonger jusqu’au derrière de la platte forme de la batterie basse et de leur donner 3 pieds d’ouverture au plus estroit. »

Ce discours n’évoque qu’implicitement les bâtiments neufs à construire après démolition du corps de caserne en place en travers de la cour, jugé indigne. Pourtant les dessins révèlent de monumentales superstructures étagées selon le principe « en parados » de l’état existant, de plan annulaire autour d’une cour circulaire à arcades régulières. Du côté terre, en surélévation des casemates d’étage existantes, règne sur un quart de l’anneau un bâtiment en segment de cercle à deux étages, couvert en terrasse, avec façades sobres à travées régulières animées de bandeaux. Le projet de Vauban développe ensuite de manière détaillée et précise (sans doute parce qu’il considérait ce poste comme plus pragmatique et réaliste en termes de financement) les améliorations à faire à l’état existant des batteries latérales de la tour : « Outre les batteries de la tour il est d’une nécessité indispensable de faire une batterie basse en fausse-braye qui regne tout autour plus ample et mieux scituée que les deux qui sont à sa droite et à sa gauche (…) Le plan montre un projet d’épaulement en demi-cercle parfait chemisant la tour côté mer et se soudant aux ailes partiellement conservées de la batterie de 1672 : « Lui faire faire une portion de cercle parrallèle à la tour à distance de 9 à 10 toises (…) L’établir sur une jetée et contrejetée en enrochement (…) Joindre la nouvelle batterie aux vieilles, observant d’en adoucir les angles et de laisser ce qui restera des vieilles batteries à la hauteur où elles sont.La batterie base sera divisée en trois parties, scavoir les deux vieilles des costez qui communiqueront par chacune une porte de quatre pieds et demy de large fermant à double volée et la batterie neuve. Celle-ci pourra contenir vingt pièces de gros canon de 36 l. et 48 l. de balle et chacune des deux vieilles 7 à 8 pièces de 24 à 36 l. » Pour finir avec la batterie, Vauban propose en outre des améliorations de détail de l’existant réalisables à moindres frais, avant de conclure sur une note désabusée. « Nettoyer le fossé de cette pièce du costé de la terre en en planir le fond et le mettre à l’uny nettoyer aussy et réparer sa communication (en caponnière) de meme que sa cazematte (galerie de contrescarpe) et le revestement de son fossé dont il faudra terminer le couronnement (…) il y a beaucoup trop de créneaux dans cette cazematte qu’il faudra réduire à la moitié et corriger leur découverte ; elle mérite de n’être point négligée non plus que tout ce qui peut concourrir à la seureté de cette pièce qui estant seulle de son costé et très bien scituée pour la seureté de l’entrée de la rade mériterait bien d’être réparée depuis le temps qu’on en propose les réparations 20». Si Vauban ne parvint jamais à convaincre sa hiérarchie d’investir des sommes importantes dans un projet finalement très dispensable sur la Grosse Tour, il semble plausible que Niquet, sans doute auteur des plans illustrant le mémoire, ingénieur soucieux d’économie, ait contribué à enterrer ce projet auquel il ne croyait pas, comme le laissent voir ses notes marginales antérieures.

Un monument figé. Prééminence des batteries 1747-1845

En 1747, le souci occasionné par la petite éminence immédiatement voisine, sous-ensemble de la Croupe Lamalgue, que Vauban proposait de rabotter, justifia l’élaboration, par le capitaine Vialis, d’un projet de dehors couvrant la gorge de la batterie de la Grosse Tour côté terre 21. Il s’agit d’un segment rectiligne de chemin couvert à place d’armes saillante médiane, établi sur le point haut, avec glacis. Ce projet ne vit pas plus le jour que ceux de Vauban. En revanche, sur le même dessin figure un projet de batterie haute tournée vers cette hauteur, à installer sur le point le plus élevé des gros murs de la tour, soit au sommet du parados ou « donjon ». Cette position de batterie a été réalisée. Un Mémoire sur la ville de Toulon rédigé en 1768 par le sous-brigadier du génie Louis d’Aguillon 22 qui assurait alors le suivi de l’exécution des ouvrages de défense de Toulon, donne une intéressante description résumée des caractéristiques défensives de l’ouvrage : «…Les fondations de cet ouvrage sont établies dans la mer. Sa forme est un cercle parfait dont le diamètre est de 30 toises ; les revêtements sont très solides et en bon état, il renferme plusieurs beaux et vastes souterrains à l’épreuve de la bombe, il règne au niveau du cordon des batteries sur plateformes dont les feux sont dirigés sur les deux rades et un donjon au-dessus. Cette terre est isolée de la terre ferme par un fossé creusé dans le roc avec un pont dormant et pont-levis. Il y a deux batteries basses extérieures, l’une à droite défend la petite rade et l’autre à gauche a ses feux dirigés sur la grande. On peut enfermer dans ce fort une garnison de 250 à 300 hommes, les logements et magasins étant suffisants pour les recevoir… » Cette description est reprise à peu près en 1775 par Charles-François-Marie d’Aumale, directeur des fortifications de Basse Provence, dans un des articles de son Atlas de la place-forte de Toulon, en précisant que c’est avec raison que Vauban faisait grand cas de cette pièce 23. Un autre article du même atlas donne un état des bâtiments militaires, puis des souterrains de la tour : « Le commandant a un logement composé de trois chambres, une cuisine et trois petits cabinets. Il y a un second bâtiment composé de trois chambres pour officiers avec corridor et de deux pour l’aumônier. Un troisième petit bâtiment comprend deux chambres et l’on s’en sert ordinairement pour prison d’officiers. Il y a encore une cuisine, un corps de garde et une chapelle (…) Il aurait été à désirer que les souterrains de la Grosse Tour qui sont beaux eussent été imités tous les ouvrages qui ont été entrepris ; ce sont les seuls dont on puisse faire quelque cas. Les cinq au-dessus des citernes ont ensemble une superficie de 26 toises et on peut y placer des munitions de bouche. Il règne un autre grand souterrain autour de l’ouvrage avec des enfoncements au fond desquels on a pratiqué (des) embrasures dans l’épaisseur du mur. On pratiquerait un four dans un de ces enfoncements. On peut (y) mettre jusqu’à 200 hommes à couvert et qui y seraient couchés. Entre ce qui vient d’être dit, une galerie en rampe qui communique sur la plate-forme supérieure pourrait contenir des approvisionnements et il serait aisé d’établir un petit hôpital (…) Il y a deux citernes dans la grosse tour, elles contiennent ensemble 7434 pieds cubes et 260190 pintes. ». Le plan de situation de l’atlas d’Aumale montre aux abords proches, à gauche de la route d’accès, 200m environ avant la tour, le « jardin du Major ». Plus près, sur le versant de la petite éminence qui domine directement la tour à la gorge, est établi un petit cimetière à l’usage du personnel résident permanent de la tour et de sa famille.

Les plans détaillés du fort, établis le 25 fructidor an 6 par l’adjoint du génie Migeon sous l’autorité du directeur des fortifications par intérim Legier, pour servir au plan-relief de Toulon 24, ne montrent aucun changement depuis l’atlas d’Aumale. Ils signalent par contre la présence dans le fossé sec, à la gorge de la tour et des deux batteries basses de deux fours à rougir les boulets, toujours en place sur les relevés ultérieurs jusque vers 1820 ; on note aussi qu’un magasin à poudres sommaire appuyé contre le revêtement de la tour, entre le pont et la communication en caponnière ; qualifié de ruiné en 1818, ce magasin est supprimé dans la décennie suivante. Un autre magasin à poudres est alors en fonction dans la tour, dans une casemate du niveau de soubassement, facile d’accès par les escaliers et rampes internes desservant la galerie casematée d’artillerie circulaire du soubassement. Les souterrains de la partie centrale de la tour sont utilisés comme cachots, affectation carcérale intégrée d’une certaine capacité, au-delà des légendes sinistres colportées par l’historiographie sur les sombres cachots de la Grosse Tour.

Les relevés détaillés de 1818 sont les premiers géométriquement exacts, qui indiquent le plan ovale et non parfaitement circulaire de la tour. La suppression du pont-levis de la Grosse Tour et son remplacement par une passerelle dormante furent proposés dans un projet 15 octobre 1819, mais non exécutés, car un état des lieux de 1843 25 prouve qu’à cette date, le pont-levis est toujours en place, et fonctionnel. En 1825, c’est la chapelle de la tour, simple oratoire discrètement intégré dans les locaux depuis une date inconnue, qui fut désaffectée, peu de temps après avoir fait l’objet de réparations ; le cimetière connut le même sort. Une batterie d’appoint extérieure pour huit pièces, dite batterie de la Grosse Tour avait été installée en 1818 sur la petite butte dominant directement la Grosse Tour, extrémité de la Croupe Lamalgue, immédiatement au-dessus de ce petit cimetière. Cette batterie fut ultérieurement considérée comme un sous-ensemble du groupe de batteries de la Croupe Lamalgue. Pour trouver un changement plus significatif, au moins projeté aux édifices des XVIe et XVIIe siècle, il faut attendre 1834 et l’article 17 des projets d’amélioration des fortifications de la place proposant une « grande batterie terrassée en avant de la Grosse Tour »26 : rédigé par le capitaine du génie A. Long, ce projet d’épaulement d’artillerie en terre, chemisant la tour en arc de cercle côté mer reprenait, en plus moderne, le principe du projet de Vauban de 1701.

