HISTORIQUE
La rareté et le laconisme des documents ne permettent que d'entrevoir assez vaguement les origines de l'habitat à la Motte d'Aigues. On ne connait, pour l'instant, aucun témoignage assuré concernant cet habitat- pourtant probablement présent ici comme dans les territoires des communes voisines - aux époques préhistorique et antique, la tradition orale, seule, signale quelques trouvailles fortuites de silex taillés, haches de pierre polie, tuiles à crochets et poteries sigillées, mais ces témoins, dispersés dans des collections privées, non localisés ni datés, ne peuvent fournir aucun renseignement précis. Du bas-empire au très haut moyen-âge subsiste cependant un toponyme, celui du quartier de Toussargues, seul vestige d'un domaine rural disparu 1.
Le premier texte écrit, la pancarte pontificale d'Urbain II confirmant, en 1096, les possessions de l'abbaye de Saint-André-de-Villeneuve 2, fait apparaitre l'église Saint-Jean et ses annexes (celles-ci mal heureusement non spécifiés) et la Motte - oppidum dans le texte - , probablement une petite fortification seigneuriale analogue à celles qui ont été découvertes et fouillées à Saint-Martin-de-la-Brasque et à Sannes, embryon éponyme de l'agglomération.
C'est en effet autour de ce château que, vraisemblablement assez progressivement, l'habitat s'est regroupé et fixé, laissant loin à l'écart l'église Saint-Jean devenue paroisse. Si le fait est sûr, sa chronologie n'en demeure pas moins extrêmement floue, entre la première mention de 1096 (le mot oppidum désigne certainement le château, maison ne peut affirmer qu'il s'applique déjà, à cette date, à une agglomération) et la fin du XIIIe siècle. Entre ces deux termes, la documentation reste, il est vrai, très indigente : quelques mentions de l'église, d'ailleurs stéréotypées, dans les pancartes pontificales et archiépiscopale de 1118, 1143, 1165 et 1178 3 ; la présence parmi les vassaux du comte de Forcalquier de plusieurs membres d'une famille dont le patronyme est La Motte - Guillaume et Raimond de la Motte, cités sur une liste d'Albergues du comte Guillaume III avant 1129, Isnard et Pierre de La Motte, témoins d'actes du comte respectivement en 1149 et 1174 4- ; enfin la mention du castrum de Mata dans la constitution de dot par le comte Guillaume IV de Forcalquier en faveur de sa petite-fille Garsende en 1193, parmi un ensemble de seigneuries que le comte réserve aux fils de son gendre Raine de Sabran et qui constituera peu après la baronnie d'Ansouis - cet acte montre, en tout cas, que le comte de Forcalquier a gardé sur la Motte l'essentiel des droits seigneuriaux, dont quelques bribes seulement ont du être concédées à la famille de la Motte - 5.
Il faut attendre la fin du XIIIe siècle pour voir apparaitre explicitement dans les textes le village. A l'occasion d'une enquête effectuée le 23 octobre 1290, par les commissaires de la Cour des Comptes de Provence sur les biens-fonds indûment acquis par des ecclésiastiques, est citée une maison, sise in castro, donnée à un clerc par son père, Engles Bues, damoiseau détenteur de quelques droits seigneuriaux à la Motte ; mais un témoin, interrogé par les enquêteurs, confirme que le seigneur principal du lieu est le baron d'Ansouis, Elzéar de Sabran 6.
Un siècle encore sépare ce document du suivant. L'inventaire de la succession de Jean de Sabran, dressé le 20 octobre 1383 par sa veuve Isoarde de Roquefeuil, décrit assez minutieusement les droits et propriétés du baron d'Ansouis à la Motte : le château (fortalitium), un petit domaine (une ferrage, des vignes en friche et des bois)et la majeure partie (17/20ème) des droits seigneuriaux, justice, cens, fourrage, pâturage et pulverage, tasques, le reste de ces droits étant partagé entre trois petits co-seigneurs, Imbert et Guillaume Gaufridi et Antoine Eiron 7. Le même texte fait état d'une seigneurie, celle de Châteauguyon, dont on trouve là la seule mention connue d'existence, en 1383, elle est annexée à la Motte, avec ses habitants, son territoire et sa juridiction, et il n'en subsistera plus par la suite, qu'un nom de quartier ; son nom, castrum Guisonis, et le qualificatif diruptum (détruit) qui lui est appliqué laissent supposer qu'elle comportait, avant son annexion, une fortification seigneuriale et un habitat (petite agglomération ou exploitation rurales dispersées ?), le tout de dimensions réduites et de localisation incertaine (dans la zone des coulets, au nord-est de la Motte ?) ; sa disparition, survenue à une date et dans des conditions indéterminées, parait s'inscrire dans le mouvement de désertion des campagnes provoqué par la crise de la seconde moitié du XIVe siècle, mais peut aussi être intervenue antérieurement et s'apparente au cas, tout voisin, de Sannes, annexé à Ansouis dès le début du XIVe siècle : dans la première hypothèse, elle aurait pour cause le vide démographique créé par la peste de 1348 et le repli des habitants vers des sites fortifiés, dans la seconde, elle représenterait simplement l'échec d'un habitat trop pauvre et mal situé, incapable de conserver, politiquement et économiquement, son autonomie.
