On ne sait pas grand chose de cet habitat, qui disparut vers la fin du XIIIe siècle et fut remplacé par celui de Cabrières. L'origine même de son nom est obscure. Les formes les plus anciennes paraissent se référer à un composé avec le suffixe prélatin -antiu ( mais le radical -latin rupes ?- fait difficulté) : Rubiantis en 1050-1080, Robiantz en 1102, Rubiants en 1118, Rubianzen 1175 1.
Lorsqu'il apparaît dans les textes, dans le troisième quart du XIe siècle, le toponyme s'applique, semble-t-il, à un grand domaine rural, dont les propriétaires, les frères Renoux et Bermond, détachent un manse pour le donner à l'abbaye de Montmajour 2. Sur le territoire de Roubians, correspondant à celui de l'actuelle commune de Cabrières, on trouve donc au XIe siècle un habitat rural dans la tradition de celui qu'avait connu l'Antiquité. Quelques découvertes fortuites, à défaut de fouilles, permettent en effet de localiser sur les coteaux qui entourent le village une villa gallo-romaine d'une certaine importance : des débris de tuiles et de poteries qui jonchent les alentours des anciennes chapelles Saint-Laurent et Saint-Jean de Roubians, divers objets de bronze (agrafe, clef, plaque) et un autel de pierre dédié par Helara, affranchie de Caius, trouvés en 1867, et surtout le célèbre bas-relief représentant le halage d'un bateau sur une rivière 3.
D'après la charte de donation à Montmajour déjà citée, dans le troisième quart du XIe siècle, la villa de Roubians appartenait, en grande partie sinon en totalité, à une famille qu'il est possible d'identifier comme celle des Asquier, famille chevaleresque d'Avignon, de l'entourage des comtes de Provence 4, qui avait également des possessions sur le territoire actuel de La Bastide-des-Jourdans 5. Peut-être faut-il voir des descendants de cette même famille dans les personnages connus, au siècle suivant, sous le patronyme de Roubians : Guillaume de Roubians, chanoine d'Apt entre 1110 et 1122 6, et Bertrand de Roubians, petit chevalier client du comte de Forcalquier en ce même début du XIIe siècle 7. Quant au territoire de Roubians, on peut en mesurer l'étendue grâce aux églises qui y furent fondées : Notre-Dame d'Entraigues, in terminio de Robiantz, dépendance de l'abbaye de Saint-Romain d'Aiguille donnée à Psalmody en 1102 8 ; Saint-Laurent de Rubiants, longtemps disputée entre l'abbaye de Montmajour et le chapitre d'Aix 9 ; Saint-Jean de Rubianz, paroisse, dépendant du chapitre d'Aix en 1175 10.
De l'habitat, on ne sait rien. Sans doute est-il resté longtemps épars et, de toute façon, peu important. Ce terroir montagneux et ingrat, dont les meilleures terres étaient accaparées par l'église, presque dépourvu de cours d'eau et placé à l'écart des grandes voies de communication, n'était pas fait pour attirer et retenir d'abondantes populations. En 1193, Roubians est qualifié de castrum, ce qui implique au minimum l'existence d'une fortification seigneuriale, peut-être d'un embryon d'agglomération. Ce castrum appartenait alors, en tout ou en partie, au comte Guillaume IV de Forcalquier, qui l'inclut dans le petit ensemble de fiefs - la future baronnie d'Ansouis - qu'il réservait au fils ainé de son gendre Rainon de Sabran 11.
En l'absence de tout document écrit, on ignore ce qui se passa entre la fin du XIIe et la fin du XIIIe siècle. La tradition qui fait naître au château de Roubians, en 1295, saint Elzéar de Sabran représente le dernier témoignage de vie de cet édifice. Les documents postérieurs le décrivent comme abandonné et ruiné. Déjà le censier d'Ansouis de 1331 et le procès de canonisation de Delphine, veuve de saint Elzéar, rédigé en 1363, ne font état que du seul village de Cabrières 12.
L'inventaire, dressé en 1383, des biens du baron Jean de Sabran fait de Cabrières et de Roubians deux castra distincts, annexés l'un à l'autre ; mais le premier contient le château, le four banal et toutes les habitations, le second n'est qu'un quartier rural, où l'on mentionne cependant, parmi les confronts d'une terre, les ruines du vieux château seigneurial 13. Ce paysage apparait plus nettement encore dans les notices du Livre des lods et trezain de la baronnie d'Ansouis, tenu de 1398 à 1442 pour Elzéar de Sabran : le castrum de Robians y figure comme un simple lieu-dit, servant à localiser des terres 14.
A la fin du XVe siècle, Roubians n'est plus qu'un souvenir. L'inventaire de la succession de Fouquet d'Agoult, dressé en 1492, mentionne à côté de Cabrières le locum inhabitatum de Robiano 15 ; celui de la succession de Raimond d'Agoult, en 1503, signale, dans le territoire de Cabrières "Robians, guod est ibidem prope in cacumine ejusdem colleti a parte occasus solis" 16.
Que s'est-il passé ? On ne peut formuler que des hypothèses
1° Roubians aurait été un château et un village, désertés l'un et l'autre au début du XIVe siècle au profit de Cabrières. Les causes de la désertion auraient été soit une destruction accidentelle (catastrophe naturelle ? on ne signale pas de guerre à cette époque), immédiatement suivie par la fondation de Cabrières, soit une dévitalisation progressive provoquée par le voisinage concurrent de Cabrières, dont la fondation serait alors antérieure au XIVe siècle. Dans cette hypothèse, il est étonnant de trouver si peu de traces de l'ancien village dans les textes du début du XVe siècle : hormis les ruines du château, on ne voit plus à cette époque aucun vestige de construction à Roubians.
2° Le site de Roubians n'aurait porté, autour du château, qu'un très petit nombre de maisons, abandonnées dès le XIIe ou le XIIIe siècle. L'habitat serait resté faible et dispersé sur l'ensemble du territoire (autour des trois églises, près du château de Roubians et à Cabrières ?) jusqu'au XIIIe siècle au moins. Le regroupement aurait eu lieu à Cabrières, soit progressivement au cours du XIIIe siècle, soit en conséquence d 'un acte d'habitation. Le nouveau village, d'abord simple annexe de Roubians, devint en tout cas le chef-lieu de la commune, de la seigneurie et de la paroisse dans la première moitié du XIVe siècle.
Entre ces hypothèses, seules des fouilles permettraient peut-être de trancher. Le site de Roubians, grosse colline ronde qui domine à l'ouest le village de Cabrières, ne laisse voir actuellement que quelques pans de murs informes.
Conservateur du Patrimoine au service régional de l'Inventaire général de Provence-Alpes-Côte d'Azur de 1969 à 2007.