Ce projet ne reçut aucun commencement d’exécution, mais en revanche, les parapets des deux ailes de la batterie de 1672 furent modifiés avant 1841 (comme en atteste un nouveau plan d’atlas de cette date) par murage des embrasures et création de nouveaux parapets en terre en surcharge des parapets maçonnés d’origine. En 1837, la tour fit l’objet de nouveaux relevés détaillés pour l’atlas des bâtiments militaires, qui ne montrent pas de changement important par comparaison à ceux de 1818, sinon la suppression de la communication en caponnière voûtée qui reliait la Grosse Tour à la galerie de contrescarpe de son fossé. La Commission d’inspection des batteries de côte instituée en 1841 pour relever les défenses littorales négligea la Grosse Tour, pour se consacrer à l’établissement d’une batterie normative sur la Croupe Lamalgue toute voisine (ou existait déjà une batterie ouverte de la fin du XVIIIe siècle). Cette nouvelle batterie plus haut placée que la grosse tour au-dessus du cap fut réalisée en 1847 avec un réduit de batterie du type corps de garde défensif 1846. L’artillerie de la tour fut reconsidérée à cette époque, sur avis de la Marine, qui fournissait les grosses pièces de défense côtière au département de la Guerre ; cette réforme est connue par une lettre du 31 décembre 1844 : « La Grosse Tour, qui a pour objet général de défendre l'entrée de la rade de Toulon, doit avoir sa plateforme du premier étage armée de quatre canons à embrasures du plus puissant calibre, montés sur affûts marins. Il doit être aussi installé deux canons sur la plateforme de son Donjon (partie haute formant parados) pour compléter les tirs des premiers; sa batterie de gauche, qui tire dans la direction de la Caraque, contre l'arrivée des vaisseaux ennemis, par le travers de la grande rade, en croisant ses feux avec ceux du Donjon, doit avoir des pièces du même calibre que celles du Donjon, et sa batterie de droite, qui regarde la ville, et prend d'enfilade la ligne de mouillage dans la rade de l'Eguillette, et de revers les vaisseaux ennemis, qui après avoir forcé la passe d'entrée, voudraient s'approcher de l'Arsenal et de la ville pour les bombarder et les incendier, doit recevoir aussi le même armement. L'ensemble des pièces des deux batteries basses rasantes est de 21. Cette nouvelle artillerie demande à être installée en première urgence. 27 » Le Ministre, après avis du Conseil Supérieur de la Marine, donna l'ordre, le 25 janvier 1845, de faire exécuter la mise à niveau de l’artillerie à la Grosse Tour et d'approvisionner en conséquence ses magasins à poudre et à munitions.

De l’adaptation aux nouvelles données de la défense au monument historique

En février 1846, le souci de facilitation de l’entrée de la rade en temps de paix la nuit justifia une réforme des phares existants : le phare de troisième grandeur de la pointe du Rascas, formant l'extrémité Sud-Est de la presqu'île de Saint-Mandrier, fut remplacé par un autre plus puissant, à une plus grande hauteur, vers le Fort de la Croix des Signaux, mieux aperçu de loin par les bâtiments venant de la haute mer vers l'entrée de la rade. Ce nouveau phare fut relayé par un petit fanal placé sur la Grosse Tour, justifiant la construction d'une tourelle cylindrique en maçonnerie, établie sur la partie basse du parapet, tourelle permettant de rehausser le fanal proprement dit au niveau du « donjon » ou parados. La construction de la grande jetée barrant l’entrée de la rade, projet avancé en 1876 réalisé entre 1879 et 1881, avec pièces d’artillerie sur les musoirs (en dernier lieu, vers 1898, quatre petites pièces à tir rapide de 37mm), eut une répercussion sur la Grosse Tour, toute proche : la mise en place d’un fanal avec feu à éclipse sur la nouvelle passe rendit inutile le fanal mis en place en 1846 sur la grosse tour, dont le feu fut supprimé vers 1898, sans détruire la tourelle de pierre. D’autre part les avis de la commission de révision de l’armement de 1876 28 aboutirent à réformer l’artillerie de la batterie extérieure proche de la Grosse Tour, qui fut dotée en 1882 de deux pièces de 270mm et réorganisée en batterie de rupture en 1898 avec deux gros canons de 320 mm, modèle 1870-84, sur affuts 1888 PA. En préalable à la mise en place de la batterie de rupture, la commission supérieure de défense des côtes avait été chargée par le ministre de la guerre le 24 mai 1897, d'examiner la possibilité d'armer la Grosse Tour de deux canons de 370 mm modèle 1875-79, sur affût spécial, provenant des cuirassés « le Formidable » et « Amiral Baudin », qui auraient tiré vers la grande rade par dessus la jetée. Le rapport rendu par cette commission le 7 décembre 1897 concluait à la faisabilité du projet : « La Grosse Tour, qui est un bloc peu apparent du large, étant le prolongement Ouest du massif de la croupe Lamalgue, dont le sommet est à trente mètres d'altitude, et dépasse de beaucoup la plateforme du Donjon de cette forteresse, qui est son plus haut point, n'attire l'attention qu'à cause du petit phare placé sur une tour bâtie sur le parapet, qui va disparaître. Quant à la visibilité de la Grosse Tour, elle peut encore être diminuée par la suppression de son mur à bahut, et même par le dérasement partiel de son parapet, sans utilité aucune. Les locaux choisis dans la Grosse Tour, pour recevoir deux canons du calibre de 370 millimètres, sur affût spécial, sont les casemates-souterrains disposées autour de son noyau central, et entre lesquelles on a choisi celles qui sont dirigées sur la haute mer; ce sont les deux alvéoles Sud-Est, les plus favorables; elles demanderont le renforcement de leurs voûtes et pieds droits, en leur donnant une hauteur de 5 m. 75 et une largeur de 8 m. 40, y compris le couloir circulaire arrière. Le sol de ces casemates doit être relevé, dans le but d'obtenir une hauteur d'affût du canon permettant au tir des pièces de 370 millimètres d'atteindre la ligne de flottaison des navires ennemis, entrés dans la grande rade, en tirant par dessus la jetée de la Grosse Tour...29 » Ce projet fut complété par celui concernant l'installation de quatre petits canons de 47 mm à tir rapide sur la plateforme du Donjon, depuis longtemps dégarnie de ses anciennes pièces.

Cette batterie fut installée, conformément à la dépêche Ministérielle du 31 août 1898, contre l'entrée en petite rade des torpilleurs ennemis ; combinant son action à celles des pièces de 37mm du musoir à l’entrée de la passe, elle fut terminée le 3 octobre suivant. En revanche, le projet de batterie de gros calibre dans les casemates de la Grosse Tour fit l’objet d’une nouvelle étude par une commission spéciale nommée par le Préfet Maritime dont le rapport du 5 août 1900 donna un avis défavorable. Le Ministre approuva ces conclusions, et le projet fut abandonné, ce qui évita heureusement aux casemates souterraines du XVIe siècle de la Grosse Tour de subir les transformations envisagées. La batterie de rupture extérieure à la Grosse Tour reçut en 1908 quatre canons de 65 mm à tir rapide (TR) modèle 1885 installés conformément à la dépêche ministérielle du 16 septembre 1907, dans le but de prendre d'enfilade les jetées, pour atteindre à la flottaison les torpilleurs ennemis pris de flanc à l'entrée des deux passes des jetées et les empêcher de pénétrer dans la petite Rade. Cette installation permit de supprimer la batterie de quatre canons de 47 mm à tir rapide sur affut crinoline de la plate-forme du « donjon » de la Grosse Tour. Un seul de ces canons y fut maintenu après démontage des autres, au début de 1909, pour les « coups à blanc » d’avertissement lors des exercices de tirs des batteries de la croupe Lamalgue. Par ailleurs, la batterie basse de la tour restait armée de deux pièces de 16cm. Toutes les pièces en état qui subsistaient sur la tour et sur la batterie extérieure furent enlevées pendant la première guerre mondiale pour renforcer l’artillerie des armées sur le front du nord de la France. Pendant la période d’occupation de la seconde guerre mondiale, la Grosse Tour et ses abords furent d’abord occupés par la 4e armata italienne, puis, à partir de septembre 1943, par l’armée allemande. Deux petites casemates (italiennes) furent alors installées, sur le versant de la batterie extérieure à la Grosse Tour. Les allemands construisirent des hangars sur l’aile gauche de l’ancienne batterie basse, installèrent des pièces de DCA, et aménagèrent un petit bloc à embrasure sur la Grosse Tour, entre le « donjon » et la tourelle du fanal de, face à la passe.

A la Libération, la Grosse Tour, écornée par des tirs d’artillerie de la flotte alliée, était dans un état de délabrement avancé. C’est alors qu’aboutit une demande de classement au titre des Monuments Historiques, demandée par certains toulonnais depuis le quatrième centenaire de la tour en 1924. Ce classement, par arrêté du 11 avril 1947, permit d’entreprendre en 1947-1948 une première campagne de restauration à caractère patrimonial du monument désormais plutôt nommé « Tour Royale », restauration qui supprima la plupart des verrues du temps de l’occupation (excepté les petites casemates italiennes, hors du monument classé) mais sacrifia aussi les ruines du bâtiment de casernement bâti au XVIIe siècle en travers de la cour, dont Vauban s’était plu à souligner la médiocrité architecturale ; le corps en retour d’équerre de ce bâtiment, d’un intérêt équivalent, fut en revanche restauré pour procurer un logement au gardien de la tour.

Analyse architecturale

Site et implantation générale

La Grosse Tour est édifiée « à la mer », mais en très basses eaux et en limite de la terre, Ensemble de la tour et de l'aile gauche de sa batterie, vues de la grande rade.Ensemble de la tour et de l'aile gauche de sa batterie, vues de la grande rade.sur la pointe extrême de la péninsule du Mourillon ou de la Croupe Lamalgue, pointe dite de la Mître. Cette pointe forme précisément le côté nord-est de la passe d’entrée de la petite rade, en considérant la pointe de Balaguier, en vis-à-vis, comme le côté opposé (sud-ouest) de cette même passe. La construction de la grande jetée défensive, en 1881, partant au nord de la pointe de la Mître, près et à l’est de la Grosse tour (jetée ou môle nord), et aboutissant au sud sur la pointe du Lazaret, au nord de la presqu’île de Saint-Mandrier, a redéfini la passe, et le modifié le distinguo entre grande et petite rade. L’édifice est en partie ancré sur le pied affleurant de l’escarpement rocheux, dont il a été retranché par un fossé inondé taillé dans le roc, un tiers de l’assiette est fondé en fonds vaseux sur des caissons remplis de pierres. La tour, conçue pour permettre des tirs rasants, est directement surplombée de quelques mètres, au nord-est par une petite butte escarpée, avancée terminant la Croupe Lamalgue, sur laquelle était installée la batterie ouverte extérieure dite de la Grosse Tour, aujourd’hui détruite. Le chemin d’accès longe la rive ouest de la péninsule, côté petite rade, à l’abri de la Croupe Lamalgue et à un niveau proche de celui de la mer, puis remonte légèrement pour arriver jusqu’à l’aire en terrasse qui précède immédiatement le fossé de la Grosse Tour et son pont d’accès. Ce cheminement est probablement le même que celui créé au XVIe siècle pour aller de la ville à la tour.

Plan, distribution spatiale, circulations et issues

La tour proprement dite et les ailes de batterie de faible étendue qui lui ont été ajoutés en 1672 sont assez nettement distinctes pour devoir être décrits séparément.