La première image un peu précise que nous ayons du village de la Motte se dessine, dans la première moitié du XVe siècle, à travers les notices du Livre des lods et Trezain de la baronnie d'Ansouis rédigé pour Elzéar de Sabran entre 1398 et 1442 8. On y trouve analysés 46 actes de mutation de propriétés situées à la Motte, échelonnés de 1405 à 1437. Le village se compose d'un noyau fortifié, de forme circulaire et de dimensions restreintes, dont l'enceinte (mur construit ou rempart de terre ?) couronne un fort talus (naturel ou façonné ?) appelé moulas 9 et s'ouvre par un portail sur la place, au sud ; au sud-est, de part et d'autre du chemin de Grambois, un faubourg appelé la Bourgade ; au sud, l'église Saint-Florent et le quartier dit du Terrail 10 ; à l'ouest, un autre faubourg appelé le Moulas. Parmi les 10 parcelles construites mentionnées, 6 sont des crotes, des habitations totalement ou partiellement creusées dans la roche, 3 sont des maisons (probablement à étages) construites, la dernière est un casal (construction sans étage, pouvant servir d'habitation ou de remise). Hors du village, on trouve quelques bâtiments d'exploitation (curtis, graneria) et un moulin sur le ruisseau de Mirail. Quant aux parcelles non bâties, la plupart (plus des deux tiers) se situent aux environs immédiats de l'agglomération, dans un rayon inférieur à 500 mètres (principalement le long du vallat de la Gravière, à l'est) où se regroupent jardins, vignes, prés, ferrages et labours. Au-delà s'étendent des bois (au nord, vers le Lubéron) et des marécages (au sud, dans la plaine) entrecoupés de quelques labours, prés et pâturages secs le long des chemins. Dans cette zone marginale prédomine la grande propriété, noble ou ecclésiastique, contrastant avec le tissu serré des petites parcelles de la zone centrale.
A ce tableau topographique ne se limite pas l'information contenue dans ce document exceptionnel. L'analyse des 46 actes de mutation révèle en effet une proportion insolite (40 au 46) de contrats d'accapte (ou nouveaux baux emphytéotiques) ; des six actes restant, trois seulement concernent des ventes, les trois autres enregistrent respectivement la rétention par le seigneur d'un important ensemble immobilier provenant de la succession d'un ancien co-seigneur de la Motte, Guillaume Gaufridi, l'abandon (déguerpissement) d'un bien-fonds par un emphytéote et la reconnaissance d'un autre bien-fonds tenu par un particulier : la presque totalité des immeubles, bâtis ou non bâtis, décrits dans les actes ont été abandonnés par leurs possesseurs - les uns décédés sans héritier, les autres partis ailleurs - la comparaison de ces actes avec ceux, contenus dans le même livre, concernant Ansouis et Cucuron (où les contrats de vente et d'échange sont largement majoritaires) met en évidence le caractère anormal du marché foncier à la Motte. Il y a plus ; si l'on recense les bénéficiaires de ces contrats d'accapte et de vente, on constate que tous, à l'exception d'un seul, sont étrangers au village : 15 habitent Saint-Martin-de-la-Brasque, 10 Grambois, les autres viennent de Cabrières, Cucuron, Pertuis ou Apt. On peut encore noter que plusieurs emphytéotes se voient concéder par le baron d'Ansouis des franchises et des droits d'usage sur les terres gastes (pâturage, coupe de bois) qui appartiennent normalement aux habitants, que les redevances exigées par le seigneur sont faibles ou en baisse, que plusieurs immeubles sont ruinés (moulin) ou en friche (terres,prés, vignes). Tous ces traits concourent à donner de la Motte l'image d'un village déclinant, en état de désertion déjà avancé. La situation des propriétés, certainement nombreuses, non mentionnées dans le document nous reste, il est vrai, inconnu ; cette lacune importante n'altère pas la valeur du témoignage, elle en modifie seulement la portée ; si le village n'est pas encore désert en 1442, il n'est pas loin de le devenir.
