HISTORIQUE
Le château-fort, qui dominait la première agglomération de Saint-Martin-de-la-Brasque, n'est mentionné, à notre connaissance, dans aucun texte d'archives. Son établissement est cependant très probablement à l'origine de la concentration de l'habitat, sur le flanc sud-est de la colline, qui apparaît dans les documents à la fin du XIe siècle.
La ruine de l'édifice n'est pas mieux attestée que sa construction. Il est vraisemblable que le château rut, comme le village situé en contrebas, abandonné complètement après la création, par l'acte d'habitation de 1506, de l'agglomération actuelle. La disparition des bâtiments dut être assez rapide en 1689, les consuls de Saint-Martin-de-la-Brasque déclaraient que leur seigneur (le duc de Lesdiguières, baron de La Tour-d'Aigues) ne possédait en ce lieu qu'un verger d'oliviers d'environ cinq hectares 1. Ce verger fut par la suite vendu par le baron de La Tour-d'Aigues à un particulier nommé Pierre Roman, en 1755, et perdit alors son statut de terre noble, franche d'impôt 2.
Quelques années plus tard, en 1418, les seigneuries de Saint-Martin, Lourmarin et La Roche-d'Espeil sont achetées par Pierre de Venterol à une certaine Jacquette de Four, épouse de Jean Garrelli, qualifié de serviteur de la reine 3. Pierre de Venterol ayant marié sa fille unique à Elzéar d'Oraison, légua son nom et ses biens au cadet de ses petits-fils, Pierre. Ce dernier se vit, pour une raison que nous ignorons, confisquer cet héritage par une sentence du sénéchal de Provence Louis de Beauvau entre 1455 et 1462 au profit des frères Fouques et Guillaume d'Agoult. Le neveu de Pierre d'Oraison, Antoine, essaya par la suite vainement de récupérer les seigneuries de Lourmarin et de Saint-Martin-de-la-Brasque : un arrêt du Grand Conseil le débouta de ses prétentions, confirmant la possession de Lourmarin à Louise d'Agoult et celle de Saint-Martin-de-la-Brasque à Françoise de Bouliers, petite-fille et héritière de Jeanne d'Agoult 4. La seigneurie de Saint-Martin-de-la-Brasque fut rattachée à la baronnie de La Tour-d'Aigues, dont elle suivit désormais le sort.
Du village lui-même, durant tout le moyen-âge, nous savons fort peu de choses. L'agglomération devait être assez réduite et pauvre, si l'on en croit le procès-verbal de la visite pastorale du 25 avril 1343 par lequel l'archevêque d'Aix constate le dénuement de l'église paroissiale et recommande l'achat d'un livre liturgique "si les moyens des paroissiens le permettent" 5. Un registre des mutations de propriété intervenues dans la baronie d'Ansouis dans la première moitié du XVe siècle nous fait connaître les noms de 17 habitants de Saint-Martin-de-la-Brasque possessionnés dans le terroir de La Motte-d'Aigues à cette époque 6. C'est cependant dans la seconde moitié du même XVe siècle que le village dut commencer à se dépeupler, victime, comme beaucoup d'autres, de la crise économique consécutive aux guerres et aux épidémies de peste de la fin du XIVe siècle. Sur l'affouagement général de 1471, il figure comme inhabité 7. Il fut définitivement abandonné au début du XVIe siècle, après la fondation de l'actuelle agglomération par l'acte d'habitation de 1506.
GENERALITES
A. Situation
- Facteurs historiques
La première agglomération de Saint-Martin-de-la-Brasque était située à 700 m environ au sud-est de l'actuel village, sur la hauteur aujourd'hui appelée "Le Castelas". L'occupation humaine de ce site paraît d'ailleurs remonter à une époque largement antérieure au moyen-âge : on y a relevé des débris de poterie gallo-romaine et même des vestiges d'industrie du Néolithique, en particulier un lissoir de pierre polie 8.
La fondation de ce village remonterait à la fin du XIe siècle d'après le texte d'une charte non précisément datée (1092 ?) qui place l'église paroissiale de Saint-Martin-de-la-Brasque au nombre des bénéfices concédés aux chanoines de la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix 9. Mais, hormis cette simple mention et quelques brèves indications concernant uniquement l'église, les archives ne livrent aucun renseignement sur l'agglomération avant le milieu du XIIIe siècle.
