L'îlot 12 présente une grande homogénéité tant sur le plan du traitement des façades que de l'organisation des appartements. Les élévations sont unifiées par des bandeaux entre les étages et des balcons filants, sans rupture de niveau alors que la rue est pourtant en pente (la différence est compensée en jouant sur la hauteur du premier niveau). L'ordonnance est composée à partir de l'axe de symétrie donné par le N°45, ordonnance à l'échelle de l'îlot et non de chaque immeuble qui s'efface devant l'ensemble. C'est un urbanisme qui inscrit dans une tradition marseillaise de la ville baroque, initiée par Pierre Puget vers 1670 au Grand Cours (cours Belsunce) où les immeubles présentent également une fonction commerciale au rez-de-chaussée.
L'organisation des appartements est de type mixte, c'est-à-dire qu'un vestibule ou un couloir distribue les pièces et les rend autonomes, mais que certaines pièces secondaires (petites chambres, alcôves, pièces noires...) peuvent être dépendantes. La distribution correspond à celle qui est préconisée en 1864 par le docteur Maurin, dans son ouvrage sur les conditions de l'hygiène à Marseille :
1- Une chambre à deux fenêtres recevant un lit dans une alcôve stuquée,
2- un cabinet à une fenêtre recevant un autre lit,
3- un salon à une ou deux fenêtres,
4- entre la chambre et le salon un cabinet prenant jour sur le palier, à l'aide d'un châssis fixe, ou sur le salon à l'aide d'un châssis à battant que l'on ouvre le soir venu. Dans les deux cas on conçoit que cette pièce est très imparfaitement aérée ; néanmoins on l'utilise soit en guise de chambre à coucher, soit comme chambre de débarras...,
5- enfin une cuisine avec soupente, charbonnière, pierre d'évier. (1)
On remarque deux caractéristiques, aussi bien dans cette description que dans les immeubles de la rue de la République. D'une part, la présence des alcôves. L'alcôve est la partie de la chambre qui reçoit le lit. La chambre est alors la pièce à vivre où la maîtresse de maison reçoit. Elle est de taille égale ou plus grande que la salle à manger, la pièce "où l'on mange". De même, la salle à manger et la cuisine sont en général en intérieur d’ilot alors que les chambres sont sur la rue. C'est cette disposition qui est préconisée par l'architecte Victor Leroy, en 1847 (2). On la rencontre par exemple au troisième étage de la parcelle 103. C'est ce qui explique que lors de la visite des appartements vides, il est difficile de différencier la salle à manger de la grande chambre, les deux pièces étant également traitées (cheminées, décors de gypserie).
Nous sommes ici à la fin des années 1860 et cet usage de la chambre commence à être obsolète. Les alcôves sont abandonnées dans l'habitat bourgeois vers 1870, la chambre devient intime, remplacée comme espace de réception par la salle de séjour. Dans les dossiers d'assainissement réalisés à Marseille dans les années 1890, des demandes de modifications de distribution sont exprimées en vue de passer les chambres à l'arrière, au calme, et de mettre la salle de séjour du côté ensoleillé ou/et sur la rue, même si elle s'en trouve éloignée de la cuisine. Cela s'est vraisemblablement passé à l'îlot 12 accentuant la difficulté de lisibilité.
Autre élément archaïque, plusieurs pièces d'un même appartement ouvrent directement sur le palier tout en étant aussi accessible en traversant une autre pièce (par exemple parcelles 103 ou 111), ce qui permet d'économiser la place d'un couloir à l'intérieur, mais oblige à sortir dans l'espace collectif. Ce trait est obsolète depuis les années 1840, où une porte unique donne accès à l'appartement, ainsi refermé sur l'espace privé.
NOTES
(1) Marseille du point de vue de l’hygiène et de la statistique médicale par le Docteur S.E. MAURIN - S.S.M. Tome XXVII (chapitres Maisons) 1864.
(2) Notice sur les constructions de maisons à Marseille. V. LEROY, S.S.M. Volume X - 1847.
Architecte-entrepreneur marseillais. Auteur de certains îlots de la rue de la République à Marseille, vers 1866 et de son château de la Buzine (11e arrondissement) en 1865.