Les causes de cette dépopulation ne sont pas spécifiques à la Motte. La grande crise économique et démographique, amorcée dans l'ensemble de la Provence (et même, plus largement, de l'Europe occidentale) au début du XIVe siècle, précipitée du milieu à la fin du siècle par les épidémies de peste, les guerres successives et le brigandage généralisé, fit sentir ses effets, dans les campagnes, jusqu'à la fin du XVe siècle. Elle n'atteignait pas que les paysans. En 1431, le baron d'Ansouis Elzéar de Sabran dut, pour éteindre une dette, engager à un marchand de Saint-Maximin, Hugues Garin, les revenus de quatre seigneuries - Cucuron, Vaugines, Cabrières et la Motte - estimés à la somme modique de 140 florins par an ; son fils Jean ne récupéra, en1442, les deux dernières seigneuries 11 que pour les engager de nouveau et, finalement, les vendre. En 1452, la rente annuelle du prieuré de la Motte, affermé par le prieur Louis Parent à deux aixois, atteignait à peine 30 florins : le contrat d'arrentement prévoyait même pour les fermiers, la possibilité d'abandonner l'affaire au bout d'un an si elle ne se révélait pas rentable 12. Dans le procès-verbal d'affouagement général de la Provence dressé en 1471, la Motte est déclarée inhabitée 13. La seigneurie de la Motte d'Aigues fut rachetée et on ignore à quelle date et dans quelles circonstances exactes par le baron de Sault Foulque d'Agoult, propriétaire également de la Tour d'Aigues, Peypin, Cabrières, Saint-Martin-de-la-Brasque et Lourmarin. Elle figure, en tout cas, parmi les biens de la succession de Foulque, inventoriés en 1491 pour son neveu et héritier Raimond d'Agoult. Les droits qui la composent correspondent à ceux de 1383, à ceci près que les parts des petits co-seigneurs ont été rachetées (par Elzéar de Sabran) et unies à la part principale ; les revenus de ces droits ne sont pas spécifiés, sauf pour la tasque ou facherie prélevée sur la presque totalité des terres au taux du 1/7 ème du produit, qui rapporte environ 40 saunées de blé (froment et autres céréales) par an ; au domaine, dont le détail n'est pas donné, s'ajoute maintenant l'étang (actuel étang de la Bonde), dont l'eau alimente l'étang du château de la Tour d'Aigues 14.
Un nouvel inventaire, dressé à la mort de Raymond d'Agoult, le 26 mai 1503 énumère les mêmes droits et possessions seigneuriales, mais signale la construction d'une grande bastide avec son domaine, constitué de prés et de terres et clôturé (actuel domaine de la Bonde). A cette date, la Motte compte à peine une dizaine de maisons habitées 15.
Deux ans plus tard, la sœur de Raymond d'Agoult, Louise d'Agoult, agissant au nom de son neveu (encore mineur) François de Bouliers, héritier de Raymond pour la baronnie de la Tour d'Aigues et sa vallée, entreprit le repeuplement du village de la Motte. Le contrat d'habitation, conclus le 19 mars 1505, sur le modèle de celui que Raymond d'Agoult avait passé en 1495 avec les nouveaux habitants de Cabrières, installait à la Motte une trentaine de chefs de famille, dont l'origine n'est pas spécifiée 16. Certains de ces nouveaux habitants étaient, semble-t-il, apparentés à ceux de Cabrières (les Alard, les Pelegrin) ; d'autres portent des noms apparemment originaires des mêmes vallées vaudoises (Colomb Combe, les Malan, les Vivian) ; mais d'autres encore pourraient être originaires des villages voisins, peut-être descendants des propriétaires cités au début du XVe siècle : ainsi en est-il d'Antoine Cléricel (un Pierre Cléricel, de Grambois,où ce nom est très répandu, est cité en 1417), d'Etienne et Jean Datil (Rostaing et Jean Datil, de Saint-Martin-de-la-Brasque, cités en 1421 et 1433), Firmin et Laurens Filhat (Durand et Urbain Filhat, de Grambois,en 1421), Jean et Antoine Rainaud (Barthélémi et André Rainaud, de Saint-Martin-de-la-Brasque en 1424.) Il s'agit donc, très certainement d'une population composite. Peu nombreuse aussi : 32 chefs de famille, alors que Cabrières en avait accueilli près de 80. Le mouvement d'immigration, de provenance essentiellement alpine, qui a si fortement contribué au renouveau démographique de la basse Provence s'essoufflait-il en ce début du XVIe siècle ? Notons que les chefs de famille qui participèrent, l'année suivante, au repeuplement des villages de Peypin-d'Aigues et de Saint-Martin-de-la-Brasque étaient encore moins nombreux (14 en tout).