La Tour

Le plan hors-œuvre de la tour, invariablement exprimé comme un cercle parfait sur les documents graphiques du génie jusque les années 1810, et décrit à l’avenant dans les mémoires, est en réalité une ellipse ovale régulière dont le diamètre hors-œuvre, en partie basse est 52m dans le petit axe sur 57m dans le grand axe. Ce grand axe est celui du cap, c'est-à-dire l’axe terre-mer ou gorge-front. L‘aspect extérieur, aujourd’hui altéré par une perte d’élévation, est bien celui d’un ouvrage de la Renaissance, sans caractère médiéval. En atteste en particulier la présence du cordon -poncif de la fortification « à la moderne » depuis le XVIe siècle- qui ceinture la tour, marquant la transition entre le soubassement taluté ou en fruit et l’élévation supérieure verticale qui commence au niveau du seuil de la porte. D’autre part, les bossages rustiques qui caractérisent les parements extérieurs sont assez courant en Provence au Moyen-Âge, et ont connu un regain de faveur dans certaines fortifications toulonnaises des XVIIe et XVIIIe siècles, comme l’enceinte urbaine ou le fort Lamalgue ; cependant, dans le cas de la Grosse Tour, ils participent, comme on le verra, d’une esthétique explicitement maniériste « à l’italienne ». La structure interne de l’édifice, peu apparente, se décompose en deux sous-ensembles : un noyau cylindrique ovale de 26m X 31m -diamètre dans la norme supérieure de celui des tours d’artillerie du début du XVIe siècle- est inscrit dans l’enveloppe également ovale de la tour proprement dite. Cet enveloppement ou chemisage dégage dans l’intervalle une galerie annulaire casematée qui n’est actuellement conservée qu’au niveau du soubassement, accessible par un système de double escalier sur lequel on reviendra. Cette galerie offre la particularité de distribuer sur les trois quarts de son circuit, donnant sur la mer et vers l’entrée de la tour, une série de neuf casemates ouvertes en alvéoles semi-circulaires voûtées en cul de four, à la manière d’un déambulatoire desservant des absides contiguës.

Le voûtement de chacune de ces casemates se prolonge en berceau jusqu’au mur du noyau central,Galerie annulaire à absides du soubassement, vue du débouché de l'escalier vers le noyau.Galerie annulaire à absides du soubassement, vue du débouché de l'escalier vers le noyau. selon un plan rayonnant, en sorte que la galerie proprement dite est couverte par cette succession de voûtes transversales, et passe d’une travée ou alvéole à l’autre à la faveur d’une arcade ménagée dans les murs-diaphragme intermédiaires, arc-boutée sur le noyau central. Ce système de voûtement procure une plus grande solidité à la construction que ne l’aurait fait une voûte annulaire continue avec pénétration des culs-de-four des casemates, car les murs diaphragme agissent comme des contreforts intérieurs. Chaque alvéole est large de 7,50m et profonde de 5m, la largeur de la galerie, c'est-à-dire celle des arcs-diaphragme de passage, étant de 3,50m. La hauteur maximum sous voûte atteint 7,50m (en sorte que les absides sont aussi hautes que larges), soit celle du revêtement en fruit du soubassement, prise du niveau de la mer jusqu’au-dessus du cordon. Ce dispositif de galerie circulaire à casemates rayonnantes contiguës était reproduit à l’identique au niveau supérieur, qu’on appellera rez-de-chaussée par commodité, soit le niveau d’entrée de la tour, dont la porte est aménagée dans une des alvéoles ou abside. Il y est aujourd’hui très mal conservé, car le noyau central de la tour a été détruit au raz du sol sur plus de la moitié de son emprise au sol (côté petite rade). Les alvéoles elles-mêmes ayant été dérasées à un niveau variable -de 4m de hauteur résiduelle au droit de la porte à 2m vers la rade -Terrasse-cour du rez-de-chaussée, restes d'absides et embrasures vers la rade.Terrasse-cour du rez-de-chaussée, restes d'absides et embrasures vers la rade. mais toujours en-dessous du voûtement, lequel, de ce fait, a entièrement disparu. On ignore tout des circonstances de ce dérasement, déjà consommé au milieu du XVIIe siècle, mais il existe de nombreux indices archéologiques de destruction, d’arrachement des maçonneries qui permettent d’éliminer l’hypothèse (à laquelle croyait Vauban) d’un inachèvement irrégulier. Ce constat n’exclut pas le fait que la tour ait pu être mal « finie » en 1524, élévations inabouties, voûtes non protégées, etc. Aux deux niveaux, chaque casemate en abside dessert une embrasure : au niveau de soubassement, ces embrasures sont systématiquement biaisées, de manière à obtenir un plan de tir alternativement convergent et divergent d’une casemate à l’autre ; autrement dit, pour huit des casemates, en suivant la galerie dans le sens des aiguilles d’une montre à partir de son entrée par l’escalier de droite, ce système groupe les absides deux à deux par la convergence de leur embrasure. La neuvième est évidemment divergente. Au niveau du rez-de-chaussée, la répartition est moins régulière : l’abside occupée par la porte d’entrée (la huitième, toujours en suivant ce qui fut la galerie dans le sens des aiguilles d’une montre) n’a de ce fait pas d’embrasure, mais les embrasures de ses deux voisines convergent, ce qui leur permettait de croiser leurs feux sur le chemin d’accès au fort.

Sont divergentes aussi les embrasures des deux absides situées à l’opposé de la porte, soit les deux premières (superposées aux deux premières du soubassement, à embrasures convergentes). Les embrasures des quatre absides intermédiaires, regardant la petite rade (une, incorporée dans un bâtiment, a été supprimée), sont percées dans l’axe et non plus biaisées. Du fait de cette disposition d’ensemble, aucune bouche à feu du revêtement de la tour ne se superposait ni ne tirait dans la même direction d’un étage sur l’autre, ce qui multipliait les angles de tir. A la gorge de chaque casemate rayonnante, la voûte est percée, à son point de contact avec le noyau central, d’un évent en cheminée Galerie annulaire à absides du soubassement, vue vers le noyau, avec porte en tribune.Galerie annulaire à absides du soubassement, vue vers le noyau, avec porte en tribune. qui débouchait, partant de la galerie de soubassement, débouchait au sol de celle de l’étage, sans doute immédiatement en-dessous d’un évent identique dont cette dernière devait être équipée. On notera au passage que ce plan de galerie circulaire à casemates actives de plan festonné « en pétales » ne trouve son équivalent dans un contexte contemporain, que dans les plans théoriques proposés par Albrecht Dürer dans un de ses traités posthumes, sur un seul niveau, avec un plan d’abside en amande et des embrasures axiales. Quoiqu’il en soit, ce modèle n’a pu influencer l’œuvre toulonnaise, puisqu’il n’a été publié qu’en 1535 30.

Le quart du périmètre de la tour qui ne comporte pas de casemates actives en abside a été conservé sur toute l’élévation du second niveau de défense de la tour, faisant bloc avec l’arrachement du quart correspondant du noyau central, le tout surplombant la cour-terrasse actuelle du rez-de-chaussée et les restes dérasés de la galerie à casemates actives. C’est cette superstructure irrégulière produite par un dérasement sélectif, peu compréhensible à première vue, que les mémoires militaires nomment improprement « donjon ». Au niveau de soubassement, dans ce quart de périmètre, la galerie se poursuit sans casemates pour former un anneau ovale ou déambulatoire complet, sur la même largeur de 3,50m, mais sous une voûte en berceau annulaire dont la hauteur à l’intrados est deux fois inférieure à celle des voûtes des casemates. De ce fait, l’espace disponible au-dessus, toujours dans le niveau de soubassement, est mis à profit pour loger en entresol et en exacte superposition, la reproduction de ce segment de galerie d’un quart de l’anneau, formant une longue casemate incurvée en cul-de-sac. Aux deux bouts de cette casemate d’entresol, une petite fenêtre potentiellement défensive donnait une vue en tribune sur la galerie à casemates actives en abside. La partie médiane de la casemate d’entresol donne accès à un étroit couloir coudé en chicane, très soigné, qui traversait l’épaisseur murale jusqu’au dehors et comportait deux vantaux de porte. Son débouché est condamné par une maçonnerie de murage mais l’issue extérieure, dégagée et munie d’une grille (vers 1948 ?) reste parfaitement visible dans le parement taluté de la tour, sous la forme d’une petite porte à feuillure d’encadrement. La fonction d’origine de cette issue qui donne aujourd’hui dans l’aile gauche de la batterie de 1672 n’est pas limpide.

Avant l‘adjonction de la batterie, cette porte s’ouvrait plus 3m au-dessus du niveau de la mer. De plus, on observe immédiatement en-dessous, dans la partie passive de la galerie annulaire, une porte murée de longue date (depuis 1672, probablement) qui pourrait correspondre à un aménagement analogue. Comme il ne s’agit certainement pas de poterne(s), l’hypothèse la plus probable reste l’accès à des latrines qui devaient former un petit avant-corps ou logette greffé sur le revêtement. Le plan en baïonnette est usuel pour les couloirs de latrines de la fin du Moyen-Âge, et l’économie de la galerie casematée active nécessitait cet accessoire ; de plus, la casemate d’entresol dans laquelle se branche le couloir conservé pouvait servir de logement ou de corps de garde pour les artilleurs servant les canons de la galerie.Cette casemate passive en entresol, qui était utilisée comme magasin à poudres aux XVIIIe et XIXe siècles, est desservie au passage par le système de distribution verticale à deux volées qui dessert principalement la galerie de défense active, système qui occupe le reste de l’épaisseur murale de ce même quart du périmètre de la tour. Il s’agit de deux volées d’escalier presque symétriques, voûtées en berceau rampant à ressauts, épousant en plan l’arc de cercle de la tour, descendant en divergeant depuis un palier spacieux de plan carré haut voûté en berceau Palier de la rampe et de l'escalier entre le rez-de-chaussée et la galerie annulaire de soubassement.Palier de la rampe et de l'escalier entre le rez-de-chaussée et la galerie annulaire de soubassement.et aboutissant chacune dans une des casemates en abside de la galerie. Percé d’une embrasure à canon regardant vers la grande rade, le palier était desservi depuis la galerie déambulatoire annulaire du rez-de-chaussée, vers le milieu du segment bas voûté et sans casemates, sur lequel il s’ouvrait par une large arcade dont le gabarit a été réduit à deux reprises. La disposition de ce segment de galerie de rez-de-chaussée bas voûté est identique à celle du soubassement ; il est aujourd’hui arraché et refermé à ses deux bouts, donnant sur la cour à ciel ouvert qui a remplacé la galerie voûtée à casemates en abside. Comme dans le soubassement, on trouve au-dessus de cet ancien segment de galerie une casemate superposée de même plan, en demi-niveau, d’origine en cul-de-sac ; le tout est entièrement conservé dans l’élévation murale préservée de ce quart de l’enveloppe casematée de la tour. La volée d’escalier descendant à gauche du palier du rez-de-chaussée est aussi large que le palier lui-même (3m), de pente relativement modérée : elle servait de rampe de roulage pour les canons que l’on montait ou descendait entre le rez-de-chaussée et la galerie inférieure pour desservir les neuf embrasures, et n’avait très certainement pas d’emmarchement à l’origine. En effet, il pouvait avoir été conçu comme une rampe cavalière du type de celles, hélicoïdales, aménagées dans les deux grosses tours du château royal d’Amboise (dites tours Hurtaut et des Minimes), construites entre 1494 et 1505 environ. La branche d’escalier descendant à droite Escalier voûté entre le rez-de-chaussée et la galerie annulaire de soubassement.Escalier voûté entre le rez-de-chaussée et la galerie annulaire de soubassement.serait la parfaite symétrique de la rampe si sa largeur n’était réduite d’un tiers (c. 2m de largeur) au profit de l’épaisseur murale extérieure, et si son emmarchement n’était nettement plus raide, d’où une longueur développée inférieure d’un tiers à celle de la rampe. Elle est en revanche aussi haute sous voûte, ce qui confère à l’ensemble un caractère monumental très affirmé, en dépit de l’extrême sobriété des volumes.

