HISTORIQUE
La villa Bellevue a été construite en 1925-1926 par l'architecte Léon Bailly pour l'industriel Claude Limousin. Il existait à cet emplacement une villa construite vers 1903 pour un industriel lyonnais, Pierre Lamellet. Il s'agissait d'un petit château à tourelles dont le tracé est encore visible dans les caves de la villa actuelle. Il figure sur le plan directeur levé en 1907 par le service géographique de l'armée, déjà desservi par l'allée axiale actuelle. Sur la matrice des propriétés bâties, en 1906, la villa est accompagnée d'une dépendance (dite maison de granger) et de cabines de bains de l'autre côté de la route, en bord de mer. La partie avant de la propriété est plantée de vignes.
La propriété est achetée en 1922 par Claude Limousin, ingénieur à la tête d'une des principales entreprises de béton armé de la première moitié du 20e siècle. On ne sait pas si la villa existante était en mauvais état où tout simplement démodée mais elle est alors détruite. Claude Limousin souhaite la remplacer par une maison pionnière dans l'emploi du béton et du ciment armé dont il demande, en 1923, les plans à Léon Bailly, alors tout jeune architecte pas encore diplômé. Léon Bailly fait partie de la jeune génération d'architecte qui s'inscrit dans le débat ouvert par Le Corbusier autour de l'architecture moderne. Il parfait sa formation par des stages auprès d'ingénieurs, décorateurs, dessinateurs de meuble. La rencontre des deux créateurs épris de modernité donne forme à une villa très novatrice, construite dans les années 1925-1926 après certaines modifications du premier projet.
DESCRIPTION
1.2. Situation et composition d'ensemble
La villa Bellevue est située au lieu-dit Châtaigne, à proximité de la Nartelle. Bénéficiant de la proximité de la halte ferroviaire de la Nartelle, le quartier a vu se construire des maisons de villégiature dès le tout début du 20e siècle.
Elle est construite au centre d'un vaste terrain de 3 hectares et demi, aménagé en parc, auquel on accède à partir de l'avenue par un portail architecturé aux vantaux en fer forgé de style Art Déco. L'entrée de service, dans une impasse qui longe le parc au sud-ouest, est complétée par une maison du gardien.
Le portail sur l'avenue. Détail de la ferronnerie des vantaux du portail. Entrée de service et conciergerie.
L'arrivée à la villa.La villa se situe dans la perspective d'une allée rectiligne, à l'origine bordée d'eucalyptus, surélevée et mise en scène sur une terrasse en terre-plein cantonnée de pergolas (aujourd'hui masquées par la végétation). On y accède par un large degré droit. Aux abords immédiats, pergolas, degrés et murets appareillés délimitent et articulent les différents espaces piétons/voitures, agrément/services ...
La villa est orientée à l'est, face à la mer. Elle ouvre au sud sur un jardin régulier organisé autour d'un bassin carré. Le programme est celui d'une maison de villégiature d'hiver reprenant le schéma de la bastide provençale, à la fois résidence et lieu de production agricole, ici viticole. Un corps de bâtiment principal abrite la maison de maître. Il est prolongé à l'arrière par deux ailes perpendiculaires délimitant une cour, et occupées par le logement du jardinier et des communs. Une autre aille nord-sud abrite le garage et un atelier sur l'avant, le poulailler-pigeonnier sur l'arrière.
3. Matériaux
La villa (murs et couvertures), la maison de gardien, les portails ainsi que tous les éléments du parc sont construits en béton armé. Le procédé accusait à l'époque certaines faiblesses, dont une couche de recouvrement des armatures métalliques insuffisante, que nous avons constatées également dans d'autres villas de la même époque à Sainte-Maxime, et qui sont à l'origine de l'attaque des fers par la rouille et de l'effritement du béton.
Les murs sont recouverts d'un enduit de chaux ocre, beige ou bleu (débord de la dalle de couverture et auvent du porche).
4. Structure
La villa occupe une surface au sol d'environ 480 mètres carrés. Elle se présente comme un corps de bâtiment de plan rectangulaire prolongé à l'arrière par deux ailes perpendiculaires délimitant une cour ; cet ensemble est sur deux niveaux au-dessus d'un sous-sol. L'aile nord-sud est en rez-de-chaussée.