Le même jour 19 mars 1505, François de Bouliers distribua aux nouveaux habitants des emplacements à bâtir, de 12 cannes (24m) sur 6 (12m), situés sur le pourtour du vieux village, dans les quartiers de la Bourgade, au sud, et du Moulas, à l'ouest 17. Il est difficile d'apprécier la réussite de l'entreprise. En 1513, le baron de la Tour-d'Aigues tirait des quatre seigneuries de Cabrières, la Motte, Peypin et Saint-Martin-de-la-Brasque 1500 florins de rente annuelle, par l'intermédiaire d'un rentier qui sous-affermait les mêmes droits pour 1700 florins par an 18. L'augmentation spectaculaire des revenus seigneuriaux correspond sans aucun doute à la renaissance de ces quatre villages, réhabilités entre 1495 et 1506. Mais en ce qui concerne la Motte, le succès ne fut peut-être pas aussi net et immédiat. En 1540,les commissaires affouageurs de Provence, qui visitent cette année-là tous les villages réhabilités depuis le précédent affouagement de 1471, y dénombrent 30 maisons habitées seulement 19 : chiffre anormalement faible ou manifestement sous-estimé (même si l'on suppose l'existence de plusieurs familles par maison) si on le compare à ceux des autres villages placés dans le même cas : il y a à la même date 150 maisons à Cabrières (pour 78 chefs de famille en 1495), 34 à Mérindol (pour 11 chefs de famille en 1504,) 36 à Peypin et Saint-Martin-de-la-Brasque (pour 14 chefs de famille en 1506) ; chiffre plus encore erroné par rapport au cadastre rédigé en 1520, qui recense 126 propriétaires, dont 13 seulement n'habitent pas la Motte 20. A cette date, la Motte devait compter une soixantaine de maisons. L'essor du village fut brutalement interrompu, comme à Cabrières, Lourmarin, Mérindol et autres colonies vaudoises réformées, par l'expédition tristement célèbre de 1545. Le détail des évènements n'est pas connu ici aussi bien qu'à Mérindol, mais dut avoir un déroulement identique. Les villageois, réfugiés dans la montagne pendant que les soldats occupaient, pillaient et brûlaient leurs maisons, revinrent quelques mois après et, en dépit des condamnations (prison, galères,) confiscations et amendes qui leur furent infligées, reconstruisirent leurs demeures et reprirent leur existence accoutumée. La bienveillance non dissimulée de leur seigneur (dame Mérite de Trivulce, grand-mère et tutrice du baron Jean-Louis Nicoles de Bouliers), la mise en accusation de leurs persécuteurs, puis les désordres des guerres de religion favorisèrent, semble-t-il, leur retour et leur réinstallation. On ne sait, au demeurant, rien de précis sur les conséquences locales de cet épisode tragique : la désorganisation des organes administratifs communaux et les violences ont entrainé une totale pénurie d'actes écrits.
Quoi qu'il en soit, l'habitat, dans la seconde moitié du XVIe siècle, non seulement se reconstitua mais reprit son essor. Un censier non daté, mais vraisemblablement rédigé dans les toutes dernières années du XVIe ou les toutes premières du XVIIe siècle, fait apparaître un village notablement agrandi, où l'on dénombre 85 maisons, 8 crotes, 38 casaux, 34 emplacements à bâtir, 23 bâtiments d'exploitation (écuries, jas, remises : auxquels s'ajoutent 10 bastides dispersées dans le terroir, des 168 propriétaires énumérés, un seul est étranger à la communauté 21.
Cette croissance se poursuivit à un rythme plus ou moins régulier dans le courant du XVIIe siècle, d'après les quelques chiffres fournis par la documentation. 190 propriétaires, dont 23 étrangers (non résidents) figurent au cadastre de 1613 22. La visite pastorale de 1620 fait état d'une centaine de maisons habitées, dont seulement 4 ou 5 par des catholiques 23. En 1656, le curé de la Motte compte à peine 30 paroissiens contre environ 300 protestants 24. Bien vivante et cohérente, la petite communauté était gérée par deux consuls élus, assistés d'une trentaine de conseillers, deux auditeurs des comptes et deux estimateurs jurés, et s'assurait les services rétribués d'un pasteur (commun avec Cabrières, Peypin et Saint-Martin-de-la-Brasque), d'un greffier, d'un trésorier, d'un garde champêtre, d'un porcher communal et d'un manganier - à la fois boucher, boulanger et épicier- 25.