Cette volée droite était l’accès principal piéton de la galerie de soubassement. Rampe et escalier opposés prennent un jour parcimonieux de soupiraux, plongeant vers l’intérieur et débouchant dans le parement extérieur sous la forme d’une petite ouverture des plus discrètes. Dans l’escalier, en vis-à-vis d’un de ces soupiraux, la paroi intérieure est percée d’un autre soupirail qui procure un second jour à la casemate d’entresol en forme de segment de galerie en cul-de sac. Celle-ci, elle-même munie de ses propres soupiraux, est desservie en deux points éloignés par une porte piétonne à vantail, d’une part depuis un repos de l’escalier, d’autre part depuis la rampe.Ce système distributif double par rampe et escalier opposés est reproduit à l’identique entre le rez-de-chaussée et l’étage supérieur qui devait être dès l’origine un étage de couronnement en plate-forme, comme il l’est aussi dans l’état mutilé de la tour, le seul documenté depuis le XVIIe siècle. La rampe est moins large (2,40m) que celle située en-dessous desservant la galerie basse, mais le voûtement et la configuration générale sont identiques. Cette rampe est désaffectée et ne débouche plus en partie haute depuis longtemps ; elle semble n’avoir jamais été pourvue de marches. L’escalier ne débouche plus non plus sur la plate-forme supérieure et ne dessert plus que l’étage de casemate d’entresol en segment de galerie. Il est évident que ce dispositif distributif élaboré était adapté à l’origine à un système complet de galerie casematée active annulaire autour du noyau central, au niveau du rez-de-chaussée, qui se reproduisait probablement à l’étage de couronnement sous la forme d’un chemin de ronde, dont il est impossible de déterminer s’il était couvert ou découvert.

Actuellement, ce quart du périmètre de la tour forme un gros mur logeant dans sa masse galerie, casemate, rampe et escalier, épais de 14m à 17m, semi-circulaire au dehors, à deux pans rentrants au-dedans (reste du local intérieur angulaire du noyau central ruiné), haut de 9m (plate-forme générale) à 12m (sommet du parapet du surcroît de plate-forme qui abritait le palier haut des rampe et escalier) au-dessus du sol du rez-de-chaussée. Cet élément, parfois qualifié de parados dans les mémoires du génie, du fait de sa capacité à défiler la batterie découverte du rez-de-chaussée de la tour des vues et tirs depuis la hauteur voisine, est aussi, on l’a dit, souvent nommé « donjon », selon une acception un peu dévoyée du sens de ce mot (superstructure en guérite sur une tour, un bâtiment), usuelle au XVIIIe siècle et entérinée dans l’encyclopédie Diderot et d’Alembert. La face intérieure, actuellement sur cour, de ce « donjon », avec deux pans aveugles se joignant en angle rentrant, Terrasse-cour du rez-de-chaussée, le tiers d'élévation subsistant des locaux dit parados ou donjon.Terrasse-cour du rez-de-chaussée, le tiers d'élévation subsistant des locaux dit parados ou donjon.resta en partie masqué (vu de la petite rade) entre le XVIIe siècle et 1948 par un bâtiment locatif ou de casernement de deux niveaux et trois travées qui avait été construit en travers de la cour-terrasse dans l’emprise des anciens locaux internes du noyau central ovale ruiné. Ce bâtiment disparu était prolongé, du côté opposé à celui attenant au « donjon », par une travée d’étage plus étroite traversant sur une arche en pierre l’ancienne galerie à casemates en abside, pour joindre un autre bâtiment perpendiculaire, également à deux niveaux, bâti sur deux des absides et sur le mur dérasé. Il ne reste aujourd’hui que les vestiges du mur-pignon du bâtiment détruit, la moitié gauche conservée du bâtiment perpendiculaire, montée sur une abside (celle dont l’embrasure a été supprimée), et un passage découvert sur l’arche en pierre de l’ancienne travée de liaison entre les deux bâtiments.

A ce point de la description, il convient de mieux caractériser le noyau central de la tour, dont les vestiges qui persistent dans les élévations actuelles du rez-de-chaussée sont réduits à des moignons peu compréhensibles. On a vu que ce noyau central formait une sorte de tour ovale intérieure d’assez grandes dimensions abritant des locaux de plan angulaire. On peut par hypothèse reconstituer ces locaux du rez-de-chaussée, dont il faut préciser qu’ils étaient l’unique espace résidentiel de la tour d’origine, comme deux salles larges d’environ 16m inscrites dans le grand axe de l’ovale, flanquées dans le petit axe de travées annexes carrées beaucoup plus petites (le fond de ces travées latérales était remployé dans les deux extrémités ou murs-pignons du bâtiment transversal du XVIIe siècle). En soubassement, le noyau central est en revanche très bien conservé. Il abrite deux étages de souterrains complexes. Il y a donc bien dans le soubassement de la Grosse Tour de Toulon à la fois un niveau unique, spacieux, de galerie défensive active à absides, haut sous voûte de 7,50m et deux étages de souterrains, dont une petite partie est dans le quart de l’enveloppe sous le « donjon » (galerie et casemate d’entresol), la majeure partie étant logée dans le noyau central. L’étage souterrain le plus bas de ce noyau est composé de deux citernes identiques et symétriques, de plan rectangulaire, de 250 m3 et d’environ 6,50m X 11m chacune, inscrites dans le grand axe de l’ovale avec une partie massive intermédiaire épaisse de 5m. Galerie annulaire du soubassement, avec le débouché de la rampe et du segment sans absides.Galerie annulaire du soubassement, avec le débouché de la rampe et du segment sans absides.

Ces deux citernes, dont le fond est sensiblement plus bas que le sol de la galerie annulaire du soubassement, sont facilement accessibles depuis l’actuelle cour par deux escaliers en vis implantés en symétrie diagonale. Actuellement, ces deux vis ne sont que souterraines et s’amorcent au rez-de-chaussée dans la cour, l’une d’elle sous une sorte de guérite qui n’est que le moignon restauré d’une tourelle d’escalier cylindrique aérienne. Jusqu’aux démolitions de 1944-1948, cette tourelle d’escalier abritait la continuation de la vis, desservant les deux niveaux du bâtiment transversal du XVIIe siècle. du noyau central, également desservi par ces deux vis, est plus complexe. Au-dessus de chacune des deux citernes règne une salle quadrangulaire longue L’étage souterrain supérieur du noyau central, également desservi par ces deux vis, est plus complexe. Au-dessus de chacune des deux citernes règne une salle quadrangulaire longue de 12,50m dont le mur formant le grand côté extérieur est de plan incurvé suivant la courbe de l’ovale extérieur du noyau central. Ces deux salles aveugles sont couvertes d’une pseudo voûte d’arêtes, sorte de berceau pénétré par des voûtains en lunette, deux sur les grands côtés, un sur les petits, avec retombées intermédiaires. Les deux salles sont traversées verticalement, sol et voûte comprises, par la gaine carrée en briques d’un puits, en forme de conduit de cheminée : il s’agit d’une adjonction du XVIIIe siècle (absente sur les plans de 1701, présente sur ceux de 1775) qui permettait de puiser de l’eau dans les citernes directement depuis la cour, de chaque côté du bâtiment transversal ; les deux margelles correspondantes restent en place.

Chacune des deux salles souterraines communique, toujours en symétrie diagonale à l’instar des citernes, avec la vis d’escalier correspondante, mais aussi avec d’autres locaux souterrains contigus. Le plus grand règne entre les deux salles auxquelles il s’aligne en longueur, au-dessus de la partie pleine qui sépare les citernes ; c’est une pièce rectangulaire allongée qui communique aux deux bouts avec une petite travée carrée de même largeur voûtée en berceau, et sur ses grands côtés aux deux salles. Outre les portes de communication, les murs de ce local central, étayés d’un contrefort médian, sont percés de petites fenêtres, certaines au-dessus des portes. Vauban, qui n’avait pas compris, ou n’avait pas voulu comprendre le parti initial de la Grosse Tour, avec noyau central élevé, auquel il préférait un schéma annulaire autour d’une cour, proposait, dans son projet de 1701, de faire de cette salle souterraine centrale une courette-puits de lumière encaissée au centre d’une grande cour circulaire, après démolition du bâtiment transversal, ce qui aurait procuré du jour aux souterrains attenants, notamment aux deux salles principales. Pragmatique, cette idée de Vauban rejoint très certainement la disposition d’origine : en effet, le noyau central ovale était suffisamment spacieux avec ses 26m X 31m de diamètre, pour inclure en son centre un puits de lumière rectangulaire de 12m X 4m qui seul permettait, non seulement aux souterrains, mais surtout au locaux du rez-de-chaussée, à usage d’habitation, entièrement enveloppés par la galerie casematée, de prendre jour. On ignore l’affectation d’origine de ces souterrains, qui pouvaient servir au moins en partie de magasins, mais la fonction carcérale semble prééminente, tant la disposition générale, y compris le principe de la cour encaissée centrale, y semble adapté. Quoiqu’il en soit, les deux salles principales et l’un des locaux latéraux étaient effectivement utilisés comme cachots au XVIIIe siècle et dans première moitié du XIXe siècle au moins.