Les toits sont couverts de voûtes masquées par un muret de couronnement.
La bâtisse se caractérise par un jeu de volumes simples, cubiques, compensé par des décrochements et les débords de toits appuyés.
La maison de maître est desservie par un escalier dans-œuvre, tournant à retours autour d'un jour. La rampe d'appui est pleine, en ciment, avec une main-courante en mosaïque verte. L'aile de service et le logement du jardinier sont desservis par des escaliers secondaires.
5. Élévations extérieures
Vue d'ensemble de l'élévation antérieure.La façade antérieure (est) joue sur une impression d'ordonnance feinte. Elle n'est pas symétrique mais l'axe fort, donné par l'escalier, le porche et le retrait des travées centrales tend à faire oublier la travée excédentaire à droite. La sobriété et l'austérité des murs lisses sont compensées par les décrochements du porche, de l'atrium et de la terrasse à l'étage. Les débords du couronnement, de l'auvent du porche et les jardinières en ciment accentuent les horizontales. Les courbes des murs du porche et les fenêtres en plein cintre du rez-de-chaussée adoucissent l'ensemble. Les fenêtres sont fermées par des volets roulants. La porte d'entrée est à deux vantaux, en fer forgé, vitrée.
6. Distributions intérieures
Celles-ci nous sont données par les plans de Léon Bailly publiés en 1927 dans la revue Jardins et Cottages.
Plan du rez-de-chaussée. Plan de l'étage.
La villa Bellevue présente une hiérarchisation horizontale (entre les espaces d'agrément et les espace de service) et verticale (entre les espaces de jour et de nuit). A l'avant, la villa proprement dite s'ordonne autour d'un espace intérieur central, l'atrium, au centre duquel se trouve une fontaine, prolongé par un hall d'où part l'escalier éclairé sur le mur ouest par un vitrail de Jacques Gruber. L'atrium et le hall distribuent, au nord l'office et la salle à manger, au sud, le bureau et le salon. Les ailes nord et sud encadrent une cour ouverte, pendant de l'atrium. L'aile nord abrite un fruitier et la buanderie, et un laboratoire photographique. Ces locaux sont uniquement accessibles par la cour. L'aile sud est totalement indépendante. C'est le logement du jardinier, sur deux niveaux. L'aile nord-sud, sans lien avec la maison est occupée par le garage et un atelier à l'avant et un poulailler-pigeonnier-clapier à l'arrière.
A l'étage, quatre chambres, dont l'une complétée par un boudoir ouvrant sur une terrasse, et deux salles de bains sont orientées au sud et à l'est. Une des chambres ouvre aussi sur la terrasse. L'aile nord est longée par un couloir qui dessert quatre chambres de domestiques dont trois sont orientées au nord et une au sud.
NOTE DE SYNTHÈSE
Le programme de la villa Bellevue est classique. Il s’agit d’une maison destinée à la villégiature d’hiver. Le souci principal de Léon Bailly est celui de l’adaptation au climat et au site, comme l’affirme l’architecte dans un entretien publié dans la revue Jardins et Cottages en 1927, avec de larges baies pour capter le soleil d’hiver, ouvertes sur des terrasses protégées des vents, la maison devant elle-même être abritée par des haies de végétation.
Bellevue est un exemple de classicisme puriste. Classique par la régularité de ses volumes et de ses élévations, elle suit les nouveaux préceptes corbuséens. Elle est réalisée selon des techniques nouvelles, béton armé y compris pour la couverture en extrados de voûtes. Les formes sont simples, rigoureuses, épurées, à la limite de l’austérité, suivant l’idée que la forme est riche de sa pureté pas de son habillage. Cette simplicité ne se fait cependant pas au détriment du confort et de l’art de vivre. C’est à l’intérieur que se réfugie toute la richesse du décor Art Déco : mosaïques, ferronnerie, vitrail de Jacques Gruber.
Architecte diplômé vers 1923, après une formation intégrant les nouvelles techniques de construction dont le béton armé. Ses réalisations d'avant-guerre sont entre régionalisme et modernité. Un projet d'habitat économique en voûtes paraboliques illustre l'utilisation du béton armé dans l'habitat domestique. Après guerre, il se consacre à la réalisation de bâtiments industriels et participe à la construction de cité expérimentale de Noisy-le-sec avec la maison CIMAP (1945).