L'augmentation de la population, qui représentait tout à la fois davantage de main-d’œuvre et davantage de bouches à nourrir, amena à la même époque la communauté à solliciter de son seigneur une amélioration de ses moyens d'existence. Deux concessions importantes furent ainsi obtenues : l'usage des eaux de l'aqueduc du château de la Tour-d'Aigues pour arroser les terres et la plantation d'arbres fruitiers. La première concession fit l'objet de tractations, en juin 1665, entre les consuls de la Motte et les représentants du Duc de Lesdiguières, baron de la Tour-d'Aigues, qui accepta, à cet effet, de déplacer son moulin banal, situé sur l'aqueduc à la limite des territoires de La Motte et de Saint-Martin-de-la-Brasque. Ce moulin, qui servait aux quatre communautés de la vallée d'Aigues, fut reconstruit (et agrandi) en aval de l'étang de la Bonde, près des confins de la Tour-d'Aigues (actuel quartier du Moulin Neuf), aux frais de la communauté de la Motte et avec le concours (pour le transport des matériaux) de tous les habitants usagers 26. Ce déplacement effectué, par transaction du 24 avril 1675, le Duc de Lesdiguières autorisa les propriétaires de la Motte à utiliser, deux jours par semaine (le mercredi et le samedi) l'eau du canal qui alimente l'étang de la Bonde à partir des sources de Mirail et des Hermitans, moyennant le paiement de 3 sous par sétérée de pré arrosé, la construction, à leurs frais, d'une martelière (prise) captant l'eau du vallat de la Gravière et la versant dans le canal et l'entretien de toute la portion de ce canal située dans le territoire de la Motte, en amont de l'étang 27.
La seconde concession, traitée simultanément, aboutit, le 27 octobre1665, à une transaction accordant aux habitants de la Motte le droit de planter sur leurs fonds, dans un délai de 9 années, 4000 oliviers, 1500 amandiers et un nombre illimité de noyers 28. L'autorisation obtenue fut largement exploitée et, au terme du délai prescrit, constatant que tous les arbres avaient été plantés - ce qui portait leur nombre total à 8000 oliviers et 3000 amandiers, les noyers, peu à l'aise sous le climat sec et brutal de la Provence, restant peu nombreux - le baron de la Tour-d'Aigues, selon la promesse qu'il avait faite, réduisit la tasque (imposition en nature) qu'il prélevait sur les fruits du cinquième au septième 29.
Vers la fin du XVIIIe siècle, la progression démographique fléchit de nouveau, le développement de l'habitat ralentit. Les difficultés économiques de la fin du siècle - mauvaises récoltes et fiscalité écrasante - ne sont pas seules en cause ici. Les mesures répressives, amorcées dès 1661 et progressivement alourdies jusqu'à la révocation de l'Edit de Nantes, en 1685, touchent durement une population presque entièrement protestante. Des persécutions multiples et quotidiennes, exercées à la fois contre les particuliers et l'ensemble de la communauté 30 provoquèrent quelques départs, quelques emprisonnements, mais surtout la conversion forcée et simulée de la plupart et l'appauvrissement (par confiscations de biens et interdictions diverses) de beaucoup. L'affouagement de 1698 enregistre le contrecoup de ces évènements : la Motte ne compte plus que 66 chefs de famille et 60 maisons habitées, ce qui représente une diminution de près d'un tiers par rapport au chiffre du début du siècle 31.
Cette tendance ne fut que passagère et, dès le premier tiers du XVIIIe siècle, une certaine reprise se fit sentir, favorisée par un relâchement de la répression consécutif à la mort de Louis XIV. La grande peste de1720, qui atteignit si cruellement certaines villes provençales - en particulier, dans les proches environs, Cucuron - parait avoir épargné le village de la Motte où l'on recensa en 1728 73 chefs de famille et 71 maisons habitées 32. Par la suite, la population ne cessa plus d'augmenter, malgré des conditions de vie encore difficiles. Le cadastre communal rédigé en 1751 est révélateur à cet égard : des 160 propriétaires cités, 50 - soit près du tiers - sont étrangers au village 33 ; gros ou petits bourgeois de la Tour D'Aigues ou de Pertuis, ils ont profité des confiscations opérées aux dépens des habitants protestants, auxquels ils s'opposent non seulement en tant que propriétaires forains, non contribuables aux impôts locaux, mais encore en tant que catholiques - leurs domestiques et fermiers, également étrangers à la Motte et catholiques, viennent renforcer le parti du curé - ; mieux encore, ils occupent souvent les charges publiques et municipales, dont restent plus ou moins exclus les "nouveaux convertis". L'affouagement général de 1765 dénombre à la Motte 93 maisons habitées et 413 habitants 34. A la veille de la Révolution, d'après l'historien Achard, on y comptait environ 500 âmes 35.