Ces deux petits locaux carrés souterrains prolongeant les petits côtés de l’ancienne cour encaissée communiquent d’une part aux deux vis d’escalier, d’autre part à d’autres tronçons de souterrains exigus logés dans l’épaisseur murale résiduelle. L’un d’eux forme un sas de plan incurvé avec évent vertical et porte ouvrant en tribune dans la galerie annulaire à casemates en abside du soubassement, du côté opposé au secteur de l’escalier et de la rampe. Cette porte haute offre un encadrement soigné d’aspect gothique, avec linteau à accolade de coussinets, seul de son type dans l’ensemble des parties conservées de la tour. Cette disposition surprenante s’éclaire au vu du parement de revêtement extérieur de l’embase talutée de la Grosse Tour : exactement dans l’axe et au même niveau que cette issue du noyau central vers la galerie annulaire, existait une autre porte, actuellement murée, percée à travers le cul-de-four de l’abside (lunette encore visible), dont l’encadrement extérieur rectangulaire est complètement conservé, avec feuillure et gonds en fer. Il s’agissait assurément d’une poterne en balcon sur la mer, qui permettait des sorties éventuelles vers une embarcation. A l’intérieur de la casemate en abside correspondante, les deux portes étaient reliées par une passerelle en bois.Le noyau central ovale, dans le parti initial de la tour de la renaissance, au moins dans son projet, devait comporter un premier étage au-dessus des locaux d’habitation du rez-de-chaussée, commodément desservi par le prolongement des deux escaliers en vis. Ainsi cette « tour intérieure » pouvait-elle émerger verticalement de l’enveloppe annulaire, formant une superstructure en retrait entourée d’un chemin de ronde spacieux desservant un parapet d’artillerie. L’ensemble des dispositions de cette Grosse Tour de la Renaissance, telles qu’on peut les reconstituer, présentent d’intéressantes ressemblances avec un monument célèbre à cette époque, le château Saint-Ange de Rome, qui dans une certaine mesure, aurait été une source d’inspiration pour l’architecte italien méconnu de la Grosse Tour de Toulon.

La porte de la tour est celle d’origine, parfaitement conservée, Détail de la porte de la tour vue du pont.Détail de la porte de la tour vue du pont.et représente l’un des rares motifs architectoniques du parti initial, sobre au demeurant. Elle donne lieu à un encadrement formant frontispice en relief sur le nu du parement circulaire, relief assez faible mais néanmoins à ressaut latéral. Actuellement couronné d’une corniche du XVIIe siècle, cet encadrement inscrit une grande et haute arcade couverte d’un arc surbaissé non extradossé, aux claveaux longs saillant un sur deux. L’arcade encadre un tableau en retrait renfoncé, dans lequel est percée la porte proprement dite, beaucoup plus basse, également en arc très surbaissé. Le tablier du pont-levis se rabattait à l’intérieur de la grande arcade, dont la profondeur était justifiée par le système « à bascule » de ce pont-levis, car la fosse devait commencer devant la porte, entre son seuil et celui de l’arcade d’entrée, en laissant une épaisseur de revêtement suffisante pour ne pas fragiliser l’appui de l’axe de rotation du tablier et de sa bascule-contrepoids. Ce type de pont-levis permettait de faire l’économie de tout système de levage à flèches, chaînes, poulies et contrepoids en hauteur, mais présentait un certain danger à la manipulation.

En plus des deux bâtiments importants sur cour du XVIIe siècle, déjà évoqués, démolis en 1948 excepté la moitié de celui bâti sur l’enveloppe au droit d’une abside, les aménagements postérieurs apportés à l’édifice, sont assez limités, mais finalement nombreux dans le détail.Les plus importants sont ceux qui ont affecté les plates-formes et parapets à ciel ouvert des deux niveaux de batterie au rez-de-chaussée et au premier étage (plate-forme du « donjon). Il s’agit d’aménagements défensifs échelonnés, desservis soit depuis la cour, soit par un chemin de ronde entrecoupé d’escaliers aménagé sur l’arase des gros murs.

Il y avait aussi un certain nombre de petits bâtiments annexes nichés dans des absides ou des angles rentrants de la construction d’origine, soit sur l’arase même des gros murs. Ce « parasitage » organique et au coup par coup d’un édifice monumental admirable mais semi ruiné rappelle, en plus petit, le processus de « lotissement » dont firent l’objet des grands monuments de la Gaule romaine, comme les arènes d’Arles et de Nîmes, d’autant plus que l’architecture de la Grosse Tour n’est pas sans référence à ces architectures romaines (pan ovale, galeries voûtées, etc).

Les restaurateurs de 1948-1950 ont assez systématiquement purgé ces bâtiments parasites, ce qui donne au rez-de-chaussée actuel de la tour un aspect de ruines stabilisées. Au rez-de-chaussée, cinq des embrasures en abside, toutes du côté de la petite rade et de la passe, ont été utilisées de façon à peu près constante jusqu’au XIXe siècle, certaines adaptées ou même refaites (encadrement de la bouche extérieure, ébrasement intérieur élargi). Sur l’arase fortement rabaissée du mur festonné a été établi au XVIIIe siècle un chemin de ronde au-dessus du niveau des embrasures, avec mur garde-corps, deux petits escaliers d’accès entre deux des cinq absides, côté cour, et parapet maigre garde-corps sur l’enveloppe extérieure circulaire. Sur ce parapet font saillie deux avant-corps de latrines desservies depuis ce chemin de ronde, dont un partant de fond, assez large (actuellement menaçant ruine), et un autre en logette sur consoles, qui semblent avoir été mis en place aussi au XVIIIe siècle (absentes des plans 1701, présentes sur les plans 1775). Au milieu de ce « front de mer » bas subsiste la souche d’un petit bâtiment de deux travées, construit en appui contre le parapet, entre deux absides, à une date comprise entre 1747 et 1752, et détruit en 1944. A gauche de cette souche de bâtiment et de l’avant-corps ce latrines partant de la mer, entre les deux premières absides de ce côté gauche, s’élève encore la fine tourelle en pierre de taille de l’ancien fanal de 1846.

Le seul bâtiment encore en place et restauré, à droite de la batterie basse,Terrasse-cour du rez-de-chaussée, restes des bâtiments XVIIe s et de la galerie à absides.Terrasse-cour du rez-de-chaussée, restes des bâtiments XVIIe s et de la galerie à absides. n’est que la moitié, comme on l’a vu, du bâtiment complet existant depuis le XVIIe siècle, démoli en partie en 1948. Le corps subsistant, monté sur une abside à quoi se limite son rez-de-chaussée, comporte à l’étage deux travées séparées par un mur de refend, munie chacune de deux fenêtres en façade. Le toit à deux versants de ce bâtiment porte à l’arrière directement sur le parapet, en ce point très remanié, de la tour. Le chemin de ronde du front de mer s’y poursuit, car son passage est réservé sous le versant du toit du bâtiment, entre l’arrière des deux pièces et le parapet. De la moitié détruite qui vient à la suite et s’étendait jusqu’à l’abside de la porte de la tour, reste le mur postérieur, parapet percé de deux petites baies inégales (XVIIe s) avec traces d’arrachements du bâtiment disparu. Le chemin de ronde reprend ensuite sur la totalité de l’arase du gros mur à absides. A droite de l’abside de la porte, le parapet offre encore une petite baie assimilable à une fenêtre, avant de border une nette remontée du niveau d’arasement du mur, avec volée d’escalier passant du chemin de ronde sur une plate-forme surhaussée. Cette plate-forme est bordée d’un parapet maigre crénelé du XVIIe ou XVIIIe siècle, qui incorpore une logette de latrines en encorbellement sur quatre consoles, la troisième du circuit du chemin de ronde de la tour. En contrebas, sur la cour, la dernière abside, à droite de celle de la porte, conserve les traces du corps de garde couvert en appentis qui y était logé depuis la fin du XVIIIe siècle, lui aussi démoli en 1948.

Au-delà, de la première plate-forme rehaussée à parapet crénelé, la remontée du chemin de ronde continue, avec deux ressauts du revêtement, jusqu’à la plate-forme sommitale du « donjon », point le plus haut de la Grosse Tour depuis le XVIIe s jusqu’à aujourd’hui. Cette plate-forme d’artillerie, adossée à l’enveloppe circulaire du mur extérieur aménagée en parapet, est plus étroite que le « donjon » dans sa totalité, et surhaussée par rapport à la terrasse ou plate-forme, continuation du chemin de ronde, qui surplombe la cour, avec garde-corps en angle ; cette terrasse de plan irrégulier (du fait de l’angle rentrant médian, vestige de l’ancienne « salle » du noyau central de la tour primitive) était assez spacieuse pour que de petits magasins y soient édifiés : ils sont indiqués sur les plans de l’atlas d’Aumale (1775) et l’un d’eux demeure en place jusqu’au milieu du XIXe siècle. La plate-forme sommitale a été créée en 1747 avec un parapet à trois embrasures taillé dans le mur du XVIe siècle. Elle a ensuite été remaniée à plusieurs reprises jusqu’à la fin du XIXe siècle en fonction de l’évolution de l’armement. Le parapet actuel comporte la base de deux des embrasures de 1746 dérasées, et un emplacement de tir pour les pièces de 47mm placées en 1898 pour battre la passe. Les sellettes sont encore en place.Les remaniements ponctuels et réaménagements dont le niveau de soubassement conserve la trace concernent surtout des issues partant de la galerie casematée à absides et traversant le mur pour déboucher au-dehors. La plus ancienne part du bas de la rampe, actuellement garnie d’un emmarchement tardif qui en relève le niveau de sol, au point que la porte donnant sur ce diverticule est devenue trop basse et impraticable. C’est un couloir étroit de plan coudé, dont la vocation était de desservir la communication en caponnière de 1672 qui traversait le fossé pour se brancher sur la galerie de contrescarpe casematée et abondamment crénelée. Le raccord de la communication en caponnière avec le mur de la tour prenait la forme élargie d’un « moineau » ou caponnière de plan pentagonal, le tout étant aujourd’hui mi-détruit, mi-enseveli. La partie « moineau », sans la communication, pouvait remonter au XVIe siècle mais il parait difficile d’affirmer qu’elle faisait partie du programme initial, car son mode d’accès depuis la rampe semble contraint. Détail de la porte, des parements d'enveloppe, du fossé et du pont d'accès de la tour .Détail de la porte, des parements d'enveloppe, du fossé et du pont d'accès de la tour .