En 1253, Saint-Martin-de-la-Brasque figure parmi les péages et pulvérages supprimés par le comte de Provence comme de création récente et illicite dans le comté de Forcalquier 10. Le village se trouvait en effet - diverses sources postérieures le confirment 11 - sur un chemin d'une certaine importance, reliant les bacs de Mérindol et Cadenet à la grande route qui, par la vallée de l'Eze, menait à Forcalquier et Manosque. Ce chemin, qui constituait l'une des voies de communication entre la basse Provence et les Alpes, devait être emprunté assez régulièrement par des marchands et surtout par des troupeaux transhumants.
Après cette date, les quelques documents concernant Saint-Martin-de-la-Brasque n'apportent guère que des renseignements fragmentaires sur la succession des seigneurs du lieu, sans permettre d'en dresser la liste complète : en 1290, une enquête de la Cour des Comptes sur les biens tombés en main-morte, signale que le village est tenu par Pierre de Forcalquier, également seigneur de Lourmarin 12. Ce Pierre de Forcalquier, qui apparaît dans un autre document de quelques années postérieur 13, appartient sans doute à la descendance de Gaucher de Forcalquier, l'un des fils du dernier comte de Forcalquier, Guillaume de Sabran. Cette puissante famille, dont les diverses branches tenaient la plupart des seigneuries du pays d'Aigues, avait conservé une certaine indépendance à l'égard des comtes de Provence, qui n'exercaient alors sur leurs domaines que des droits de souveraineté assez lointains et ne percevaient aucune imposition 14. En 1340, le sénéchal de Provence Philippe de Sanguinet reçoit l'hommage, pour les fiefs de Saint-Martin-de-la-Brasque, La Roche-d'Espeil et Buoux, de Gaucher de Forcalquier, fils de Guillaume de Forcalquier, après partage de l'héritage paternel avec son frère Jean de Forcalquier, seigneur de Lourmarin 15. L'un des derniers représentants de cette lignée parait être Delphine de Forcalquier qui, en 1410, fait don d'une partie de la seigneurie de Saint-Martin-de-la-Brasque à Etienne Brun, seigneur de Lagnes 16.
- Facteurs topographiques
Le site du premier village de Saint-Martin-de-la-Brasque est constitué par une colline d'altitude médiocre (413, 6 m) dont les versants, abrupts des côtés nord et est, s'abaissent en pente douce sur les côtés sud et ouest. Cette colline, bordée au nord-est par le vallon de Riou et entourée, partout ailleurs, de plaines, se situe au centre du terroir dont elle représente le point le plus élevé et le plus important élément de relief. De son sommet, la vue porte à plusieurs kilomètres à la ronde jusqu'à Cucuron à l'ouest, La Bastidonne au sud et la Bastide-des-Jourdans à l'est. L'intérêt stratégique d'un tel site paraît donc certain.
Le sommet de la hauteur étant occupé par le château, l'agglomération s'est installée en contrebas, sur le versant sud-est, le plus abrité du mistral. Les quartiers situés immédiatement sous ce versant portent encore les noms, significatifs de la présence proche de l'habitat aggloméré, de Saint-Blaise (patron de la paroisse) et Les Jardins.
- Grands axes de circulation
- anciens : l'agglomération se trouvait en bordure d'un grand chemin (ou chemin royal) qui, venant de Lourmarin, se dirigeait vers Grambois. Cette voie assez importante servait aux communications entre la région de Cavaillon et Salon et celle de Manosque et Forcalquier.
- récents : la colline du Castelas est contournée au nord-est par un chemin vicinal reliant Saint-Martin-de-la-Brasque à La Tour-d'Aigues. L'ancien grand chemin subsiste partiellement.
B. Site et aspect d'ensemble
Il ne reste plus aucun élément étudiable de ce village. La pente sur lequel il était établi, aménagée par la suite en une série de terrasses soutenues par des murs de pierre sèche et destinées à la culture de l'olivier, est aujourd'hui couverte de broussailles. Le rapport des fouilles effectuées pendant l'été 1972 par Monsieur Michel FIXOT, assistant d'archéologie médiévale à l'Université de Provence, sur la motte qui couronne le site, signale cependant la mise à jour, lors de travaux de terrassement,de deux pièces d'habitat troglodyte et d'un silo ovoïde creusés dans le safre, dont la période d'occupation se situe, d'après la céramique ramassée dans les déblais, entre la fin du XIIIe et le milieu du XVIe siècle.
DESCRIPTION
Le site de ce château, à la suite de son repérage en 1971, a été signalé au Laboratoire d'Archéologie Médiévale de l'Université de Provence, dont les recherches portent tout spécialement sur les formes les plus anciennes des fortifications médiévales.