La chute de l'ancien régime n'apporta que bien peu d'améliorations à la situation des habitants de la Motte. Sur le plan de la répartition des biens fonciers, pas de changement : la marquise de Caumont, fille et héritière du dernier seigneur, le Président de Bruny, conserva les propriétés de son père, en particulier le domaine de la Bonde et l'ensemble des bois du Lubéron. La commune, ayant perdu les droits d'usage coutumiers dont elle avait toujours joui sur les bois et terres gastes, parvint cependant, lorsque ces bois furent mis en vente sous la restauration, à en acheter la moitié. Même déficit en ce qui concerne les eaux de l'aqueduc de la Tour d'Aigues, dont elle avait si laborieusement acquis l'usage en 1675 : les canaux, faute d'entretien, s'ensablèrent ; Madame de Caumont obtint, en 1825, un arrêt du tribunal d'Apt obligeant la commune à faire les réparations et à continuer de lui payer la redevance prévue ; mais le canal des Hermitans, partie amont de l'aqueduc, ne fut jamais remis en service 36. Ces pertes économiques ne furent, semble t-il, que médiocrement compensées par l'abolition des autres redevances seigneuriales et la restauration de la liberté de culte. De fait, la démographie du village stagne durant la première moitié du XIXe siècle après une baisse passagère (349 habitants en 1800) 37, la population se stabilise autour de 450 âmes jusqu'au milieu du siècle 38.
Avec l'ère industrielle commence ensuite l'exode rural. A partir du mi lieu du XIXe siècle, la course démographique est régulièrement descendante. La baisse restera pourtant lente et assez limitée grâce à l'évolution de l'agriculture. A partir du début du XXe siècle, en effet, la vigne et les cultures fruitières et maraichères remplacent progressivement les céréales. La vigne, qui n'occupait en 1896 encore qu'une vingtaine d'hectares 39, couvre aujourd'hui plus des trois quarts des terres cultivables et la production du raisin de table, florissante jusque vers 1950, peut être considérée comme le principal facteur du relatif maintien de la population.
La situation actuelle est plus complexe. En crise depuis une vingtaine d'années - en raison de la concurrence italienne consécutive à la création du Marché Commun - le raisin de table est aujourd'hui délaissé au profit des cultures maraichères (asperge, melon, tomate) et du vin (la coopérative vinicole de la Motte appartient au groupement des Coteaux du Lubéron). Un autre relais est assuré par le tourisme - l'étang de la Bonde est devenu un centre d'attraction - et le développement des résidences secondaires sur les coteaux jadis plantés d'oliviers : cet arbre, qui fut autrefois la principale ressource de la commune, n'a pas survécu au gel catastrophique de 1956. Ce dernier phénomène surtout a modifié profondément l'aspect du village et du terroir : jusqu'alors resté très groupé, l'habitat s'est dispersé d'abord dans la plaine, au sud, sous la forme d'exploitations rurales, puis, sur les coteaux autour du village et, au nord, vers le pied de la montagne, sous forme de pavillons individuels. Le village lui-même s'est agrandi d'une couronne d'habitations neuves. Le mouvement d'extension se poursuit aujourd'hui, mais il doit être freiné et endigué par le Plan d'occupation des sols récemment élaboré et mis en application par la municipalité.
DESCRIPTION
Situation
De dimensions assez médiocres (1461 hectares,) le territoire de la Motte d'Aigues forme une longue bande allongée du nord au sud, de la crête du Grand Lubéron (culminant au Rocher de l'Aigle, 1055m) au revers de la petite chaine de collines qui borde la rive de l'Eze. Il se compose de trois parties bien caractérisées et de superficie presque égale :
1° Au nord, une partie montagneuse et inculte, couverte de bois et de garrigue, formée par le versant abrupt du Lubéron et les collines (appelées Coulets) qui en bordent le pied ; dans cette partie, l'altitude varie de 1050 à 500m. environ.