Il existe en outre deux poternes assez tardives, dans le fossé vers le pont d’entrée. La plus récente, non datée, mais sans doute seulement de la seconde moitié du XIXe siècle, est percée exactement sous la porte de la tour, abritée derrière la dernière pile-culée du pont. Elle tire parti de la fosse de l’ancien pont-levis, dans laquelle on pouvait descendre par un escalier sous le passage d’entrée, pour procurer une poterne basse accessible non par la galerie annulaire défensive du soubassement, mais par le rez-de-chaussée. Enfin, une dernière poterne, aujourd’hui condamnée par murage, est percée dans la galerie de soubassement, dans l’abside immédiatement à gauche de celle sous la porte. C’est un étroit couloir courbé qui aboutit à une petite porte à encadrement soigné, assez voisine de la poterne sous la porte ; elle donnait sur le chemin de ronde de gorge de l’aile droite de la batterie basse, telle qu’elle fut remaniée au début de la décennie 1840.

La batterie

Sévèrement critiquée par Vauban, la batterie basse ajoutée à la tour par Gombert en 1672 est un ouvrage des plus simples, composé de deux ailes ou flancs formés chacun d’un épaulement revêtu de maçonnerie à deux pans (aile gauche, vers la grande rade) ou trois pans (aile droite, vers la petite rade) réunis en angle saillant obtus. Ces deux ailes étaient reliées entre elles et refermées à la gorge de la tour par la contrescarpe du fossé d’origine de la tour. Celle-ci comportait une galerie casematée crénelé continue entre le pont d’accès à la tour –auquel confine l’aile droite de la batterie, et l’aile gauche ou batterie gauche. Le fossé se trouve de ce fait entièrement renfermé à l’intérieur du périmètre des batteries qui coupent sa communication à la mer. Dès la construction des batteries, ce fossé n’était plus inondé et son sol avait été rehaussé. Deux fours à rougir les boulets y avaient été construits. Dans l’état actuel, il est encore plus remblayé dans sa majeure partie, et accueille un chemin bitumé qui passe sous le pont, mais il a aussi été partiellement recreusé et remis en eau sur une largeur limitée, au pied même de la tour, au droit de la dernière pile du pont, entre cette pile et l’aile de batterie de droite, et à gauche du pont plus largement, jusqu’à l’emplacement de l’ancienne communication en caponnière dérasée, qui forme la limite actuelle de la partie inondée. L’ancienne galerie de contrescarpe casematée à feux de revers existe encore, formant la partie principale basse du revêtement de contrescarpe du fossé, qui n’a conservé quelque élévation que de part et d’autre de la culée de départ du pont. Cette galerie est toutefois inaccessible, car elle est très largement ensevelie dans la partie remblayée du fossé, en bordure du chemin bitumé, mais le haut de la série nombreuse des créneaux émerge par endroits au dessus des terres meubles. La caponnière, petit ouvrage saillant à tête arrondie, qui termine cette galerie en forte saillie du revêtement de la batterie de gauche, en position flanquante, demeure en place et lisible, encore que ruiné et en partie enterré. Une issue moderne, aujourd’hui rebouchée, y avait été ménagée, sans doute pour le réutiliser, durant la seconde guerre mondiale.

Le pont d’accès à la porte de la tour Pont d'accès, fossé, front de gorge et porte de la tour.Pont d'accès, fossé, front de gorge et porte de la tour. fait partie intégrante du système de fermeture à la gorge de la batterie, et il est probable qu’il avait été reconstruit lors de la campagne de 1672. Sa chaussée est en pente ascendante assez marquée de la culée de contrescarpe à la tour. Il comporte quatre arches complètes, qui étaient toutes refermées au XVIIIe siècle pour former des abris casematés utilisés comme magasins de l’artillerie à l’usage des batteries, et, près de la tour, deux travées sans arche, avec une pile libre intermédiaire qui recevait le tablier du pont levis de la tour. Sur ces deux travées, le tablier du pont est dormant, mais en charpente. La culée entre la quatrième arche et la première travée sans arche est manifestement une ancienne pile libre devenue culée du pont à arches au XVIIe siècle. Une seule des quatre arches du pont a été décloisonnée, pour permettre le passage du chemin bitumé actuel dans le fossé, mais les trois autres ont encore leurs murs de remplage isolant un petit local ou casemate sous la voûte. Le premier, sous la première arche, aujourd’hui en partie enseveli, était un sas accueillant l’extrémité droite de la galerie d’escarpe crénelée à faux de revers, avec poterne de sortie vers la batterie de droite, et, de là, vers une autre poterne débouchant sur la mer, ménagée au raccord du revêtement de la batterie à la culée de départ du pont.

Le revêtement de la batterie de gauche, enserrant une terrasse qui monte à peu près jusqu’à mi-hauteur du soubassement de la tour, est conservé sur toute son élévation, parementée en briques, avec son parapet à embrasures. Les neuf embrasures à barbette ont toutes été condamnées par murage lorsque le parapet a été rechargé en terre entre 1837 et 1841, mais la différence de matériau rende très lisible le « fantôme » des anciennes embrasures. Au bout de cette branche droite de la batterie basse, une percée récente sur remblai, laissant passage vers la mer au chemin bitumé qui passe dans le fossé et sous le pont, a coupé le raccord du revêtement de la batterie de gauche à l’ancienne galerie de contrescarpe, entièrement enterrée dans ce secteur. Le mur de la batterie de droite, de construction très différente, avec parement de pierre de taille (différence curieuse pour deux branches réputées des la même date), est plus bas que celui de la batterie de gauche. Il a été lui aussi rechargé entre 1837 et 1841 avec rempart de terre intérieur, mais en rehaussant aussi son revêtement en couvrant l’arase neuve d’une tablette. La maçonnerie de ce rehaussement du revêtement comble les embrasures à barbette d’origine, qui demeurent là encore très lisibles du fait de grosses différences de mise en œuvre entre les parements appareillés de 1672 et ceux, plus sommaires, des années 1837-1841. Une issue a été percée à une date récente dans ce mur de revêtement, à son point de raccord avec la Grosse Tour.

Structure et mise en œuvre

Seuls les parements extérieurs de la tour font l’objet d’un traitement luxueux en rapport avec la conception savante de l’œuvre architecturale. Ils sont, pour les parties d’origine, réalisés en moyen appareil de pierre de taille à bossages. Le bossage est rustique, en saillie intentionnellement irrégulière, pour le revêtement du soubassement, au sein duquel l’encadrement des bouches des canonnières prend un caractère nettement maniériste, avec ses claveaux longs en fort relief, composant un arc segmentaire dont l’extrados est plus fortement cintré que l’intrados. Ce « motif » d’encadrement des canonnières se réfère à des modèles italiens contemporains d’architecture civile et militaire, notamment florentins ou vénitiens.Au-dessus du cordon, particulièrement volumineux (régnant sur deux assises de pierre taillées en demi-cylindre), le parement comporte huit assises (maximum) presque lisses sorte d’ébauche de bossage en table dressées au marteau rustique, sans plus de finition, correspondant au registre des embrasures. Au-dessus règne d’abord un bossage en table en faible relief mais légèrement bombé aussi fini au marteau rustique (en front de mer, ce traitement du parement commence dès le dessus du cordon), sur une hauteur d’au moins quatre mètres au-dessus des embrasures, puis, dans la partie supérieure de l’élévation qui n’est conservée que dans le revêtement de la partie « donjon », un bossage rustique analogue du modèle médiéval bien représenté en Provence. On ne repère aucune trace d’un cordon supérieur d’origine qui aurait fait transition entre revêtement et parapet, seulement une amorce d’assises sans bossages au niveau du parapet dérasé de la plate-forme haute du donjon. Les encadrements des bouches d’embrasures du rez-de-chaussée, qui règnent sur la partie d’élévation en parement sans relief ou en faible relief, sont eux-mêmes sans véritable bossage, mais réalisés dans une pierre de teinte rouge-brune laissée intentionnellement brute de finition, les claveaux formant un arc non extradossé le tout tranchant avec la dominante gris-blanc des pierres du parement courant. Deux de ces embrasures, face à la petite rade, ont été entièrement refaites sans doute dans la seconde moitié du XVIIIe siècle en pierre blanche et briques (fourrage de la voûte), en même temps que le segment du parement dans lequel elles s’ouvrent, contre lequel s’appuie l’avant corps de latrines partant de fond. Ensemble de la tour dans l'axe de l'entrée vue du pont d'accès.Ensemble de la tour dans l'axe de l'entrée vue du pont d'accès.

Détail de la porte de la tour vue du pont.Détail de la porte de la tour vue du pont.

L’avant corps de la porte de la tour est traité en bossage continu tabulaire, ce qui a pu laisser croire qu’il avait été fait ou refait à l’époque classique, XVIIe ou XVIIIe siècle. Il fait clairement partie de l’état des lieux sur les relevés de Vauban pour le projet de 1701, et on ne repère aucune trace de reprise dans son assemblage au parement courant. La seule retouche est la corniche supérieure de l’avant-corps, créée en même temps qu’étaient organisés les parapets du chemin de ronde. En revanche, la mise en œuvre des claveaux de l’arc de façade de la grande arcade qui recevait le pont-levis, dessinant en pointillé (du fait de deux claveaux passants) un extradossement plus fortement cintré que l’arc surbaissé de l’intrados, relève de la même esthétique maniériste que les embrasures.La moitié inférieure du soubassement de la tour côté petite rade, entre les points d’accroche des deux ailes de batteries de 1672, a fait l’objet d’une reprise très visible, par crépissage général, après ravalement de la majorité des bossages, y compris ceux de quatre des embrasures basses face à la petite rade, dont une est refaite, trois autres condamnées par murage et recouvertes par le crépi. On ignore la date d’exécution de cette reprise, qui est trop nettement délimitée pour correspondre à une simple réparation de portions de parement érodées naturellement, mais elle n’est pas exprimée sur les élévations des relevés de l’an 7. L’intention de cette reprise était peut-être d’empêcher des tentatives d’escalade sur les bossages et de passage mal contrôlé par les embrasures (tentative de pénétration individuelle par la mer, évasion de prisonniers). En partie supérieure du revêtement, à partir du rez-de-chaussée, le parement d’origine fait l’objet de multiples reprises partant de plus ou moins haut au-dessus du cordon, certaines formant le parapet du chemin de ronde créé sur l’arase des gros murs au XVIIe siècle, crénelé par places, garde-corps en d’autres points ; d’autres encore forment le dos de bâtiments. C’est le cas pour le seul bâtiment conservé et restauré en 1948, dont tout le mur postérieur est en reprise, presque à partir du cordon, d’où la disparition complète de la bouche de l’embrasure qui était percée à cet endroit.