Le site se présentait alors sous la forme d'un tertre de terre rapportée, d'une hauteur de 5 m environ, élevé sur le point culminant de la colline et présentant l'aspect caractéristique d 'une motte féodale.
Ce tertre était couronné d'une plate-forme sommitale de plan légèrement ovale, de 14 m de diamètre d'est en ouest et de16 m du nord au sud, dont le rebord était marqué par un alignement de pierres sèches. Un double fossé et un rempart de terre protégeaient les flancs est et sud-est de la motte, du côté où la pente naturelle de la colline est moins accusée.
Vue aérienne éloignée, oblique, prise du nord-ouest.
Des fouilles ont été effectuées en 1972 et 1973 sous la direction de Monsieur Michel FIXOT, assistant d 'archéologie médiévale à l'Université de Provence. Les rapports de ces fouilles ,dont un exemplaire a été remis au Secrétariat de la Commission Régionale, permettent d'en exposer succinctement les résultats.
Les substructions d'un bâtiment ont en effet été mises à jour à l'intérieur du tertre, qui paraît être un aménagement tardif destiné à faire disparaître les ruines encore en place et à niveler le terrain pour un usage agricole.
Les substructions ont partiellement souffert de cet aménagement, les murs ayant été arasés en plusieurs endroits et leur parement arraché. Les fragments qui en ont été dégagés permettent cependant de restituer le plan de la construction, formée de deux bâtiments accolés en équerre, aux murs épais de 1, 30 m à 1, 90 m : au nord un petit donjon rectangulaire, au sud un second bâtiment, probablement d'habitation, à l'intérieur duquel a été découvert, creusé dans le sol, un silo ovoïde profond de 2, 80 m. Entre les deux branches de l'équerre, exposée à l'est, se trouve une petite cour intérieure fermée par un mur d'enceinte (dont un seul tronçon a pu être mis à jour). Dans l'angle de cette cour formé par les deux ailes du château ont été dégagés les restes d'une citerne, revêtue d 'un enduit de tuileau, qui devait recueillir les eaux tombées des toitures.
Le sol d'occupation des bâtiments, de niveau très variable, se présente partout composé du même cailloutis enrobé dans un ciment gréseux. Après analyse, ce matériau s'est révélé comme naturel : il ne s'agit donc pas véritablement d'une motte, mais d'une butte façonnée dans une formation rocheuse dure affleurant au sommet de la colline et régularisée par un léger apport de terre. Ce niveau naturel n'a d'ailleurs été que grossièrement aménagé, comme en témoignent la dénivellation entre les divers points de la construction et la conservation, tant dans le soubassement des murs qu'au centre des pièces, de blocs de calcaire fichés dans le sol.
Le même substrat a servi également au façonnage du rempart et des fossés : un sondage effectué dans le fossé sud, dont le fond se trouve à plus de 7 m au- dessous du niveau de la construction, a fait apparaître le creusement très soigné de cette structure défensive.
Vue aérienne rapprochée, oblique, prise du sud-ouest.
Le matériel (céramique, verre) retrouvé en place appartient à un niveau d'occupation qu'on peut dater du XVIe siècle. Il est contenu dans une couche de cendres (où se trouvent également des ossements humains et des pierres brûlées) qui semble indiquer une destruction brutale. Il apparaît cependant que l'intérieur des deux salles fouillées, dont le sol est, par endroits, inférieur à la base des murs, a pu être nettoyé au XVIe siècle, effaçant ainsi toute trace d'habitat antérieur.
De fait, les sondages pratiqués à l'extérieur des bâtiments ont ramené des tessons de céramique grise médiévale. Ces résultats encore limités, demanderaient à être complétés par de nouvelles fouilles.
NOTE DE SYNTHÈSE
Malgré la pauvreté du matériel exhumé lors des fouilles, le caractère médiéval du château de Saint-Martin-de-la-Brasque ne peut être mis en doute : par sa conception même, il s'apparente directement aux premières fortifications féodales provençales qui ont utilisé, avec quelques aménagements simples, des accidents du relief naturel. Il représente cependant un bon exemple d'adaptation locale d'une forme importée, la motte, dont l'imitation se discerne facilement dans le façonnage du tertre et de sa ceinture de fossés et de remparts.
Il semble qu'après un premier abandon à la fin du moyen-âge le château ait été réoccupé au XVIe siècle. Cette seconde période d'occupation aurait pris fin brutalement (expédition contre les vaudois de 1545, guerres de religion ? ) et l'édifice, ruiné, aurait été par la suite rasé et ses restes enfouis lors de travaux de terrassement sans doute destinés à la mise en culture du site.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.