2° Au centre, une zone de coteaux variés et mouvementés, qui s'abaissent de 500 à 350 m. ; elle est presque entièrement cultivée, avec des ilots résiduels de garrigue ou de forêt, et contient la plus grande partie de l'habitat.
3° Au sud, un coteau presque plan, qui se relève de 300 à 350 m d'altitude à son extrémité sud, sur les confins de la Tour-d'Aigues ; cette zone, qui s'étend entre l'étang de la Bonde et le vallat de Saint-Jean, est drainée et arrosée par un réseau de fossés et de canaux et traversée de part en part et à deux reprises par l'aqueduc de la Tour-d'Aigues ; elle est intégralement cultivée.
L'ensemble est profondément entaillé et sillonné par le vallat de Saint Jean et ses affluents qui forment limite, à l'est, avec Peypin-d'Aigues (torrent de Mirail) et Saint-Martin-de-la-Brasque et, à l'ouest, avec Cabrières-d'Aigues (torrent des Vaucèdes).
Le village se situe au centre, au point de contact entre la zone des coteaux et la plaine. Le réseau des voies de communication s'ordonne autour de lui, en étoile. Les deux axes principaux de ce réseau le relient, au nord avec Cabrières-d'Aigues et au sud avec la Tour-d'Aigues (D 120), à l'ouest avec Cucuron et Sannes et à l'est avec Saint-Martin-de-la-Brasque et Grambois (D 27) ; d'anciens chemins, aujourd'hui disparus, le mettaient aussi en communication au nord avec Apt, par Saint-Martin-de-Castillon (sentier muletier traversant le Lubéron) et, à l'est, avec Peypin-d'Aigues, par la source de Mirail.
Milieu naturel
Le site du village est constitué par une petite butte de molasse faisant la jonction entre une colline un peu plus élevée, au nord-ouest (altitude 390 m) et une autre, au sud, qui s'allonge pour former une sorte de promontoire dominant la plaine (serre de Prijastel, altitude 380 m). L'implantation, au contact de deux types de terroir (coteaux secs et plaine marécageuse) et à proximité d'un point d'eau - la butte est bordée, à l'est, par le ravin dit de la Gravière et le quartier dit du Puits -, tient aussi compte du climat : l'exposition est assez bonne, abritée du mistral par la colline du nord-ouest et bien ensoleillée.
Le relief naturel, assez faible, a du être à l'origine renforcé par l'aménagement du sol en forme de "motte" : c'est ce que laissent entendre le nom même du village et celui d'un de ses quartiers appelé Moulas (mot provençal désignant une butte ou son talus). Il ne subsiste aucun vestige de cet aménagement.
Milieu construit
Le village ancien épouse étroitement son site : un noyau de forme presque circulaire, au centre, couronne la butte, dont les flancs ouest, nord et est sont couverts par des faubourgs ; la rue principale (route D. 27) emprunte, au sud, le col entre la butte et le Prifastel et sépare le noyau du faubourg le plus important, celui qui entoure l'église et la place de la mairie. Dans tous ces quartiers de formation ancienne, le tissu urbain est serré, irrégulier, le parcellaire plutôt exigu s'aligne, selon les courbes de niveau, le long de ruelles étroites et tortueuses. De quelque côté qu'on aborde l'agglomération, son parti général concentrique apparait nettement, avec l'étagement des toitures du au relief.
Les extensions récentes, largement étalées sur tous les côtés du village, s'éparpillent sans ordre des pavillons entourés de jardins et contrastent fortement avec l'habitat ancien.