La mise en œuvre de ces reprises d’époque diverse, les plus récentes de 1944 et 1948, est très hétérogène, allant du moyen appareil soigné (secteur des deux embrasures refaites) au blocage de petits moellons de tout-venant enduit (segments de parapets d’infanterie XVIIe siècle à créneaux sommaires encadrés en brique, de part et d’autre de la porte). Les logettes de latrines, en pierre, pour celles regardant la petite rade ou en brique, pour celle côté terre, sont portées sur des consoles à ressauts en pierre blanche. Les consoles de la plus petite, côté port, n’ont que deux ressauts, celle de la plus grande, côté terre, en ont cinq. Le coffre des latrines partant de fond est évidé à la base de deux arcades de vidange. On note la mise en œuvre soignée en moyen appareil de pierre blanche, des margelles des puits de la citerne (XVIIIe siècle) et de la grêle tourelle cylindrique du fanal de 1846. La mise en œuvre des parements et voûtes intérieurs de la construction d’origine se caractérise par l’absence quasi-totale de pierre de taille (sauf à un encadrement de porte déjà signalé donnant en tribune du noyau sur la galerie annulaire de soubassement). Comme dans certains monuments antiques, la grosse maçonnerie de blocage de moellons de tout venant concerne aussi les parements, qui étaient destinés à recevoir un enduit plus ou moins couvrant. Toutes les voûtes, y compris les berceaux rampants à ressauts couvrant rampes et escaliers, étaient montées sur couchis et laissées brutes de décoffrage, en attente d’un enduit qui n’a jamais été appliqué dans la partie « souterrains » (galerie à absides, souterrains du noyau central) sauf dans la casemate courbe en entresol, enduite vers le XVIIIe siècle pour son affectation au magasin à poudres. On note toutefois le soin particulier apporté à l’assemblage des moellons des voûtes en cul-de-four des absides, en assises demi-concentriques. Galerie annulaire à absides du soubassement, détail de voûte d'une abside.Galerie annulaire à absides du soubassement, détail de voûte d'une abside.

Couloir en chicane d'anciennes latrines partant de la casemate d'entresol du soubassement.Couloir en chicane d'anciennes latrines partant de la casemate d'entresol du soubassement.Le seul élément de parement en belle pierre de taille appareillée se trouve dans le couloir mural en chicane déjà évoqué comme probable accès de latrines. La rampe reliant le rez-de-chaussée à l’étage de couronnement conserve un enduit ancien très couvrant, avec badigeon à la chaux, sans doute représentatif de ce qui était prévu pour l’ensemble des parois et voûtes ; le segment de galerie du rez-de-chaussée et la casemate courbe superposée conservent aussi leur enduit couvrant, plus ou moins renouvelé et restauré. Le seul bâtiment conservé depuis les démolitions et restaurations du XIXe siècle, témoigne de la mise en œuvre assez minimaliste des logements d’officiers et de garnisons mis en place dans le fort au XVIIe siècle : murs maigres en blocage revêtu d’un enduit couvrant, portes et fenêtres rectangulaires très simples, sans chambranle, toit à deux versants revêtu de tuiles-canal. Il ne subsiste pas d’éléments significatifs anciens de second œuvre en menuiserie, ni d’ouvrages de fer, exceptées des grilles fermant les évents au sol de la cour, ou les sellettes des pièces de canon de 1898 sur la batterie haute du « donjon ».

Les matériaux de construction des ailes de batterie basse de 1672 et leurs caractéristiques de mise en œuvre ont déjà été évoqués.

1Ce toponyme est une forme ancienne de celui de Lamalgue, anciennement La Malgue, attribué au fort de 1708-1765 situé plus d’un km au sud-est de la Grosse Tour. Le relief qui domine immédiatement la pointe du cap sur lequel est fondé la Grosse Tour est encore nommé « La Croupe Lamalgue ». 2 …Ipsa turris poterit aedifficari in introitu portus et al cap de la Manega, cum in eodem loco non sit tam magna profonditas aquae… Toulon, Arch. Communales, BB, Délibérations du Conseil de Ville, f° 156, cité par Gustave Lambert, « Toulon sous Charles VIII, Louis XII et François Ier ,1487-1544», Bulletin de l’académie du Var, nouv. Série, t. XIV, 1888, p. 251-252. 3A.D. des Bouches du Rhône, B. 1450, f° 94 (Archives de la cour des comptes de Provence) 4« Dicti nobiles Petrus Motteti, consindicus, ac dominus Anthonius n Thomasii, promiserunt solenniter, quod tociens quociens. realiter receperint dictas duos mille libras, pro dicte turris edifficio ordinando, illas bene et decenter et sine fraude couvertere ac implicare in dicte turris edifficio ac constructione ». Toulon, Arch. Communales, BB, Délibérations du Conseil de Ville, f° 156, cité par Gustave Lambert, op. cit, p. 253. 5Gustave Lambert, op. cit, p. 254. 6Toulon, Arch. Communales, BB, Délibérations du Conseil de Ville, Séance du 1er août 1524, f°146. Cité par Gustave Lambert, op. cit, p. 258. 7A. D. du Var, E. 677, f°181. 8Toulon, Arch. Communales, BB, Délibérations du Conseil de Ville, Séance du 7 novembre 1531,f°346. Voir Gustave Lambert, op. cit, p. 266-269. 9Gustave Lambert, op. cit, p. 281-282. Ferdinand Joseph, « La grosse tour, doyenne des fortifications existantes», Les Amis du Vieux Toulon, n° 5, 1924, p.56-57. 10Süleymanname de Ali Amir Beg Shirvani, Ms. Istambul, c. 1558, Musée du palais de Topkapi. 11Compte rendu de l’expertise de Séguiran dans N.-C. Fabri de Peiresc, Histoire abrégée de la Provence, ms de 1637 édition scientifique par J. Ferrier et M. Feuillas, Avignon, 1982, p. 295. 12BNF Estampes 13A. N. B314, f° 157 Lettre du 24 mai 1672, voir B. Cros, Historique sommaire du fort Balaguier, 2002 (inédit) 14B. Cros, « Le fort de l’Eguillette de Louis XIV à nos jours », Revue de la société des amis du Vieux Toulon et de sa région, n° 130, 2008, p. 107, note 4. 15Vauban, Mémoire sur les réparations les plus nécessaires des fortifications de Toulon, forts et batteries d’alentour de sa rade ... … mars 1679. Vincennes SHD, Art. 8 carton 1 (1 VH 1831), n° 1bis. 16Estimation de la tour et batterie proposées sur le port des Vignettes près l’entrée de la rade de Toulon. Vincennes SHD, art. 8, carton 1 ( 1V H 1831) n° 16 17Addition du premier mars 1693 au projet de Toulon de 1679. Vincennes SHD, art. 8, carton 1 ( 1V H 1831) n° 19 18Deuxième adition au projet des fortiffications de Toulon du 19 mars 1701, Vincennes, SHD, art. 8, carton 1 ( 1V H 1831) n°36. 19Plan de Toulon et de ses rades, copié sur celuy de M. de Vauban, par Niquet, 1701 Vincennes SHD, Art. 8 carton 1 (1 VH 1831), n° 1bis. 20Estimation de la tour et batterie proposées sur le port des Vignettes près l’entrée de la rade de Toulon. Vincennes SHD, art. 8, carton 1 ( 1V H 1831) n° 36. 21Vincennes SHD, Art. 8 carton 2 (1 VH 1832), n° 1bis. 22Vincennes SHD, Art. 8 sect 1 carton 4 (1 VH 1834), n° 22. 23Vincennes, SHD, Archives du génie, Série 1V, Toulon, Art 8, Section 1 carton 5, plan n° 20 ; Bibliothèque du Génie, Atlas des places fortes n° 64 : Toulon et ses forts extérieurs, d’Aumale, 1775, pl. 17,18, 20. 24Paris, Musée des Plans-reliefs, non coté. 25Etat des lieux des locaux de la caserne de la Grosse Tour, 1843, Toulon, SHD, 2K1 21 26Vincennes SHD, Art. 8 sect 1 carton 24 (1 VH 1854). 27Cité par Ferdinand Joseph, « La grosse tour, doyenne des fortifications existantes», Les Amis du Vieux Toulon, n° 6, 1925, p.75-76. 28Rapport de la commission de révision de l’armement du littoral du 5è arrondissement sur un nouveau plan d’ensemble de la défense du port de Toulon. 28 novembre 1876. Vincennes, SHD, SHM DD² 1045.29Cité par Ferdinand Joseph, Op. Cit., p. 78-80. 30Alberti Dureri pictoris et architecti praestantissimi de urbibus, arcibus, castellique condensis, ac muniendis rationes aliquot (…), Parisiis, MDXXXV.

La Grosse Tour, vaste « torrione » conçu par un ingénieur italien peu avant l’invention du système bastionné, est le plus ancien ouvrage de fortification moderne de Toulon, et plus généralement de Provence, amorcé sous Louis XII et achevé sous François Ier.

Les archives de l’ancienne cour des comptes de Provence font connaître le nom de Giovanni Antonio della Porta, l’architecte recruté par le roi en 1514 pour concevoir et réaliser une « fortification en forme de tour » à l’entrée du port (petite rade), à la demande de la ville. Cet architecte, probable membre d’une dynastie d’artistes milanais actifs à cette époque dont un en France, n’est pas autrement connu. L’emplacement avait été choisi par les consuls et le conseil de ville, qui a la charge de gérer le financement royal du chantier de construction. Ce dernier s’étend du 14 mai 1514 à l’année 1524, date de la mort de l’architecte, toujours à Toulon. D’abord stagnante jusqu’en 1517, la marche du chantier s’accélère ensuite, employant jusqu’à 200 hommes et consommant plus de 20000 florins en 1518 et 1519, trois fois plus que la dépense de 1515-1517. Le coût total converti en livres peut être estimé à 3800 livres. Divers indices portent à croire que l’œuvre n’avait pas atteint sa perfection à la clôture du chantier en 1524.

Quoiqu’il en soit, la Grosse Tour, utilisée comme arsenal par la ville, est assiégée l’année même lors de la campagne militaire conduite en Provence par le connétable Charles de Bourbon pour le compte de Charles Quint. Elle ne subit pas l’épreuve du feu, son capitaine Jean de Mottet ayant monnayé sa reddition. L’artillerie de la ville, reconstituée, est placée dans la Grosse Tour en 1543 lors de l’hivernage dans la rade de la flotte turque de Kair Ed Din, alias Barberousse. En 1634, une « petite tour » est construite par ordre de Richelieu sur la pointe de Balaguier, en vis-à-vis de la Grosse Tour, permettant de croiser les tirs d’artillerie contre les navires susceptibles de forcer la passe. En 1672-1673, une batterie basse est ajoutée au pied de chacune de ces deux tours, sur un dessin de l’ingénieur toulonnais François Gombert. Six ans plus tard, Vauban, dès sa première mission à Toulon et son premier projet pour en améliorer la défense, marque son mépris pour les batteries de Gombert et son admiration pour la Grosse Tour jugée inachevée, qu’il propose de compléter. A chacun de ses nouveaux projets toulonnais, 1692,1693 et 1701, Vauban donne des variantes à ce projet, qui, peu soutenu localement par Antoine Niquet, ne voient pas le jour.

La Grosse Tour ne subit aucune modification jusqu’en 1841, date à laquelle ses batteries sont réformées par l’apport de parapets de terre. La tour est équipée d’un petit fanal en 1846 et sa plate-forme haute, dite « donjon » est aménagée en 1898 en petite batterie de quatre pièces de 47mm à tir rapide battant l’entrée de la passe. Ces pièces sont supprimées en 1909. Classée Monument Historique en 1947 après la guerre, la Grosse tour est restaurée, ce qui permit de supprimer les verrues de l’occupation allemande, mais aussi le corps de caserne, ruiné par la guerre, qui était établi sur sa plate-forme depuis le XVIIe siècle.

La Grosse Tour de Toulon est fondée sur la pointe de la Mître à l’extrémité de la péninsule dite du Mourillon, partie sur la roche affleurante partie « à la mer » en très basses eaux. L’œuvre architecturale n’est qu’un « torrione » surdimensionné, de plan ovale tendant au cercle (52m sur 57m de diamètre à la base), mais sa conception interne, complexe, et le traitement plastique et esthétique des élévations témoigne de l’ambition du parti, sans équivalent en France à cette époque. C’est une œuvre « conceptuelle » à géométrie savante de la renaissance italienne, qui évoque les recherches sur les plans centrés appliquées tant à l’architecture religieuse qu’à l’architecture militaire par des artistes-ingénieurs complets du temps Léonard de Vinci.

La conception défensive est aussi très moderne, par l’intégration de deux niveaux de tir d’artillerie sous casemates en batterie, le premier au raz de l’eau, au niveau des coques des navires ennemis arrivant dans la passe, le second au niveau des mâts des mêmes navires. L‘aspect extérieur est celui d’un ouvrage de la Renaissance, comme en témoigne la présence du cordon, marquant la transition entre le soubassement taluté et l’élévation supérieure verticale qui commence au niveau du seuil de la porte. Le traitement des parements extérieurs, à bossages rustiques, assez courant en Provence au Moyen-Âge, est ici explicitement maniériste « à l’italienne », surtout pour l’encadrement des canonnières, voire pour celui du frontispice de la porte à pont-levis.

La structure interne comporte deux sous-ensembles : un noyau cylindrique ovale est inscrit dans l’enveloppe annulaire de la tour proprement dite, en dégageant une galerie casematée active (soit munie de canonnières), qui n’est conservée qu’au niveau du soubassement taluté. Cette galerie distribue sur les trois quarts de son circuit, donnant sur la mer et vers l’entrée de la tour, une série de neuf casemates ouvertes en alvéoles semi-circulaires dont le voûtement en cul de four se prolonge en berceau jusqu’au noyau central, selon un plan rayonnant « festonné ». Ce système de voûtement procure une plus grande solidité à la construction que ne l’aurait fait une voûte annulaire. Ce dispositif était reproduit à l’identique au niveau supérieur ou rez-de-chaussée ; la porte de la tour est aménagée dans une des alvéoles ou abside. Dans le quart restant du circuit sont logées, sur les deux niveaux de la tour, deux volées d’escalier divergentes et inégales (rampe à gauche, escalier plus étroit et plus raide à droite), voûtées en berceau rampant à ressauts, épousant en plan l’arc de cercle de la tour, partant d’un palier haut spacieux de plan carré haut voûté en berceau. Les volées du rez-de-chaussée sont conservées, l’élévation murale massive qui les contient (improprement nommée « donjon ») dominant la grande plate-forme ou cour actuelle et portant la petite plate-forme haute qui a porté de l’artillerie jusqu’en 1907. Le soubassement du noyau central abrite deux étages de caves aveugles, qui étaient des citernes (au plus bas) et des prisons, desservis par deux vis d’escalier. Au rez-de-chaussée subsiste un bâtiment greffé sur l’enveloppe, ancienne aile annexe du corps de caserne démoli en 1947. Les deux ailes de la batterie conservent les traces de leurs embrasures murées en 1841. Le fossé de gorge a conservé, ensevelie, une ancienne galerie de contrescarpe crénelée contemporaine de la batterie, et jadis liée à la tour en caponnière.

  • Murs
    • calcaire moellon
    • calcaire pierre de taille
  • Toits
    tuile
  • Plans
    plan centré
  • Étages
    2 étages de sous-sol, étage de soubassement, en rez-de-chaussée surélevé
  • Couvrements
    • voûte en berceau
    • cul-de-four
  • Couvertures
    • terrasse
  • Escaliers
    • escalier dans-oeuvre : escalier en vis en maçonnerie
    • escalier dans-oeuvre : escalier droit en maçonnerie
  • État de conservation
    bon état
  • Statut de la propriété
    propriété de l'Etat
  • Protections
    classé MH, 1947/11/04
  • Précisions sur la protection

    Le fort : classement par arrêté du 11 avril 1947.

  • Référence MH

Chef d’œuvre d’architecture militaire de la première Renaissance, dont l’état mutilé mais peu dénaturé n’empêche pas d’apprécier la qualité exceptionnelle.

Documents d'archives

  • Délibérations du Conseil de Ville, Toulon. Archives communales, Toulon : BB.

  • Archives du Génie de Toulon. Service Historique de la Défense, Vincennes : Série 1 V, Art. 8, section 1.

  • Archives de la Cour des comptes de Provence. Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Marseille : B 1450.

  • LE PRESTRE DE VAUBAN SEBASTIEN. Estimation de la tour et batterie proposées sur le port des Vignettes près l’entrée de la rade de Toulon, 6 mars 1692. Service Historique de la Défense, Vincennes : Art. 8, carton 1 ( 1V H 1831) n° 36.

    Service Historique de la Défense, Vincennes : Art. 8, carton 1 ( 1V H 1831) n° 36
  • LE PRESTRE DE VAUBAN Sébastien. Addition au mémoire de 1679 sur les réparations à faire aux fortifications de Toulon, 1er mars 1693. Service historique de la Défense, Vincennes : Archives du génie, Série 1V, Toulon, Art 8, sect.1, carton 1 n°19.

  • LE PRESTRE DE VAUBAN Sébastien. Deuxième adition au projet des fortiffications de Toulon, 19 mars 1701. Service Historique de la Défense, Vincennes : 1 VH 1831 n° 36. Archives du génie, Série 1V, Toulon, Art 8, sect.1, carton 1 n°36

  • AGUILLON LOUIS D'. Mémoire sur la ville de Toulon, son objet relativement à une déffensive simple en Provence, sa fortification ancienne de terre & de mer, et la nécessité indispensable qu'il y avoit d'avoir cette place dans un meilleur état de défense, pour metre à l'abry d'insulte l'arcenal et le département de marine, 1er mars 1768. Service Historique de la Défense, Vincennes : Art. 8 sect 1 (1 VH 1834), n°22.

  • Etat des lieux des locaux de la caserne de la Grosse Tour, 1843. Service Historique de la Défense, Toulon : 2K1 21

  • Rapport de la Commission de révision de l'armement du littoral du 5e arrondissement sur un nouveau plan d'ensemble de la défense du port de Toulon. 28 novembre 1876. Service Historique de la Défense, Vincennes : DD2 1045.

  • AUMALE, CHARLES-FRANCOIS MARIE D'. Atlas des places fortes, Toulon et ses forts extérieurs. Par Charles-François Marie d'Aumale, directeur des fortifications de Toulon et de Basse Provence, 1775. Service Historique de la Défense, Vincennes : Bibliothèque du Génie, Atlas des places fortes n° 64.

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  • RIBIERE, Hélène, ADGE, M., CATARINA, D. et al. La route des fortifications en Méditerranée, les étoiles de Vauban. Paris, 2007, 184 p.

    P. 130-132

Documents figurés

  • Topographie de la France. Série de cartes gravées des XVIIe et XVIIIe siècles issues en partie des collections Marolles et Gaignières. Bibliothèque nationale de France, Paris : Va. Département des Estampes et de la Photographie.

  • Plans et profils de la grande tour [...] pour servir à sa correction. [batterie dite la Grosse Tour]. / Dessin, plume et lavis, signé Sébastien Le Prestre de Vauban. Dans : "Deuxième adition au projet des fortiffications de Toulon du 19 mars 1701". Service Historique de la Défense, Vincennes : 1 VH 1831 n° 36.

  • Plan de Toulon et de ses rades, copié sur celuy de M. de Vauban. / Dessin, par Antoine Niquet, 1701. Service Historique de la Défense, Vincennes : Art. 8 carton 1 (1 VH 1831), n° 1bis.

  • Plan des forts de la rade [de Toulon]. / Dessin, non daté, milieu XVIIIe siècle. Musée des Plans Reliefs, Paris : A 125.

  • Plan de situation. [Batterie dite la Grosse Tour ou Tour Royale]. / Dessin plume et lavis, 1775. Service Historique de la Défense, Vincennes : Bibliothèque du Génie, Atlas des places-fortes, Toulon et ses forts extérieurs, atlas n° 64, pl. 20.

  • [Batterie dite la Grosse Tour]. Plan, 1798. / Dessin plume et lavis, An VI [1798]. Musée des Plans Reliefs, Paris.

  • Coupe du Fort. [batterie dite la Grosse Tour ou Tour Royale]. / Dessin plume et lavis, An VI [1798]. Musée des Plans Reliefs, Paris.

  • [Batterie dite la Grosse Tour ou Tour Royale], Rez-de-chaussée.1818. / Dessin plume et lavis, 1818. Service Historique de la Défense, Toulon : 2 K 2 231.

  • [Batterie dite la Grosse Tour ou Tour Royale]. Sous-sol, 1818. / Dessin plume, 1818. Service Historique de la Défense, Toulon : 2 K 2 231

  • Atlas des bâtiments militaires, place de Toulon. Plan des souterrains de la Grosse Tour. 1837. / Dessin plume, 1837. Service Historique de la Défense, Toulon : 2 K 2 231.

Date d'enquête 2011 ; Date(s) de rédaction 2012
(c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
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