Évolution de la population
Les données numériques de cette évolution, qui a été retracée ci-dessous dans l'historique, sont les suivantes :
Date | Maisons | Chefs de famille | Propriétaires | Habitants |
1471 | ||||
1503 | env. 10 | |||
1505 | 32 | |||
1520 | 126 | |||
1540 | 30 (?) | |||
fin XVIe | 85 | 168 | ||
1613 | 190 | |||
1620 | env. 100 | |||
1656 | env. 330 | |||
1698 | 60 | 66 | ||
1728 | 71 | 73 | ||
1751 | 160 | |||
1765 | 93 | 413 | ||
1787 | env. 500 | |||
1800 | 349 | |||
1836 | 462 | |||
1842 | 159 | 457 | ||
1857 | 454 | |||
1896 | 335 | |||
1968 | 295 | |||
1975 | 441 | |||
1982 | 589 | |||
1990 | 749 | |||
1999 | 1025 |
URBANISME
Limites
La Motte parait avoir eu, au moyen-âge, une enceinte fortifiée, dont le tracé correspondrait peut-être à la limite circulaire du noyau central du village. Les notices du livre des lods et trézain de la baronnie d'Ansouis du début du XVe siècle mentionnent en effet le moulas, talus qui devait former la base de cette enceinte, et un portail ; elles font d'autre part apparaitre des noms de quartier - le Ferrail, la Bourgade - qui indiquent la présence de faubourgs extérieurs à une fortification. Le cas n'est ce pendant pas très clair. Toutes les constructions citées dans ce document étaient, semble-t-il, situées hors de l'enceinte, au pied du talus, donc dans les faubourgs. Il peut y avoir à ce fait deux explications :
1 ° L'information contenue dans le document étant, par nature, incomplète (on n'y trouve mentionnée qu'une dizaine de maisons, crotes ou casaux), il n'est pas impossible de supposer l'existence d'un village intra muros dont aucun élément n'aurait fait l'objet d'une mutation dans la période considérée. On s'étonnera alors de constater que les contrats d'emphitéose de 1505, consécutif à l'acte d'habitation, ne fassent, elles aussi, état de constructions et d'emplacements à bâtir que dans les quartiers périphériques.
2° Cette constatation, jointe à l'impossibilité (faute de vestiges et de textes explicites) de situer le château seigneurial, amène à formuler une seconde hypothèse : l'enceinte signalée ne serait pas celle du village, mais celle du château. Ce dernier, certainement en ruine au début du XVe siècle, n'est pas cité comme tel : seuls sont signalés les éléments qui en subsistent, le moulas (mentionné expressément comme appartenant au seigneur) et le portail, le baron de la Tour d'Aigues, n'ayant pas l'intention de rebâtir un château qui ne présentait pour lui aucun agrément ni aucune utilité, aurait par la suite loti l'emplacement, qui aurait alors formé le noyau central de l'agglomération.
Aucun élément d'information ne permet, pour l'instant, de trancher. Quoi qu'il en soit, l'enceinte (s'agissait-il d'ailleurs d'une construction maçonnée ou d'un rempart façonné, comme à Saint-Martin-de-la-Brasque, dans le substrat rocheux ?) n'a pu servir de limite qu'à une agglomération très exiguë et très ancienne, sur laquelle nous ne possédons aucun renseignement. La formation des faubourgs, dans ce cas, remonterait au début ou au milieu du XIVe siècle au moins, et plus haut encore si l'on se réfère à la seconde hypothèse.
Depuis cette époque donc, et peut-être même depuis ses origines, le village n'a plus connu de limites fixes et son développement ultérieur, au gré des fluctuations démographiques, n'a pas connu d'autres contraintes que celles du terrain, de l'exposition climatique et des habitudes sociales. Sa très grande homogénéité, observée jusqu'à une date récente, n'en est que plus remarquable.
Circulations, rues et places
Le réseau des circulations a, semble-t-il, peu évolué - dans les limites de notre connaissance. La rue principale, formée par la route D 27 (de Cucuron à Grambois), traverse le village d'ouest en est en séparant le noyau central du faubourg de l'église ; elle constitue à la fois la principale voie d'accès et le centre d'animation de l'agglomération, son tracé n'a connu qu'une légère modification, intervenue entre 1837 et 1935, dans le faubourg est, qui l'a amenée à contourner au nord un ilot de maisons qu'elle bordait auparavant au sud (l'ancien tracé subsiste sous la forme d'une ruelle étroite et fortement pentue). Sur cette rue se greffe, au sud, la place, jadis simple élargissement de la voie, agrandie au début du siècle pour former un large espace devant l'église.
Deux autres rues, perpendiculaires à la première, contournent à l'est et à l'ouest le noyau central et se rejoignent au nord pour former un chemin rural (c'était jadis le chemin reliant la Motte à Cabrières-d'Aigues). A l'intérieur du noyau, comme dans les quartiers périphériques, on ne trouve qu'un réseau confus, tortueux, presque inaccessible aux véhicules modernes, de ruelles de desserte. Au sud de la place, enfin, une rue débouche sur la route de la Tour-d'Aigues (D 1 20).
Répartition des fonctions
Aux époques anciennes, cette répartition n'est pas connue. Sans doute n'était-elle guère différente de celle d'aujourd'hui, qui centralise la quasi totalité des éléments d'animation (église, commerces, cafés) sur le parcours de la rue principale, à l'exception du temple, bâti dans le faubourg ouest. Plus récemment, l'école, la coopérative vinicole et la mairie se sont établis en bordure de ce même axe, les deux premières à l'extrémité est du village, la troisième sur la place.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.